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Les personnages extra-diégétiques, figures extérieures du savoir

Dans le document Le théâtre de la vérité chez Shakespeare (Page 107-136)

Le discours extra-diégétique, c'est-à-dire le discours assumé par un narrateur qui ne participe pas comme acteur ou personnage à la fiction, et qui est chargé d'annoncer ou de commenter l'action se déroulant sur scène, correspond au premier abord au type de regard qui est porté par le philosophe de Pythagore. Celui-ci, avons-nous dit, est extérieur à l'action dramatique tout en étant inclus dans la structure métaphorique. Ainsi, il incarne la limite entre les deux mondes, celui du réel et celui de la représentation, et possède la possibilité de comprendre la vérité qui lui est présentée. Toutefois, ce type de discours est, chez Shakespeare, la plupart du temps assumé par un narrateur. Celui-ci se retrouve ainsi dans une position d'observation, certes, mais également d'action : il figure dans le registre des personnages et fait partie de la troupe des acteurs. Son identité est cependant ambiguë, parce qu'il n'est qu'un quasi-personnage, le plus souvent anonyme et pas vraiment individualisé. Ainsi, dans Roméo et Juliette, Henri V, Troïlus et Cresside et

Henri VIII, ce discours est énoncé dans des prologues (et un épilogue pour Henri VIII),

appelés « Chœur » pour Roméo et Juliette et Henri V1, et « Prologue » pour Troïlus et

Cresside et Henri VIII2. Dans Le Conte d'Hiver le chœur est représenté par un personnage

allégorique, le Temps3, qui intervient au milieu de la pièce pour indiquer le passage de

seize années. Dans Périclès en revanche, c'est un personnage, Gower4, qui a en charge ce

1 W. Shakespeare, Roméo et Juliette, « Personnages », traduction de Victor Bourgy, in Tragédies, I, op.

cit., p. 526-527 et Henri V, « Personnages », traduction de Jean-Claude Sallé, in Histoires, I, op. cit, p.

770-771.

2 W. Shakespeare, Troïlus et Cresside, « Personnages », traduction de Pierre Spriet et Gilles Monsarat, in

Tragicomédies, I, Paris, Laffont, 2002, p. 79, et Henri VIII, « Personnages », trad. Pierre Spriet, in Histoires II, op. cit., p. 832-833.

3 W. Shakespeare, Le Conte d'Hiver, « Personnages » et IV, 1, traduction de Louis Lecocq, in

discours tout au long de la pièce, et ses paroles redoublent souvent une autre forme de

discours extra-diégétique, les pantomimes annonçant l'action à venir1.

Dans le théâtre élisabéthain, les différents discours extra-diégétiques commentent l'action avant qu'elle ne se déroule, ou pendant son déroulement, et renferment la connaissance de ce qui va se passer dans la pièce. En ce sens, ils participent à sa

compréhension : sous forme de chœur mais pas seulement2, ils sont souvent présents au

début afin d'annoncer la leçon à tirer de la pièce, à la fin pour la résumer, ou pendant la pièce pour assurer les transitions entre les différentes scènes, en particulier lorsqu'un changement temporel ou spatial important doit être pris en compte. On voit cependant que ce type de discours n'a pas seulement pour fonction de rendre intelligible l'action observée par les narrateurs, comme pourrait le faire un philosophe : la fonction de ces différents discours est également dramatique, ce qui laisse à penser qu'ils occupent un

statut particulier dans l'économie des pièces shakespeariennes3.

On retrouve dans les passages extra-diégétiques des textes de Shakespeare les deux fonctions que nous venons d'énoncer : les chœurs ou autres formes de prologue et

4

W. Shakespeare, Périclès, « Personnages », traduction de Léone Teyssandier, in Tragicomédies, II, op.

cit., p. 57. Périclès est désigné comme étant « the Presenter », « le Présentateur », et intervient à huit

reprises dans la pièce : lors du prologue, p. 58-61, puis aux actes II, 0 (scène 5), p. 82-85, III, 0 (scène 10), p.114-119, IV, 0 (scène 15), p. 132-135, IV, 4 (scène 18), p. 150-153, V, 0 (scène 20) p. 164-165, V, 2 (scène 22), p. 180-183 et dans l'épilogue, p. 186-187. Il faut toutefois noter que l'attribution de cette pièce à Shakespeare est sujette à caution : il est probable qu'elle ait été écrite en collaboration avec un autre auteur, George Wilkins, qui aurait eu à sa charge les neuf premières scènes. Voir à ce sujet l'introduction de Léone Teyssandier in W. Shakespeare Tragicomédies, II, op. cit., p. 43.

