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3.2 Discussion

3.2.3 Des ARN-cibles ?

Si les g`enes d’ARN C/D ou de microARN du locus ont une fonction (en particulier dans le contrˆole du d´eveloppement, cf ci-dessus), leur mode d’action, au niveau mol´eculaire, pourrait impliquer l’appariement de ces petits ARN avec des ARN-cibles, comme tous les ARN C/D et microARN dont le rˆole mol´eculaire est document´e ; dans ce cas, la compr´ehension de la fonction biologique de ces nouveaux g`enes passera par l’identification de leurs ARN-cibles.

Conservation de la s´equence nucl´eotidique

Un trait remarquable des g`enes d’ARN C/D du locus 14q32 et de ses orthologues, est la grande divergence de s´equence entre des g`enes visiblement apparent´es, dans une mˆeme esp`ece, et entre esp`eces diff´erentes (Cavaill´e et al., 2002) (article n°1) ; dans une moindre mesure, les g`enes de microARN sont ´egalement divergents (les s´equences humaine et murine de miR-329/miR-A2 diff`erent de 4 nucl´eotides ; celles de miR-300/miR-A9 diff`erent de 8 nucl´eotides ; celles de miR- 376b/miR-B4 diff`erent de 2 nucl´eotides ; celles de miR-376/miR-B6 diff`erent de 1 nucl´eotide), alors que la plupart des microARN sont absolument conserv´es entre l’Homme et la Souris. Ces g`enes semblent de plus restreints aux Mammif`eres.

Il est frappant de constater que ces caract´eristiques, relativement nouvelles pour des mi- croARN, sont partag´ees par de nombreux microARN exprim´es dans les cellules-souches em- bryonnaires de Souris, et dont certains pourraient ˆetre cotranscrits sous la forme de pr´ecurseurs communs (Houbaviy et al., 2003).

Les microARN que nous avons d´ecrits semblent donc faire partie d’une classe de mol´ecules sp´ecifiques des Mammif`eres. Ils ont pu passer inaper¸cus jusqu’`a pr´esent en raison, justement, de leur faible conservation : il avait ´et´e d´ecr´et´e que les g`enes de microARN sont conserv´es entre diff´erentes esp`eces, qui pouvaient ˆetre ´eloign´ees (en particulier, les g`enes de microARN de Mam- mif`eres devaient ˆetre conserv´es chez les Poissons), et les recherches bio-informatiques de g`enes de microARN ont utilis´e ce crit`ere pour s´electionner les s´equences candidates (Ambros et al., 2003 ; Grad et al., 2003 ; Lai et al., 2003 ; Lim et al., 2003a ; Lim et al., 2003b) ; certains auteurs avaient ainsi pr´edit, par extrapolation `a partir de l’erreur d’estimation de leur programme sur les pr´edictions de g`enes de microARN d´ej`a connus, que les g´enomes de Vert´ebr´es ne contenaient pas plus de 255 g`enes de microARN (Lim et al., 2003a).

Apr`es la d´ecouverte de nombreux g`enes de microARN propres aux Mammif`eres, il faut sans doute rectifier cette estimation : les g´enomes de Vert´ebr´es ne contiennent probablement pas tous le mˆeme nombre de g`enes de microARN, et un nombre inconnu de g`enes de microARN sp´ecifiques d’esp`eces s’additionnent aux ≈250 g`enes conserv´es pr´edits. Les g`enes de microARN sp´ecifiques des Mammif`eres pourraient jouer un rˆole particulier dans l’embryogen`ese, puisque les microARN que nous avons d´ecrits sont exprim´es dans l’embryon (Seitz et al., 2004), et que la plupart des autres sont exprim´es principalement dans les cellules-souches embryonnaires non diff´erenci´ees (Houbaviy et al., 2003 ; Suh et al., 2004).

