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1. Contexte

La douleur est un problème de santé publique majeur qui réduit considérablement la qualité de vie, et sa prise en charge représente un coût élevé dans les pays développés (Florence et al., 2016). Aux Etats Unis, l’explosion d’un usage abusif des opiacés, qualifié d’ « épidémie » a été corrélée avec une forte comorbidité et une augmentation du coût de la prise en charge. Jusqu’à présent, les efforts de la recherche, universitaire et pharmaceutique, n’ont pas permis la découverte de nouvelles molécules antalgiques apportant une sécurité d’emploi sur un usage répété à long terme. La faiblesse/danger des opiacés vient des adaptations que l’organisme développe face à l’administration répétée de ces molécules. Le développement de la tolérance à leurs effets analgésiques et une hypersensibilité à la douleur (hyperalgésie) demandent une réévaluation constante de leur posologie ; et l’augmentation progressive des doses administrées conduit à une dégradation de la qualité de vie du aux nombreux effets indésirables de ces composés. Ils sont fortement addictifs, et donc susceptibles à la surconsommation ; or les opiacés peuvent provoquer des dépressions respiratoires graves, et des troubles digestifs (constipation) pouvant nécessiter l’arrêt du traitement au risque de provoquer un syndrome de sevrage. Alors que les opiacés sont incontournables dans la gestion de la douleur aigue, notamment péri-opératoire, la balance bénéfice-risque est beaucoup plus resserrée en cas de traitement chronique (Chou et al., 2015; Rudd et al., 2016). Face à l’explosion de la consommation d’opiacés par la population américaine, la nécessité de composés moins dangereux au long terme devient urgente (Grosser et al., 2017; Olsen, 2016).

La capacité adaptative de l’organisme face à l’exposition répétée d’opiacés peut être expliquée par le recrutement de systèmes anti-opioïdes endogènes qui découle de cette sur-stimulation du système opioïde endogène (Ayachi and Simonin, 2014; Simonnet and Rivat, 2003). L’activation de ces systèmes anti-opioïdes conduirait au développement d’une hyperalgésie, qui en s’opposant à l’effet analgésique des opiacés, expliquerait la tolérance à l’analgésie. Plusieurs systèmes ont été décrit comme possédant une composante anti-opioïde, parmi eux le neuropeptide FF (NPFF), capable de se fixer à deux récepteurs couplés aux protéines Gi : NPFF1R et NPFF2R. Dans des travaux précédents effectués par notre équipe, a été caractérisé

le premier antagoniste sélectif des récepteurs NPFF, capable de lier les deux sous-types de récepteurs au NPFF, NPFF1R et NPFF2R (Simonin et al., 2006). Lorsque cet antagoniste (RF9) est co-administré avec de la morphine, il bloque le développement de la tolérance analgésique à la morphine et empêche d’apparition de l’hyperalgésie. De plus, ce composé diminue l’intensité du syndrome de sevrage, précipité par la naloxone, consécutif à l’administration chronique de morphine (Elhabazi et al., 2012). Ces résultats montrent que le NPFF est un système anti-opioide qui joue un rôle dans l’établissement d’une tolérance aux opiacés et de l’hyperalgésie induite par les opioides. Ces deux mécanismes étant responsables de la perte d’efficacité des opiacés en chronique, les récepteurs du NPFF apparaissent clairement comme une cible thérapeutique pertinente.

2. Objectifs

L’objectif principal de ce projet est de combiner au sein d’une seule molécule les propriétés analgésiques des opiacés et les propriétés d’antagonisme au NPFF afin de proposer une molécule analgésique tout en bloquant le développement de la tolérance analgésique et de l’hyperalgésie en cas d’administration répétée. Le concept de réunir deux

activités pharmacologiques dans une seule molécule, appelée molécule à dualité d’action, connaît un intérêt grandissant, notamment dans le domaine de la douleur, avec la combinaison d’une activité opioïde et d’une activité non opioïde (Talevi, 2015; Turnaturi et al., 2016). Cette stratégie offre une pharmacocinétique et une toxicité unique pour les deux actions biologiques, diminue le risque d’interactions médicamenteuses et améliore la bonne observance du traitement. Le développement et l’usage d’une telle molécule en sont facilités. La difficulté de cette approche réside dans la synthèse de composés à dualité d’action et dans l’identification de ses différentes propriétés pharmacologiques.

3. Résumé

Afin de mener à bien ce projet nous avons pu compter sur l’expertise de deux équipes de chimistes : l’équipe de F.Bihel (Illkirch, France) possédant l’expertise sur la partie antagoniste au NPFF, et l’équipe de S.Ballet (Bruxelles, Belgique) apportant la maitrise de la composante opioïde, avec laquelle ont déjà été réalisées des molécules à dualité d’action (Guillemyn et al., 2016). Notre collaboration avec ces équipes nous a permis d’obtenir une banque de 16 molécules que nous avons criblé in vitro sur les récepteurs opioïdes et les récepteurs à peptide RF-amide. Nous avons pu identifier une molécule, KGFF09, qui est un puissant agoniste MOR et présente également une bonne activité antagoniste des récepteurs NPFF R et NPFF R. A titre

de comparaison, nous avons également poursuivi cette étude avec deux autres molécules : KGFF03, présentant une puissance activité agoniste pour les récepteurs MOR, NPFF1R et NPFF2R ; et KGOP01, correspondant strictement au pharmacophore opioïde de KGFF03 et KGFF09, et qui a servi de référence. Chez la souris, l’administration sous-cutanée de KGFF09 produit un analgésie puissante et de longue durée ( > 5 h) qui n’est pas atténuée par le développement de tolérance analgésique ou d’hyperalgésie après 1 semaine d’administration quotidienne, contrairement aux composés KGOP01 et KGFF03. Le syndrome de sevrage précipité par la naltrexone est réduit de moitié après l’administration chronique de KGFF09, comparé au KGOP01 et KGFF03 et grâce à son activité d’agoniste biaisé vers la protéine G sur MOR, KGFF09 induit une plus faible dépression respiratoire chez la souris que KGOP01. De plus, dans un modèle de douleur inflammatoire induite par le CFA, KGFF09 garde son activité antinociceptive préservée de tolérance après administration répétée, et bloque durablement l’hyperalgésie inflammatoire.

L’ensemble de ce travail est regroupé dans une publication récemment acceptée dans la revue officielle de l’association internationale pour étude de la douleur (IASP, International Association for the Study of Pain), ‘PAIN’. Le manuscrit de cette publication est présenté dans les pages suivantes.

Les composés développés au cours de ce travail ont également fait l’objet d’un dépôt de brevet dans lequel je suis co-inventeur.

A bifunctional biased mu opioid agonist - neuropeptide FF receptor

antagonist as analgesic with improved acute and chronic side effects