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Le ph´enotype callipyge du Mouton : implication des microARN ?

2.3 Une concentration de g`enes de microARN

2.3.3 Le ph´enotype callipyge du Mouton : implication des microARN ?

Le ph´enotype appel´e « callipyge » (pour : « belles fesses », en grec), chez le Mouton, se ca- ract´erise par une hypertrophie musculaire g´en´eralis´ee, mais principalement visible sur l’arri`ere- train (Koohmaraie et al., 1995 ; Cockett et al., 2001). Ce caract`ere est monog´enique, et dˆu `a une mutation port´ee par le chromosome 18 ovin (Cockett et al., 1994), sur un locus ortho- logue au locus humain 14q32 (Berghmans et al., 2001) ; ce locus est ´egalement soumis `a l’em- preinte g´enomique parentale chez le Mouton (Charlier et al., 2001b). Au niveau histologique, le ph´enotype callipyge apparaˆıt comme une hypertrophie des fibres musculaires rapides, qui se manifeste `a partir de la troisi`eme semaine apr`es la naissance (Cockett et al., 2001).

Le mode de transmission de ce ph´enotype est tr`es intriguant : les homozygotes mutants ne pr´esentent pas le ph´enotype (la r`egle de transmission de ce caract`ere est donc un cas de « surdominance »), et parmi les h´et´erozygotes, seuls ceux qui ont h´erit´e de la mutation par leur p`ere sont de ph´enotype mutant, les autres sont de ph´enotype sauvage (la surdominance est dite « polaire ») (Cockett et al., 1996) (le tableau 2.1 r´esume les r`egles de transmission de ce ph´enotype).

G´enotype (mat.//pat.) ph´enotype

+//+ [sauvage]

clpg//+ [sauvage] +//clpg [clpg] clpg//clpg [sauvage]

Tab. 2.1 – R`egles de transmission du ph´enotype callipyge chez le Mouton. « mat. » : all`ele maternel ; « pat. » : all`ele paternel. « clpg » : callipyge.

La mutation callipyge a ´et´e identifi´ee : c’est une transition A→G, dans une s´equence non- codante entre les g`enes Dlk1 et Gtl2 (Freking et al., 2002 ; Smit et al., 2003). Elle n’affecte pas l’empreinte des g`enes du locus, mais active, en cis, leur expression (du moins : l’accumulation de leurs ARN) (Charlier et al., 2001a) : lorsque la mutation touche le chromosome paternel (chez les homozygotes, et chez les h´et´erozygotes ayant h´erit´e de la mutation par leur p`ere), les ARN de DLK1 et RTL1/PEG114 sont sur-accumul´es ; lorsque la mutation affecte le chromosome mater- nel (chez les homozygotes, et chez les h´et´erozygotes ayant h´erit´e de la mutation par leur m`ere),

4N.B. : `a l’´epoque, il n’´etait pas encore ´etabli que Dio3 est ´egalement soumis `a l’empreinte g´enomique parentale

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les ARN de GTL2 et MEG85sont sur-accumul´es. Outre cet effet cis, la mutation a ´egalement un

effet trans : port´ee par le chromosome maternel, elle r´eprime DLK1 et RTL1/PEG11, alors que, port´ee par le chromosome paternel, elle active Gtl2 (Charlier et al., 2001a). Ces observations sont r´esum´ees par la figure 2.5.

Fig. 2.5 – La mutation callipyge d´er´egule les g`enes du locus 18q ovin. Figure tir´ee de Charlier et al., 2001a. Le ph´enotype des animaux est indiqu´e en haut `a droite de chaque sch´ema. Les g`enes transcrits du cˆot´e « centrom`ere » au cˆot´e « t´elom`ere » sont repr´esent´es en vert, et le g`ene transcrit du cˆot´e « t´elom`ere » au cˆot´e « centrom`ere » est repr´esent´e en rouge. L’effet cis de la mutation callipyge est repr´esent´e par des fl`eches ´epaisses, et l’effet trans, par des fl`eches fines.

