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IV.A. Généralités

Les phtalates sont utilisés depuis les années 1920 en tant que plastifiants. Leur production explose à partir de 1931, où ils entrent dans la composition des PVC afin de leur conférer une certaine flexibilité (plastiques souples ou semi-rigides). Produits de la réaction de di- estérification de l’acide phtalique C6H4(COOH)2, ils sont composés d’un noyau benzénique et de 2 groupements carboxylates de tailles variables.

Figure 17 : Formation de phtalate par di-estérification de l’acide phtalique

Les di-esters phtaliques sont formés par l’ajout de radicaux carboxylates au niveau des fonctions alcool de l’acide phtalique.

Les phtalates sont utilisés dans de nombreux produits en PVC et également dans certains emballages plastiques, contenants alimentaires, adhésifs et colles, peintures industrielles, encres d’imprimantes, insecticides, détergents, certains produits cosmétiques, médicaments (en tant qu’excipients) et jouets d’enfants. Certains appareillages médicaux comme les poches de transfusion sanguine contiennent également des doses élevées de phtalates (Hauser et al., 2004, Heudorf et al., 2007, Koo and Lee, 2004).

A l’instar du BPA, les phtalates sont considérés comme des perturbateurs endocriniens, capables d’interférer dans la production, la sécrétion, le transport, le métabolisme, la liaison aux récepteurs et les voies de signalisation des hormones naturelles qui régulent les processus de développement et le maintien de l’homéostasie dans l’organisme. La principale source de contamination par les phtalates est l’ingestion. Les phtalates sont liés de façon non covalente, et peuvent donc diffuser librement depuis les contenants alimentaires. Cette diffusion peut avoir lieu pendant les périodes de conditionnement et surtout lors du chauffage des emballages alimentaires (Heudorf et al., 2007, Page and Lacroix, 1995, Petersen and

Acide phtalique Diester de phtalate

sources importantes étant donné la présence de phtalate dans les cosmétiques (Fig. 18). Des particules de phtalates sont également retrouvées dans l’air et dans les poussières domestiques (Bornehag et al., 2005, Clausen et al., 2004, Fromme et al., 2004).

Le DEHP (di(2-ethylhexyl) phtalate) est le phtalate le plus répandu. On le retrouve principalement dans les contenants et films alimentaires, les parfums, les peintures ou le matériel médical.

Figure 18 : Potentielles sources d’exposition au DEHP

Le DEHP est le phtalate le plus produit au monde, présent dans plusieurs types de produits de consommation courante

La législation en Europe et en France interdit la fabrication et l’importation d’articles de puériculture dont la composition en phtalate est supérieure à 0,1% de la masse plastique totale. Les phtalates restent autorisés dans la plupart des autres produits de consommation quotidienne car d’après les autorités responsables, les concentrations retrouvées dans l’organisme ne sont pas toxiques. Au Canada, la législation impose néanmoins d’indiquer aux consommateurs la présence de phtalate dans les produits.

IV.B. Métabolisme et toxicocinétique

Dans l’organisme, les phtalates, ingérés sous forme de di-esters phtaliques, sont rapidement métabolisés. Cette métabolisation peut s’effectuer en plusieurs étapes. La première réaction enzymatique est l’hydrolyse du diester de phtalate en mono-ester, au niveau des chaînes carbonées. Le métabolite primaire ainsi créé est considéré comme le composé biologiquement actif (Heindel and Powell, 1992). Cette réaction a principalement lieu au niveau de l’intestin et de différents organes parenchymateux. Les phtalates à chaines carbonées courtes comme le DEP (diéthyl phtalate) ou le DMP (diméthyl phtalate) ne subissent que cette étape, les phtalates à chaines carbonées longues comme le DiBP (diisobutyl phtalate), DnBP (di-N-butyl phthalate) ou le DEHP peuvent subir des modifications secondaires d’hydroxylation, oxydation et/ou conjugaison, permettant ainsi la formation de plusieurs métabolites différents (Frederiksen et al., 2007).

La conjugaison des mono-esters de phtalates s’effectue grâce à l’uridine 5’- diphosphoglucoronyle transférase qui ajoute un groupement glucuronide au niveau du groupement alcool du mono-ester. Cette réaction augmente la solubilité du phtalate dans l’eau et lui permet d’être plus facilement éliminé dans les urines (Koch et al., 2005b, Silva et al., 2003).

