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CHAPITRE 3 : DEPLOIEMENT D’ERP, DIFFUSION D’UNE INNOVATION

3.5 Tension entre la problématique d’intégration et adaptation locale de l’ERP

3.5.3 Phase d’interprétation

L’interprétation étend le niveau organisationnel à la SBU et au niveau du groupe mais ne s’étend pas au niveau individuel. Lors de cette phase une équipe projet est nommée. [Mourlon, 2008] note que les projets ERP « mobilisent des compétences très variées et nécessitent le recours à des équipes nombreuses et polyvalentes. Les ERP sont des produits standards à paramétrer afin de les adapter aux besoins de l’entreprise. Il faut donc parfaitement connaître à la fois les possibilités du progiciel et l’organisation de l’entreprise pour le faire de la façon la plus adéquate possible. Or ce type d’outil est trop complexe pour qu’une seule et unique personne puisse appréhender tous les détails de tous les modules. Certains en ont une vision d’ensemble, d’autres sont uniquement spécialistes d’un ou de deux modules fonctionnels. Les équipes projets doivent donc comprendre bien des hommes ». L’équipe projet lors de la phase interprétation a pour mission de comprendre les processus de l’organisation, rendue possible par l’utilisation de mots et/ou d’action, d’une idée aux autres individus. [Crossan et al. 1999]Le développement du langage, principalement par le biais d’un processus interactif de conversation, est un processus fondamental d’interprétation qui permet aux individus de développer une vision commune. Le caractère équivoque est réduit par l’interprétation en « partageant des observations et des discussions jusqu’à ce qu’émerge une grammaire commune et des éléments de mesure » [Daft et Weick, 1984]Cette constituante de la communication est abordée par [Amoako-Gyampah et al. 2003] recourant à un modèle d’acceptation de la technologie auprèsde 571 employés travaillant au sein d’un grand groupe du secteur de la santé conclut que la communication et la formation162 ont un impact positif sur les croyances partagées. Selon l’auteur, la « communication permet de

144 capter, de fournir, et de créer un langage parmi les composantes de l’organisation, à l’origine de croyances partagées. »163

. [Habernas, 1987] souligne que la communication soulève la question de la confiance. Une communication efficace conduira au développement de la confiance et d’échanges d’informations, nécessaires au processus de changement et d’acceptation de l’ERP. La communication est primordiale lors de cette phase car elle permet au groupe ayant la responsabilité d’utiliser si nécessaire de l’influence afin de rendre le discours crédible. L’influence utilisée au travers des rapports sociaux est étudiée dans la littérature. [Back, 1951] ; [Ng et Bradac, 1993]

Ainsi, la phase d’interprétation marque une véritable rupture dans les qualités étendues d’un chef de projet. [Sleiman et al. 2001] décrivent que « le profil idéal du chef de projet ERP devrait par conséquent démontrer des habiletés et des compétences lui permettant de gérer et diriger dans un univers de transformation organisationnelle ». Selon l’auteur, le chef de projet possède à la fois le rôle de mentor, permettant de souder mes équipes, et de facilitateur/ Lors de la phase d’interprétation, l’équipe projet pourra recourir à la réorganisation des processus (Business Process Reenginering), permettant de modifier les us et coutumes hérités des anciens systèmes si elle perçoit que les attentes de l’ERP, et les processus de l’organisation divergent164

. [Soh et Sia, 2004] souligne qu’un mode de résolution de ces divergences est la négociation et l’échange qui permet d’expliquer aux employés l’impact de leurs demandes. De fait, les employés pourront donner leur avis sur le formalisme des données de sorties, percevant dans cette démarche une forme de flexibilité.

Le processus d’interprétation marque une fracture avec le déploiement des précédents projets SI. Par le passé les entreprises développaient des outils propriétaires dont les objectifs étaient de coller au processus de l’entreprise, l’ERP invite à mener une démarche inversée. Le déploiement de l’ERP doit ainsi être réfléchi en menant concomitamment une remise en question profonde des processus de l’entreprise. Cette action, caractérisée par les acronymes BPR est parfois dénommée Business Process Change et permet d’adresser les problématiques décrites par [Briffaut, 2001] soulignant qu’il « est dangereux de croire qu’une solution informatique, aussi évoluées que soient les techniques utilisées, puisse s'appliquer sans tenir

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[Grant et al. 2003] ajoute que la mise en place d’un système basé sur une approche par processus, les départements situés de manière éclatée et isolée sont encouragés à se rapprocher afin qu’ils puissent gérer efficacement les processus.

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Les travaux de [Newman et Zhao, 2008] permettent d’avoir une vision représentative de la pluralité des situations auxquelles sont confrontées les équipes projet.