Finalement, le g´enotype associ´e au ph´enotype callipyge (le g´enotype +mat.//clpgpat.) se ca-

ract´erise par la plus forte activation de DLK1 et RTL1/PEG11, et l’absence d’activation des g`enes `a expression maternelle. Le ph´enotype pourrait donc ˆetre dˆu `a la surexpression de DLK1 ou RTL1/PEG11 ; tous les g`enes ´etudi´es du locus sont exprim´es dans le muscle (Charlier et al., 2001b), donc chacun pourrait ˆetre impliqu´e dans l’apparition du ph´enotype. La surdominance polaire pourrait alors r´ev´eler une interaction en trans entre des g`enes du locus : la r´epression d’un g`ene exprim´e uniquement `a partir d’un all`ele parental, par un g`ene exprim´e uniquement `a partir de l’autre all`ele parental, expliquerait la surdominance (l’activation des deux antagonistes, par les deux mutations callipyge, s’annulerait), et l’empreinte g´enomique parentale expliquerait la polarit´e de la surdominance (si le ph´enotype est dˆu `a la surexpression d’un g`ene `a expression paternelle, ou, plus subtilement, `a la surexpression d’un g`ene `a expression paternelle coupl´ee `a une expression mod´er´ee d’un g`ene `a expression maternelle, seuls les h´et´erozygotes ayant h´erit´e de la mutation par leur p`ere pr´esenteraient le ph´enotype). Il a donc ´et´e propos´e que la surexpres- sion de DLK1 ou de RTL1/PEG11 ´etait responsable du ph´enotype callipyge, et que GTL2 ou MEG8 ´etait un r´epresseur du g`ene `a expression paternelle responsable du ph´enotype (Georges et al., 2003).

Les microARN que nous avons d´ecrits sont des candidats cr´edibles pour jouer ce rˆole de

5Le g`ene MEG8 avait ´et´e d´ecrit comme un g`ene non-codant `a expression maternelle, avant la d´ecouverte des

r´epresseurs `a expression maternelle : tous sont exprim´es `a partir de l’all`ele maternel uniquement, et les microARN sont connus pour r´eprimer des g`enes-cibles sp´ecifiques, par RNAi ou r´epression traductionnelle (voir Introduction, partie 1.4.3, page 68). Ils pourraient donc subir le contrˆole de la mutation callipyge (en particulier, ils pourraient ˆetre cotranscrits avec MEG8, g`ene-hˆote des ARN C/D : voir Discussion, page 159), comme les g`enes en amont.

Dans le cadre de cette hypoth`ese, un g`ene `a expression paternelle se pr´esente comme une cible ´evidente des microARN : RTL1/PEG11, parfaitement compl´ementaire de deux microARN du locus, et dont des donn´ees g´en´etiques sugg`erent effectivement qu’il serait r´eprim´e par des g`enes `a expression maternelle (voir pages 118 et 122, et les articles n°2 et 3). En particulier, RTL1/PEG11 est largement surexprim´e, chez les moutons qui pr´esentent le ph´enotype, dans les muscles hypertrophi´es ; la corr´elation des abondances de l’ARN RTL1/PEG11 et de son ARN antisens (pr´ecurseur de miR-127 et miR-136) dans les diff´erents g´enotypes s’accorderait bien avec un mod`ele dans lequel PEG11 est le g`ene `a expression paternelle responsable du ph´enotype, et les microARN, ses r´epresseurs `a expression maternelle (Bidwell et al., 2004). En revanche, aucun indice ne permet d’imaginer par quels moyens la surexpression de RTL1/PEG11 pourrait aboutir `a une hypertrophie musculaire : ce g`ene appartient `a une famille de r´etrotransposons, et n’a donc pas de fonction cellulaire a priori ; son ARN est polyad´enyl´e, mais sa traduction n’a pas ´et´e d´emontr´ee. Cependant, la conservation de sa phase ouverte de lecture chez tous les Mammif`eres analys´es sugg`ere qu’il a acquis une fonction profitable `a l’organisme qui l’h´eberge (Lynch et Tristem, 2003).

Un deuxi`eme candidat, DLK1, pourrait ˆetre responsable du ph´enotype callipyge, et r´eprim´e par des microARN. En effet, la surexpression par des souris transg´eniques d’une isoforme de DLK1 ovin provoque une hypertrophie musculaire qui ´evoque le ph´enotype ovin (Davis et al., 2004).