L’hydrolyse du DEHP est réalisée par des lipases non spécifiques (monooxygénases mixtes cytochrome p450 dépendantes) situées au niveau intestinal ou pancréatique (Albro et al., 1982). Cette réaction a pour produit le MEHP (mono(2-ethyl hexyl) phtalate), métabolite actif du DEHP, et le 2-ethylhexanol (Barber et al., 1994, Gray and Beamand, 1984). Le MEHP peut ensuite subir une série de transformations secondaires de sa deuxième chaîne aliphatique carbonée, conduisant à la synthèse de différents métabolites secondaires (Koch et al., 2006, Koch et al., 2003, Silva et al., 2003). Il existe environ une quinzaine de métabolites secondaires du DEHP dont les principaux sont le Mono (2-ethyl-5-hydroxyhexyl) phtalate (5OH MEHP), le Mono (2-ethyl-5-oxo-hexyl) phtalate (5oxo MEHP), le Mono (2- ethyl-5-carboxypentyl) phtalate (5cx MEPP) et le Mono (2-(carboxymethyl) hexyl) phtalate (2cs MMHP).

Figure 19 : Métabolisation du DEHP et glucuronidation (d’après Testa et al., 2012)

A : Le DEHP peut subir une première réaction d’hydrolyse ayant pour produit le MEHP. Des réactions secondaires peuvent aboutir à la métabolisation d’autres phtalates mono-esteriques comme le 6-OH- MEHP, 5-OH-MEHP ou le 5-oxo-MEHP. B : Ces métabolites peuvent à leur tour subir une réaction de glucuronidation par les glucuronyltransférases.

Le haut niveau de métabolisation des phtalates et la quantité de métabolites différents rend particulièrement difficile leur dosage dans les fluides biologiques. En 2004 et en 2005, Koch et al. ont réalisé une étude expérimentale afin d’évaluer les taux d’élimination de phtalates. A l’aide de DEHP marqué au deutérium, les auteurs constatent que 65 à 70% de la quantité de DEHP ingérée par voie orale par un volontaire, est éliminée en 24h (Koch et al., 2004, Koch et al., 2005a). Uniquement 7,3% de la dose administrée est excrétée sous forme de MEHP, la majorité étant excrétée sous forme de métabolites secondaires. Ceci s’explique par le fait que les métabolites secondaires sont plus facilement conjugués et donc plus facilement éliminés. Par conséquent, si le MEHP est retrouvé en faible quantité dans les urines, c’est en revanche le métabolite le plus présent dans le plasma sanguin (Wittassek et al., 2007). Un nombre conséquent d’études ont été effectuées afin de mesurer les taux des différents phtalates et de leurs métabolites dans le but d’évaluer la toxicité de ces composés.

IV.C. Taux d’exposition de la population

Bien que les phtalates ne s’accumulent pas dans l’organisme comme d’autres composés chimiques, leur présence ubiquitaire dans l’environnement entraine une exposition chronique. Les phtalates possèdent des effets propres selon leur degré de métabolisation, il est donc important de relever séparément les concentrations des différents composés dans l’organisme, qu’ils soient présents sous forme de diesters (DEHP, DBP (dibutyl phtalate), DiNP (di-isononyle phtalate) etc…) ou de mono-esters (MEHP, MBP (monobutyl phtalate), MiNP (mono-isononyle phtalate) etc…). Ils ont été détectés dans de nombreux tissus et fluides biologiques tels que l’urine, le sang, le sperme, le liquide amniotique ou le lait maternel.

Nous avons focalisé notre attention sur le MEHP, métabolite du DEHP, le phtalate le plus utilisé avec une production mondiale de plus de 4 millions de tonnes par an.

Les concentrations relevées dans le sang peuvent être extrêmement variables d’un individu à l’autre. On retrouve par exemple dans une étude effectuée en Suède chez 1 000 individus, des concentrations sériques de MEHP variant de 0,47 ng/mL (1,7.10-9M) à 415 ng/mL (1,5.10-6M), avec une moyenne de 3,76 ng/mL (1,3.10-8M) (Olsen et al., 2012).