1 Dans Shakespeare. Les puissances du théâtre, L. Van Eynde décrit les sorcières de Macbeth comme

profitant du même point de vue extérieur à la pièce, personnages sans vraiment en être. Nous ne les retenons pas ici en dépit de leurs similarités avec le discours extra-diégétique dont nous parlons, d'une part parce qu'elles restent des personnages d'un genre différent, mais surtout parce que, d'autre part, comme il le fait remarquer, leur position leur permet d’orchestrer la pièce : en d'autres termes, elles restent actrices de cette pièce, même si leur action est dénuée de prise de risque et même d'ailleurs sans conséquences pour elles. Il faut noter par ailleurs que, même si elles sont d'un « autre monde » ou « hors champ », elles ne sont pas amondaines pour autant : l'une d'elle se plaint d'avoir été lésée par la femme d'un marin. Ce déboire montre qu'elles sont de vrais personnages, participant elles aussi à une certaine forme de drame, même si ce n'est pas celui de Macbeth. Voir Laurent Van Eynde, Shakespeare. Les

puissances du théâtre, Paris, Kimé, 2005, p. 207-214 et W. Shakespeare Macbeth, I, 3, traduction de Jean- Claude Sallé, in Tragédies, II, op. cit., p. 610-611.

2 C'est le cas par exemple dans Gorboduc de Th. Norton et Th. Sackville, dans le texte duquel figure à

chaque fois la signification de la pantomime, et la façon dont il s'applique à la pièce.

3 Voir par exemple l'aspect spectaculaire de la quatrième pantomime de Gorboduc, ibid., p. 34, ainsi que

de commentaire tirent des leçons des pièces (en particulier dans Périclès et Henri VIII) et participent à la narration, en l'anticipant (dans Roméo et Juliette par exemple) ou en la complétant (dans Troïlus et Cresside, Périclès et Le Conte d'Hiver). Une troisième fonction se dégage en outre : tout est fait lors de ces passages pour distancier le narrateur de ces discours de l'action à venir ou en cours, et insister sur le statut de représentation de celle-ci. Ainsi, l'anticipation de Roméo et Juliette a pour résultat de situer cette pièce dans le registre de la fatalité, en insistant sur le fait que les deux héros étaient des amoureux condamnés : « Or deux enfants, issus des deux maisons tragiques / S'entr'aimaient d'un

amour contrarié par le sort1 », et en faisant référence à l'acte de représentation qui va se

jouer : « [Ceci va] pendant deux heures, occuper nos acteurs2 ». Dans Henri V en

particulier, le chœur insiste sur le fait que l'action sur scène, pour être conforme à ce qui s'est vraiment passé, n'est qu'une représentation, nécessairement limitée par les moyens

du théâtre3. Cette dimension apologétique est également présente dans Périclès4 et dans

Le Conte d'Hiver5. Le Prologue de Troïlus et Cresside insiste également sur le défi

qu'engendre la représentation, puisqu'il il n'accorde pas sa confiance à « l'auteur et à sa plume » pour faire vivre le drame, mais vient lui-même armé6. Dans Henri VIII, on

retrouve le rapport à la réalité historique qui se trouvait déjà dans Henri V. Le prologue insiste sur la vérité de ce que qui est présenté dans la pièce comme le sous-titre « Tout est

1

« From forth the fatal loins of these two foes / A pair of star-crossed lovers take their life », in W. Shakespeare, Roméo et Juliette, op. cit., Prologue, v. 5-6, p. 528-529.

