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La photo derrière la peinture

Première partie

F IGURER LE FIGURANT

B. Les figures défilées de Gerhard Richter

1. La photo derrière la peinture

Indéterminables objets picturaux, confuses figures tirées de l’hybridation des médiums : quelques Fotobilder seront l’objet de notre étude.

« La photographie signifie la fin de l’image, et l’origine de l’image par l’image ». Giulio Paolini

S

URFACES DE PEINTURE

Déposons notre regard sur les troubles surfaces de quelques œuvres de l’artiste allemand Gerhard Richter. L’évocation même de son nom provoque immédiatement et indissociablement plaisir et doute. Reconnaissance en effet de cet artiste majeur, peut-être un des artistes les plus importants, ou du moins déclaré comme tel, de la seconde moitié du XXème siècle, dont les expositions personnelles ne cessent de proliférer, en Europe et aux Etats-Unis1 ; artiste omniprésent sur les foires d’art contemporain dont nous reconnaissons en un coup d’œil les toiles indiscernables pourtant ; et en même temps inquiétude, incertitude, malaise. Impossible en effet d’englober, de comprendre son œuvre si dense et protéiforme, encore plus difficile de s’assurer d’un discernement, d’une juste distance devant l’une de ses œuvres, quelle qu’elle soit. Toute position sera déjouée, une « bonne œuvre est incompréhensible » nous dit Richter. En ce sens elle résiste. Devant les surfaces si bien huilées de l’artiste peintre, nous pouvons douter qu’il soit possible de s’arrêter, d’y fixer son propre regard, d’y cerner quoi que ce soit. Glisser peut-être alors sur les surfaces effilées, éprouver cette instabilité si

1 Rétrospective Gerhard Richter à la Tate Modern, Londres, 6 octobre 2011 – 8 janvier 2012, puis à la Neue Nationalgalerie, Berlin, 12 février – 13 mai 2012, et dernièrement à Paris, Centre Georges

propre à l’esthétique richtérienne, voir sans doute que rien ne se donne à voir. Devant ces surfaces troublées, s’étire un seuil.

L’artiste travaille les surfaces et entretient les distances.

Né en 1932 à Dresde, Richter a tout d’abord suivi une formation de décorateur publicitaire en Allemagne de l’Est avant de trouver un emploi de peintre décorateur. Il intègre ensuite l’Académie des Beaux-arts de Dresde où il se spécialise dans la peinture murale. En 1961, il fuit la RDA et s’installe à Düsseldorf, il y poursuit des études artistiques à l’académie des Beaux-arts. Riche de son savoir-faire pictural hérité de sa formation en Allemagne de l’Est, l’artiste n’en découd pas avec la peinture. Aujourd’hui encore, il recourt principalement à la traditionnelle peinture à l’huile. Mais en ce début des années soixante en Allemagne, comment se défaire du poids du réalisme socialiste ? La photographie sera son outil de transfert, un moyen pour reconduire la peinture, un médium, un intercesseur. Elle l’accompagne symboliquement dans son passage en Allemagne de l’Ouest, pour en finir avec « cette foutue peinture », précise l’artiste, celle pratiquée de l’autre côté. Quelle est en effet la légitimité de la peinture en ce début des années soixante, peut-elle encore avoir un sens ? Comment peut-elle faire face à son autre, évidemment, la photographie ? « J’ai peint des photos, justement pour ne rien avoir à faire avec la peinture : elle fait obstacle à toute expression appropriée de notre temps1 ». Transiter par la photo pour se libérer de la peinture. Quitter la peinture, en passer par la photographie pour mieux y revenir en peinture. Le premier geste du peintre sera celui de la reproduction, il détourne ainsi la posture classique du copiste : jeu du transfert, une image déjà-là, une image ready-made passe sur la toile. L’influence de Fluxus et du Pop-art est perceptible dans cette stratégie de réappropriation des images.

Très vite Richter ouvre un questionnement intermédial, joue du trouble de la fusion-confusion de deux médiums, photographie et peinture. Apparaissent alors les premiers Fotobilder, "photo-peintures", ou encore, "photo-tableaux" ou tableaux photographiques2.

1 RICHTER Gerhard, in Antoine Jean-Philippe, Gertrud Koch, Lang Luc, Gerhard Richter, Paris, Dis voir, 1995, p. 65.

2 La traduction en allemand de peinture serait Malerei ;Bild renvoie davantage à la notion de tableau. La traduction en français que nous avons retenue, "photos-peintures", est celle proposée sur le site officiel de Gerhard Richter (gerhard.richter.com); il serait néanmoins plus juste de proposer l’expression "tableau photographique", qui dans un retournement et en accord avec l’appellation de Jean-François Chevrier, ouvrirait un dialogue avec la pratique photographique inaugurée par Jeff Wall

Sa peinture sera d’abord photogénique.

