Fig. 4. 13 a) Groupe 1-‐Kr : histogramme des profils dont la concentration en Kr diminue ou augmente exclusivement en fonction de la profondeur. b) Groupe 2-‐Kr : histogramme des profils dont la concentration en Kr connait un maximum ou un minimum dans la couche C.
4.3.4. Discussion complémentaire du comportement de la
phase gazeuse sur l’ensemble du site pilote
Les variations du panache gazeux sur l’ensemble du site pilote ne sont pas homogènes, à l’image des comportements différents de chaque profil de sondes (Fig. 4.1 et 4.12).
Les propriétés pétrophysiques de la couche C et de la couche K sont différentes. La couche C est le calcaire à Astéries stampien altéré d’une perméabilité d’environ 2 000 mD et d’une
porosité d’environ 25 %. La couche K est caractérisée par une perméabilité d’environ 500 mD et d’une porosité pouvant atteindre 40 %. Ainsi à l’interface entre les deux couches, il est possible que la dynamique de transport du panache gazeux soit changée. Xu et al. (2005) montrent qu’une augmentation de la perméabilité pourrait conduire à une
dissolution plus rapide du CO2 dans la phase aqueuse. Par ailleurs, un changement dans le
ratio de la perméabilité verticale/horizontale pourrait également induire un nouveau chemin préférentiel ou une diffusion plus horizontale de la phase gazeuse (rupture de la
continuité hydraulique). Ceci expliquerait en outre la diminution ou l’augmentation de CO2
entre les couches K et C lors de simulation de fuite diffuse. De même en croisant ces observations aux résultats TDR, il est possible de mettre en relation la teneur en eau et l’amortissement de la fuite qui est fort entre la couche C et la couche K. En raison des différences de porosité et perméabilité et des évènements pluvieux particulièrement fort en durant l’expérience, un front d’humidité peut être favorisé entre les couches C et K. Ce
front participerait activement au transfert du CO2 gazeux dans la phase aqueuse et a
l’amortissement de la fuite en subsurface.
Dans le cas du profil O, quelque soit l’espèce gazeuse considérée, la couche C présente toujours un minimum de concentration. Des observations similaires ont été réalisées dans les travaux de Harrison et al. (2016). Ils précisent que dans les milieux hétérogènes la migration des espèces est gouvernée par la perméabilité du milieu. Ainsi, les caractéristiques pétrophysiques du milieu sont à l’origine de l’existence de chemin
préférentiel dans le milieu poreux. A l’inverse dans le profil N, seul le CO2 se présente dans
le groupe 2 de la dynamique des gaz tandis que les gaz traceurs appartiennent au groupe 1.
Dans ce cas, un phénomène impacterait le CO2 sans pour autant agir sur les gaz traceurs. La
réactivité du CO2 dans la zone vadose dépend beaucoup des paramètres climatiques
(Lewicki et al., 2007 ; Chang et al., 2009 ; Garcia-‐Rios et al., 2014). Puisque le massif carbonaté du site pilote est hétérogène, il est vraisemblable que la répartition de l’eau dans la zone vadose soit également hétérogène et en relation avec les propriétés pétrophysiques
du milieu. En conséquence, la dissolution du CO2 dans la phase aqueuse de notre système
non saturé et donc le pouvoir tampon de la zone vadose sont hétérogènes. Des analyses de la teneur en eau à différentes profondeurs seraient nécessaires pour pouvoir quantifier
l’hétérogénéité des interactions CO2-‐H2O-‐CaCO3 dans la zone vadose et ainsi évaluer en
fonction de la recharge (propagation du front d’humidité en fonction du temps au cours du cycle hydrogéologique) le pouvoir tampon.
Le cas du profil D met également en évidence la présence de chemin préférentiel et l’influence des paramètres climatiques sur la zone vadose. En effet, l’He et le Kr
appartiennent au groupe 2 tandis que le CO2 appartient au groupe 1. Myers et al. (2013)
expliquent que seule la dissolution des gaz traceurs dans la phase aqueuse est susceptible de ralentir leur migration dans le milieu poreux. Ainsi, la présence locale d’eau dans la zone vadose pourrait expliquer que la concentration des traceurs dans la couche K soit relativement faible par rapport à celle du CO2.
Les autres profils tels que E et S montrent une augmentation de la concentration avec la profondeur pour toutes les espèces gazeuses. Ces observations sont en accord avec la
modélisation de Garcia et al. (2013) qui montrent que dans le cas d’une perméabilité homogène, les temps de rétention sont les plus courts et les concentrations maximales sont les plus importantes, pour les sondes les plus proches du point d’injection. En l’occurrence, ces profils de sondes pourraient être les témoins de l’homogénéité du massif carbonaté sur cette partie du site pilote.