Le manque de conservation des s´equences de ces petits ARN pourrait donner des indications sur leur fonction. Par exemple, si les microARN guident l’h´et´erochromatinisation de leur locus en s’appariant `a l’ADN de leurs g`enes, ou `a des transcrits naissants compl´ementaires (voir page 154), des mutations pourraient s’accumuler dans la s´equence du microARN sans que sa fonction en soit affect´ee : puisque le microARN sera toujours homologue `a son propre g`ene, il pourrait ´echapper, dans une certaine mesure, `a la pression qui impose la conservation des s´equences fonctionnelles (il serait toutefois sensible aux mutations qui perturberaient excessivement la structure de son pr´ecurseur en tige-boucle, et qui empˆecheraient sa maturation).

Si ces petits ARN s’apparient `a des ARN-cibles (pour en guider la 2´-O-m´ethylation pour les ARN C/D, ou pour en diriger le clivage ou la r´epression traductionnelle, pour les microARN), leur

faible conservation pourrait s’expliquer par une redondance fonctionnelle, entre les nombreuses copies de ces g`enes : si un nombre suffisant de g`enes garde la capacit´e de s’apparier `a sa cible, les autres ´echapperont `a la pression de s´election. En particulier, les s´equences responsables de leur sp´ecificit´e de cible (le segment situ´e en amont de la boˆıte D ou D´, pour les ARN C/D ; l’extr´emit´e 5´, pour les microARN) ne sont pas plus conserv´ees que le reste de leurs s´equences (voir articles n°1 et 4).

Dans une esp`ece donn´ee, les diff´erentes copies de ces g`enes, relativement divergentes, pour- raient alors avoir acquis de nouvelles fonctions, et r´eguler de nouveaux ARN-cibles.

Les nouveaux ARN C/D : des guides de m´ethylation ?

Les ARN C/D exprim´es `a partir des g`enes du locus distal 12 semblent nucl´eolaires (du moins, ceux dont la localisation a ´et´e analys´ee ; voir page 115). Ils s’accumulent donc, comme tous les snoRNA impliqu´es dans la maturation des ARNr, au voisinage des sites de transcription des ARNpr´e-r, ce qui pourrait signifier qu’ils participent eux-mˆemes `a la maturation des ARNr. Cette

perspective est tr`es int´eressante, puisque, chez l’adulte, ces ARN C/D ne semblent exprim´es que dans le cerveau : ils pourraient alors se rendre responsables de maturations des ARNr qui soient sp´ecifiques du cerveau ; le ribosome du cerveau serait diff´erent du ribosome des autres tissus, ce qui pourrait avoir de nombreuses cons´equences fonctionnelles. Ces maturations pourraient par exemple jouer un rˆole dans la traduction localis´ee au voisinage des synapses : chez les Vert´ebr´es, des polyribosomes et des ARNmsp´ecifiques se localisent dans les dendrites de nombreux neurones

post-synaptiques, et la synth`ese prot´eique qui s’y d´eroule (sous le contrˆole de stimuli donn´es) modifie la sensibilit´e de la synapse, et pourrait contribuer `a la plasticit´e synaptique (voir Steward et Schuman, 2003, pour revue). De la mˆeme mani`ere, si ces nouveaux ARN C/D participaient `a la maturation des snRNA, impliqu´es dans l’´epissage, leur expression sp´ecifique du cerveau pourrait jouer un rˆole dans un contrˆole de l’´epissage sp´ecifique de tissu.

Cependant, ces nouveaux ARN C/D ne semblent pas pr´esenter de compl´ementarit´es fonction- nelles `a l’ARNpr´e-r ou aux snRNA en amont de leurs boˆıtes D et D´ : les compl´ementarit´es iden- tifi´ees sont courtes, et statistiquement attendues (cf Annexe 2, page 173). Ils ne semblent donc pas en mesure de guider de 2´-O-m´ethylation sur l’ARNpr´e-r ou les snRNA. Plus g´en´eralement, ils sont d´epourvus de longue compl´ementarit´e (`a une position quelconque sur l’ARN C/D) `a ces ARN, donc ne semblent pas pouvoir influencer leur repliement (voir Annexe 2, page 173).