Peintures tirées de photographies, ses Fotobilder prennent pour sources des images photographiques empruntées à la presse, aux magazines, aux encyclopédies, aux albums de photographies de famille, puis à partir de 1968 l’artiste usera généralement de ses propres clichés. Richter puise dans la pléthore d’images immédiatement disponibles, photos d’anonymes, d’amateurs, de reportages, images documentaires, tirages offset ou encore des instantanés plus intimes. L’artiste collecte et organise un grand nombre d’images photographiques dans les multiples planches de son Atlas. Cette archive iconographique très dense compte à ce jour huit-cent planches ; toutes les images collectées ne donnent pas lieu à une translation picturale. Jusqu’en 1966, les tableaux tirés de photographies seront à l’instar de leurs modèles, en noir et blanc, ou plutôt, en grisaille.

« Mon premier tableau d’après photo ? A l’époque ma peinture était inspirée des laques grand-format de Gaul. Un jour, une photo de Brigitte Bardot m’est tombée entre les mains et je me suis mis à la copier en gris sur un de mes tableaux1 ». L’artiste entretien la confusion, cette photo-peinture en effet, tirée picturalement d’une photographie de Brigitte Bardot et intitulée Mutter und tochter [Ill.47], date de 1965 ; or, nous pouvons dénombrer jusqu’à soixante-dix Fotobilder répertoriés dans le catalogue raisonné, exécutés avant Mutter und tochter de 1965. Les premiers Fotobilder classés par l’artiste dans le catalogue raisonné datent de 1962, la peinture inaugurale réalisée à partir d’une photographie de magazine est Tisch [Ill.48]. Cette toile pourtant se distingue des peintures à venir dans la mesure où le modèle y apparaît ruiné en son milieu ; la reproduction se surimpressionne ponctuellement d’un geste iconoclaste. Certes, nous reconnaissons le modèle table sous l’accident pictural, la tache scotomisante, le geste effaçant qui fait écran sans occulter complètement. Mais la première toile répertoriée par l’artiste est une œuvre d’effacement. Tous les Fotobilder à partir de cette œuvre liminaire seront atténués d’un écran plus ou moins troublé : à peine voilés ou sensiblement embrumés, ils garderont traces d’un passage effaçant. « Une photo est déjà un petit tableau tout en ne l’étant pas

une quinzaine d’années plus tard. En outre, la figure humaine étant notre objet d’étude, nous pouvons remarquer que le mot Bild signifie également portrait.

complètement. Ce caractère est irritant et vous pousse à la transformer1 ». « Irrité », l’artiste procède en effet en deux temps : il copie fidèlement le modèle noir et blanc, net la plupart du temps. Le report est d’abord exécuté par mise au carreau puis transite par l’épiscope dès 1964. Les modèles photographiques sont agrandis et recadrés. Le rendu précis est ensuite estompé en passant un pinceau sec sur la couche d’huile encore grasse. Le balayage secondaire estompe le modèle premier. La matière picturale est effilée et la photographie initiale se défile derrière un effet de "floutage". Mais la picturalité s’échappe elle aussi puisque ainsi estompées, les images reproduites se parent d’une ressemblance toute photographique. Elles convoquent en effet un caractère spécifiquement photographique : le flou de l’image. « Il ne s’agit pas d’imiter une photo. Je veux faire une photo. Et comme je tiens à aller au-delà d’une photographie comprise comme morceau de papier sensible, je fais des photos par d’autres moyens, et non des tableaux qui tiendraient de la photographie2 ». Pour échapper à la peinture, il s’agirait alors de faire de la photographie par d’autres moyens, rejouer les surfaces photographiques par les moyens de la peinture dont la visibilité affectée ne relèverait pas quant à elle d’un caractère flou, « quant au tableau, il n’est jamais flou. Ce qui nous semble flou c’est l’imprécision, c’est-à-dire la différence par rapport à l’objet représenté […]. Comment la couleur sur la toile pourrait-elle être floue ?3 ». En se teintant d’une apparence photographique, les Fotobilder peints dévoilent leur processus de fabrication et, par là-même, entretiennent l’ambiguïté.

