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Les philosophes professionnels, ou la critique de la pensée déshumanisée

Le personnage du philosophe est un point d'entrée dans la critique que fait Shakespeare des formes traditionnelles du savoir, parce qu'elle lui permet de confronter de manière concrète le théâtre et la philosophie, en raison de l'usage critique que Shakespeare fait du terme dans sa signification originelle. À la Renaissance, le terme de « philosophe » peut faire référence à une grande variété de situations et de personnes, que ce soient des érudits se réclamant d'une doctrine philosophique, de pères de l’Église, ou de savants de différentes disciplines1. On ne trouve pas directement de critiques de

doctrines philosophiques en tant que telles dans le texte de Shakespeare. Les cibles de celui-ci sont plus concrètes, et susceptibles d'être mises en scène : ce sont des postures plus que des théories, des figures plus que des concepts, des erreurs plus que des principes méthodologiques, qui font l'objet des situations dramatiques qu'il met en place. La pertinence de positions théoriques est pensée à l'épreuve de leur mise en pratique lors de l'action présentée sur scène. C'est donc en fonction de la possibilité de jouer une idée, de lui donner un contenu pratique, que la critique de cette idée est d'abord envisagée. Même lorsque Shakespeare interroge des doctrines philosophiques précises (le stoïcisme, le cynisme), il le fait par le biais des errances de leurs représentants. La présence indiscutable dans les textes de Shakespeare de références, même rapides, à des doctrines philosophiques, montre la familiarité du dramaturge avec les problèmes que traitent les philosophes.

On pourrait donc s'attendre à ce qu'ils soient eux-mêmes présents dans ses textes, comme figures du savoir. Pourtant, c'est loin d'être le cas : on retrouve des philosophes dans seulement cinq pièces de Shakespeare, mais dans tous les cas il s'agit de personnages clairement identifiés, et dont l'identité en tant que personnage est entre

autres définie par cette caractéristique d'aspirant à la sagesse. Hamlet a étudié la philosophie à Wittenberg, l'université de Mélanchton, et son ami Horatio se revendique

du stoïcisme1. Brutus et Caton sont dans Jules César des représentants de l'école

stoïcienne, Apémantus des cyniques. Dans ces deux pièces, le terme renvoie à l'appartenance à une école historique. Il peut également renvoyer à la possession d'une certaine sagesse, et d'une lucidité qui permet à un personnage de saisir la vérité d'une situation ou d'un personnage. Il désigne alors non pas l'exercice d'une discipline, éventuellement professionnelle, mais un tempérament. Corin est qualifié dans Comme il

vous plaira de « natural philosopher » que l'on peut traduire soit par « qui s'intéresse à la

nature » soit par « demeuré2 ». Dans cette pièce qui oppose très clairement deux lieux, la

cour et la forêt, mais aussi deux mondes, celui de la civilisation et celui de la simplicité sylvestre, cette appellation permet de faire la distinction entre un savoir sophistiqué, raffiné, mais peut-être coupé des réalités de la vie, et un bon sens un peu rustre mais plein de sagesse. Le terme de « philosophe » renvoie enfin à un rôle que peut endosser un personnage : Edgar dans King Lear est qualifié par un Lear à moitié délirant de « philosopher » / « philosophe3 ». Nous allons voir que cette dernière caractéristique

unifie les différentes emplois shakespeariens : être philosophe est, avant tout, l'objet d'un jeu dramatique qui conditionne le rapport à la sagesse que les différents personnages peuvent entretenir. Se dessine alors une opposition entre deux types de pensée et d'individualité, le philosophe et le personnage, et il s'agit d'expliquer pourquoi Shakespeare semble donner la préférence au personnage.

1

W. Shakespeare, Hamlet, I, 2, 113, in Tragédies, I, op. cit., p. 884-885.

2 W. Shakespeare, Comme il vous plaira, in Comédies, II, op. cit., p. 586-587. 3 W. Shakespeare, Le Roi Lear, III, 4, 129, in Tragédies, II, op. cit., p. 490-491.

