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Le bouffon, figure rivale de la sagesse philosophique ?

Dans le document Le théâtre de la vérité chez Shakespeare (Page 90-107)

Il est significatif que, dans la plupart des pièces dans lesquelles figurent explicitement un philosophe, ou dans lesquelles le terme est employé et discuté, on trouve également un fou ou un bouffon. Il n'en est, il est vrai, aucun dans Jules César. On retrouve cependant un fou dans Timon d'Athènes, le plus souvent associé à Apémantus, un bouffon dans le Roi Lear, et Comme il vous plaira, qui met en scène un bouffon et un mélancolique souhaitant le devenir, révèle la parenté entre les figures du bouffon et du philosophe. L'ombre de Yorick, feu le bouffon du roi, plane également sur Hamlet, en

particulier dans les scènes où le prince joue à l'apprenti philosophe1. On trouve également

dans le texte shakespearien plusieurs fous, qui ne sont cependant pas tous des « bouffons ». Les termes de clown, jester ou fool sont utilisés de façon assez libre dans les textes de l'époque, mais une distinction apparaît assez nettement dans les personnages shakespeariens. Il est des figures de fous qui ne font aucunement preuve de sagesse : il en va ainsi dans les intermèdes comiques qui sont proposés notamment par Lancelot, clown du Marchand de Venise, par Clown de Tout est bien qui finit bien, ou encore par le

clownish servant des Deux Gentilshommes de Vérone2. Falstaff lui-même, dans un

certaine mesure, peut rejoindre ce groupe des fous qui ne sont là que pour amuser la galerie3. On retient en revanche parmi les vrais bouffons, c'est-à-dire les personnages

accompagnant les puissants pour leur dire la vérité tout en les faisant rire, les fools de

Timon d'Athènes et du Roi Lear, Pierre de Touche de Comme il vous plaira (désigné dans

la liste des personnages comme un jester4), Yorick d'Hamlet (également désigné comme

jester5), et Feste de La Nuit des Rois (sous l'appellation de clown6).

1

W. Shakespeare, Hamlet, V, 1, 47-181, op. cit., p. 1024-1031.

2 Le terme de « clown » étant fréquemment traduit par « rustre », par exemple dans la scène d'Hamlet

Le bouffon shakespearien se présente tout d'abord comme rival du philosophe, parce qu'il semble que, derrière sa folie, ou sa drôlerie, apparente, se cache une sagesse réelle. Dans Comme il vous plaira, le rôle de bouffon annoncé est occupé par Pierre de Touche, soit « Touchstone ». Il est désigné comme un jester, c'est-à-dire comme un amuseur des grands plutôt que comme un sage-fol érasmien pourvu de marotte, mais si l’ambiguïté de son appartenance à la seconde catégorie est maintenue à cause de la

réflexion de Rosalinde au premier acte1, il se révèle toutefois plus sage qu'idiot dans la

pièce. Son nom lui-même révèle sa fonction dans la pièce : il renvoie à la pierre de jaspe utilisée par les orfèvres pour déterminer le titre d'un bijou en or ou en argent. Habile discoureur, il permet donc au spectateur de juger de quel bois sont faits les autres personnages. À l'acte I, scène 2, Célia et lui rappellent la fonction traditionnelle et paradoxale des fous, à savoir de « parler sensément de ce que les gens sensés commettent

dans leur folie2 ». À l'acte III, scène 2, il singe ainsi le poème un peu niais laissé par

Orlando sur un arbre, en hommage à Rosalinde3, puis à l'acte V, il dénonce le ridicule des

3 Falstaff est présent dans trois pièces de Shakespeare : les deux parties de Henri IV et les Joyeuses

Commères de Windsor. Dans les Joyeuses Commères, les déboires et tours dont il est victime le

désignent comme un personnage burlesque. Dans Henri IV, il est le compagnon de débauche de Hal, futur Henri V, compagnon dont le prince se débarrasse à la fin de la seconde partie, alors qu'il accède au trône. Il remplit alors la fonction d'amusement du bouffon, bien qu'il n'en ait pas le titre. En revanche, s'il se présente lui-même comme le mentor de Hal, il n'est pas la voix de la vérité à ses côtés, mais bien au contraire lui présente la réalité de façon déformée, conforme à ce qu'il aimerait qu'elle soit. Voir en particulier la scène où il prétend parler comme le ferait Henri IV, dans 1 Henri IV, II, 5, 306-394, traduction de Gilles Monsarrat, in Histoires, I, op. cit., p. 472-477, et l'analyse qu'en fait Guillaume Navaud, in Persona, le théâtre comme métaphore théorique de Socrate à Shakespeare, Genève, Droz, 2011, p. 292-296.