145 compte des structures organisationnelles et des procédures de fonctionnement de l'entreprise, ainsi que des pratiques managériales reconnues. Aussi est–il essentiel de comprendre le modèle sous–jacent au développement d'un logiciel et d'analyser comment il peut être mis en œuvre en tenant compte de la situation existante. »

Ainsi cette analyse des écarts entre organisations actuelles et organisations cibles165 définira l’ampleur du BPR à mettre en place. [Lee et al.2003] souligne que le BPR constitue l’étape préliminaire d’un déploiement d’ERP. La plupart des entreprise doivent d’abord repenser leur processus afin d’adopter les processus nécessaires au bon fonctionnement de l’ERP. De telles refontes sont bénéfiques pour les entreprises nécessitant de restructurer leur processus ou souhaitant se passer d’un système d’information. Ce point est complexe et constitue la clé de voute du succès de l’implémentation. [Olson et al.2005]166

décrivent le BPR comme étant le processus d’alignement des connaissances de l’entreprise avec les fondements de la technologie ERP. Cette phase nécessite donc que les processus soient standardisés au sein de l’entreprise et que des procédures ordonnées soient mises en application. Le travail d’adhésion sociotechnique est décrit par [Newman et Zhu, 2007] qui schématisent un modèle basé sur l’alignement des processus.

[Motwani et al. 2002] ajoute que le BPR est une initiative organisationnelle visant à concevoir les processus métiers permettant d’obtenir des améliorations significatives en terme de performances (par exemple la qualité, la rapidité de la réponse, les coûts …) à travers des modifications des relations managériales, des technologies de l’information, de la structure organisationnelle et des individus. Ainsi l’examen du BPR doit pouvoir appréhender les conditions environnementales pour le changement et l’habilité de l’organisation à manager le changement dans ces conditions. [Jones et Price, 2004] notent qu’une leçon qui a été apprise des études empiriques est que lorsque les firmes débutent l’implémentation de l’ERP, elles devraient identifier les facilitateurs organisationnels et les obstacles aux partages de la connaissance, et chercher des moyens de surmonter de façon proactive ces obstacles.

Comme le souligne [Champy, 1995], « le travail résultant du reenginering, requiert en général moins d’employés et beaucoup moins de managers. Les managers résistent, empêchant ainsi les efforts du reenginering, […]. Mais si le redesign, aussi brillant soit-il,

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[Soh et al. 2000] utilise le concept de « fossé de la connaissance » pour caractériser ce travail nécessitant une mise en mouvement des trois participants du projet, i.e les utilisateurs clés, le département SI et le fournisseur qui possèdent chacun des connaissances spécifiques concernant les prérequis du projet.

166L’auteur dresse un état de l’art des différentes problématiques rencontrées lors de la réorganisation ainsi que

146 n’obtient pas de résultats, c’est à cause des idées ou de l’idéologie du management. En effet, une partie du top management est soit non alignée derrière le changement, soit effrayée de perdre son pouvoir ». Ainsi, la phase d’interprétation a pour nécessité de mettre en place un climat organisationnel propice aux transferts de connaissances et au BPR. [Bernard et al. 2004] note que « le climat organisationnel semble aussi jouer un rôle déterminant : une organisation où les rôles sont mal définis, où il y a des conflits et où les différents services ne sont pas habitués de collaborer présente une probabilité plus forte d’un dénouement insatisfaisant qu’une organisation où ces éléments sont absents. De même, comme l’implantation de l’ERP concerne généralement plusieurs services et qu’elle modifie tant leur mode de fonctionnement individuel que leur mode de collaboration entre eux, la structure même de l’organisation (centralisation, spécialisation, dispersion) peut influencer les probabilités d’occurrence d’un résultat indésirable. ».

[Lee et al. 2003] note que les entreprises ne souhaitant pas suivre ce Reingeniering préliminaire ou n’ayant pas réussi à le mettre en place, l’implémentation de l’ERP dans ces conditions demeurera impossible167

. A ce sujet, [Hammer et Champy, 1993] estimait que 70% des projets de réorganisation des processus se solderait sur un échec. De façon récurrente, les entreprises qui disposaient d’une équipe projet solidaire disposant de connaissance aussi bien technique qu’organisationnelle ont indiqué qu’ils avaient été en mesure de configurer le système avec succès.

3.5.3.1 Processus politique phase interprétation

Dans le cadre de la phase d’interprétation, le recours à la communication et à la croyance vise à fédérer, à rassembler autour du projet un engouement positif. [Berthou, 2003] souligne la dualité de la croyance, permettant d’induire deux réactions opposées : rassembler ou diaboliser.

