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Rangs : une approche systémique du territoire

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Rangs

Une approche systémique du territoire

Mémoire

Mériol Lehmann

Maîtrise en arts visuels

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Rangs

Une approche systémique du territoire

Mémoire

Mériol Lehmann

Sous la direction de :

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Résumé

La deuxième moitié du vingtième siècle a vu se réaliser d’importants changements de paradigmes avec le passage de la société industrielle — l’ère de la machine — à la société postindustrielle — l’ère de l’information. Ces bouleversements ont été à la source de révolutions artistiques, scientifiques et culturelles. La transformation majeure subie par le domaine de l’art à cette époque, passant ainsi de l’art des objets à l’art des idées, s’inscrit directement dans l’esthétique systémique mise de l’avant par Burnham comme théorie générale de l’art, et trouve son application jusque dans les pratiques contemporaines. La présente recherche s’intéresse plus spécifiquement aux pratiques des photoconceptualistes, notamment ceux ayant fait partie de l’exposition New Topographics, qui marque la rupture entre une vision moderniste de la photographie de paysage et une approche photographique systémique du territoire. Comme dans le cas de l’art contemporain, ce paradigme demeure pertinent dans les pratiques actuelles liées au territoire, dans lesquelles s’inscrit justement mon travail artistique. Finalement, la dimension intrinsèque de l’interdisciplinarité dans la pensée systémique m’a mené à étudier le territoire sous un angle géographique. Ceci a permis de m’interroger sur la façon dont ma pratique artistique fait partie du système territorial dans son sens le plus large, en participant aux systèmes de représentation qui forgent à la fois la connaissance et la conception qu’ont les acteurs du monde qui les entoure, et particulièrement dans sa dimension sensible, donc esthétique.

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Abstract

From the machine age of the industrial society to the information age of the post-industrial society, the second half of the twentieth century witnessed important paradigmatic changes, constituents of broad social transformations that led to artistic, scientific and cultural revolutions. In art, the major shift from object-based to ideas-based practices, identified by Heinich as the paradigm of contemporary art, belonged to the realm of Burnham’s theoretical proposal of “system aesthetics”. Within this research realm, I am particularly interested in the photoconceptualists, especially those who were part of New Topographics show, a breakthrough event that marked the rupture between Ansel Adams’ modernist vision of the landscape, and a systems-based approach about the landscape. As in the case of contemporary art, this paradigm remains relevant in current practices related to territory, a notion that is central to my personal artistic practice. Finally, the essential aspect of interdisciplinarity in systemic thinking led me to study the territory from the point of view of geography, thus enabling me to establish how my artistic practice is situated in this broader territorial system, participating in the forms of representation that forge both knowledge and idea, bringing an aesthetic dimension to the representative systems of the world around us.

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Table des matières

Résumé ... iii Abstract ... iv Table des matières ... v Liste des illustrations ... vii Remerciements ... viii Introduction ... 1 Mise en contexte et œuvres précédentes ... 4 1. La pensée systémique ... 7 1.1 Le paradigme de l’art contemporain ... 7 1.2 La systémique ... 8 1.3 L’esthétique systémique ... 10 1.4 Systémique et pratiques actuelles ... 13 2. Le rôle de la photographie dans l’art des idées ... 17 2.1 Information et documentation : la photographie et les conceptualistes ... 17 2.2 New Topographics : un nouveau paradigme ... 20 2.3 New Topographics : l’esthétique systémique en photographie ... 25 3. Une approche systémique du territoire ... 30 3.1 Uniquement le paysage, une approche incomplète du territoire ... 30

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vi 3.2 Le territoire comme un système ... 33 3.3 Le territoire, système complexe et ouvert ... 33 3.4 Le paysage, élément sensible du territoire ... 36 4. Ma pratique artistique ... 37 4.1 Une pratique systémique ... 37 4.2 Mon usage de la photographie ... 37 4.3 Le piège du formalisme ... 39 4.4 Les plateformes numériques comme espaces de diffusion et d’échange ... 40 5. Rangs ... 43 5.1 Le territoire rural québécois ... 43 5.2 Les photographies ... 46 5.3 Le livre ... 47 5.4 Le livre électronique ... 51 Conclusion ... 53 Bibliographie ... 55

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Liste des illustrations

Figure 1 : 1983. Mériol Lehmann. 2010. ... 4

Figure 2 : Anglo-Canadian Pulp & Paper Mills Ltd. Mériol Lehmann. 2013. ... 5

Figure 3 : Terres. Mériol Lehmann. 2013. ... 6

Figure 4 : Twenty-Six Gasoline Stations. Ed Ruscha. 1963. ... 18

Figure 5 : Homes for America. Dan Graham. 1966-1967. ... 19

Figure 6 : Shapolsky et al. Manhattan Real Estate Holdings, a Real-Time Social System, as of May 1, 1971. Hans Haacke. 1971 ... 20

Figure 7 : The Tetons and the Snake River. Ansel Adams. 1942. ... 22

Figure 8 : Duisburg-Bruckhausen, Ruhr Region, Germany. Bernd & Hilla Becher. 1999. . 23

Figure 9 : Alley, Presidio, Texas, February 21, 1975. Stephen Shore. 1975. ... 25

Figure 10 : Grain elevators and lightning flash / Lamesa, Texas. Frank Gohlke. 1975. ... 28

Figure 11 : Oil Fields #22, Cold Lake Production Project, Cold Lake, Alberta, Canada. Edward Burtynsky. 2001. ... 32

Figure 12 : La boucle de rétroaction qui anime les territoires. Alexandre Moine. 2006. ... 35

Figure 13 : saint-édouard, Rangs. Mériol Lehmann. 2016. ... 39

Figure 14 : Compte Flickr de Mériol Lehmann, capture d’écran. 2017. ... 41

Figure 15 : métabetchouan, Rangs. Mériol Lehmann. 2016. ... 44

Figure 16 : issoudun, Rangs. Mériol Lehmann. 2016. ... 45

Figure 17 : Fördertürme (Winding Towers), Image I from the series — Typologies. Bernd & Hilla Becher. 2006. ... 50

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Remerciements

Merci à Suzanne Leblanc, ma directrice de recherche, dont les précieux échanges et conseils m’ont permis de prendre les bonnes orientations durant ces recherches. Je ne compte plus les rencontres que nous avons eues et les livres qu’elle m’a recommandés, qui m’apparurent comme une lumière salutaire lorsque je frappais des zones plus obscures dans mes questionnements.

Merci à ma compagne, Amandine Gauthier, pour son soutien indéfectible.

Merci au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour son support financier à la réalisation de cette recherche.

Merci à Jocelyn Robert pour son appui à la réalisation de cette maîtrise et pour l’inspiration durant toutes ces années passées ensemble à Avatar.

Merci à Alexandre David pour son accueil malgré mon inscription tardive et pour les réflexions apportées durant mon cheminement.

Merci à Richard Baillargeon, Julie Faubert et Marie-Christiane Mathieu pour la qualité de leur enseignement.

Merci à Julien Lebargy pour les inspirantes discussions que nous avons eues autour de ce travail et de l’art en général.

Merci à tous mes collègues de cohorte, pour les conversations et les rires durant ces deux années. Que les amitiés apparues ici durent le reste de nos vies.