4

W. Shakespeare, Comme il vous plaira, in Comédies, II, op. cit., p. 528-529.

5 W. Shakespeare, Hamlet, in Tragédies, I, op. cit., V, 1, 150, p. 1028-1029. 6

W. Shakespeare, La Nuit des Rois, traduction de Victor Bourgy, in Comédies, II, op. cit., p. 684-685.

1

W. Shakespeare, Comme il vous plaira, op. cit., I, 2, 35, p. 538-539. Rosalinde y désigne Pierre de Touche comme « natural », c'est-à-dire un simple d'esprit. Il est possible qu'elle parle de lui ainsi par antiphrase, ou par moquerie affectueuse, ou pour répondre à Célia qui vient d'annoncer l'entrée de Pierre de Touche en le désignant comme « fool ». Dans l'échange qui suit, les deux jeunes femmes le qualifient tantôt de « fool » (43), tantôt de « natural » (37), ou de « wit » (39) (de façon ironique) et plaisantent sur sa « dullness », ou lenteur d'esprit (38), et se moquent de sa sagesse (48-65), le ton restant aimable.

2

Ibid., I, 2, 61-62, p. 540-541 : « The more pity that fools may not speak wisely what wise men do foolishly », ce à quoi Célia répond : « By my troth, thou sayst true ; for since the little wit that fools have silenced, the little foolery that wise men have makes a great show » / « Tu dis vrai, ma parole ! Car

depuis qu'on a réduit au silence le grain de bon sens qu'ont les fous, le grain de folie qu'ont les sages se donne beaucoup en spectacle ».

usages de la cour devant le duc1. De manière générale, sa volonté pragmatique de se

marier avec Audrey fait contre-point aux histoires d'amour de Célia et de Rosalinde, qu'il ne cache pas trouver un peu mièvres. En outre, tout au long de la pièce, il se fait le porte-

parole de diverses sentences à valeur générale2, ou de paradoxes, comme sa défense du

manque de vertu et du cocufiage3. Surtout, il se livre avec Corin à une contre-façon de

débat philosophique, lui demandant dès l'abord s'il est philosophe, avant de lui dérouler un discours de pseudo-déductions, et de l'inviter lui-même à développer un discours

probant4. Pierre de Touche sert donc de répondant, en étant toujours là où on ne l'attend

pas, en cherchant sans cesse le jugement opposé pour forcer l'autre à se remettre en question ou tout au moins à justifier sa position. Il cherche ainsi à se démarquer des autres hommes, comme le ferait le philosophe, mais pas au nom de l'universalité de sa pensée. C'est au contraire son individualité absolue que Pierre de Touche met en avant, son caractère inimitable, et son refus des normes. En cela, il se distingue également du philosophe, et le détournement des débats philosophiques ne dit pas seulement leur

ridicule et leur dogmatisme, comme on peut déjà le trouver chez Érasme5: on fait dans

ces scènes en plus de cela l'épreuve d'un refus des normes, d'un éclatement des conventions.

Un autre personnage, Jaques, prend exemple sur Pierre de Touche car ce gentilhomme de la suite du roi n'est pas bouffon mais souhaiterait le devenir. Jaques est décrit comme cynique : comprendre, il s'oppose au mode de vie de la cour et de manière générale aux habitudes sociales, fait preuve d'une mélancolie qu'il veut être le produit de sa longue expérience de la débauche et de la sagesse qu'il en a retirée6, critique ses

1

Ibid., V, 4, 35-88, p. 648-651.

