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Les photographies

4. Ma pratique artistique 1 Une pratique systémique

5.2 Les photographies

Ce projet est ainsi constitué d’une quantité importante de photographies — plus de 300 actuellement — qui présentent ma perception artistique du territoire rural du Québec. Elles documentent toutes mes relations au fil des saisons et des kilomètres parcourus sur ce territoire. Prises une à une, elles n’ont pas le même sens. Il faut les consulter en ensembles pour y percevoir alors les multiples liens qui y sont imbriqués : ceux qu’elles ont entre elles, ceux que j’ai avec elles et ceux que j’entretiens avec ce territoire. Cela permet de sentir les mouvements et les processus qui sont à leur origine. Ce n’est d’ailleurs pas un projet exclusif : la lecture de ces images permet également au spectateur d’y établir des relations, que ce soit avec l’œuvre, l’artiste ou le territoire représenté et de concourir ainsi à ses propres représentations et conceptions de cet espace.

100 Je me permets ici de souligner à nouveau la définition que Berque donne au mot « milieu » dans Médiance

(op.cit.) : « relation d’une société à l’espace et à la nature. Cette relation est à la fois physique et phénoménale ».

101 Ici également, je pense qu’il est nécessaire de présenter à nouveau la définition que Berque donne au mot

« paysage » dans Médiance (op.cit.), afin d’éviter toute confusion : « dimension sensible et symbolique du milieu ». Ainsi, comme exprimé plus haut, ma compréhension du paysage réfère dorénavant à la dimension esthétique d’un système territorial.

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La majeure partie de ces photographies ont déjà été diffusées sur des plateformes numériques. Puisque c’est un projet qui s’inscrit dans un cadre systémique, il m’apparaît tout à fait cohérent de les diffuser au fur et à mesure de leur apparition. Leur publication sur ces réseaux me permet également de faire évoluer mes perceptions selon les échanges que j’ai avec ces communautés. Il y a donc une évolution dynamique du projet au fil du temps. Toutefois, pour mon projet de maîtrise, je trouvais qu’il était un peu ténu de simplement présenter les fils d’actualités de mes plateformes numériques. Bien honnêtement, j’avais aussi surtout envie d’explorer un médium qui me donnerait l’occasion d’expérimenter autre chose et qui me semblait avoir beaucoup de potentiel dans un cadre systémique : le livre électronique.

5.3 Le livre

Comme nous avons pu le constater dans les chapitres précédents concernant les photoconceptualistes, le livre est un média prisé par plusieurs d’entre eux, Ruscha en tête. C’est toutefois sur les publications de Bernd & Hilla Becher que je désire un peu plus m’attarder, en référant notamment à l’article de Chris Balaschak Between Sequence and Seriality: Landscape Photography and its Historiography in Anonyme Skulpturen, paru dans Photographies en 2010102. Bien que le titre de cet article réfère à Anonyme Skulpturen, le premier livre publié par les Becher, Balaschak considère l’ensemble de leurs publications dans sa réflexion :

These books are an unadulterated representation of the Bechers’ photography, allowing them to present their photographs outside any gallery, museum, or journalistic context. Neither exhibition catalogs nor monographs, these books

102 Balaschak, Chris. « Between Sequence and Seriality: Landscape Photography and its Historiography in

Anonyme Skulpturen ». Photographies, 3.1 (2010). Web. 28 novembre 2015.

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are collections of particular bodies of work, assembled and sequenced by the Bechers103.

Cette courte citation contient deux idées qui m’intéressent particulièrement. Tout d’abord, celle que le livre est une occasion de présenter un travail artistique sans compromis et en toute liberté. Il est vrai que publier un livre autoédité donne une liberté d’action qui permet de ne pas faire de concessions dans sa vision.

Mais c’est la dernière phrase qui m’interpelle particulièrement. L’ensemble de l’œuvre des Becher est un projet considérable destiné à documenter les structures industrielles occidentales par une approche systémique104. Or cette idée de collections d’ensembles particuliers d’images correspond tout à fait à ma pratique d’établir des corpus photographiques destinés à être des bornes dans une pratique systémique de longue haleine. Nancy Foote contribue également à cette notion de collection en soulignant l’intérêt des photoconceptualistes à publier des collections, puisqu’ils ne sont pas intéressés par l’autonomie de la photographie originale, mais par sa capacité à véhiculer des idées105. Ainsi, je conçois ma publication Rangs comme une collection de documents sur le territoire rural québécois destinée à rendre compte de mon travail systémique sur ce même territoire.

Qui dit collection, dit également organisation. J’aimerais m’attarder sur les notions de « série » et de « séquence ». L’utilisation de la série est bien entendu monnaie courante chez les photoconceptualistes, comme nous le rappelle Lee :

Among the strategies that characterize photoconceptualism, serialization stands as the most critical in its relationship to temporality. Through the repetition of a motif, operation, or system—by working to expose durational

103 Ibid., p. 26.

104 James, Sarah E. « Subject, Object, Mimesis: The Aesthetic World of the Bechers’ Photography ».

Photography After Conceptual Art. Chichester : Wiley, 2010, pp. 51-53.

105 Foote, Nancy. « The Anti-Photographers ». The Last Picture Show: Artists using Photography, 1960-1982.

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shifts in an object or process over time—serialization may well be the motor of Conceptual Art106.

La série est ce à quoi nous référons lorsque nous pensons au travail des Becher. Leurs typologies nous présentent des objets photographiés et organisés en grilles, regroupés par similarités (figure 17). Cet arrangement permet ainsi au spectateur de sentir les similarités entre chacun et l’émergence d’un type générique, tout en permettant plus facilement de noter les différences entre eux107. C’est une organisation efficace pour illustrer une approche systémique, et je l’utilise effectivement dans ma publication.

106 Lee, Pamela M. « The Austerlitz Effect: Architecture, Time, Photoconceptualism », op. cit. p. 188.

107 James, Sarah E. « Subject, Object, Mimesis: The Aesthetic World of the Bechers’ Photography », op. cit.,

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Figure 17 : Fördertürme (Winding Towers), Image I from the series—Typologies. Bernd & Hilla Becher. 2006.

Toutefois, nulle raison de se contraindre à une unique organisation sérielle. Revenons encore une fois sur le travail des Becher :

However, the book is organized both by type and by sequence. If there is at once the typology, producing a serial document of types of industrial architecture, there is also the sequence, which is marked by progression and change from one photograph to the next. […] understanding the Bechers’ documentary photography through the frame of typology limits their work to an

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aesthetic meaning, disregarding Anonyme Skulpturen’s documentation of historic change in Western Europe’s industrial landscape108.

Précisons tout d’abord que dans le contexte de cet essai, l’utilisation du mot « esthétique » correspond à une compréhension formaliste du travail des Becher. Considérer la séquence équivaut pour l’auteur à ouvrir la porte à une dimension plus sensible, comme il le souligne ici : « […] a deliberate sequence to produce a document that is less neutral than might first be presumed »109. L’utilisation de la séquence donne la possibilité de

développer une trame narrative qui permet à l’auteur de jouer avec la temporalité et lui offre une latitude dans l’expression subjective de sa sensibilité.

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