2 « [This] is now the two-hours' traffic of our stage », ibid., v. 12, p. 528-529

3 W. Shakespeare, Henri V, Prologue, 8-11, : « […] But pardon, gentles all, / The flat unraisèd spirit that

hath dared / On this unworthy scaffold to bring forth / So great an object » / « Mais pardonnez, nobles

amis, aux esprits plats et rampants / Qui osent vous montrer sur ces tréteaux indignes / Un aussi grand objet », in Histoires, I, op. cit. p. 772-773.

4

Voir par exemple IV, 0 (scène 15), 45-50 : « […] Th'unobron event / I do commend to your content /

Only I carry wingèd Time / Post on the lame feet of my rhyme / Which never should I so convey / Unless your thoughts went on my way » / « […] L'action à venir / Je la soumets à votre bon plaisir. / Moi, je ne

puis que faire aller le Temps / Ailé, sur mes vers boiteux, rondement ; / Et je n'y saurais jamais parvenir, / Si vos pensées refusaient de venir. », W. Shakespeare, Périclès, in Tragicomédies, II, op. cit., p. 134- 135.

5

Voir IV, 1, 4-9 : « […] Impute it not a crime / To me or my swift passage that I slide / O'er sixteen years

and leave the growth untried / Of that wide gap, since it is in my power / To overthrow law, and in one self-born hour / To plant and o'erwhelm custom » / « […] N'incriminez ni moi / Ni la rapidité de mon

vol si je passe / Par-dessus seize années sans explorer l'espace / De ce vaste intervalle, car je peux renverser / Les lois, et dans une même heure, implanter / Et ruiner les coutumes », W. Shakespeare, Le

vrai » l'indique1. Dans ces deux pièces historiques, la question de la vérité à observer est

complexifiée par le fait que les spectateurs connaissaient, au moins dans les grandes lignes, l'action jouée. Il ne s'agissait donc pas pour eux d'apprendre ce qui s'était passé, mais peut-être comment cela s'était passé, du point de vue du dramaturge, c'est-à-dire en tenant compte aussi des péripéties et des affects individuels. Les prologues d'Henri V et

Henri VIII insistent en fait surtout sur l'aspect grandiose des actions, qui ne peuvent pas

être représentées telles quelles dans Henri V, et qui font l'intérêt de la pièce dans Henri

VIII.

Les narrateurs extra-diégétiques sont chez Shakespeare dans une position de savoir, mais pas seulement : leur intervention permet également de définir la position qu'ils occupent, de montrer leur investissement dans la représentation. Alors que le narrateur extra-diégétique pourrait être extérieur à l'action représentée sur scène, il prend soin chez Shakespeare de signaler la représentation pour s'y inclure, et de mesurer son savoir à l'aune de l'action dramatique. Ni le spectateur ni le prologue ne se trouvent dans la position du philosophe qui observe pour juger, parce que tout d'abord ce qu'il a sous les yeux n'est pas la réalité, mais sa retranscription selon les moyens et les exigences du théâtre, et ensuite parce que l'observateur que concrétise le prologue participe lui-même au spectacle : dans plusieurs des passages cités, le chœur se désigne comme faisant partie

de la troupe, et donc comme prenant part à la représentation2. Il se pourrait donc que,

paradoxalement, l'on ait à perdre, plus qu'à gagner en intelligibilité, à chercher à prendre

6 W. Shakespeare, Troïlus et Cresside, Prologue, 22-25, in Tragicomédies, I, op. cit., p. 80-81.« […] And

hither am I come, / A Prologue armed – but not in confidence / Of author's pen or actor's voice, but suited / In like conditions as our argument... » / « […] Et me voici venu, / Prologue tout armé – mais

sans faire confiance / À l'auteur et sa plume, à l'acteur et sa voix, - Mais vêtu de manière qui convient au sujet... ». Il nous semble qu'il faut ici suivre la proposition que Graham Bradshaw fait dans

Shakespeare's scepticism, Brighton, The Harvester Press, 1987, p. 127, et lire ce passage de manière

ironique. Le Prologue tout armé sur scène prête de fait plutôt à rire dans le contexte de la pièce, et c'est donc de façon paradoxale qu'il permet d'insister sur la puissance du texte théâtral, qui n'avait nul besoin de son aide. On trouve déjà le même procédé, ainsi qu'on le verra plus tard, chez les artisans du Songe

d'une nuit d'été.