Jules César : le philosophe « constant as the Northern

Star

1

» ?

Le premier philosophe clairement affilié à une école philosophique que l'on rencontre dans le corpus shakespearien est Brutus, personnage stoïcien de Jules César. Dans cette pièce de 1599, Brutus et César se présentent comme des figures de l'impartialité. Cette prétention met en avant d'une part l'opposition philosophique fallacieuse entre la raison et les passions, d'autre part l'erreur de rôle qui consiste à agir d'après les dehors du philosophe plutôt que de vraiment chercher la sagesse. Sous ces deux aspects, on peut voir dans la pièce une critique de la philosophie, ou du moins de la posture, stoïcienne2. De fait, la pièce s'en prend en particulier à l'opposition pouvant

exister entre la raison et la passion : Shakespeare y prête aux deux personnages que sont Brutus et César l'idée que les passions gênent dans l'appréhension de la vérité, parce qu'elles représentent un filtre qui modifie notre façon de penser, et plus particulièrement notre façon de juger. Impossible de bien penser sans être impartial : le rapport à la vérité se trouve ainsi réduit à un jugement, qui doit, en outre, être fait de manière complètement impersonnelle, comme si l'on était pas un individu soumis à des passions. Derrière cette opposition, se dessine ainsi une conception de la vérité critiquée dans la pièce : l'idée vraie, pour être universelle, devrait être le produit d'une pure logique désincarnée. Nous allons voir que cette définition se trouve mise à mal dans la pièce par les errements de Brutus et de sa caricature, César. Chez l'un comme chez l'autre, la croyance en une adhésion au vrai totalement dégagée de problématiques mondaines et passionnelles

1

W. Shakespeare, Jules César, III, 1, 60-62, in Tragédies, I, op. cit., p. 764-767.

2 Sur l'influence du stoïcisme chez Shakespeare, voir Gilles Monsarrat, « Le stoïcisme dans Julius

Caesar, ou les préjugés de la critique », in Études Anglaises, 27 (1974), p. 1-6, Sylvain Roux,

« Présence de la philosophie ancienne dans l’œuvre de Shakespeare ? Le cas du stoïcisme » in Drouet, Pascale et Grosos, Philippe (dir.), Shakespeare au risque de la philosophie, Hermann, Paris, 2017, p. 11-33 et Geoffrey Miles, Shakespeare and the Constant Romans, Oxford, Clarendon Press, 1996. S'il est indéniable qu'on trouve dans les textes shakespeariens une certaine sympathie pour l'école en question, nous cherchons ici à faire apparaître plutôt des lignes de fracture pour révéler la spécificité dramatique de la pensée shakespearienne.

correspond non seulement à une erreur, mais encore à une passion qui s'ignore, et qui va porter ici plus spécifiquement sur l'orgueil lié à la mise en scène de sa propre rationalité.

Personnage central à la pièce, Brutus prend part à la conjuration contre César, puis à la guerre contre Marc-Antoine au nom de la République. Ces deux combats le placent dans la position d'un homme politique qui choisit de systématiquement suivre ce que lui dicte sa raison plutôt que ses passions : il s'agit là d'une première caractérisation du philosophe chez Shakespeare, que l'on trouvait déjà notamment dans Peines d'Amour

Perdues1. Dans Le Sublime du Lieu Commun, F. Goyet montre que la pièce peut être lue,

en première analyse tout au moins, au prisme de l'opposition entre une rhétorique du pathétique propre à l'homme politique cicéronien d'une part et le stoïcisme endurci,

purement rationnel, d'autre part2. De fait, Marc-Antoine, l'ennemi de Brutus, se repose sur

la manipulation des sentiments, du movere, afin d'assurer son ascendant sur la foule3.