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1

Introduction

Depuis toujours, mon travail artistique a été occupé par des thèmes liés à ma condition d’immigré. Ce passage d’un continent à l’autre a laissé des traces significatives chez moi. L’attachement à un territoire qui relève désormais du passé, tout autant que la nécessité de m’approprier un territoire nouveau, m’ont amené à m’interroger sur les liens qui existent entre l’être humain et l’espace géographique qu’il occupe. Dans la réception de mes œuvres antérieures, la question du paysage était omniprésente, tant chez les spectateurs que les critiques : il est difficile d’y échapper lorsque notre travail concerne le territoire. Toutefois, considérer ma pratique artistique sous le seul angle du paysage me semblait incomplet et réducteur. Ma compréhension du paysage en photographie était alors liée à une approche moderniste qui propose une idéalisation de la nature, une dimension qui ne correspondait pas à ma démarche.

Dans le cadre de mes recherches de maîtrise, j’ai donc tenté de mieux cerner ma pratique artistique, non seulement en ce qui a trait à mon approche du territoire, mais également quant à l’organisation de ma pensée, afin d’établir une assise solide qui puisse me permettre de continuer mon évolution.

J’avais par le passé relié mon utilisation des systèmes à mes œuvres en arts médiatiques sans toutefois en saisir la pleine importance dans l’ensemble de ma pratique. À cet égard, mes recherches sur l’esthétique systémique, principalement à travers les travaux de Burnham, Halsall et Shanken, m’ont permis de mieux comprendre l’omniprésence de la pensée systémique dans ma pratique. Cette approche esthétique, influencée notamment par la cybernétique et les écrits de Bertalanffy sur la théorie générale des systèmes, s’inscrit dans le changement de paradigme lié au passage de la société industrielle — l’ère de la machine — à la société postindustrielle — l’ère de l’information. Elle met en avant non seulement les idées et les informations, mais également les relations et les processus qui les régissent. Cette approche, délaissée dans les discours sur l’art durant les dernières

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décennies, refait toutefois surface. Le fait qu’elle corresponde particulièrement à notre ère numérique n’y est certainement pas étranger.

Cette réflexion sur l’esthétique systémique m’a ensuite naturellement amené vers les « artistes utilisant la photographie ». Apparue durant les années 60 afin d’identifier certaines pratiques des conceptualistes1 qui marquent alors une rupture avec la photographie moderniste, cette notion m’a permis de mieux définir mon approche photographique. Cette appellation touche aussi bien les pratiques photographiques de Hans Haacke, associé davantage à l’art systémique, que celles d’Ed Ruscha, identifié à l’art conceptuel, ou de Robert Smithson, qu’on relie au land art. L’utilisation de la photographie comme document servant à véhiculer de l’information à propos d’une idée, d’un processus ou d’un système est d’une importance significative dans le développement des pratiques artistiques de cette époque et correspond à ma pratique artistique.

Parmi les artistes identifiés à ces pratiques figurent également Bernd & Hilla Becher et Lewis Baltz qui ont fait partie de l’exposition New Topographics2. Cette exposition a eu un impact majeur sur la photographie en marquant une coupure significative avec le modernisme de Minor White et d’Ansel Adams, redéfinissant ainsi la photographie de paysage. Il m’est apparu essentiel de faire une recherche approfondie sur ce mouvement dont les artistes ont des préoccupations et une vision du territoire comportant beaucoup d’affinités avec les miennes. Bien qu’à l’époque ils n’aient pas eu le recul nécessaire pour le constater, une lecture détaillée de leurs travaux et écrits montre que leurs pratiques s’inscrivaient déjà dans une approche systémique du territoire, comme je le démontrerai dans un chapitre ultérieur.

1 Dans ce mémoire, j’utiliserai le terme « conceptualistes » de façon générale pour identifier les artistes ayant

une pratique artistique basée sur les idées, en considérant de façon inclusive les différentes pratiques qui émergent durant les années 60 (art conceptuel, minimalisme, land art, etc.) plutôt que de m’en tenir exclusivement à l’art conceptuel.

2 Exposition ayant eu lieu en 1975 au George Eastman House International Museum of Photography, New

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J’ai également orienté mes recherches sur la question du territoire afin de pouvoir correctement définir ce qui chez moi n’était auparavant qu’intuitions et compréhension parcellée. Référant abondamment à la géographie, ces recherches interdisciplinaires m’ont donné l’occasion d’établir une vision claire du territoire par une approche systémique, maintenant courante en géographie. Ainsi, les travaux d’Alexandre Moine et d’Augustin Berque en particulier m’ont été d’une grande aide pour mettre en place une meilleure compréhension des différents enjeux liés au territoire et l’importance d’utiliser cette approche spécifique afin de pouvoir en saisir toute la complexité. Si Moine a une vision principalement scientifique du territoire, la démarche philosophique de Berque tient compte d’une dimension plus large offrant une grande place à l’esthétique.

Finalement, je présenterai le travail artistique réalisé durant ma maîtrise. Intitulé Rangs, celui-ci porte sur le territoire rural québécois et plus spécifiquement sur sa transformation continue. Ce sera l’occasion de démontrer la manière dont j’utilise moi-même une approche systémique et sensible du territoire pour réaliser un travail artistique en constante évolution. Aux fins de ma maîtrise, le projet présenté prend la forme d’un livre électronique. Cependant, cet objet ne représente pas l’aboutissement du projet en lui-même, mais bien une étape de celui-ci, marquant l’importance des travaux réalisés sans toutefois signifier la fin du processus, qui lui, continuera après ma maîtrise.

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Mise en contexte et œuvres précédentes

Ma première œuvre diffusée en solo dans un contexte professionnel a été 19833

(figure 1). Portant sur la façon dont notre mémoire conditionne notre perception du territoire, ce projet réfère directement à ma migration et a été réalisé sur les terres de la ferme où ma famille s’est établie lors de son arrivée au Canada cette année-là.

Figure 1 : 1983. Mériol Lehmann. 2010.

Par la suite, mon projet Anglo Canadian Pulp & Paper Mills Ltd4 (figure 2) s’est attardé au développement urbain du Québec durant le vingtième siècle par le biais des usines à papier. Ce projet est encore une fois relié à mon statut d’immigrant puisqu’il

3 Installation vidéographique, 1983 a été diffusée en première au Mois Multi 2010, puis à la Galerie B-312, à

Espace F et à Sagamie.

4 Anglo-Canadian Pulp & Paper Mills Ltd, un corpus de neuf images photographiques, a été diffusé à VU

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traduit le fort intérêt historique et géographique que j’ai pour mon pays d’adoption. Anglo Canadian Pulp & Paper Mills Ltd porte d’ailleurs bien plus que sur l’urbanisme. En effet, il se rapporte surtout à un commentaire sociopolitique sur l’histoire du Québec en illustrant notamment la domination économique des anglophones sur le Québec francophone d’avant la Révolution tranquille.

Figure 2 : Anglo-Canadian Pulp & Paper Mills Ltd. Mériol Lehmann. 2013.

Enfin, le corpus Terres5 (figure 3), réalisé lors d’une résidence de recherche à Sagamie en novembre 2012, s’inscrit dans cette lignée de projets liés à ma migration. Je m’intéresse cette fois-ci aux espaces ruraux de mon adolescence à travers leur évolution durant les trente dernières années, notamment sous l’influence de l’industrialisation de l’agriculture.