Cependant, des expériences de fuites complémentaires sont nécessaires afin de déterminer le comportement de ces profils dans d’autres types de fuite. Ces expériences supplémentaires pourraient également mettre en évidence les relations qui existent entre les différents profils de sondes. De plus, l’utilisation des isotopes des gaz nobles pourrait également donner des informations complémentaires. En effet, l’analyse isotopique des
rapports 20Ne/36Ar et 84Kr/36Ar au niveau des aquifères permet d’obtenir de précieuses
informations sur les phénomènes de dissolution (Gilfillan et al., 2008). Des mesures des isotopes de l’Ar, du Kr et du Xe dans plusieurs profils de sondes peuvent notamment apporter des informations supplémentaires sur la nature du fractionnement : fractionnement du à la gravité, à la diffusion moléculaire ou au flux verticale vers l’atmosphère (Seltzer et al., 2016).
4.3.5. Discussion complémentaire de l’isotopie
Les relevés isotopiques du δ13C effectués au voisinage des sondes O1C et O1S lors de l’expérience de fuite diffuse montrent une abondance isotopique supérieure à celle prévue par la courbe de mélange (Fig. 4. 7b). Trumbore et Druffel (1995) ont montré dans leurs
travaux que ces intervalles isotopiques correspondaient à un gaz enrichi en CO2
atmosphérique. Néanmoins, puisqu’il a été prouvé la présence d’une zone d’amortissement au voisinage de la couche C, il est intéressant de discuter la surabondance de δ13C au profil O. La première explication résiderait dans le fait que la solubilité du 12C peut être plus
importante que celle du 13C ce qui apporterait un enrichissement du δ13C aux sondes O1S
et O1C. Néanmoins à notre connaissance aucune étude n’a prouvé de différence de
solubilité notable entre les isotopes du carbone. La surabondance de δ13C pourrait
également s’expliquer par une production de CO2. Cette production pourrait alors provenir
d’un dégazage du CO2 depuis la phase aqueuse. Auquel cas, il est nécessaire de pouvoir
quantifier la proportion de CO2 qui dégaze vers la surface. En effet en se replaçant dans un
contexte de fuite sur un site de stockage industriel, il est indispensable de prévoir la
quantité de CO2 issu de ces phénomènes de dégazage pour prévenir les populations et
l’environnement de surface.
Il est important de conduire des expériences supplémentaires pour pouvoir confirmer ces hypothèses.
4.4. Conclusions partielles
Les résultats de cette expérience de fuite diffuse montrent que les variations spatio-‐ temporelles dans notre cas d’étude peuvent être anticipées par l’utilisation des traceurs He et Kr. L’He diffuse plus rapidement que le Kr en raison de sa différence de masse molaire. Son coefficient de diffusion lui permet de diffuser rapidement verticalement et d’anticiper l’arrivée en surface du CO2. Au contraire, le Kr est moins mobile que l’He et diffuse de préférence horizontalement. Il permet de donner une approximation de l’étendu du
panache de CO2. L’utilisation de ces deux traceurs de nature différente permet dans un
contexte industriel de prévoir l’image spatio-‐temporelle d’une fuite de CO2. Les rapports
CO2/Kr et CO2/He démontrent la possibilité de la consommation du CO2, probablement par
dissolution dans la phase gazeuse. Enfin l’hétérogénéité du massif carbonaté pourrait favoriser des cheminements par passage préférentiel. Il est probable que les variations
spatiale et temporelle du CO2 après l’injection sont le fruit de la combinaison de tous les
mécanismes cités précédemment. Les améliorations apportées aux protocoles d’injection, d’échantillonnage et d’analyse ont permis d’obtenir en temps réel les concentrations en
CO2, He et Kr. Ces résultats constituent le premier pas dans l’établissement d’un outil
géochimique de surveillance proche surface d’un site de stockage.
La simulation de fuite diffuse montre quelques limites. Malgré la faible pression d’injection, une partie du gaz injecté a migré dans le milieu poreux par advection, en témoigne les
régressions exponentielles et les temps de rétention du CO2 et des gaz traceurs. De même il
n’a pas été possible de quantifier les interactions CO2-‐eau-‐roche, pour lesquels il faudrait
utiliser l’outil isotopique. Ces limites conduisent à suggérer la réalisation d’autres expériences de fuite afin d’atteindre une diffusion complète dans le massif carbonaté et de quantifier le pouvoir tampon dans la zone vadose.