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Philippe Tourtelier. Votre expérience montre la persistance de freins structurels à l’innovation et des problèmes organisationnels

Quelles innovations pour la société de demain ?

M. Philippe Tourtelier. Votre expérience montre la persistance de freins structurels à l’innovation et des problèmes organisationnels

M. Jean-Michel Dalle, directeur d’Agoranov. Je souscris aux propos des deux orateurs précédents.

Agoranov est un incubateur créé en 2000, dans le contexte de la loi Allègre. Il s’apprête à s’installer sur 2 000 mètres carrés situés sur le boulevard Raspail, après avoir apporté un appui à 150 entreprises – lesquelles ont levé au total plus de 150 millions d’euros auprès de fonds privés et d’investisseurs institutionnels – et contribué à la création de 1 200 emplois. Ce programme

d’incubation a donc porté ses fruits. Parmi les entreprises qu’il a soutenues figurent deux fleurons. Le premier, Aldebaran robotics, est une entreprise spécialisée dans les robots humanoïdes qui regroupe une centaine de salariés. Le deuxième, Criteo, dont l’effectif atteint 300 personnes, pratique la recommandation sur Internet à partir d’algorithmes élaborés selon la théorie des graphes. Bien qu’elle soit toujours contrôlée par ses fondateurs et les fonds qui les ont rejoints, cette dernière entreprise est située moitié à Paris, moitié à Palo Alto.

Les 100 prochains ingénieurs qu’elle s’apprête à recruter travailleront cependant dans les locaux parisiens.

Agoranov exerce donc ses activités depuis dix ans, mais les problématiques d’innovation sont des problématiques de long terme : on ne change pas la culture de l’innovation d’un pays en quelques années. Cela étant, je trouve remarquable ce qui a été réalisé au cours de la dernière décennie. Avant de rejoindre Agoranov, j’avais déjà participé à la fondation d’un autre programme d’incubation, et je me souviens d’interlocuteurs, à la fin des années 1990, qui me disaient que l’on ne verrait pas plus de deux start-up se créer chaque année.

Depuis, l’histoire a jugé, et nous avons franchi une marche importante, même si nous ne sommes pas au bout du chemin. Les alternances politiques ont tendance à rendre les choses compliquées, et il est donc heureux qu’un consensus soit apparu sur cette question, contribuant à la continuité de la politique de l’innovation depuis une quinzaine d’années. Des initiatives intéressantes ont d’ailleurs été prises sous la gauche comme sous la droite.

Je regrette cependant le rabotage du statut de jeune entreprise innovante – JEI –, signal très négatif envoyé en direction des entrepreneurs.

Le ministre Éric Besson, qui vient de s’exprimer sur le sujet, semble toutefois désireux de revenir sur cette décision incompréhensible.

Le statut de JEI a une grande valeur symbolique, et les symboles comptent beaucoup lorsqu’une évolution culturelle est en jeu. Si Claude Allègre a eu le courage de faire adopter une loi sur l’innovation – ce qui est une forme d’oxymore –, c’était aussi pour frapper les esprits. Les jeunes entreprises innovantes ont sans doute coûté beaucoup plus cher que Bercy ne l’avait anticipé, mais, au final, elles ne représentent pas grand-chose dans le budget de l’État, et le statut a eu l’immense mérite de convaincre le ministère du budget de l’existence de nombreux chefs d’entreprise innovante dans le pays.

J’en viens aux aspects sectoriels. Certains secteurs comme les biotechnologies, les nanotechnologies ou la dépendance sont évidemment d’une importance majeure. Mais au risque de mécontenter les organisateurs de cette table ronde, je constate, dans ce pays, un certain tropisme à décider d’où viendront les innovations destinées à nous sauver. Cette tendance à choisir des technologies clés est très naïve, parce que les innovations les plus importantes ne sont pas forcément là où on les attend. Cela explique les réactions courroucées lorsque j’ai commencé à parler d’Aldebaran robotics – des petits robots, cela ne fait pas sérieux –, ou cette réflexion d’un des grands capital-risqueurs de la place de Paris,

qui m’assurait qu’il n’existerait plus jamais d’industrie en France dans le domaine de l’imagerie et de l’instrumentation médicales.

Nos élites technocratiques sont d’une naïveté absolue en matière d’économie de l’innovation. Selon leur logique, la supériorité technologique permet systématiquement de l’emporter, et il est toujours possible de prévoir la direction qu’il faut prendre. Or de telles idées sont très éloignées non seulement de la réalité telle que je peux l’observer, mais aussi de la théorie de l’économie de l’innovation telle qu’elle est élaborée depuis une vingtaine d’années dans de nombreux endroits. Une mise à jour urgente s’impose donc.

Les politiques en faveur de la création d’entreprises innovantes sont tout de même un grand succès, y compris sur le plan qualitatif. Mais la question de savoir comment y associer les Français n’a toujours pas été résolue. Je regrette personnellement qu’une partie au moins du grand emprunt – celle qui concerne justement l’investissement dans les entreprises innovantes – n’ait pas été ouverte à l’épargne des citoyens. Une telle initiative aurait pourtant permis de réorienter l’effort d’épargne vers le long terme.

Depuis une ou deux décennies, nous restons face à la même équation : l’épargne est abondante, mais elle reste à court terme et ne s’investit plus dans l’innovation. Cette question mérite que le monde politique s’en empare, quitte à recourir à l’outil fiscal. Ne pas l’avoir fait explique sans doute largement l’étroitesse du marché du capital-risque et sa difficulté à se développer. Le moment est pourtant critique, à l’heure où les entreprises innovantes ont besoin de croître et où la législation de Bâle III et de Solvency II a un impact majeur sur les allocations d’actifs dans le secteur du capital-risque.