La même moyenne de 3,7 ng/mL (1,3.10-8M) est retrouvée dans le sang d’une population d’hommes américains sains, partenaires de femmes enceintes, dans l’étude « Study for Future Families » (Mendiola et al., 2012).

Récemment, dans une cohorte de 881 hommes danois sains, des résidus de phtalates ont été retrouvés dans 94 % des individus. La concentration moyenne de MEHP relevée dans leur urine est de 2,4.10-8M (max. 6,5.10-8M) (Joensen et al., 2012).

Une autre étude a été réalisée dans un groupe de femmes enceintes, entre 25 et 35 ans, et leurs enfants à 2 ans et à 5 ans. Les concentrations de MEHP relevées dans l’urine sont de 3,8.10-8 M (max. 5,8.10-7M) chez les femmes, 2,8.10-8M (max. 2.10-7M) à 2 ans et 3.10-8M (max. 3,4.10-7M) à 5 ans (Lin et al., 2011b).

Cette étude rapporte également des données importantes concernant l’exposition en période fœtale et néonatale : dans le lait maternel, la concentration moyenne est de 1,3.10-8M, et dans le sang de cordon ombilical, la concentration moyenne est de 1,1.10-8M (Lin et al., 2011a).

Masse volumique de MEHP (ng/mL)

Concentration molaire de MEHP (M)

(valeur moyenne) Références

Sang 0,47 à 415 3,7 1,7.10-9 à 1,5.10-6 1,3.10-8 Olsén et al., 2011 Mendiola et al., 2012

Urine 6,7 2,4.10-8 Joensen et al.,

2012 Lait Maternel 3,7 8,3 1,3.10-8 3.10-8 Lin et al., 2011 Latini et al., 2009 Sang de cordon ombilical 3,1 1,1.10 -8 Lin et al., 2011

Tableau 6 : Taux moyens de MEHP mesurés dans les différents fluides biologiques d’adultes sains

Dans différents fluides biologiques, les taux de BPA ont été mesurés par spectrométrie HPLC ou par dosage ELISA.

Aussi bien à l’âge adulte qu’au cours de la vie fœtale, la concentration moyenne d’exposition des populations reste autour de 10-8M. Cependant, l’omniprésence des phtalates dans notre environnement induit des taux extrêmement variables et certains individus peuvent présenter des taux de phtalates 100 fois supérieurs à la moyenne. Ainsi, dans le sang de cordon ombilical, les valeurs maximales mesurées peuvent atteindre 10-5M (Latini et al., 2003) et dans le lait maternel, jusqu’à 5.10-6M (Main et al., 2006). De plus, nous ne nous sommes intéressés ici qu’à un métabolite du DEHP. Bien qu’il soit majoritaire, il faut garder à l’esprit que nous sommes également exposés à d’autres phtalates diésteriques et à d’autres

métabolites, ayant potentiellement des effets synergiques ou cumulatifs avec le MEHP. De plus en plus d’études toxicologiques sur l’effet des polluants environnementaux et plus particulièrement des phtalates se sont penchées sur la question d’un effet cumulatif de l’exposition à plusieurs phtalates présentant un même mécanisme de perturbation du développement (Rider et al., 2010). Au niveau européen, l’EFSA (European Food Safety Agency) a défini la DJA (dose journalière admissible) qui correspond à la dose journalière maximum qu’un individu peut ingérer sans risque (Wittassek et al., 2007). Toutefois, cette notion de DJA est établie pour chaque phtalate (DEHP : 50µg/kg/jour, DiBP, DnBP : 10µg/kg/jour) et se base sur les données toxicologiques relatives à l’exposition exclusive à ce composé, alors que toutes les études rapportant les mesures de taux de phtalates dans différents fluides biologiques mettent bien en évidence une exposition simultanée à plusieurs phtalates (DBP, DEHP, etc) (Hogberg et al., 2008, Main et al., 2006, Swan et al., 2005). Dans le cadre de l’évaluation des risques encourus par les populations humaines, ces données obligent à reconsidérer la notion de DJA afin de l’assimiler à la potentialité d’une exposition à de multiples molécules dont la dose cumulée dépasse très certainement la DJA fixée pour une molécule seule (Wittassek and Angerer, 2008).