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6 Figure 3 : Terres. Mériol Lehmann. 2013.

Bien que tous ces projets aient été réalisés de façon plutôt intuitive, il est possible de constater qu’il y existe une ligne directrice forte orientée autour de mon intérêt pour le territoire et, de manière plus précise, pour les relations qui existent entre l’humain et l’espace géographique qu’il occupe.

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1. La pensée systémique

1.1 Le paradigme de l’art contemporain

Les décennies 50 et 60 sont caractérisées par le passage du fordisme au post-fordisme qui bouscule les conventions établies et occasionne des changements de paradigmes importants dans tous les aspects de la société occidentale. L’art moderne est alors remis en cause à travers plusieurs pratiques comme l’art conceptuel, la performance et l’installation. Ces pratiques ont toutes un point en commun : l’œuvre d’art ne réside plus uniquement dans l’objet proposé par l’artiste6. « Dématérialisation, conceptualisation,

hybridation, éphémérisation, documentation : dans le paradigme contemporain, l’œuvre d’art s’étend bien au-delà de l’objet7 ». Cette théorie est par ailleurs appuyée par Bijvoet dans Art as Inquiry qui souligne que Lippard et Chandler ont introduit le terme « dematerialization » afin d’identifier l’évolution de l’art à la fin des années 60, qui s’éloigne alors de l’objet d’art pour considérer des concepts comme le temps, l’espace, les processus, les systèmes, les situations et les expériences8.

Durant cette période, le milieu de l’art vit donc un changement de paradigme9 qui

occasionne une redéfinition complète des pratiques artistiques. Il ne pourrait d’ailleurs en être autrement, selon Heinich, car un paradigme ne peut s’imposer que par une rupture avec l’état antérieur du savoir : « […] c’est ainsi que procèdent les “révolutions” scientifiques,

6 Heinich, Nathalie. Le paradigme de l’art contemporain. Structures d’une révolution artistique. Paris :

Gallimard, 2014, p. 88 (version électronique).

7 Ibid., p.101.

8 Bijvoet, Marga. Art as Inquiry: Toward New Collaborations Between Art, Science and Technology. New

York : Peter Lang, 1997. Web. 23 janvier 2017.

http://web.archive.org/web/20100430195436/http://www.stichting-mai.de/hwg/amb/aai/art_as_inquiry_05.htm

9 Kuhn définit ainsi « paradigme » : « Les découvertes scientifiques universellement reconnues qui, pour un

temps, fournissent à un groupe de chercheurs des problèmes types et des solutions » Kuhn, Thomas S. La

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8

non pas par une progression linéaire et continue de la connaissance, mais par une série de ruptures ou, en d’autres termes, de “révolutions”10 ».

Ainsi, le début de la deuxième moitié du XXe siècle voit l’art moderne, art des objets, remplacé par l’art contemporain, art des idées. Ce bouleversement correspond exactement à ce que Kuhn entend par révolutions scientifiques : « épisodes non cumulatifs de développement, dans lesquels un paradigme plus ancien est remplacé, en totalité ou en partie, par un nouveau paradigme incompatible11 ».

1.2 La systémique

Ces changements de paradigme ne touchent pas que les arts. Différentes disciplines scientifiques prennent également conscience de la complexité du monde à l’ère de l’information et cherchent à développer de nouveaux outils pour mieux saisir ce monde en mutation. Les conférences Macy, rassemblement d’un groupe interdisciplinaire de scientifiques, sont à la source de la cybernétique et des sciences de l’information. Norbert Wiener, qui participe à ces conférences, publie ainsi en 1948 Cybernetics : Or Control and Communication in the Animal and the Machine dans lequel il identifie déjà des éléments de la pensée systémique :

As I have already hinted, one of the directions of work which the realm of ideas of the Macy meetings has suggested concerns the importance of the notion and the technique of communication in the social system. It is certainly true that the social system is an organization, like the individual, that is bound together by a system of communication, and that it has dynamics in which circular process of a feedback nature plays an important part12.

10 Heinich, Nathalie. Le paradigme de l’art contemporain, op.cit., p. 38. 11 Kuhn, Thomas. La Structure des révolutions scientifiques, op.cit., p. 115.

12 Wiener, Norbert. Cybernetics: or the Control and Communication in the Animal and the Machine, 2nd

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Mais ce qui établit de façon claire la systémique est la publication en 1968 de General Systems Theory par Ludwig von Bertalanffy. Bien que ce dernier ait présenté le concept de « système ouvert » dès 1937, et que diverses notions de l’approche systémique aient déjà été discutées comme on peut le constater par la citation de Wiener ci-dessus, General Systems Theory est généralement reconnu comme l’ouvrage fondateur de la systémique. Dans cet ouvrage, Bertalanffy pose ainsi les bases de la pensée systémique en établissant qu’un « système peut être défini comme un complexe d’éléments en interaction13 ». Par contre, contrairement à la cybernétique qui se préoccupe des systèmes fermés et donc prévisibles grâce aux boucles de rétroaction, la systémique telle que proposée par Bertalanffy se préoccupe des systèmes ouverts. Ainsi, « un système ouvert est défini par son échange continuel de matière avec son environnement14 ». Il contient également des principes d’interaction variable et une organisation dynamique des processus15. Pour Bertalanffy, la théorie des systèmes ouverts n’est pas limitée aux êtres matériels des sciences naturelles, mais elle s’applique aussi à des êtres en partie immatériels (par exemple des systèmes symboliques) et hétérogènes16. Les développements de la pensée systémique prennent ainsi part, selon l’auteur, « à la nouvelle formulation de la vision scientifique du monde17 » et permettent une compréhension et une collaboration interdisciplinaires possibles par la mise en place d’un modèle conceptuel commun. Edward A. Shanken résume ce changement de paradigme :

Systems theory emphasizes holism over reductionism, organism over mechanism and process over product. In contrast to traditional western scientific approaches to knowledge, it shifts attention from the absolute qualities of individual parts and addresses the organization of the whole in

13 Bertalanffy, Ludwig von. Théorie générale des systèmes. Paris : Dunod, 1973, p. 53. 14 Ibid., p. 149.

15 Ibid., p. 158. 16 Ibid., p. 201. 17 Ibid., p. 158.

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more relativistic terms, as a dynamic process of interaction among constituent elements18.

Comme Heinich le fait pour le milieu de l’art avec le passage de l’art moderne à l’art contemporain19, nous pouvons considérer ici que l’arrivée de la pensée systémique constitue également une révolution scientifique.

1.3 L’esthétique systémique

Les travaux de Wiener et von Bertalanffy ont eu un impact important sur Jack Burnham, figure centrale dans la théorisation de l’esthétique systémique à la fin des années 6020. Comme le précise Francis Halsall dans Systems of Art :

Burnham’s conception of system aesthetics was an attempt to think together, under the rubric of systems, issues regarding artistic, technological and social conditions shared by a variety of groups including artists, scientists and social theorists. It was, in part, an account of artistic responses to new technologies manifested, for example, in early computer and video art. But Burnham also noted that such an artistic turn to systems-thinking was a reflection of a growing interest in systems spilling over from biological and cybernetic research into open systems and communication networks found in the writings [of] Ludwig von Bertalanffy, Norbert Weiner, Claude Shannon, Ervin Laszlo (amongst others) into society at large21.