Ces ARN C/D pourraient aussi guider la modification post-transcriptionnelle d’autres ARN cellulaires : l’exemple du snoRNA MBII-52/HBII-52 (dont le g`ene est port´e par un autre locus soumis `a l’empreinte, le locus 15q11-13 : voir page 53) frappe l’imagination. Ce snoRNA pr´esente une compl´ementarit´e de 18 nt `a un ARNm sp´ecifique du cerveau, l’ARNm du r´ecepteur 5-HT2C

`a la s´erotonine, et cette compl´ementarit´e se trouve imm´ediatement en amont de la boˆıte D du snoRNA MBII-52/HBII-52 ; le site pr´edit de 2´-O-m´ethylation est un nucl´eotide connu pour ˆetre ´edit´e, et des donn´ees in vitro indiquent que la 2´-O-m´ethylation inhibe l’´edition catalys´ee par l’une des deux enzymes responsables de l’´edition de ce site, ADAR-2 (Yi-Brunozzi et al., 1999) (voir page 57). Ex vivo, une construction contenant ce site d’´edition, transcrite dans le nucl´eole par l’ARN-polym´erase I, est ´edit´ee par ADAR-2, et cette ´edition est inhib´ee par un guide de m´ethylation dirig´e contre le site d’´edition (P. Vitali, communication personnelle). Ainsi, des ARNm pourraient ˆetre modifi´es post-transcriptionnellement dans le nucl´eole ; cette

hypoth`ese s’accorderait bien avec l’observation de la localisation nucl´eolaire de plusieurs ARNm

(voir Pederson, 1998, pour une revue).

L’identification d’ARN 2´-O-m´ethyl´es par l’action de ces nouveaux ARN C/D est plus difficile qu’il n’y paraˆıt : une compl´ementarit´e de 12 nt entre la s´equence de l’ARN C/D imm´ediatement en amont de la boˆıte D, et l’ARN-cible, suffit `a guider une m´ethylation totale de la cible (Cavaill´e et Bachellerie, 1998). Or, le chromosome X humain (dont la s´equence ne repr´esente que 4 % de

3.2. DISCUSSION 151

la s´equence totale du g´enome humain) pr´esente 8 s´equences parfaitement compl´ementaires aux 12 nt imm´ediatement en amont de la boˆıte D de MBII-52/HBII-52 (dont la s´equence de 5-HT2C,

qui est port´ee par ce chromosome) (r´esultats non montr´es). D’autres informations (pas toutes dis- ponibles dans les banques de donn´ees), telles que le patron d’expression des s´equences transcrites (`a comparer au patron d’expression des ARN C/D), sont n´ecessaires pour identifier un nombre raisonnable d’ARN-cibles candidats ; la d´emonstration exp´erimentale de la 2´-O-m´ethylation in vivo, quant `a elle, n’est pas chose ais´ee non plus, puisque les protocoles de d´etection des 2´-O- m´ethylations d’ARN, d´evelopp´es pour l’´etude de la m´ethylation des ARN ribosomiques (Maden, 1990 ; Maden et al., 1995), sont peu adapt´es `a l’analyse d’ARNm faiblement exprim´es (r´esultats

non montr´es).

Outre ces rˆoles de guidage de la 2´-O-m´ethylation ou d’aide au repliement, les ARN C/D que nous avons d´ecrits pourraient jouer un rˆole original. Il est en effet remarquable que la tige termi- nale de la plupart de ces ARN C/D, et de ceux des g`enes du locus 15q11-13, sont tr`es semblables : elles se rapprochent du consensus 5´ GG(A|G)TC...GG(C|T)CC 3´, alors que les s´equences des tiges terminales des snoRNA exprim´es ubiquitairement n’ob´eissent pas `a ce consensus (Cavaill´e et al., 2002). Cette particularit´e pourrait avoir une signification fonctionnelle : par exemple, une prot´eine pourrait reconnaˆıtre sp´ecifiquement les ARN C/D pr´esentant cette tige terminale, et leur conf´erer des propri´et´es inhabituelles. Il reste donc possible que ces nouveaux ARN C/D jouent un rˆole biologique, mais sans interagir avec des ARN-cibles.