1

« All is true » , W. Shakespeare, Henri VIII, page de titre, in Histoires, II, op. cit., p. 834-835.

2 Le chœur de Roméo et Juliette et le prologue de Henri V s'incluent dans la troupe des acteurs par

l'emploi du « nous », Rosalinde en personne se charge de l'épilogue de Comme il vous plaira, Périclès désigne la pièce comme « [s]on poème » / « my rhymes » (scène 1, 12, op. cit. p. 59), Prospéro à la fin de la Tempête se confond avec un acteur qui demande les applaudissements du public, et les prologue et épilogue d'Henri VIII parlent à la première personne en présentant la pièce comme de leur fait.

du recul par rapport à ce qui est en train de se passer. Si la position du philosophe peut être comprise par une métaphore théâtrale, ce ne peut donc pas être comme celle d'un observateur extérieur : le spectateur d'ailleurs lui-même est toujours en position de jouer, de participer à l'action. Commenter, juger, c'est déjà au théâtre être dans la représentation et donc se rendre capable d'une mise en rôle. L'idée même que les personnages extra- diégétiques soient porteurs de sagesse porte déjà un coup à la représentation du philosophe comme spectateur du monde, au-dessus de la mêlée. Ce point de vue extérieur n'est qu'une fiction impossible à atteindre, une posture erronée proprement philosophique. Le désir d'extra-mondanité est ainsi immédiatement réfuté par le fait que les commentateurs extra-diégétiques sont des personnages, même s'ils sont moins engagés dans l'action que les autres. La pensée est ainsi toujours déjà engagée dans le monde et structurée par lui.

Mais cette participation à l'action de qui prétendait seulement la regarder n'aboutit-elle pas du coup aussi à une dénégation du savoir ? La comparaison entre le prologue de Roméo et Juliette et sa fin, faite par L. Van Eynde, permet d'émettre ce doute. Ce dernier note en effet que le prologue promet non seulement la mort de Roméo et Juliette, mais aussi la réconciliation de leurs deux familles :

C'est l'effroyable cours de leur amour fatal

Qui va, pendant deux heures, occuper nos acteurs, Et l'assaut prolongé des haines parentales

Dont leur double mort, seule, apaisa la fureur1.

L. Van Eynde note cependant que la paix promise est présentée comme extrêmement douteuse par le prince, dont les paroles closent la pièce, et qu'elle est de manière générale sujette à caution : « Comment croire que l'amour mort pourra vaincre la discorde qui l'a

emporté ? Le Prince, en tout cas, n'y croit pas. Nous non plus. Le chœur s'est trompé2 ». Il

convient de s'étonner de cette conclusion : comment le chœur, qui connaît l'histoire,

1

« The fearful passage of their death-marked love / And the continuance of their parent's rage, / Which

but their children's end, naught could remove - / Is now the two-hours' traffic of our stage », W.

pourrait-il se tromper ? Pourquoi ne pas lui faire confiance, en dépit des apparences ? Pourquoi la conclusion du prince semble t-elle avoir plus de poids sur notre croyance ? Précisément, parce que le prince est un personnage, qu'il parle d'expérience, après les événements. Mais la distinction entre après et avant ne devrait pas avoir de signification pour le Chœur extérieur à la pièce. Deux solutions sont possibles : soit le Chœur est un personnage comme un autre, qui n'échappe ni au cadre temporel de la pièce ni au risque de l'erreur (mais comment dans ce cas-là pourrait-il prévoir certaines choses, comme la mort de Roméo et Juliette, mais pas d'autres ?), soit la perspective est en réalité renversée : le savoir n'appartient pas en propre au Chœur extérieur à la pièce, mais au personnage. C'est celui qui investit la pièce, qui vit dans son monde, qui est le plus à même de savoir ce dont il retourne. Évidemment, cette posture du savoir se trouve de ce fait limitée : dire que c'est le personnage, et non le narrateur, qui possède le savoir, cela revient à dire que le savoir absolu n'existe pas, qu'il n'y a aucune position qui soit à la fois omnisciente et exempte d'erreur. Le chœur n'est pas un personnage comme les autres, et son savoir demeure donc d'une nature spécifique. Cependant, il reste un certain type de personnage, et son savoir demeure donc incomplet.