Burnham publie ainsi deux essais importants dans Artforum : « Systems Esthetics » en 1968 et « Real Time Systems » en 1969. Ces essais fournissent un cadre critique pour

18 Shanken, Edward A. « Introduction//Systems Thinking/Systems Art ». Systems. Cambridge : The MIT

Press, 2015, p. 13.

19 Heinich, Nathalie. Le paradigme de l’art contemporain, op. cit., p. 41.

20 Halsall, Francis. « Systems Aesthetics and the System as Medium ». Systems of Art. New York : Peter

Lang, 2008, p. 102.

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comprendre l’ensemble des pratiques artistiques systémiques qui émergent à l’époque tout en établissant une fondation théorique encore pertinente aujourd’hui22.

Dans « Systems Esthetics », Burnham pose clairement les bases de l’esthétique systémique et du changement de paradigme qu’elle requiert : « We are now in transition from an object-oriented culture to a systems-oriented culture. Here changes emanate, not from things, but from the way things are done23 ».

Toujours dans le même essai, Burnham met l’accent sur la notion de relations, élément central de la pensée systémique : « A systems viewpoint is focused on the creation of stable, ongoing relationships between organic and nonorganic systems24 ». Il poursuit :

« The specific function of modern didactic art has been to show that art does not reside in material entities, but in relations between people and between people and the components of their environment25 ». Finalement, il souligne encore une fois l’importance de la

dématérialisation dans l’esthétique systémique : « Conceptual focus rather than material limits define the system26 » et « For systems, information, in whatever form conveyed,

becomes a viable esthetic consideration27 ».

Ainsi, les travaux de Burnham accordent une importance spécifique à la « dé-objectification » (de-objectification) de l’art. Il interprète ces changements d’une façon particulière, à savoir que l’obsession culturelle de l’objet d’art se trouve supplantée par une compréhension des systèmes et des relations entre ces objets28.

22 Shanken, Edward A. « Introduction//Systems Theory/Systems Art », op. cit., p. 15. 23 Burnham, Jack. « Systems Esthetics ». Artforum 7.1 (1968), p. 30.

24 Ibid., p. 31. 25 Id.

26 Ibid., p. 32. 27 Id.

28 Rampley, Matthew. « System Aesthetics: Burnham and Others ». vector (e-zine), 2005. Web. 7 mars 2017.

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Pour Francis Halsall, l’esthétique systémique de Burnham peut être utilisée comme discours critique rétrospectif sur une multitude de pratiques artistiques :

At the heart of these activities lay a series of practices which radically challenged the faith in an ontologically stable, modernist art object; one that subsisted in a specific medium. In doing so it operated according to a self-aware artistic practice that placed the questioning of the relationship between a work of art and its various environments at the very centre of the work’s meaning. Such work can be understood as exploring an aesthetics of systems and in doing so thus functioned by investigating the ways in which it was embedded in various networks of display, representation, meaning and control29.

Ce point de vue est également celui de Greg Foster-Rice dans Systems Everywhere : The term “system arts” characterizes this widespread preoccupation with socially embedded art by an otherwise diverse cross-section of artists in the late 1960s and early 1970s, including Minimalists, post-Minimalists, serial artists, earthworks artists, and conceptualists30.

Finalement, Luke Skrebowski revient sur les intentions de Burnham de faire de l’esthétique systémique une théorie générale de l’art :

Labeling the art of the late 1960s remains problematic. The diversity of Anglo-American postformalist practice has been historicized as a set of discrete movements including process art, anti-form, land art, information art, idea art, conceptual art, and so on. Yet their respective concerns overlap considerably because they all emerged in opposition to formalist artistic practice.

[…]

Similarly, Burnham sought to develop systems aesthetics as a general theory of artistic production, avoiding movement-specific categorization31.

29 Halsall, Francis. « Systems Aesthetics and System as Medium », op. cit., p. 115.

30 Foster-Rice, Greg. « Systems Everywhere ». Reframing the New Topographics. Chicago : Center for

American Places at Columbia College Chicago, 2013, p. 46.

31 Skrebowski, Luke. « All Systems Go: Recovering Hans Haacke’s Systems Art ». Grey Room 30 (2008),

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L’analyse des propos de Burnham, Halsall, Foster-Rice et Skrebowski nous amène donc à établir que la révolution artistique qu’identifie Heinich par la rupture entre art moderne et art contemporain est en fait un changement de paradigme entre esthétique formaliste et esthétique systémique. Ce changement coïncide avec les révolutions scientifiques et culturelles qui ont lieu à la même époque et qui se basent justement sur la pensée systémique comme nouveau paradigme, comme le résume Foster-Rice :

In adopting systems theory as the basis for their work, artists of the ’60s and the ’70s were able to appropriate and comment upon the increasingly complex, system-like interpretation of contemporary life that dominated public discourse of the time period32.

1.4 Systémique et pratiques actuelles

L’esthétique systémique ne doit toutefois pas être circonscrite dans les seules pratiques artistiques datant des années 60 et 70. Notre ère numérique est en effet la continuité de l’ère de l’information, mais exacerbée par les développements technologiques. Dans ce contexte, les travaux de Burnham ne peuvent que nous apparaître visionnaires, comme le souligne Mitchell Whitelaw :

From the perspective of contemporary techno-arts, Burnham’s writing is striking for two reasons. The first is its apparent currency, its anticipation of contemporary concerns. […] Twenty-five years before the inception of the Web, he discusses an art embracing “realtime information processing”33.

Il poursuit :

More specifically, notions from the sciences, including cybernetics, systems and communication theory, and more recent work in complex systems, are appearing in cultural discourse more and more frequently.

32 Foster-Rice, Greg. « Systems Everywhere », op. cit., p. 47.

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The systems work explored in Burnham’s early writing begins to look particularly relevant in the light of these recent theoretical turns. What emerges is a sense of a moment in history when artists, working with and without high technology, were engaged in a post-representational, post-object practice concerned with provoking an awareness of the real as an extensive, relational, dynamic network of processes34.

Dans l’ère numérique où nous vivons, les logiciels sont omniprésents tant comme intermédiaires dans notre accès à la culture via les plateformes numériques que dans nos relations avec la société par l’entremise des médias sociaux. Dans ce contexte, nous ne pouvons que constater le caractère novateur de la pensée de Burnham lors de son commissariat de l’exposition Software, Information Technology : Its New Meaning for Art au Jewish Museum de New York en 1970. Les ambitions de Software étaient portées par la vision conceptuellement sophistiquée de Burnham alors que l’exposition dressait des parallèles entre les protocoles des logiciels et les formes toujours plus dématérialisées de l’art qu’il interprétait métaphoriquement comme fonctionnant à la manière de systèmes de traitement de l’information35.

Cela dit, il ne faudrait surtout pas limiter la portée de l’esthétique systémique au seul numérique. Pamela M. Lee nous rappelle ici ce qui a déjà été établi plus haut :

Systems theory was applied to emerging forms of digital media … but it also served to explain art not expressly associated with technology today: conceptual art and its linguistic propositions, site-specific work and its environmental dimensions, performance art and its mattering of real time, minimalism even36.