Puisqu’aucun microARN n’est parfaitement compl´ementaire de l’ARNm DLK1, si DLK1 ´etait le g`ene dont la surexpression provoque le ph´enotype, son r´epresseur pourrait ˆetre un mi- croARN imparfaitement compl´ementaire, qui en inhiberait la traduction. Cette r´egulation expli- querait pourquoi la prot´eine DLK1 n’est pas d´etect´ee dans les muscles des animaux homozygotes mutants, alors qu’elle est d´etect´ee dans les muscles des h´et´erozygotes +mat.//clpgpat. (Georges

et al., 2003). Et puisque seules les s´equences des microARN murins sont connues (ou de leurs orthologues humains dans quelques cas : Suh et al., 2004), il est encore impossible de rechercher des compl´ementarit´es entre les microARN ovins et l’ARNm DLK1 ovin. En posant l’hypoth`ese

que les g`enes de microARN du locus sont conserv´es chez le Mouton6, il est en revanche possible

de chercher des compl´ementarit´es entre la s´equence ovine de DLK1 et les microARN murins, et de mettre en ´evidence des compl´ementarit´es que l’ARNm DLK1 ovin pourrait pr´esenter aux

microARN ovins.

J’ai donc recherch´e des compl´ementarit´es entre l’ARNm DLK1 ovin et les microARN ex-

prim´es `a partir du locus distal 12 murin, par trois programmes d´ecrits dans la litt´erature (Lewis et al., 2003 ; Enright et al., 2003 ; Kiriakidou et al., 2004), et par un quatri`eme, ´ecrit pendant ma th`ese, qui ne tient compte que de la compl´ementarit´e de l’extr´emit´e 5´ du microARN `a l’ARNm,

et recherche celles qui satisfont les r`egles ´etablies par Kiriakidou et al., 2004 (les effets de mu- tations sur l’extr´emit´e 3´ du microARN n’ont pas ´et´e aussi bien caract´eris´es). Ces diff´erents programmes donnent des r´esultats nettement diff´erents, et de mani`ere g´en´erale, ne pr´edisent

6Pour l’instant, la s´equence g´enomique ovine du locus complet n’est pas disponible ; la partie proximale du

cluster R est toutefois s´equenc´ee (C. Charlier, non publi´e), et les g`enes de miR-370/miR-N, miR-299/miR-D, miR-411/miR-C2 et miR-380-3p/miR-C3 y sont reconnaissables : ils sont conserv´es entre la Souris et le Mouton, ce qui sugg`ere que le Mouton exprime un microARN pratiquement identique `a miR-370/miR-N murin (avec une unique transition C→U), un microARN identique `a miR-299/miR-D murin, un microARN identique `a miR- 411/miR-C2 murin, et un microARN qui pr´esenterait trois transitions (A→G et G→A) par rapport au microARN miR-380-3p/miR-C3 murin (J. Cavaill´e, communication personnelle).

2.3. UNE CONCENTRATION DE G `ENES DE MICROARN 143

pas plus de compl´ementarit´es fonctionnelles entre les microARN et l’ARNm DLK1, qu’entre les microARN et un ´echantillon de g`enes murins de taille comparable `a celle de la s´equence Dlk1 uti- lis´ee, et de composition nucl´eotidique similaire, choisis al´eatoirement7. Les programmes actuels

de recherche de compl´ementarit´es fonctionnelles ne pr´edisent donc pas d’interactions significa- tives entre les s´equences murines des microARN, et la s´equence ovine de l’ARNm DLK1. Il est

toutefois possible qu’un (ou : des) microARN sp´ecifiquement ovin(s) puisse(nt) r´eprimer DLK1 ; il est ´egalement probable que nos connaissances des d´eterminants de la r´epression traductionnelle guid´ee par les microARN soient encore trop imparfaites pour en tirer des conclusions d´efinitives (voir Introduction, partie 1.4.3, page 71).

Enfin, les g`enes `a expression paternelle BEGAIN (dont l’empreinte vient d’ˆetre d´emontr´ee chez le Mouton) et DIO3 (dont l’empreinte n’´etait pas connue `a la conception du mod`ele d’in- teraction en trans par Georges et al., 2003) ne semblent pas impliqu´es dans l’apparition du ph´enotype callipyge, puisque leur expression n’est pas affect´ee par la mutation callipyge (Davis et al., 2004).

7Les s´equences des g`enes Fanca, n° d’accession : AF208116 ; Ipo11, n° d’accession : BC029746 ; Jak1, n° d’ac-

cession : S63728 ; NFasc, n° d’accession : AJ543322 ; Pkd2, n° d’accession : AF014010 ; Rev1l, n° d’accession : BC058093 ; Scn7a, n° d’accession : L36179 ; Setdb1, n° d’accession : AF091628.

Chapitre 3

Conclusion

C’est pas la taille qui compte. (dicton populaire)