La capacité du chef de projet d’être un catalyseur social lors du déploiement de l’ERP est amplement traité dans la littérature. [Sarker et Lee, 2002] soulignent néanmoins l’absence relative de définition du leadership168 associé au concept de catalyseur social et liste des

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[Murphy et al. 2002] ajoute que les échecs publiquement constatés ne sont pas à imputer au fait que l’ERP ne fonctionne pas comme il avait désigné ou que la décroissance des coûts n’atteint pas les objectifs précédemment définis, mais comme l’échec d’un changement organisationnel ou de réorganisation des processus de l’entreprise 168[Hammer et Stanton, 1995] estiment qu’il est impossible de mettre en place une réorganisation des processus sans l’aide d’un leader qualifié.

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définitions: « relation d’influence, persuasion, noyau de tendance, actes d’influence, influence sur l’atteinte des objectifs ».

L’influence, qui affecte les coûts et les bénéfices que les membres de l’organisation associent à la suite de l’interprétation d’une nouvelle idée. L’influence est la forme de pouvoir la plus efficace durant l’interprétation [Lawrence et al. 2005]. Dans le cadre de diffusion d’une nouvelle pratique, [Kostova, 1999] souligne que le rôle de l’équipe coalition est critique car les employés ont la capacité de fournir les ressources nécessaires, d’influencer les employés en général. L’utilisation de l’influence dépend bien souvent de réseaux informels [Krackhardt & Hanson, 1993] et peut inclure un éventail élargi de tactiques, incluant la persuasion morale, la négociation, la flatterie [Kipnis, Schmidt, & Wilkinson, 1980]; [Yukl & Falbe, 1990], goûts et affinités similaires [Cialdini, 2001]169.

Appliqué au déploiement de l’ERP, la potentialité qu’une idée puisse réussir à trouver son chemin à travers le processus d’interprétation sera grandement accrue si le chef de projet et l’équipe qui l’entoure ont la volonté et les compétences, techniques et sociales, de se livrer à des tactiques d’influence. Ces dernières sont nécessaires pour accéder et contrôler les ressources limitées, tels que la connaissance, afin de les faire accepter aux employés qui constituent l’entité. La connaissance nécessaire à l’innovation est répandue au sein de l’organisation et doit être intégrée au sein de l’entreprise au travers de processus de négociation afin de lui donner du sens [Weick, 1990]. L’ERP en tant que logiciel vecteur des « best-practice », une association de connaissances codifiées et complexes doit être configuré et transformé afin d’être compatible au contexte spécifique de l’entreprise [Clark & Staunton, 1989] ; [Newell et al. 2003]. Cela implique la mise en place de nouveaux processus en combinant la connaissance largement codifiée ou explicitée qui forme la base de la technologie ERP, avec la connaissance organisationnelle, tacite, qui réside localement et est intégrée dans les routines dans l’entreprise et les implémenter entre les fonctions de l’organisation. [Lee et Lee, 2000] ; [Newell et al.2000].

Le chef de projet a ainsi la mission complexe de devoir accéder au réseau informel de l’entreprise, d’encadrer cette démarche de manière convaincante, et gérer l’ambiguïté issue des processus. L’utilisation de l’influence reposerait sur la volonté/la bienveillance de

169 Parallèlement à l’influence, l’usage de la force (quoique ne constituant pas le processus de pilotage de la

phase d’interprétation) fait partie inhérente de l’interprétation au travers de réunion d’avancement (steering committee) formel permettant de suivre les progrès. Néanmoins l’influence demeure être l’élément critique au phénomène d’interprétation.

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l’équipe de coalition de partager et transférer les connaissances utiles entre eux d’une part, et d’autre part leur capacité à traduire uniformément une idée nouvelle en action. [Newell et al. 2000] De cette manière, l’apprentissage chez les membres de l’équipe est renforcé, par la culture d’un esprit de camaraderie fort, en regroupant les membres de l’équipe dans un espace commun, géographiquement séparé des autres employés [Robey et al. 2002]

[Sleiman et al. 2001] souligne l’absence de pouvoir formel et le recours à la camaraderie en caractérisant le chef de projet comme un agent de liaison qui utilise sa position pour représenter son équipe et agir comme porte-parole.

Ainsi, [Lawrence et al. 2001] note que l’influence induit l’exercice du pouvoir sur les individus ou des groupes caractérisés comme étant des sujets actifs, qui nécessitent d’être impliqués dans des négociations ou d’être activement exclus de ces décisions. De cette manière l’influence impacte significativement le rythme du processus de l’institutionnalisation. Les agents intéressés dans la diffusion d’une innovation et qui recourent à l’influence devront s’engager dans un processus itératif et souvent expérimental, des séries de processus, où ils développent et implémentent un ensemble de mécanismes adaptés à différents sous-ensembles de la population. La seconde caractéristique de l’influence est son intervention de manière discrète et épisodique dans le processus d’institutionnalisation. L’influence demeurera relativement instable, empêchant une institutionnalisation durable.