Les mêmes clarifications demeurent pertinentes dans notre contexte actuel : l’esthétique systémique n’est pas qu’une théorie pour expliquer les arts technologiques,

34 Id.

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Shanken, Edward A. « Art in the Information Age: Technology and Conceptual Art ». Leonardo 35.4 (2002), p. 433-438.

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mais peut s’appliquer également à l’ensemble des pratiques artistiques qui s’inscrivent dans la complexité de nos sociétés contemporaines.

Reprenons la citation suivante de Burnham : « Art does not reside in material entities, but in relations between people and between people and the components of their environment37 », que nous pouvons rapprocher des propos de Nicolas Bourriaud dans Esthétique relationnelle lorsqu’il écrit que l’art doit s’engager dans « la sphère des interactions humaines et son contexte social, plus que l’affirmation d’un espace symbolique autonome et privé38 ». Il ajoute plus loin :

À observer les pratiques artistiques contemporaines, plus que de « formes », on devrait parler de « formations » : à l’opposé d’un objet clos sur lui-même par l’entremise d’un style et d’une signature, l’art actuel montre qu’il n’est de forme que dans la rencontre, dans la relation dynamique qu’entretient une proposition artistique avec d’autres formations, artistiques ou non39.

Bourriaud démontre manifestement quelques affinités avec la pensée systémique40 puisque dans Postproduction — La culture comme scénario : comment l’art reprogramme le monde contemporain, il écrit que l’œuvre d’art contemporain ne se positionne pas comme la fin du processus créatif, mais plutôt comme « un moment dans la chaîne infinie des contributions », un agent actif, un générateur de comportements41. Ceci correspond au

concept de système ouvert dont les composantes peuvent changer continuellement selon un processus dynamique. Finalement, dans Radicant : Pour une esthétique de la globalisation, Bourriaud revient sur l’abandon des disciplines, élément important de l’esthétique systémique comme théorie générale de l’art, tel qu’établi dans le chapitre précédent :

37 Burnham, Jack. Systems Esthetics, op. cit.

38 Bourriaud, Nicolas. Esthétique relationnelle. Dijon : Les presses du réel, 2001, p. 14. 39 Ibid., p. 21.

40 La thèse voulant que les écrits de Bourriaud relèvent d’une pensée systémique est défendue par Halsall dans

« Systems Aesthetics and the System as Medium », op. cit. pp. 120-121.

41 Bourriaud, Nicolas. Postproduction — La culture comme scénario : comment l’art reprogramme le monde

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L’art radicant implique ainsi la fin du « medium specific », l’abandon des exclusives disciplinaires. […] Rien ne lui est plus étranger qu’une pensée disciplinaire, qu’une pensée de la spécificité du médium — idée sédentaire s’il en est, qui se résume à cultiver son champ42.

Cette idée est également mise en avant par David Joselit dans After Art, qui ici fait référence à l’esthétique systémique en voulant étendre la définition de l’art afin d’inclure des relations dynamiques :

First, we must discard the concept of medium (along with its mirror image, postmedium), which has been fundamental to art history and criticism for generations. This category privileges discrete objects—even objects that are attenuated, mute, distributed, or “dematerialized”. One of the goals of After Art is to expand the definition of art to embrace heterogeneous configurations of relationships or links—what the French artist Pierre Huyghe has called “a dynamic chain that passes through different formats”43.

Il apparaît ainsi qu’une approche systémique de l’art serait non seulement pertinente, mais nécessaire dans nos pratiques contemporaines44.

42 Bourriaud, Nicolas. Radicant : Pour une esthétique de la globalisation. Paris : Denoël, 2009, p. 61. 43 Joselit, David. After Art. Princeton : Princeton University Press, 2013, p. 12.

44 Les références à Bourriaud et Joselit sont discutées plus amplement par Domenico Quaranta dans « The

Postmedia Condition ». Quaranta, Domenico. « The Postmedia Condition ». Beyond New Media Art. Brescia : LINK Editions, 2013, pp.199-220 (version électronique).

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2. Le rôle de la photographie dans l’art des idées

2.1 Information et documentation : la photographie et les conceptualistes

Dans le courant des années 60, faisant rupture avec la tradition moderniste de la photographie, certains artistes s’intéressent à un usage plus conceptuel du médium45 et se tournent vers l’appareil photographique afin d’explorer davantage le domaine des pratiques basées sur les concepts et les processus46. Cette nouvelle attitude envers la photographie est exemplifiée par des artistes comme Ed Ruscha qui publie le premier de ses livres photographiques Twenty-Six Gasoline Stations (figure 4). Ce livre, comme ceux qui suivront, évite soigneusement la nature sanctifiée du « moment décisif » moderniste en faveur d’une esthétique low-fi47. Diffusés en grande quantité et à des prix abordables, les livres de Ruscha ne dépendent pas du fétichisme moderne du tirage photographique, mais se basent plutôt sur leur force conceptuelle suggérant ainsi que l’important n’est pas tant les qualités esthétiques de l’image, mais son contenu et le contexte dans lequel elle est vue48.

45 Batchen, Geoffrey. « Cancellation ». The Last Picture Show. Artists using Photography, 1960-1982.

Minneapolis : Walker Art Center, 2003, p. 177.

46 Fogle, Douglas. « The Last Picture Show ». The Last Picture Show. Artists using Photography, 1960-1982.

Minneapolis : Walker Art Center, 2003, p. 12.

47 Id. 48 Id.

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18 Figure 4 : Twenty-Six Gasoline Stations. Ed Ruscha. 1963.

Ruscha n’est pas seul. Ainsi, Graham (figure 5), Bochner ou Kosuth ont tous utilisé la photographie dans des pratiques conceptuelles, principalement comme outil servant à véhiculer de l’information49. Selon Verhagen, « information et document(aire) sont les deux termes incantatoires auxquels ne manqueront pas de se plier les artistes apparentés de près ou de loin au phénomène conceptuel », nommant les Becher, Ruscha et Baldessari50. Pour les artistes de la fin des années 60, la photographie devient ainsi extrêmement utile comme technique d’enregistrement et comme médium d’information. Parce qu’elle produit des documents simples et non des œuvres autonomes, elle réfère nécessairement le

49 Verhagen, Erik. « La photographie conceptuelle ». Études photographiques, 22 (2008). Web. 30 novembre

2015. http://etudesphotographiques.revues.org/1008.

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spectateur à l’idée, à l’action, au processus développé par l’artiste51. Une image n’est plus dorénavant offerte au public pour son plaisir ou pour sa liberté de perception ou d’interprétation, mais plutôt produite pour que le public puisse à travers elle redécouvrir et reconstituer une approche, une expérimentation, une procédure ou un système52.

Figure 5 : Homes for America. Dan Graham. 1966-1967.

Ces notions de « document » et d’« information » sont également défendues par Geoffrey Batchen dont les propos résonnent directement avec l’esthétique systémique de Burnham :

51 Chevrier, Jean-François. « The Adventures of the Picture Form in the History of Photography ». The Last

Picture Show. Artists using Photography, 1960-1982. Minneapolis : Walker Art Center, 2003, p. 120.