Ainsi, dans les discours que donnent Brutus et Antoine après le meurtre du dictateur, si le stoïcien s'attache à donner ses raisons, à rester sobre dans l'expression de son amour pour

son ami comme de son attachement pour la liberté républicaine4, Antoine, lui, s'appuie

sur des images bien précises, sur des tableaux dont le pathos n'échappe à personne et

retourne complètement le peuple5. Alors que Brutus commence son discours en

demandant à l'auditoire le silence (« Soyez patients jusqu'à la fin6 »), Antoine laisse

l'émotion et la colère du peuple gonfler entre deux interventions, afin de pouvoir encore davantage l'échauffer par de nouvelles paroles. L'opposition semble donc être très claire : nous avons d'une part la philosophie stoïcienne, qui en s'opposant à la force des passions refuse la manipulation et recherche les décisions justes, en accord avec la vérité des faits, de l'autre le pathos rhétorique qui, en s'appuyant sur la force des émotions et des images

1 W. Shakespeare, Peines d'Amour Perdues, in Comédies, I, op. cit. p. 486-495.

2 François Goyet, Le Sublime du Lieu Commun, Paris, Honoré Champion éditeur, 1993, p. 429-434. 3 F. Goyet attribue aussi cette manipulation à César, notamment dans la scène où il refuse la couronne

qu'on lui tend (W. Shakespeare, Jules César, I, 2, 221-276, op. cit., p. 722-725). Cette analyse ne porte que sur la manière dont César utilise les sentiments, et se laisse affecter par eux.

4 Ibid., III, 2, 12-29, p. 778-779. 5

César est présenté ramenant des prisonniers à Rome, pleurant pour les pauvres, refusant dramatiquement la couronne (ibid., III, 2, 82-89, p. 782-783), et Antoine ménage son suspens avant de délivrer le contenu du testament de César, qui lègue au peuple nombre de ses biens, raconte avec force détails le souvenir d'une campagne où il n'était par ailleurs pas présent, afin de pouvoir s'étendre sur les détails de l'assassinat lors duquel il était également absent (ibid., III, 2, 158-186, p. 786-787).

frappantes, fait fi de la réalité et manipule les cœurs et les esprits. A.D. Nuttall présente également Brutus comme un stoïcien qui cherche à n'exercer que sa raison en écartant

autant que possible, par un acte de volonté parfois artificiel, ses sentiments1. À l'inverse,

si Marc-Antoine sait si bien manier la rhétorique et jouer des émotions de son auditoire, c'est parce que lui-même les ressent pleinement et n'essaie pas de s'en distancier : « Antoine ressent ses émotions et ensuite en joue, les contrôle, modère leur force en

fonction du besoin2 ».

De fait, le parallèle avec César permet à Shakespeare, par un procédé de

caricature3, de mettre en avant le caractère inhumain du refus des passions au nom de la

raison, et de mettre ainsi en cause la prétendue fracture entre le philosophe et l'humanité. César, à deux reprises, prétend ne pas être accessible au jeu des passions, et ainsi être inébranlable. À l'acte II, scène 2, il feint de ne pas être sensible à tous les présages qui le

mettent en garde contre les Ides de Mars4. Plus loin, juste avant sa mort à l'acte III, scène

1, il refuse de gracier le frère de Metellus Cimber qui le supplie à genoux5. Son

1 Anthony D. Nuttall, A New Mimesis : Shakespeare and the Representation of Reality, New Haven and

London, Yale University Press, 1983, p. 111-112.

2

Ibid., « Antony feels his emotion and then rides them, controls them, moderating their force as need arise », p. 110, nous traduisons. Il est vrai que le but de Marc Antoine n'est précisément pas de

rechercher ou d'exposer la vérité.

3

On retrouve là le procédé mis en œuvre dans Peines d'Amour Perdues entre Ferdinand et Armado : Shakespeare présente dans un premier temps une figure qui paraît raisonnable, avant d'en faire apparaître les défauts de manière exagérée, par le caractère artificiel de la caricature. La ressemblance entre Brutus et César est souvent souligné, notamment par Joseph L. Simmons, Shakespeare's Pagan

World, Charlottesville, University Press of Virginia, 1973, p. 107 : « Les traits mêmes de César qui ont

conduit Brutus à le tuer – la tentative de se séparer de l'humanité, la présomption, la malfaisance potentielle – sont en Brutus ».

