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II. Douleur et modulation du l’influx nociceptif

1. Physiologie de la douleur

1.1. Stimulus nociceptif et intégration

La douleur est définie par l’Association Internationale d’Etude de la Douleur (IASP) comme « une expérience sensorielle et émotionnelle associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel ou décrite en termes d’un tel dommage ». Cette expérience émotionnelle désagréable vise à alerter l’organisme d’une menace de son intégrité physique et psychique, elle nous apprend et nous motive à éviter les situations dangereuses.

La douleur correspond à détection du stimulus nociceptif, qui est transmis au système nerveux central (SNC) où il est associé à une émotion douloureuse. Les terminaisons nerveuses à l’origine des sensations de la douleur sont les nocicepteurs. Ces sont des neurones sensoriels primaires possédant des terminaisons nerveuses libres amyéliniques (fibre C) ou faiblement myélinisées (fibre A) distribués dans tout l’organisme à l’exception du système nerveux central. Il existe trois types de nocicepteurs selon le type de stimulus qu’ils peuvent détecter : les nocicepteurs mécaniques (fibre A), les nocicepteurs thermiques (fibre A), et les nocicepteurs polymodaux (fibre C) sensibles à des stimuli mécaniques, thermiques et chimiques. La détection de stimuli nociceptifs se fait par l’activation de récepteurs spécifiques exprimés par les nocicepteurs. Les récepteurs TRPV (en anglais, transient receptor potential vanilloid) détectent la chaleur, alors que les récepteurs TRPM8 et TRPA1 sont sensibles au froid. Les stimuli mécaniques activent des méchanorécepteurs tels que les canaux potassiques KCNK. La détection d’un signal chimique fait intervenir une grande variété de récepteurs différents, comme le TRPV1 (capsaïcine), TRPM8 (menthol), le TRPA1 (isothiocyanate du wasabi) ou des canaux ioniques sensibles à l’acide (ASICs) (Basbaum et al., 2009).

Ces récepteurs jouent le rôle de système de détection, permettant au nocicepteur de « lancer l’alerte » sous la forme d’un influx nociceptif. Ce neurone, dont le corps cellulaire se trouve au niveau des ganglions rachidiens, projette l’influx nociceptif dans la corne dorsale de la moelle épinière et le transmet au deutoneurone (ou neurone de deuxième ordre) qui assure le relais de l’influx jusqu’au thalamus, il s’agit de la voie spino-thalamique (Figure 5). La propagation du

signal nociceptif est dépendante de canaux voltage-dépendant calciques (famille des Cav1) et sodiques (famille des Nav1). Un troisième neurone assure la transmission spino-corticale où l’information nociceptive est intégrée en douleur par quatre composantes :

• Le cortex somesthésique primaire : intègre la composante sensorielle (détection, localisation : homoculus sensoriel)

• Le striatum : initie la réponse motrice (aspects motivationnels des mouvements, expression motrice des émotions) à la douleur

• Le cortex préfrontal : apporte le contexte affectif de la douleur

• Le système limbique : contrôle les aspects de l’apprentissage, de mémorisation (hippocampe) et apporte la distinction de désagréable associée à la douleur.

A chaque relais, l’influx nociceptif peut être amplifié ou diminué.

Figure 5 : Voie de signalisation de l’influx nociceptif et intégration en expérience douloureuse. (1) les

nocicepteurs périphériques sont sensibles aux stimuli thermiques, mécaniques et chimiques. (2) Ces neurones primaires vont transmettre l’information nociceptive à un neurone de deuxième au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière. (3) Cet influx est relayé dans les centres supraspinaux où il est intégré en sensation douloureuse. Schéma adapté de (Camilleri and Boeckxstaens, 2017).

1.2. Modulation de la douleur, hypersensibilité à la douleur

Inflammation et hypersensibilité à la douleur

La douleur, dans son fonctionnement physiologique, est qualifié de douleur nociceptive, et sert à préserver l’intégrité de l’organisme. Il existe cependant des cas où, suite à un dérèglement, la douleur ne remplit plus ce rôle et devient délétère, ce qui mène dans le cas le plus général au développement d’une hypersensibilité à la douleur. Lorsque la douleur se prolonge au delà du temps de guérison de la lésion à l’origine cette douleur, elle devient chronique. Sur le plan clinique, la douleur est qualifiée de chronique dès lors qu’elle se prolonge au delà de 6 mois. Cette douleur chronique peut être d’origine inflammatoire, ou neuropathique. La douleur inflammatoire est une douleur d’origine nociceptive dont le signal est amplifié à cause de médiateurs inflammatoires pronociceptifs. La douleur neuropathique n’est pas initiée par stimulus nociceptif, mais correspond à une lésion nerveuse provoquant un dysfonctionnement des voies de signalisation de la douleur.

L’inflammation, au niveau du tissu lésé, perturbe la détection de stimulus nociceptif par les nocicepteurs avec la libération d’un cocktail de substances neuroactives (substance P, bradykinine, prostaglandines, sérotonine, histamine, cytokines, H+, oxyde nitrique, radicaux libres…) qui entretiennent et amplifient la stimulation de la fibre sensorielle. Cette augmentation de la perception douloureuse qui ne correspond plus au message douloureux l’ayant initiée définit l’hyperalgésie, alors que l’allodynie correspond une perception douloureuse d’un stimulus qui ne l’est normalement pas. Ces deux phénomènes, hyperalgésie et allodynie, participent au développement d’une hypersensibilité à la douleur qui est une perturbation du signal douloureux très répandue, en particulier dans les douleurs inflammatoires et les douleurs neuropathiques. L’un des principaux contributeurs de l’hyperalgésie est l’augmentation de la sensibilité des neurones sensitifs primaires, phénomène appelé sensibilisation latente (Treede et al., 1992).