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Although each of these projects was driven by different ambitions, they shared a desire to shift attention from the content of the image to the process of making or arranging it, from the subject of the photograph, to the manner of its enunciation. They also exploited photography’s capacity for seriality and multiple reproduction as well as for the presentation of affectless visual information [figure 6]53.

Il est intéressant de noter à quel point le vocabulaire utilisé par ces auteurs valide la thèse défendue par Burnham, Halsall, Foster-Rice et Skrebowski concernant le recours à l’esthétique systémique pour analyser et comprendre les différentes pratiques reliées à l’art des idées.

Figure 6 : Shapolsky et al. Manhattan Real Estate Holdings, a Real-Time Social System, as of May 1, 1971. Hans Haacke. 1971

2.2 New Topographics : un nouveau paradigme

En 1975, William Jenkins, assistant-commissaire de la photographie du vingtième siècle au George Eastman House International Museum of Photography organise New

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Topographics : Photographs of a Man-altered Landscape. Cette exposition comprend 168 photographies provenant de 10 artistes : Robert Adams, Lewis Baltz, Bernd & Hilla Becher, Joe Deal, Frank Gohlke, Nicholas Nixon, John Schott, Stephen Shore et Henry Wessel.

Parmi ceux qui eurent l’occasion de voir l’exposition, peu semblent avoir considéré vivre un moment important : les changements de paradigmes sont rarement reconnus, sauf en rétrospective54. Et pourtant, de la même façon que les artistes conceptuels remettent en question les pratiques modernistes des peintres et des sculpteurs au courant des années 60, New Topographics55 effectue le même changement radical de paradigme pour la

photographie de paysage. Comme le présente Brian Rosa :

New Topographics heralded an emerging generation of landscape photographers who questioned the prevailing romantic and pictorial paradigms embodied in the work of such canonical photographers as Ansel Adams [figure 7].

[…]

New Topographics has entered the annals of art history as a paradigm shift in photography, one that suggests a collective ambivalence about how industrial development and decay, urbanization and suburbanization, affect our notions of landscape56.

54 Nordstrom, Alison. « After New: Thinking about New Topographics from 1975 to Present ». New

Topographics. Göttingen : Steidl, 2010, p. 72.

55 Dans ce mémoire, New Topographics réfère non seulement à l’exposition, mais également plus largement

aux travaux artistiques de dix photographes participants, comme mouvement informel.

56 Rosa, Brian. « Frank Gohlke: Thoughts on Landscape ». Places Journal, 2010. Web. 18 avril 2016.

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22 Figure 7 : The Tetons and the Snake River. Ansel Adams. 1942.

New Topographics est maintenant largement connu et compris comme l’événement fondamental dans lequel la photographie de paysage s’est éloignée du sublime, inaugurant ainsi une nouvelle ère d’approches théoriques57. Ceci est à vrai dire peu surprenant puisque

certains artistes inclus dans l’exposition comme les Becher (figure 8) et Lewis Baltz étaient déjà associés au mouvement conceptuel, comme nous l’avons vu plus haut. L’influence de Ruscha est omniprésente parmi les dix artistes, comme le témoigne William Jenkins dans le catalogue de l’exposition : « It would seem logical to regard these pictures as the current

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23

manifestation of a picture-making attitude that began in the early nineteen sixties with Edward Ruscha58 ».

Figure 8 : Duisburg-Bruckhausen, Ruhr Region, Germany. Bernd & Hilla Becher. 1999.

Cette rupture avec les modernistes qu’ont effectuée les artistes de New Topographics pour se joindre à ces nouvelles façons de comprendre et de faire de l’art est soulignée par Kim Sichel dans Deadpan Geometries :

58 Jenkins, William. New Topographics: Photographs of a Man-Altered Landscape. Rochester : International

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Concerned with moving away from the sublime or romantic landscapes of the West that attracted their predecessors such as Ansel Adams and Minor White, they represented a new generation of artists who were interested in participating in the broad cultural changes of the ’60s and the ’70s by using photography to investigate build and populated landscapes and human relations to place59.

Comme nous avons pu le constater à travers ces réflexions, il apparaît donc clairement que New Topographics marque un changement de paradigme pour la photographie de paysage et que cela s’inscrit dans la même mouvance que celle identifiée par Heinich dans Le paradigme de l’art contemporain. Lorsque Sichel parle des larges changements culturels des années 60 et 70, le premier réflexe que nous avons (et qui semble partagé par plusieurs des auteurs cités jusqu’à maintenant) est d’associer ces artistes à l’art conceptuel. Ainsi que l’affirme Kelly Dennis : « All positioned these photographs […] within a related art movement: that is, not just as art photography, but as Conceptual photography60 ».

Cependant, il me semble que ce serait écourter notre analyse que de ne pas aller jusqu’au bout de la réflexion : New Topographics s’inscrit dans le cadre de ces grands changements sociétaux et relèverait directement de l’esthétique systémique. C’est ce que j’entends démontrer dans la prochaine section.

59 Sichel, Kim. « Deadpan Geometries: Mapping, Aerial Photography and the American Landscape ».

Reframing the New Topographics. Chicago : The Center for American Places at Columbia College Chicago,

2013, p. 87.

60Dennis, Kelly. Landscape and the West: Irony and Critique in New Topographic Photography. Essai présenté au Forum UNESCO University and Heritage 10th International Seminar
“Cultural Landscapes in the 21st Century”, Newcastle-upon-Tyne, 11-16 avril 2005. Web. 11 avril 2016.

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2.3 New Topographics : l’esthétique systémique en photographie

Contrairement à Hans Haacke, qui s’identifie comme un artiste systémique, les artistes de New Topographics n’ont jamais revendiqué ouvertement une telle appartenance. Toutefois, à la lecture de plusieurs de leurs propos, nous pouvons constater que leur pensée s’inscrit complètement dans ce schéma.

Figure 9 : Alley, Presidio, Texas, February 21, 1975. Stephen Shore. 1975.

Ainsi, Stephen Shore (figure 9) dans La nature des photographies nous parle en ces termes de son processus créatif :

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C’est un processus dynamique, autoévolutif. Ce qu’un ingénieur appellerait une boucle d’asservissement. C’est l’interaction complexe, continue et spontanée de l’observation, de la compréhension, de l’imagination et de l’intention61.

Frank Gohlke (figure 10), qui a beaucoup écrit sur sa pratique artistique, est tout aussi éloquent. Par exemple, dans An Interview with Frank Gohlke, il décrit ainsi sa pratique et celle de ses collègues de New Topographics : « I think most of us were and are primarily concerned with understanding the things we photograph in their largest relationships to land and culture, and the particularities of social existence62 ». Il poursuit, soulignant l’importance des relations dans la compréhension du territoire :

What is the web of relationships that one perceives in the visual appearance of things, that… I mean, what particular objects in the landscape—natural or human—give one a sense of that incredibly complex tissue of causality, that makes things look the way they do? 63

Cette question des relations revient également dans Measures of Emptiness: Grain Elevators in the American Landscape — et cette fois-ci, la référence systémique est limpide :

At the same time, I was beginning to realize that the landscape is not a collection of fixed objects on a static spatial grid but a fluid and dynamic set of relationships. Its appearance is the result of a multitude of forces acting in time on the land itself and its human accretions64.