4 Il refuse à quatre reprises de rester chez lui, alors que Calpurnia dit avoir rêvé de son assassinat, lui

rapporte les étranges présages qui ont eu lieu partout dans Rome, et que les augures auxquels il a demandé un sacrifice le mettent également en garde. Il prétend alors ne pas craindre le danger, mais bien plutôt être plus dangereux encore que le danger. W. Shakespeare, Jules César, op. cit., II, 2, 2-3, p. 752-753 ; 14-26, p. 752-753 ; 30, p. 754-755 ; 38-40, p. 754-755 ; 44-45, p. 754-755.

5

Ibid., III, 1, 38-39, p. 764-765. César refuse d'écouter sa requête, parce que céder à des prières en

modifiant des décrets serait mettre en danger les loi. Lui ne risque pas de commettre un tel crime, puisque seule la raison a emprise sur lui : « César ne fait du tort qu'avec juste raison, / Et sans bonne raison on ne le convainc pas » / « Know that Cesar doth not wrong but with just cause, / Nor without

cause will he be satisfied », ibid., III, 1, 48-49, p. 764-765. Surtout, il se situe au dessus des « hommes

ordinaires » / « Ordinary men », ibid., III, 1, 37, p. 764-765, qui pourraient se laisser émouvoir. Lui est « […] aussi constant que l'étoile polaire / Dont l'immuable et permanente qualité / Ne se connaît aucune égale au firmament » / « […] Constant as the Northern Star / Of whose fixed and resting quality / There

impartialité est donc prétendument fondée sur deux caractéristiques : César serait pleinement rationnel et d'une détermination supérieure au commun des mortels.

On peut opposer dans un premier temps à cette prétention que César est hypocrite, ou méconnaît sa propre nature : F. Goyet relève ainsi la facilité avec laquelle César est en réalité persuadé par Calpurnia, puis par Décius, à l'acte II, scène 1, et ce non à l'aide de la raison, mais en flattant sa peur, sa compassion ou son ego1. Mais surtout, on peut

reprocher à César de vouloir, en prétendant être au-dessus des hommes, s'en excepter. C'est là le sens de l'image de l'étoile polaire qu'il prend plaisir à développer :

Le ciel est emmailé d'étincelles sans nombre, Qui sont toutes de feu, et dont chacune brille, Mais il n'y en a qu'une à conserver sa place.

De même dans ce monde : il est tout peuplé d'hommes, Faits de chair et de sang, et doués de raison ;

Et pourtant dans ce nombre je n'en connais qu'un seul Qui résiste aux assauts et garde son rang

Sans obéir aux mouvements2.

César se croit incomparable aux autres hommes, parce que contrairement à eux il est complètement inaccessible. De même que l'étoile polaire seule demeure toujours à sa place, de même lui ne peut être assailli par les passions des autres. Lorsqu'il refuse de changer le décret qu'il a lui-même établi, il ne le fait pas tant pour sauvegarder les lois que pour montrer qu'il ne peut être ému. César se prend alors lui-même comme norme de son propre raisonnement : c'est une identité exacte à lui-même qu'il recherche, plutôt qu'un jugement réellement juste. Mais son personnage lui-même se trouve réduit à la façade impersonnelle qu'il présente sur scène, conçue par négation des sentiments

1 F. Goyet, op. cit., p. 431-432. 2

« The skies are painted with unnumbered sparks ; / They are all fire, and every one doth shine ; / But

there's but one in all doth hold his place. / So in the world : 'tis furnished well with men, / And men are flesh and blood, and apprehensive ; / Yet in the number I do know but one / That unassailable holds on his rank, / Unshaked of motion », inW. Shakespeare, Jules César, op. cit., III, 1, 63-70, p. 766-767.

couramment éprouvés. César finit par devenir la figure d'une erreur, dans la mesure où il est impossible de séparer radicalement les fonctions de réflexion et de compassion. Cette impossibilité apparaît dans l'épreuve du rôle : celui que joue César est un non-rôle, une tentative d'effacement de soi comme personne au profit du personnage, qui n'est ni tenable ni souhaitable, puisqu'il finit par apparaître non pas comme juste mais cruel.