2 Voir par exemple ibid., II, 1, 46-47 : « […] as all is mortal in nature, so is all nature in love mortal in

folly » / « […] comme tout est fatal dans la nature, toute nature, quand elle est amoureuse, est

fatalement folle », ou encore III, 3, 40, p. 604-605 : « It is said many a man knows no end of his goods » / « Il est dit : “Plus d'un homme ne connaît pas le bout de ses richessesˮ. ».

3

Ibid., III, 3, 11-47, p. 602-605. Voir aussi son discours fait de contradictions, III, 2, 12-18, p. 584-585,

où l'on voit l'adresse de Pierre de Touche, capable de tout présenter selon le jour qui lui agrée.

4 Ibid., III, 2, 11-70, p. 584-589. 5

Voir Érasme, Éloge de la Folie, op. cit., p. 110-11, où il décrit ainsi le raisonnement des philosophes :

« […] leurs triangles, quadrilatères, cercles, et autres figures mathématiques qui se chevauchent, s'enchevêtrent en une sorte de labyrinthe, avec aussi des lettres rangées en ordre de bataille puis qu'on retrouve combinées entre elles de mille façons ».

prochains1 et prend plaisir aux éclats de Pierre de Touche. Il est fou non dans le sens

humoristique du terme, mais parce qu'il choisit de vivre en prenant le contre-pied de son époque. Ce positionnement est censé lui donner accès à la sagesse.

On retrouve dans ces deux personnages le rôle du bouffon tel qu'il est décrit par Érasme dans l'Éloge de la Folie : le bouffon est sage, parce qu'il est lucide sur le monde qui l'entoure, et qu'il préfère être fou plutôt qu'épouser les mœurs de son temps. Selon le personnage éponyme, on est plus sage quand on est fou. Il y a une forme de sagesse dans la folie, de sorte que les deux finissent par s’entremêler, lorsque la Folie fait remarquer à ses lecteurs que « Pas un d'entre vous [n’est] assez sage... ou plutôt fou... et puis non...

assez sage,— pour être de cet avis2 ». Les bouffons sont chez Érasme comme chez

Shakespeare une figure de la sagesse, en suivant la parenté qu'elle peut avoir avec une certaine forme de folie. Érasme oppose en effet au raffinement outrancier des

ratiocinations savantes le « gros bon sens3 » dont semblent être porteurs, entre autres, les

bouffons. Si le sens commun est tenu pour folie à l'époque d’Érasme, c'est précisément parce que cette époque est folle et ne sait plus distinguer la vraie sagesse de l'érudition

dénuée de sens4. Si on suit le texte d’Érasme, le rôle du bouffon renvoie avant tout à

l'esprit critique dont ces amuseurs sont en mesure de faire preuve. Le bouffon érasmien n'est que bouffon, il n'est défini que par sa place à la cour et par sa position de réfractaire. Or dans Comme il vous plaira, Shakespeare cherche à construire non des archétypes de bouffons, mais des personnages, puisque, comme nous l'avons dit, chacun de ces deux personnages revendique sa propre individualité et a son histoire. On en vient donc à se demander si une telle lucidité est véritablement possible, et en particulier si un homme, aussi sage soit-il, peut réussir à s'oublier totalement derrière cette fonction de sage.

La sagesse de Pierre de Touche tout d'abord n'est pas sans ambiguïté. Le personnage est trop impliqué dans l'histoire pour faire montre du recul nécessaire au

1 Ibid., II, 6, 42-53, p. 572-573. 2

Érasme, Éloge de la folie, op. cit., p.32.