Toujours dans le même texte, Gohlke précise sa compréhension systémique du territoire : Landscape is an active principle. Its existence is the result of human actions and natural processes in ever-changing combinations, and its understanding requires that the senses, the mind, and the imagination be fully engaged with the facts in front of us.

61 Shore, Stephen. La nature des photographies. Paris : Phaidon, 2007, p. 132.

62 Gohlke, Frank & Mary Virginia Swanson. « An Interview with Frank Gohlke ». Thoughts on Landscape:

Collected Writings and Interviews. Tucson : Holart Books, 2009, p. 49.

63 Id.

64 Gohlke, Frank. « Measures of Emptiness: Grain Elevators in the American Landscape ». Thoughts on

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27 […]

I began to read the work of geographers Carl Sauer, David Lowenthal, and Yi-Fu Tuan, and the essays of J. B. Jackson. These writings confirmed my intuitions about the relationships between people and places, about the deep and continuing interchange between the given character of an environment and its inhabitants: what is built reflects both inner needs and external constraints and becomes in turn a part of the landscape that influences subsequent generations65.

Au-delà de sa compréhension systémique du territoire, cette remarque démontre un autre élément systémique dans l’approche de Gohlke, à savoir l’interdisciplinarité, de par ses recherches en géographie. L’approche systémique de Gohlke est également bien exprimée par Rohrbach dans son article Who’s in control here :

Fascinated with such flux, Gohlke was rejecting a widely accepted definition of landscape as a picturesque emblem of beauty, balance and stasis that had held since the Enlightenment. His vision heralded the land as active and filled with unpredictability, yet landscape for its own sake was not his interest. The traditional viewpoint understands nature as separate from humanity, as something to be seen and admired by a passive observer; Gohlke, on the other hand, preferred to highlight the constant interplay of people with the land, including how people cope with and accommodate nature’s offerings66.

65 Ibid., p. 139.

66 Rohrbach, John. « Who’s in control here? ». Accommodating Nature: The Photographs of Frank Gohlke.

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Figure 10 : Grain elevators and lightning flash / Lamesa, Texas. Frank Gohlke. 1975.

Toutefois, personne ne valide aussi clairement la théorie voulant que les artistes de New Topographics soient ancrés dans l’esthétique systémique que Greg Foster-Rice dans son article au titre on ne peut plus explicite, Systems Everywhere, paru dans la publication Reframing the New Topographics en 2013. Ainsi, dès la deuxième page de son essai, Foster-Rice établit que :

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The photographs in the New Topographics exhibition emerged from and responded to this cultural trend toward systems theory. Properly understood within this context, many of Jenkins’ allusions to the human-altered landscape, issues of style, and the minimal inflection of the photographers begin to make a different kind of sense. Even more significantly, it becomes increasingly apparent that they were working within a larger system and created photographs that challenged the tenets of mid-century modernist aesthetic formalism by adopting a systems-based approach67.

Foster-Rice affirme ainsi clairement ce qui semble avoir échappé à bien des historiens de l’art : les pratiques des artistes de New Topographics relèvent d’une compréhension systémique de l’art et du territoire.

De la même façon que je l’ai proposé dans le chapitre précédent concernant l’esthétique systémique, j’estime que l’approche systémique de l’art et du territoire de New Topographics n’est pas une pratique passéiste, mais demeure pertinente, sinon essentielle, dans une pratique contemporaine. Christopher Burnett en atteste dans New Topographics Now, lorsqu’il explique que l’exposition offre un point de vue alternatif encore actuel sur la compréhension du paysage dans notre société mondialisée de l’information68.

67 Foster-Rice, Greg. « Systems Everywhere », op. cit., p. 46.

68 Burnett, Christopher. « New Topographics Now », Reframing the New Topographics, Chicago : Center for

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30

3. Une approche systémique du territoire

3.1 Uniquement le paysage, une approche incomplète du territoire

Comme abordé dans l’introduction, lorsqu’un artiste travaille sur le territoire, la notion de paysage revient constamment. Toutefois, malgré plusieurs lectures sur ce sujet, notamment du côté de Suzanne Paquet69 et de John Brinckerhoff Jacskon, je restais insatisfait de l’explication de ma démarche. En effet, l’approche du territoire par la seule donnée paysage n’est pas fausse, mais demeure incomplète.

Parmi les géographes fréquemment cités en photographie, Jackson est une référence importante, notamment en raison de son influent livre intitulé Discovering the vernacular landscape. Jackson nous donne une première piste de réflexion sur la relation entre l’humain et l’espace qu’il occupe, en établissant le paysage (landscape) comme « a composition of man-made spaces on the land70 ». Il précise sa pensée dans la conclusion de son livre : « […] it meant a collection, a ‘sheaf’ of lands, presumably interrelated and part of a system71 ». Il insiste sur ce concept dans les dernières lignes du livre en déclarant que « […] it is a really no more than a collection, a system of man-made spaces on the surface of the earth72 ».

Malheureusement, Jackson ne développe pas davantage sa pensée sur ce sujet, et même s’il établit clairement l’importance de la culture dans le paysage73, il n’explicite pas

la notion de système dans ce contexte. En ce qui concerne plus directement ma propre

69 Paquet, Suzanne. Le paysage façonné. Les territoires postindustriels, l’art et l’usage. Québec : Presses de

l’Université Laval, 2009.

70 Jackson, John Brinckerhoff. Discovering the Vernacular Landscape. New Haven : Yale University Press,

1984, p. 7.

71 Ibid., p. 148. 72 Ibid., p. 156.

73 Cette notion est également défendue par Suzanne Paquet dans Le paysage façonné. Les territoires

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31

pratique, l’autre problème qui se pose avec Jackson (et bien qu’on puisse lui donner le bénéfice du doute en raison de l’ambiguïté générée par la traduction du terme landscape) est qu’il s’interroge uniquement sur la notion du paysage et non sur celle du territoire dans une compréhension plus large.

La même situation existe chez Paquet. Certains passages, dès l’introduction, donnent des indices sur ce qui pourrait être une compréhension systémique du paysage :

Le passage du paysage de bien symbolique à objet façonné advenant par des processus hybrides et par la conjugaison de multiples éléments, ce sont les interactions entre ceux-ci qui seront décrites, selon un modèle inspiré par la sociologie de la médiation telle que proposée en sciences par Bruno Latour […]74

« Processus », « multiples éléments », « interactions », voici bien des termes qui renvoient à une approche systémique. De même que la référence aux « boîtes noires » décrites par Latour75, mais tout d’abord établies par Wiener76, pourrait signifier une volonté d’approcher le paysage par une pensée systémique. Paquet ne franchit toutefois pas ce pas, restant concentrée sur une compréhension du paysage comme un objet.

Cette approche par le paysage ne répond donc pas à mes interrogations et ne correspond pas à mon travail puisque je me préoccupe non seulement de l’espace géographique, mais également des relations que les humains entretiennent avec cet espace géographique. Mon intérêt pour les travaux d’Ed Burtynsky (figure 11) ou des Becher par exemple, m’a permis de comprendre qu’au-delà du paysage, la question qui m’intéresse plus particulièrement concerne les manufactured landscapes77, les man-altered

74 Suzanne Paquet, op. cit., p. 8 75 Paquet, Suzanne, op.cit., p. 13.

76 Wiener, Norbert, op.cit., p. xi. Pour Wiener, une boîte noire est un dispositif qui performe des opérations

complexes et dont les résultats sont prévisibles, bien que nous ne comprenions pas son fonctionnement interne.