Revenons-en à Brutus, chez lequel cette fracture s'applique de manière plus significative au rôle du philosophe, puisqu'elle l'empêche en outre même de penser justement. Cela apparaît notamment dans le processus de décision lors duquel Brutus se

demande s'il doit prendre part à la conjuration contre César ou non1, sachant que César

est son ami et qu'il essaie pourtant de raisonner en ne tenant pas compte de cette amitié. Il semble que pour Brutus, la pensée vraie est la pensée universelle, celle qui peut être développée par tout homme et qui surtout correspond à la réalité que l'on cherche à comprendre, plutôt qu'à la perception qu'on en a. Sa tentative de séparer la vraie nature de César de la façon dont il lui apparaît sous le spectre de leur amitié renvoie à la tentative stoïcienne d'atteindre pour chaque chose la représentation vraie ou phantasia kataleptikê, caractérisée par le fait qu'elle « provient de ce qui est » et se distingue alors du fantasma ou fantastikon, qui est directement produit par l'âme. Cette représentation ou compréhension est « celle qui est imprimée, marquée, figurée à partir d'un objet réel,

exactement tel qu'il est2 », c'est-à-dire qu'elle doit être conforme à l'objet compris, par

opposition à la production de l'esprit que serait une simple hallucination. Dans les deux cas, il s'agit de séparer ce qui relève du jugement réel de l'objet, et ce qui est produit par mon esprit et qui peut conduire à modifier ce jugement. Or la passion peut précisément être la cause d'une telle distorsion du jugement. L'anticipation (en tant qu'elle est guidée par la crainte et non par une calcul de prévision), la jalousie, la colère, sont autant de dispositions non rationnelles, ou du moins non conformes à un usage rationnel de mon esprit, et qui peuvent induire en erreur. Penser de façon juste c'est donc penser de façon rationnelle, conformément à la raison seule. Pour penser justement, il faudrait ainsi se référer à ce qu'il y a d'universel en nous, que Cicéron propose de concevoir d'après la

1 W. Shakespeare, Jules César, op. cit., II, 1, 10-34, p. 734-737.

métaphore du rôle : dans Des Devoirs, il décrit la vie comme déterminée par quatre rôles : le premier, qui nous définit comme êtres raisonnables, est universel, le second est spécialement donné à chaque individu et correspond à leur nature particulière ; le troisième est attribué par le hasard et les circonstances ; et enfin le dernier est celui dont nous décidons nous-même. Le premier rôle permet de souligner que la raison est en l'homme la présence d'une universalité. Si je veux penser justement, il faudrait donc me départir des caractéristiques individuelles qui, si elles rentrent en jeu dans les autres rôles mentionnés dans ce texte de Cicéron, ne semblent pas être compatibles avec l'exercice

d'une pensée parfaitement rationnelle1.

Le désir d'impartialité est déjà présent dans la première scène du personnage, à l'acte I, scène 2, lorsqu'il confesse redouter que César ne devienne roi, et souhaiter qu'il en fût autrement « quoiqu'[il] l'aime bien2 », et laisse entendre que ce conflit d'idées

pourrait engendrer une guerre avec lui-même3. De fait, Brutus insiste à plusieurs reprises

sur le fait que sa décision ne peut être prise que dans le silence des passions : pris à parti par Cassius, il lui dit être prêt à entendre les conséquences futures de son action, qu'elles

soient la mort ou l'honneur, « indifferently4 ». Le terme, qui peut être traduit à la fois par

« impartialement » et par « avec indifférence » indique que l'impartialité revient, pour Brutus, à une absence de sentiments, ou du moins à une telle maîtrise de leur expression qu'on peut les croire absents, de sorte que le mobile psychologique attaché à l'une ou l'autre option ne rentre pas dans le processus de décision. Au risque, comme Brutus le vit dans cette scène, de finir par souffrir d'un défaut de décision. Être impartial, c'est aussi ne