Cette idée est confirmée par l'étrange dualité générique du Prologue de Troïlus et

Cresside. Dans Shakespeare's scepticism, G. Bradshaw souligne en effet comment ce

discours, qui adopte au départ tous les codes du récit épique et grandiloquent, quitte soudain ce mode de discours pour basculer dans le ridicule, puis laisser les spectateurs

face à l'arbitraire des valeurs d'honneur et de loyauté exposées dans la pièce1. Pour le

critique, ce contraste a pour but de montrer au lecteur combien est instable le terrain des valeurs sur lequel les héros prétendent s'appuyer. La pièce permettrait de souligner l'impossibilité d'assigner de telles valeurs, et de susciter au contraire la suspension du jugement devant les contradictions internes à la pièce. Le Prologue souligne lui-même le

2 L. Van Eynde, op. cit., p. 110. Le prince conclut ainsi la pièce : « A glooming peace this morning with it

brings. » / « Sombre est la paix qu'apporte cette matinée », W. Shakespeare, Roméo et Juliette, V, 3,

304, in Tragédies, I, op. cit., p. 678-679. On peut comprendre là que le bonheur de la paix retrouvée est obscurci par la douleur de la perte des amoureux, mais on doit bien convenir qu'une paix ainsi décrite ne paraît ni très naturelle, ni très viable.

1

G. Bradshaw, Shakespeare's scepticism, op. cit., p. 127. Le Prologue laisse le spectateur libre de décider de la valeur de la pièce qu'il voit, mais plus généralement aussi de la « fortune des armes » / « chance of

fait que les spectateurs sont libres de penser ce qu'ils veulent des actions représentées, mais cette autorisation sonne très étrangement après le lyrisme du début du Prologue : elle conduit à faire porter le ridicule non sur les actions représentées (parce que leur absence de valeur serait soulignée), mais sur le Prologue lui-même, parce qu'il s'autoproclame juge des motifs des personnages, avant de renoncer à cette tâche dans une pirouette fort peu élégante. Ce n'est donc pas le sujet de la pièce (la guerre, et ses prétendues justifications morales) qui fait ici l'objet de la raillerie de Shakespeare, mais bien le positionnement du Prologue par rapport à celui-ci. Il est notable que le point tournant de la réduction de l'héroïque au ridicule que signale le critique est précisément l'autoportrait du Prologue. C'est lui qui force le trait de la représentation, et ce faisant dénonce (sans le vouloir) par avance la façon dont les héros prétendus vont eux-mêmes se caricaturer à chaque fois que l'occasion leur sera donnée de se mettre en scène. Il est vrai qu'aucun personnage de la pièce ne dispose d'un savoir plus certain, ou d'une dignité plus élevée, que le Prologue. Ce dernier excelle cependant en matière de ridicule, et c'est lui le premier à signaler par son caractère outrancier combien il serait faux de croire qu'il suffit d'être extérieur à une histoire pour en comprendre la vérité, et que cette difficulté ne peut pas être contournée non plus par ce tour de passe-passe qui consiste à se déguiser comme les acteurs de la pièce. Le discours vrai requiert une vraie place dans le jeu, qui ne soit ni celle d'un narrateur extérieur, ni celle d'un acteur feint.

Un dernier type de narration en marge du drame nous permet de confirmer ce point : il s'agit des occurrences lors desquelles des personnages de la pièce sont mis en position de spectateurs, notamment dans le cas des pièces imbriquées dans la pièce principale, et qui assument donc pour les personnages, à l'intérieur même de la pièce de théâtre, l'équivalent du discours extra-diégétique à notre égard. Deux notamment sont à retenir : le dernier acte du Songe d'une nuit d'été et la représentation de La Souricière

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