Jusqu’en 1966, l’artiste va réaliser environ deux-cent Fotobilder en noir et blanc4, tirés de modèles photographiques les plus divers. En 1966, il exécute sa fameuse toile Ema (Akt auf einer treppe)5. Avec Ema, c’est la première fois qu’il utilise un de ses clichés, c’est aussi l’occasion de passer à la photo-peinture couleur. Il s’agit d’un portrait en pied de sa femme descendant un escalier, peint à l’échelle un. Comme de nombreux Fotobilder, la peinture Ema est filée d’un voile diffus, enrobant la scène toute entière dans un flou photographique. Mais cette toile marque également un tournant dans

1 RICHTER Gerhard, Entretien avec Irmeline Lebeer in Chroniques de l’art vivant n°36, Paris, Ed. Maeght, février 1973, p. 15-16.

2 RICHTER Gerhard, in Gerhard Richter, vol. 2 du catalogue raisonné, texte de B. H. D. Buchloh, Paris, Musée National d’Art Moderne de la ville de Paris, 1977, p.76.

3 RICHTER Gerhard, « Entretien avec R. Schön (1972) », Gerhard Richter, Textes : notes et entretiens, op. cit., p. 59.

4 Certains se teintent d’un virage bleuté ou encore sépia. 5 Ema (nu sur un escalier).

l’entreprise plastique richtérienne. A partir d’Ema, en effet, l’artiste nous en fait voir de toutes les couleurs, en commençant la série des Farben [Ill.49] ou Chartres colorées qui l’occupera toute cette année-là et qu’il poursuit toujours. Les Farben peuvent être envisagés comme reproductions de véritables nuanciers, d’une netteté irréprochable ; reproductions réinterprétées puisque l’artiste ne respecte pas l’organisation initiale mais répartit les aplats colorés en fonction d’une combinaison logique. Les petites plages de couleur, carrées ou rectangulaires, se jouxtent ou sont organisées en grille sur fond blanc. D’une dizaine à plusieurs milliers de plages sur une même toile, les possibilités sont infinies. Mais aussi définis soient-ils, ces tableaux chatoyants sont tout autant irregardables que les Fotobilder embrumés. Saturant notre regard, nous ne pouvons rien saisir, ni fixer ; les Farben, surtout les plus grands, impossibles à contenir, se mettent à vibrer, à se brouiller… Les Farben, qui ne sont pas sans liens avec les œuvres optiques de l’abstraction géométrique, marquent le passage véritable à l’abstraction, une abstraction faussement expressionniste. Les Abstackte Bilder, constituent la majeure partie du travail pictural de Richter ; ce dernier ouvre la brèche de l’abstraction dès 1968 et réalisera plus de mille-six-cent tableaux. Les formats, les gammes chromatiques, les factures sont très variés. Fruits du hasard et non préméditées, pour reprendre l’artiste, certaines toiles abstraites peuvent néanmoins découler de l’agrandissement pictural fidèle de petites esquisses abstraites photographiées. Des peintures très gestuelles aux monochromes, des teintes complémentaires et dissonantes aux tableaux gris (Richter a peint plus de deux-cent toiles abstraites grises), en passant par les couleurs primaires mélangées jusqu’à leur quasi dissolution1, le peintre semble explorer toutes les possibilités de travail des surfaces picturales. Grilles, enchevêtrements, tissage, tressage, raclage, fouillis, brouillages, formes estompées, lignes franches, gestes affirmés, circonvolutions voluptueuses, stratifications, pans, trames, dégradés, murailles de peinture, maculatures… infinité du geste pictural, l’artiste envisage toutes les modalités de recouvrement des surfaces. Des recherches superficielles : l’artiste soigne avant tout ses surfaces, autant d’écrans qui approfondissent les superficies, autant de rideaux qui recouvrent des profondeurs voilées, autant de points de non-identification.

Ill. 47. Mutter und Tochter, 1965, Huile

sur toile, 180 x 110 cm, (CR. 84) Ill. 48. Tisch 1962, Huile sur toile, 90 x 113 cm, (CR.1)

Ill. 50. Doppelglasscheibe, 1977, Verre peint sur une face et fer, 200 x 240 cm, (CR. 416)

Ill. 51. Spiegel grau, 1991, 280 x 165 cm, Verre avec couche colorée, (CR.735-2) Ill. 49. 1024 Farben, 1973, Huile sur toile, 254 x 478 cm, (CR. 350-1)

Entre figuration et abstraction se situeraient les recherches de Richter avec verres et miroirs. Dès 1967, l’artiste interroge les relations entre transparence et réflexion en usant de surfaces vitrées vides de toute image1, puis à partir de 1977, de verres peints (en gris la plupart du temps) par derrière : Avec les verres gris, Glasscheibe 1977 et Doppelglasscheibe, 1977

[Ill.50], les reflets se troublent et nous laissent transparaître encore une fois la logique du voile.