La sensation douloureuse, en cas de neuro-inflammation, est entretenue par une série de « réflexe d’axones » : la fibre qui véhicule l’information douloureuse vers le SNC possède des collatérales qui libèrent la substance P au niveau de multiples cibles (capillaires, mastocytes…) qui libèrent à leur tour des substances excitatrices pour les fibres de la douleur (histamine, sérotonine, bradykinine…). Malgré la disparition de la stimulation douloureuse initiale, la fibre continue de faire monter un message douloureux, et sensibilise les fibres proches.

Modulation du signal nociceptif

L’influx nociceptif est modulé aux différents niveaux de sa transmission, et ces contrôles peuvent être facilitateurs ou inhibiteurs. Ces mécanismes peuvent avoir lieu à tous les niveaux de la transmission du signal nociceptif. Au niveau de la première synapse, dans la corne dorsale de la moelle épinière, les fibres sensorielles non nociceptives sont capables d’inhiber la transmission de l’influx nociceptif via l’activation d’interneurones selon la théorie du « gate control » (Melzack and Wall, 1965). Il existe également de nombreux contrôles inhibiteurs centraux et descendants qui provoquent une diminution de l’activité des neurones nociceptifs de la moelle, dont les principaux neurotransmetteurs sont les amines (sérotonine, norépinéphrine) et les opiacés endogènes (enképhaline, endorphine et dynorphine).

Ces systèmes facilitateurs et inhibiteurs co-existent dans un équilibre dynamique qui définit le seuil de sensibilité à la douleur d’un individu. De nombreux types cellulaires participent à cet équilibre, avec les cellules du système immunitaire, comme les macrophages et cellules lymphocytaires qui peuvent envoyer des signaux pronociceptifs (TNF, IL-1, IL-33, IFN-) et antinociceptifs (IL-4, IL-10) ; des cellules du système nerveux, comme les cellules de Schwann, les cellules gliales, les astrocytes, la microglie qui eux aussi peuvent envoyer des signaux pronociceptifs (TNF, IL-1, ATP, CCL2, BDNF) et antinociceptifs (IL-10, IFN-).

En cas d’inflammation, des agents pro-nociceptifs sont secrétés (substance P, ATP, H+, histamine…) et font pencher cet équilibre vers un état de plus grande sensibilité à la douleur, qui peut se traduire sur le plan clinique par le développement d’une hyperalgésie et d’une allodynie.

Ainsi, lors d’une coupure de la peau par exemple, une douleur aiguë est ressentie, qui correspond à l’apparition de la lésion. Cette douleur, par son ressenti désagréable, stimule l’individu à retenir l’enchainement d’évènements ayant conduit à cette blessure afin de l’éviter si les conditions se reproduisent. Dans un deuxième temps, suite à la lésion tissulaire une inflammation locale de développe et des médiateurs inflammatoires sont libérés. Ces médiateurs sont également pro-nociceptifs (substance P, ATP, H+, histamine…) et vont sensibiliser les nocicepteurs présents. De ce fait, l’équilibre de sensibilité à la douleur est modifié et une hyperalgésie locale se développe, ce qui enjoint l’individu à protéger particulièrement ce tissu, le temps de la cicatrisation. Une fois le tissu cicatrisé, l’inflammation se résorbe et la sensibilité à la douleur revient à son équilibre initial. Cet exemple illustre le fonctionnement physiologique des mécanismes de régulation de la douleur, cependant dans le

cas où l’inflammation se prolonge et devient chronique, les médiateurs pro-inflammatoires et pro-nociceptifs vont durablement sensibiliser les voies de signalisation de l’influx nociceptif et modifier profondément l’équilibre de sensibilité à la douleur.

Les mécanismes moléculaires impliqués dans la douleur chronique ne sont pas clairement élucidés, mais il semblerait que la répétition du stimulus nociceptif sensibilise les nerfs impliqués, et que cela puisse occasionner une réaction neuro-inflammatoire. Le passage d’une douleur à un état chronique résulte d’une sensibilisation périphérique et chronique. La sensibilisation périphérique est le plus souvent le résultat de modifications dans l’environnement de la fibre nerveuse sensibilisée qui sont provoquées par une inflammation, les principales cibles moléculaires sont les récepteurs canaux TRPV1, TRPA1 et ASICs. La chronicisation de la douleur passe également par des mécanismes centraux, avec une activation des systèmes glutamatergiques (récepteurs NMDA-R, mGluR), une diminution des contrôles inhibiteurs GABAergiques et glycinergiques, et une activation des cellules gliales ce qui conduit à une neuro-inflammation (Basbaum et al., 2009; Ji et al., 2016).

Les systèmes impliqués dans le maintien de cette homéostasie de la douleur font l’objet de nombreuses recherches afin de mieux comprendre les phénomènes d’hypersensibilité à la douleur, et d’améliorer les solutions thérapeutiques pour la prise en charge de la douleur chronique.