3 Ibid., p. 46.

4 De fait, chez Érasme, si le fou est sage derrière une apparence de folie, le philosophe est inversement au

rang de ceux qui sont fous sous une apparence de sagesse. Non seulement ils inventent des formes extraordinaires en fait et lieu de savoir réel, mais la raison, mal utilisée chez eux, se retourne en fait contre elle-même et se perd dans ses propres détours. Voir ibid., p. 110-112.

bouffon révélateur des vérités non dites. Il courtise Audrey, et on suit leurs péripéties jusqu'à leur engagement final, narration au cours de laquelle il nous apparaît comme un

homme véritable, qui se plaint de la fatigue1, fait preuve de mesquinerie2, se conduit

finalement comme le commun des mortels. Surtout, on se rend compte que sa maîtrise de la logique et de la rhétorique, dont on a certes dit qu'elle pouvait signaler une sagesse presque philosophique, se révèle être pour lui un instrument de pouvoir par la raillerie, plutôt que de vérité : il en fait usage à l'encontre de Guillaume, et lorsque son discours finit en menaces, on constate qu'il utilise son talent pour déformer la vérité et ainsi asseoir un rapport de force. Guillaume, auquel Audrey est originellement promise, se retrouve

relégué au rang de rustre, et leurs rôles sont inversés3. Pierre de Touche possède l'habileté

verbale, il est sans doute malin et met au jour la naïveté romanesque et ridicule des amoureux, mais on ne peut pas vraiment dire de lui qu'il fait preuve de sagesse. La victoire, dans la joute verbale qui l'oppose à Corin, en revient plutôt à ce dernier qui refuse le combat : on voit alors le mordant rhétorique de Pierre de Touche s'émousser

contre le solide et simple bon sens du berger4.

Jaques non plus ne remplit pas vraiment les chausses du fol-sage philosophe. Ce personnage, pourtant encensé par la période romantique, ne fait pas tant preuve de sagesse que d'auto-complaisance. Il souhaite qu'on le considère comme fou – c'est-à-dire comme sage, et pouvoir bénéficier de la licence du bouffon5. Il se réclame ainsi

explicitement du lieu commun érasmien. Toutefois, en aucune occasion il ne brille véritablement par sa sagesse. Sa déclaration initiale semble plus être une volonté de

s'octroyer un rôle qui flatte son ego que d'endosser le difficile rôle de l'homme honnête6 ;

sa déclaration sur les âges de la vie est immédiatement suivie d'un personnage qui lui

1

W. Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 4, 1-13, in Comédies, II, op. cit., p. 564-566.

2 Dans son opposition à Guillaume notamment, rustre auquel est promise Audrey et qu'il domine par sa

maîtrise de la langue et surtout par sa position sociale (ibid., V, 1, p. 636-637).

3

Ibid., V, 1. Voir notamment l'utilisation que fait Pierre de Touche de la désignation, en frôlant le

renversement d'apparences : « For all your writers do consent that ipse is he. Now you are not ipse, for

I am he », 36-37, p. 636-637.

4

Ibid., III, 2, 60-63, p. 588-589.

5 Ibid., II, 7, 12-87, p. 574-579. 6 Ibid., II, 7, 44-61, p. 576-577.

donne tort1 ; face à Orlando, qu'il essaie vaguement de guider, il se révèle être plus

misanthrope que conseiller, et surtout il ne parvient pas à prendre la main comme sait si bien le faire Pierre de Touche2 ; il se fait franchement renvoyer dans les cordes par

Rosalinde3 ; et se contredit au moins à deux reprises, dans son éloge du mariage

conventionnel auprès de Pierre de Touche4, et dans son offrande en grande pompe du cerf

abattu au duc5.

Si Jaques essaie de devenir un fol-sage en prenant exemple sur Pierre de Touche, soit ce dernier n'est pas un bon modèle (Jaques serait alors une figure dégénérative du bouffon, visant à montrer ce qui lui manque de sagesse), soit il échoue grandement et montre par l'écart entre les deux hommes la différence entre un vrai bouffon et un homme de mauvaise humeur. Dans un cas comme dans l'autre, on voit que la sagesse du bouffon ne saurait être réduite à une simple aisance dans la joute oratoire, et une propension à prendre le contre-pied de ce que semblent penser les autres. Dire que le fou peut faire preuve de folie suppose que celui-ci soit capable de voir la vérité sur les gens, mais surtout qu'il soit en mesure d'adopter le rôle adéquat pour la dire. De fait, Érasme insiste sur l'importance du rapport à soi dans la franchise qui est le propre du bouffon. Ces derniers sont en effet recherchés par les princes pour leur sincérité. « Créditez aussi les fous d'une qualité supplémentaire : seuls, ils sont francs et véridiques. Or, quoi de plus