Les nouveaux microARN : g`enes-cibles potentiels

L’identification des ARN-cibles potentiels des microARN exprim´es `a partir du locus dis- tal 12 pose un probl`eme similaire : hormis miR-127 et miR-136 (voir ci-dessous), aucun de ces microARN ne pr´esente de compl´ementarit´e parfaite `a un ARNm(ils ne semblent donc pas guider

de d´egradation par RNAi).

Des donn´ees g´en´etiques, chez le Mouton, sugg`erent qu’un (ou : des) g`ene(s) `a expression maternelle, dans l’orthologue ovin du locus humain 14q32, r´eprime(nt) un (ou : des) g`ene(s) `a expression paternelle, du mˆeme locus (voir page 140). Le g`ene DLK1 pourrait ˆetre ce g`ene `a expression paternelle, puisqu’il est connu pour participer `a des processus d´eveloppementaux (Georges et al., 2003). Les microARN du locus ovin seraient de bons candidats pour r´eprimer DLK1 ; cependant, chez la Souris, aucun ne pr´esente de compl´ementarit´e parfaite `a l’ARNm Dlk1 (ils semblent donc incapables d’en guider la d´egradation par RNAi), et les programmes de recherche de compl´ementarit´es fonctionnelles pour la r´epression traductionnelle ne mettent pas en ´evidence d’interaction privil´egi´ee entre les microARN du locus, et l’ARNm Dlk1 (voir R´esultats, page 140). Ces programmes ne sont probablement pas encore parfaitement efficaces, et il est possible que l’interaction en trans entre g`enes du locus soit propre au Mouton ; cependant, il convient aussi de ne pas n´egliger un autre g`ene `a expression paternelle, RTL1/PEG11, que les microARN (`a expression maternelle) miR-127 et miR-136 semblent capables de r´eprimer post-transcriptionnellement, par RNAi (voir articles n°2 et 3).

Bien qu’il ne soit pas mobile (les g´enomes de Mammif`eres ne contiennent pas d’autre s´equence identique), Rtl1 semble ˆetre un r´etrotransposon, avec lesquels sa s´equence l’apparente clairement. Son immobilit´e pourrait signifier qu’un syst`eme de d´efense du g´enome l’a maˆıtris´e, au moins dans la lign´ee germinale. Cette r´epression de Rtl1 pourrait faire intervenir une d´egradation par RNAi, guid´e par miR-127 ou miR-136. Il semble en effet que le RNAi r´eprime les ´el´ements g´en´etiques mobiles dans de nombreuses esp`eces (Schramke et Allshire, 2003 ; Sijen et Plasterk, 2003 ; Chicas et al., 2004 ; Shi et al., 2004 ; Svoboda et al., 2004a), et cette tendance pourrait s’appliquer `a Rtl1.

En premi`ere analyse, il pourrait sembler paradoxal qu’un r´etrotransposon contienne les s´equences qui le r´epriment (puisque les g`enes de miR-127 et miR-136, transcrits en antisens

de Rtl1, en sont indissociables) ; cependant, la r´epression d’un r´etrotransposon, probablement b´en´efique au g´enome-hˆote, l’est donc aussi pour son parasite : un r´etrotransposon actif, en mena¸cant l’int´egrit´e de son g´enome-hˆote, risque de disparaˆıtre avec lui. Un r´etrotransposon r´eprim´e, immobilis´e, ne peut plus se multiplier, mais il peut sans doute se maintenir plus sˆurement qu’un r´etrotransposon actif. De ce point de vue, Rtl1 serait tomb´e dans un pi`ege ´evolutif (incapable de r´etrotransposer, il pourrait accumuler des mutations sur son unique co- pie), mais ce pi`ege est aussi une protection.

Il est int´eressant de remarquer que la phase ouverte de lecture de Rtl1 est conserv´ee chez les diff´erents Mammif`eres o`u il a ´et´e ´etudi´e. Il est donc possible que Rtl1 ait acquis une fonc- tion b´en´efique `a son g´enome-hˆote, et qu’il remplisse d´esormais une fonction d´etermin´ee dans la biologie des Mammif`eres (Lynch et Tristem, 2003).