77 « Manufactured landscapes » réfère au documentaire que Jennifer Baichwal a réalisé en 2006 sur le travail

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32

landscapes78, et la façon dont ces espaces modifiés par l’homme nous influencent en retour. De plus, mes recherches autour de la pensée systémique m’ont permis de constater que pour saisir un sujet aussi complexe et en avoir une compréhension précise et actuelle, il est nécessaire d’appréhender le territoire comme un système.

Figure 11 : Oil Fields #22, Cold Lake Production Project, Cold Lake, Alberta, Canada. Edward Burtynsky. 2001.

78 « Man-altered landscapes » réfère au titre complet de New Topographics: Photographs of a Man-Altered

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33

3.2 Le territoire comme un système

Le travail du géographe français Alexandre Moine est la clef qui m’a permis de dénouer ce questionnement et de mieux comprendre ces enjeux territoriaux. Moine établit de façon claire une vision systémique du territoire en affirmant que celui-ci est avant tout un système complexe composé d’éléments et de relations multiples, notamment de boucles de rétroaction qui évoluent dans le temps. Il ajoute d’ailleurs : « [...] une boucle de rétroaction domine, liant deux sous-systèmes essentiels : celui de l’espace géographique et celui du système social79 ». Nous pouvons voir que cette définition correspond aux préoccupations déjà existantes dans mon travail.

Moine nous indique également que, selon lui, le territoire n’est pas uniquement un espace social témoignant « d’une appropriation à la fois économique, idéologique et politique de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité80 » comme le formule Di Méo ; pas plus qu’il ne s’agit que de l’espace géographique aménagé par ses acteurs81. Le territoire est en fait tout cela et plus que tout cela à la fois82, puisque dans une organisation systémique le tout est supérieur à la somme de ses parties83.

3.3 Le territoire, système complexe et ouvert

Pour Moine, le monde qui nous entoure est fondamentalement complexe et, avant les travaux de Wiener et de Bertalanffy, « nous ne disposions pas des outils pour

79Moine, Alexandre. « Le territoire comme un système complexe : un concept opératoire pour l’aménagement et la géographie ». L’Espace géographique, 35 (2006), p. 120.

80 Di Méo, Guy. « De l’espace aux territoires : éléments pour une archéologie des concepts fondamentaux de

la géographie ». L’information géographique, 62.3 (1998), p. 107.

81 Ciattoni, Annette et Yvette Veyret. Les Fondamentaux de la géographie. Paris : Armand Colin, 2003,

pp. 10-11.

82 Moine, Alexandre. « Le territoire comme un système complexe : un concept opératoire pour l’aménagement

et la géographie », op.cit., p. 118.

(42)

34

l’appréhender84 ». Le territoire est donc un système complexe : nous ne pouvons l’expliquer par le comportement individuel de ses éléments et il dépend du nombre de ses composantes tout autant que du nombre et du type de relations qui les lient entre eux85. Comme tout

système lié aux activités humaines, le territoire est caractérisé par des relations changeantes pouvant être étudiées selon différentes perspectives : il comporte rarement des relations causales simples et a une variété importante de sous-ensembles possédant des fonctions spécialisées. Nous nous situons donc dans le domaine des systèmes ouverts, en continuelle création et évolution, où la relation linéaire et causale est remplacée par l’interdépendance et la rétroaction86.

Moine conclut que le territoire se définit comme un système complexe évolutif qui s’appuie sur la mise en relation de trois sous-systèmes clairement définis (figure 12) :

Les acteurs en interrelation, qui agissent de façon consciente ou non sur l’espace géographique ;

L’espace géographique, aménagé par les acteurs, présentant de multiples objets en interaction et que l’on peut désagréger en trois sous-systèmes (le géosystème ou milieu géographique au sein duquel évoluent les acteurs ; l’espace anthropisé, soit l’ensemble des objets anthropiques répartis au sein du géosystème ; et l’espace social, en relation avec l’espace politique et institutionnalisé) ;

Les systèmes de représentation qui construisent la connaissance et la conception qu’ont les acteurs du monde qui les entoure87.

84 Moine, Alexandre. « Le paradigme systémique pour comprendre en géographie ». Le territoire : comment

observer un système complexe. Paris : L’Harmattan, 2007, p. 17.

85 Moine, Alexandre. Ibid., p. 19. 86 Moine, Alexandre. Ibid., pp. 19-20.

87Moine, Alexandre. « Le territoire comme un système complexe : un concept opératoire pour l'aménagement

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35

Figure 12 : La boucle de rétroaction qui anime les territoires. Alexandre Moine. 2006.

Nous avons ici une clef d’interprétation importante en ce qui concerne une approche systémique du territoire dans un cadre artistique : parmi les sous-systèmes du système territorial figurent donc « les systèmes de représentation qui forgent la conception qu’ont les acteurs du monde qui les entoure ». N’est-ce pas là justement le rôle de l’artiste de contribuer à ces systèmes de représentation et de proposer une certaine perception du monde ?

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36

3.4 Le paysage, élément sensible du territoire

Sans qu’il ne réfère directement au territoire par des termes relevant de la systémique, les travaux d’Augustin Berque permettent d’établir des ponts avec l’approche de Moine afin de mieux comprendre le territoire d’un point de vue artistique. Ainsi, dans Médiance : De milieux en paysages, Berque définit le paysage comme la « dimension sensible et symbolique du milieu »88. Le « paysage » est donc l’expression d’une « médiance », définie

elle-même comme le sens d’un « milieu », à la fois tendance objective, sensation/perception et signification du « milieu », lui-même relation d’une société à l’espace et à la nature89. Pour Berque, cette relation est à la fois physique et phénoménale. Ainsi, le « milieu » inclut à la fois « l’environnement » (dimension physique ou factuelle du milieu, que nous pouvons relier à l’espace géographique tel que présenté par Moine) et le « paysage »90.

Le paysage est donc la partie sensible du système territorial, celle qui permet à l’artiste d’être partie intégrante de ce système en étant un des multiples acteurs en interrelation. Ainsi, le rôle de l’artiste est de contribuer à alimenter les systèmes de représentation qui nourrissent la compréhension et la conception du monde. Il est important de préciser ici que le « paysage » de Berque n’est pas celui de l’art moderne pictural considéré précédemment dans ce mémoire. Avec une approche systémique du territoire, il se produit un passage du paysage moderniste comme sujet artistique vers un paysage contemporain, élément de la dimension esthétique d’un système. C’est dans ce cadre systémique que j’inscris ma pratique artistique.

88 Berque, Augustin. Médiance : De milieux en paysages, 2e édition. Paris : Belin, 2000, p. 48. 89 Id.

Figure

Figure 1 : 1983. Mériol Lehmann. 2010.
Figure 2 : Anglo-Canadian Pulp & Paper Mills Ltd. Mériol Lehmann. 2013.
Figure 3 : Terres. Mériol Lehmann. 2013.
Figure 4 : Twenty-Six Gasoline Stations. Ed Ruscha. 1963.
+7

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