louable que la vérité ?6 ». Au contraire, dit-il plus bas, les sages « ont deux langues » : la

question de la vérité se trouve ainsi déplacée du problème de sa découverte à celui de l’honnêteté, les bouffons étant seuls francs car seuls ils ne peuvent pas faire preuve de duplicité. Ils disent ainsi tout ce qui leur passe par la tête, et parmi ces choses se trouve le vrai. La vraie sagesse, donc, équivaut à l'honnêteté, de même qu'il faut être fou (aux deux sens du terme) pour être franc avec les rois par lesquels, la Folie en convient, « la vérité

n’est pas bien vue7». À l'inverse du fou, le sage est duplice car il dit tantôt ce qui est

1 Ibid., II, 7, 166, p. 582-583. Orlando entre alors en scène, portant Adam, le vénérable honorable dont la

leçon de Jaques nie la possibilité.

2 Ibid., III, 2, 215-249, p. 596-597. 3 Ibid., IV, 1, 1-27, p. 616-619. 4 Ibid., III, 3, 62-66, p. 606-607. 5 Ibid., IV, 2, p. 626-627. 6 Ibid., p. 74. 7 Ibid., p. 75.

véridique, tantôt ce qui est « adapté aux circonstances1». L’imprudence du bouffon est au

contraire aussi le signe d’un accès direct à son intériorité2, alors que le sage semble être

partagé en deux, lui qui s’efforce de « séparer soigneusement la pensée enfouie dans leur

cœur et la pensée travestie qui s'exprime dans leur propos3 ». La distinction apparaît en

certaines occasions de la même façon chez Shakespeare : alors que le bouffon de Lear ne sait pas mentir et s'en désole, Apémantus et Brutus s'efforcent, nous l'avons vu, de jouer la comédie, même s'ils voudraient l'oublier.

Le cas de Pierre de Touche et de Jaques indique cependant que Shakespeare nuance l'opposition d’Érasme, en prenant en compte deux formes de duplicité aux conséquences fort différentes. Érasme n'envisage cette attitude que comme un mensonge conscient, autrement dit comme hypocrisie ou fraude. À l'inverse, la simplicité et l'absence de retour de soi est censée selon l'humaniste être le gage de l'honnêteté. Pour être honnête, il faudrait donc être sans cesse identique à soi-même, ne pas chercher à se contrefaire, être transparent aux yeux du monde. Mais les philosophes et les bouffons shakespeariens dénoncent cette illusion de la simplicité : au contraire, les personnages qui refusent de jouer un rôle, qui voient le recul sur ses propres actions comme une forme de mensonge, sont précisément ceux qui se retrouvent tôt ou tard pris au piège d'une artificialité cachée. Brutus, Apémantus, Pierre de Touche, Jaques : tous quatre refusent de voir qu'ils jouent nécessairement un rôle, et s'en retrouvent ainsi prisonniers jusqu'à la caricature.

Dans La Nuit des Rois, écrite un an après Comme il vous plaira, le clown ou jester qu'est Feste possède un rôle plus ambivalent. Son rôle dans l'histoire le rapproche nettement du bouffon érasmien, en particulier en ce que, comme les fous dont parle l'humaniste, sa franchise est rendue possible par une licence politique. C'est un trait sur lequel insiste la Folie dans son Éloge : si le fou peut dire la vérité au prince, c’est

1 Ibid., p. 75.

2 Cette absence de précaution est pensée par Érasme sur le mode d’un rapport à soi : ce que dit le bouffon

est « tout ce qu’il a sur le cœur », et cela se reflète immédiatement sur « son visage » et dans son discours, op. cit., p. 75.

principalement parce qu’on le laisse faire. Le bouffon amuse le roi, c'est pourquoi il peut lui dire la vérité. Humour et franchise sont très clairement liés par la Folie :

Et pourtant, avec mes fous, il se produit un phénomène étonnant : ils se font écouter avec plaisir

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