La structure de l’économie française incite à placer son argent dans des projets non risqués. Or cette façon d’allouer son épargne contribue de facto à entretenir chez nos concitoyens une certaine culture d’aversion au risque. C’est pourquoi je plaide pour que ces thèmes ne soient pas oubliés lors des prochaines échéances électorales. Quelle que soit leur importance, nous ne pouvons pas, en effet, nous contenter des évolutions législatives et institutionnelles déjà acquises.

M. Christophe Fornès, président de la commission « recherche et innovation » de Croissance plus. Croissance plus est une association regroupant 350 entreprises ayant vocation à croître, et qui ont créé, au cours des cinq dernières années, environ 50 000 emplois. Toutes ne font cependant pas de l’innovation, en tout cas pas nécessairement de l’innovation technologique. Car on peut innover autrement, par le process, l’organisation ou le marketing.

Ainsi, bien que l’Iphone d’Apple ne soit pas vraiment une innovation technologique, on ne peut nier que cet appareil a révolutionné le monde du téléphone et permis de relancer une entreprise qui, auparavant, n’était pas en si bonne forme.

La commission que je copréside se bat pour que les entreprises fassent plus d’innovations. Nous émettons des propositions très concrètes pour les y aider, lors de leur démarrage puis au cours de leur développement. De ce point de vue, je suis entièrement d’accord avec les propos tenus par les orateurs précédents.

Cependant, un point important n’a pas été abordé : vis-à-vis des entreprises, notamment des petites entreprises, il est essentiel que la législation soit la plus stable possible. On a cité le cas des JEI : le fait qu’elles aient été confrontées en très peu de temps à un changement de règles au point de voir leur vie même remise en cause pose un vrai souci. Certes, le nombre d’entreprises concernées ne dépasse probablement pas 2 500, mais c’est sans doute parmi elles que se trouvent les pépites de demain. Dès lors, il faut se garder de prendre des mesures hâtives à leur égard. La même exigence de stabilité doit d’ailleurs s’appliquer au crédit d’impôt recherche ou au système d’aide aux entreprises.

Une autre de nos préoccupations est de favoriser le rapprochement entre le monde de la recherche et celui des entreprises. Il est vrai que de vrais progrès ont été réalisés en ce domaine, mais nous pouvons aller plus loin. Nous avons ainsi émis l’idée de mettre en place un « volontariat de recherche en entreprise » sur le modèle du VIE, le volontariat international en entreprise. L’idée est d’attirer des universitaires dans les PME afin d’améliorer les performances en matière de recherche tout en permettant aux jeunes docteurs de trouver plus facilement un premier emploi.

De même, nous réfléchissons aux moyens de faciliter l’accès aux aides des toutes petites entreprises. Même si Oséo a déjà fait beaucoup pour les PME, notamment en simplifiant ses procédures, il serait probablement nécessaire d’augmenter les subventions proposées aux plus petites structures, afin d’augmenter leurs fonds propres et de leur faciliter l’accès aux financements privés. Le système d’avance remboursable est, lui, plus complexe, non seulement pour l’entreprise elle-même, mais aussi pour Oséo, qui est obligé de suivre les dossiers sur une longue durée.

L’objectif de notre association n’est certes pas de demander toujours plus au Gouvernement. Mais il serait sans doute possible de travailler à budget constant en remplaçant les aides destinées aux grandes entreprises – qui n’ont pas les mêmes besoins de financement – par un produit d’assurance risque, actuellement inexistant chez Oséo. Les nouvelles ressources ainsi générées pourraient être consacrées à un renforcement de l’aide aux toutes petites entreprises.

Sur un plan plus général, je confirme que notre pays connaît un vrai problème d’adhésion au risque, au point que l’on n’a pas vraiment le droit à l’erreur. Cette mentalité s’acquiert dès la petite enfance, ce qui explique pourquoi elle est tellement ancrée. Je cite toujours l’exemple du système de notation à l’école : alors que chez nous, on enlève des points pour chaque faute, dans d’autres pays, on attribue des points quand le résultat est juste. Au final, cela

revient au même, mais la philosophie est complètement différente : dans un cas, on punit l’erreur, dans l’autre, on encourage la réussite.

De même, un entrepreneur n’a pas vraiment le droit de se tromper en France. Le créateur des cafés Starbucks a connu sept dépôts de bilan avant de connaître la réussite ; un entrepreneur français pourrait-il se le permettre ? En tant que dirigeant d’une petite société d’édition de logiciels, je constate que, par peur de l’échec, les grands comptes sont réticents à signer avec une toute petite entreprise. On acceptera de conclure un contrat avec Capgemini ou Steria – pas avec Memobox. Pour remporter un marché, je suis donc obligé de me faire porter par quelqu’un d’autre. Une telle mentalité ne favorise pas l’innovation.

M. Philippe Tourtelier. En tant qu’ancien enseignant, je suis particulièrement sensible à votre dernière remarque. Nous devons travailler aux deux bouts de la chaîne : à court terme sur les problèmes organisationnels, à plus long terme sur les évolutions culturelles. Un travail de fond reste à effectuer sur l’éducation au risque, afin de conjurer la peur de l’échec. Je propose que nous passions aux questions.

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