Quant aux Fotobilder, à partir des années 1980, ils deviennent plus sporadiques mais l’artiste travaillera toujours les deux registres de l’abstraction et de la figuration conjointement. Les sujets des six-cent photo-peintures répertoriées sont très disparates : paysages, natures mortes, animaux, détails d’objets, portraits… La moitié environ touche à la figure humaine. Ce sont quelques-unes de ces toiles qui dès-lors vont nous intéresser.

L’œuvre de Richter dans son ensemble, très hétérogène, se rassemble à travers la problématique du voile et du repli. Ecrans abstraits ou peintures "floues", ces œuvres, comme autant de jeux de secrets, testent l’impuissance de notre œil. L’artiste semble porter au visible des surfaces d’aveuglement. Chaque pièce ouvre une réflexion sur la distance et l’irregardable. Si certains historiens y ont décelé un discours rhétorique sur la peinture, “peindre la peinture”2, nous envisagerons les surfaces richteriennes sous le prisme d’une réflexion phénoménologique du rapport au réel jusqu’à entrevoir un sous-bassement ontologique. Comment pressentir la face apprésentable de toute chose et en particulier la figure qui nous intéresse : la figure humaine ? « Le mouvement entre visible et invisible, présenté et apprésenté, en une confusion esthétiquement réglée, n’est-il pas celui de l’apparaître3 » ?

Quelle est la place de la figure humaine dans l’œuvre de Gerhard Richter ?

1 4 Glasscheiben, 1967.

2 « Tu ne crois quand même pas qu’une démonstration bornée à propos de la couche picturale, de la rhétorique de la peinture et de ses éléments serait en mesure de dire quelque chose, d’exprimer une nostalgie, un désir quelconque ? », déclare Gerhard Richter en réponse à B. H. D. Buchloh, in volume II du catalogue raisonné Gerhard Richter 1962-1993, Stuttgart, Ed. Cantz, 1997, p. 101.

Ill. 52. Onkel Rudi, Huile sur toile, 87x 50 cm, (CR. 85)

Ill. 53. Frau mit schirm, 1964, Huile sur toile, 160 x 95cm, (CR. 29)

Ill. 54. Sekretärin, 1963, Huile sur toile, 150 x 100 cm, (CR. 14)

Ill. 56. Brigid Polk, 1971, Huile sur toile, 100 x 125 cm, (CR. 309)

Ill. 57. Frauenkopf im Profil, 1966, Huile sur toile, 35 x 30 cm, (CR. 80-11) Ill. 55. 48 portraits, 1972, Huile sur toile, 70 x 55 cm chacun, (CR. 324a)

F

IGURES DU PORTRAIT

Des sujets iconographiques les plus divers convoqués par l’artiste pour ses Fotobilder, la figure humaine est appelée et rappelée de manière sensible. Figure privilégiée dès l’apparition de la photographie, le portrait, sous toutes ses formes, hante l’œuvre de Richter. Nous pensons bien sûr à Betty, Ema, à Unkel Rudi [Ill.52], aux 48 portraits [Ill.55], ou encore aux Familie. Ses toiles les plus célèbres traitent avec la figure humaine. Parmi plusieurs centaines d’œuvres, ce sont celles-ci qui nous touchent, qui nous retiennent alors même que chaque figure représentée en peinture se défile sous la mince pellicule d’huile effilée, tel un verre plus ou moins dépoli dont le rôle serait de rendre diffuse et inconsistante leur lisibilité. Les figures humaines, les visages, le visage de l’autre et le sien tout autant, traversent l’ensemble de son œuvre ; depuis ses premières entreprises photo-picturales avec des portraits d’anonymes rencontrés au hasard dans des journaux ou des albums de photos jusqu’à aujourd’hui avec des portraits plus intimes. La figure du portrait semble l’obséder et le peintre ne cesse d’y revenir malgré de longues périodes abstraites ou figuratives préoccupé par d’autres sujets comme le paysage. Cette figure ou genre iconographique, nous la retrouvons sensiblement au début mais aussi à la fin de son parcours pictural inventorié, comme pour l’embrasser. Elle ne cesse de refaire surface. Une exposition thématique, « Gerhard Richter. Portraits », lui a été consacrée dernièrement à la National Portrait Gallery de Londres1.

Les situations à travers lesquelles surgissent les figures sont multiples. Centrale au début de ses recherches esthétiques dans les années soixante, la figure humaine célèbre ou inconnue est d’abord tirée de faits divers dans les journaux et magazines, seule ou en groupe, la plupart du temps saisie dans une action ou une posture déterminées. Rapidement, l’artiste puise à la source, dans des collections qui recèlent de portraits photographiés : l’album de photographies de famille. Le sien, mais pas seulement. Le peintre collectionne les photographies de famille, dont il tirera de nombreuses peintures. Très vite, Richter joue aussi le jeu du peintre de portraits, c’est-à-dire de portraits de commande à partir d’images qu’on lui propose, provenant peut-être des albums photographiques des commanditaires. La

figure de ses proches, famille, amis, collectionneurs, galeristes, occupe une place privilégiée et constitue la majeure partie des portraits peints. Ema, 1966, est une œuvre pivot à partir de laquelle l’artiste glisse vers l’abstraction, mais il inaugure aussi avec cette toile, l’exploitation de ses propres prises de vue. A la suite, la quasi-totalité des portraits personnels seront réalisés à partir de ses photographies, sans compter les portraits d’amis telle la série Brigid Polk, 1971 [Ill.56] exécutée à partir de polaroids pris par Richter ou encore Gilbert und Georges, 1975. Il est intéressant de distinguer les portraits singuliers ou portraits de groupes dont les titres très élusifs, tels Frau mit Schirm (Femme au parapluie ), 1964 [Ill.53], Frauenkoppf im profil, 1966 [Ill.57], Sekretarärin, 1964 [Ill.54], Familie am meer, 1964 [Ill.64],

Familie im schnee, Mutter und Tochter, 1965 [Ill.47], Mann mit zwei kindern, 1965 [Ill.65] ou encore Acht Lernschwestern (Huit élèves-infirmières), 1966

[Ill.66], Lesende, 1994 [Ill.113-114], ne permettent pas l’identification d’une personne anonymée et renvoient à des portraits de société ou des situations familiales impersonnelles. La plupart des portraits singuliers néanmoins, thème privilégié à partir de 1964, sont titrés du nom du modèle photographié avant transfert pictural.

Une galerie de portraits se distingue, il s’agit des 48 portraits [Ill.55], réalisés en 1972 pour le pavillon allemand de la Biennale de Venise, alors présentés alignés. Cette frise irregardable, que l’on ne peut englober de par sa multiplicité, est composée de portraits en buste, peints en noir et blanc et à peine "floutés", dont les regards semblaient converger vers un tableau central1, nous amène à nous interroger sur la raison d’un tel rassemblement de personnalités. Pour cette série de quarante-huit portraits, Gerhard Richter a en effet reproduit les visages de figures culturelles masculines des XIXème et XXème siècles. Quelques historiens de l’art se sont heurtés à l’énigme de ce rassemblement. Aucun n’a su déterminer une réelle logique au regard de cette réunion de portraits peints d’après des illustrations photographiques d’encyclopédies. L’artiste quant à lui, déclare les avoir choisies en dépit de toute orientation. Nous y reviendrons.

Un autre ensemble se détache parmi les Fotobilder, il s’agit du célèbre cycle 18 Oktober 1977, peint en 1988, il marque une césure dans une période picturale abstraite et de figuration de paysages. Cette suite de quinze tableaux très estompés dans les tonalités de gris renvoie à un événement

historique, daté, politique, relayé par les journaux dans lesquels Richter a prélevé ses photographies points de départ. Ce cycle donc, évoque la mort équivoque des membres de la “bande Baader-Meinhof ”, la Fraction de l’Armée Rouge dans la prison de Stammheim le 18 octobre 1977. Nous pouvons distinguer d’autres séries à l’intérieur de cet ensemble, les trois Tote (Morte) [Ill.58-60], trois fois un gros plan picturalement embué, d’une tête de femme à l’horizontale et Gegenüberstellung (Confrontation ), 1988 [ Ill.61-63], composée de trois peintures qui, à la manière de photogrammes d’un film, semblent se suivre : une jeune femme en buste paraît s’approcher, nous sourire, puis décliner. Ce cycle a été très étudié par les théoriciens, nous pouvons répertorier cinq études monographiques sur ce sujet de "peinture d’histoire". Aussi, y reviendrons-nous modérément.

Les entrées pour appréhender la représentation de la figure humaine chez Richter sont multiples. La National Portrait Gallery proposait pour la première fois en 2009 un accrochage exclusivement recentré sur ce genre iconographique à travers cinq regroupements thématiques : The most perfect