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On estime le nombre de Lépidoptères à plus de 180.000 espèces décrites dans le monde. Cependant de nombreuses espèces utilisent les mêmes composés pour la rencontre des partenaires sexuels. Comme l’indique la première définition du terme phéromone par Karlson et Lüscher (1959), ce n’est pas la phéromone sexuelle femelle qui est spécifique, mais la réponse qu’elle provoque. Le site Internet The Pherobase (www.pherobase.com) répertorie 377 composés pour 1572 espèces de Lépidoptères nocturnes décrites. La majorité de ces composés sont des chaînes hydrocarbonée, de 10 à 16 carbones, avec une fonction aldéhyde, alcool ou acétate pour les plus courantes et une ou plusieurs (rarement plus de trois) insaturations (Byers, 2005). La diversité des composés utilisés par les Lépidoptères nocturnes est faible, mais les phéromones varient par les différences de ratio entre les composés et par la variabilité des isomères possibles : ainsi le nombre de mélanges possibles reste immense.

Chez les Lépidoptères femelles, les phéromones sexuelles sont biosynthétisées « de novo » à partir d’acide gras. Elles sont émises par une glande située à l’extrémité de l’abdomen pendant la période d’appel. Les organes de l’olfaction chez les insectes sont les antennes qui portent des sensilles olfactives, véritables filtres à molécules. Le seuil de détection est inférieur au nanogramme (Baker, 1985 ; Baker et al., 1998).

Les phéromones sexuelles sont constituées d’un assemblage précis de composés de structures chimiques différentes. Les mâles sont très sensibles à la fois au ratio de ces composés et à la quantité totale du mélange phéromonal ; l’ensemble constituant la signature chimique d’une espèce donnée. Ce schéma général est plus ou moins strict suivant les espèces et les mâles de certaines espèces peuvent tolérer des variations de ces paramètres. Cette tolérance constitue la fenêtre de réponse du mâle. Cette fenêtre reflète la plasticité olfactive du mâle et est très variable d’une espèce à l’autre et même d’un individu à l’autre. La concentration en phéromone (aspect quantitatif du mélange) modifie le comportement du mâle. Une trop forte concentration annihile la fin du comportement et arrête le vol orienté vers la femelle. On parle alors d’un « arrestment » : le mâle atterrit avant d’atteindre la source de phéromone. Une trop faible concentration n’attire pas le mâle (Baker et al., 1981).

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Les ratios respectifs des différents constituants (aspect qualitatif du mélange) sont des éléments clés du comportement sexuel à longue et courte distances. Dans les années 1970, Cardé et al. (1975) et Baker et al. (1976) avaient émis l’hypothèse suivante : le produit majoritaire est attractif à longue distance et les minoritaires sont attractifs à courte distance. Seulement, les travaux de Baker et Linn (1984) et Linn et Roelofs (1989) ont démontré que cette théorie était inexacte. Toutes les phases du comportement sont dépendantes d’un mélange bien précis et l’intégralité du mélange est nécessaire pour que l’attraction du mâle par la femelle aboutisse.

La structure chimique des phéromones de Lépidoptères peut être corrélée avec la position systématique (Roelofs, 1979 ; Descoins et frérot, 1979). Les différences qualitatives ou quantitatives de composition des phéromones assurent ou contribuent à l’isolement reproducteur entre des espèces proches sur le plan phylogénétique. Nous ne savons pas grand-chose sur le polymorphisme (voir l’encadré de définitions) phéromonal au sein d’une population ou d’une espèce (Witzgall et Frérot, 1989), exception faite des cas de variabilité (Pelozuelo et al., 2004). Par exemple, dans le genre Spodoptera, la composition de la phéromone sexuelle femelle est variable à l’intérieur d’une espèce et le coefficient de variation du ratio des composés phéromonaux peut atteindre 26% chez S. latifascia (Lalanne-Cassou et al., 1999).

Dès 1975, il a été démontré qu’il pouvait exister au sein d’une même espèce des races phéromonales (Klun, 1975). Des travaux menés sur des Tordeuses (Baltensweiler et Priesner, 1988 ; Foster et al. 1991) et sur des Noctuelles (Frérot et Foster, 1991 ; Pelozuelo et al., 2004) démontrent que le polymorphisme phéromonal au sein d’une même espèce n’est pas rare chez les Lépidoptères et qu’il conduit dans la plupart des cas à un isolement reproducteur total entre les races phéromonales, que l’on pourrait considérer alors comme des espèces à part entière.

Selon les études de Frérot et Foster (1991), la population de Graphania mutans (Walker) (Lepidoptera : Noctuidae) provenant de Auckland produit une phéromone composée de deux alcools et de deux acétates. La population provenant de Lincoln ajoute un aldéhyde au

Polymorphisme : différence entre les individus d’une même population ou d’une même espèce. Variation / variabilité : différence entre les populations au sein d’une même espèce

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les mâles de G. mutans de la population d’Auckland ne sont pas attirés par la phéromone sexuelle femelle de l’autre population. Un seul composé ajouté au mélange phéromonal provoque l’arrêt du comportement d’attraction des mâles. Cette composition phéromonale permet donc d’établir un système de reconnaissance particulier pour une population, voire une espèce. Cette modification du SMRS provoque l’absence de reconnaissance entre les individus de ces deux populations, pourtant identifiées comme appartenant à la même espèce.

L’existence du polymorphisme phéromonal des individus dans une espèce peut être aussi associée à une spécialisation à des plantes-hôtes différentes, phénomène qui pose la question de la notion de race d’hôte voire de la spéciation sympatrique (Emelianov et al., 2001, 2003 ; Pelozuelo et al., 2004). Ostrinia nubilalis (Hübner) (Lepidoptera : Crambidae) est divisée en deux sous populations, appelées aussi races d’hôtes puisqu’elles sont associées à des plantes-hôtes différentes, produisant une phéromone composée des mêmes produits Z11-14:Ac : E11-14:Ac, mais dans des ratios opposés : 97 : 3 pour la pyrale associée au maïs (race Z) et 1 : 99 pour la pyrale associée à l’armoise et au houblon (race E) (Bethenod et al., 2005 ; Pelozuelo

et al., 2004). Les hybrides n’existent pas dans la nature, même si ces insectes se reproduisent

au même endroit, sur des plantes herbacées en bordure des champs sans rapport avec leurs plantes-hôtes respectives. En laboratoire et en situation confinée, l’hybridation est possible et les hybrides sont viables et fertiles. Les mâles de chacune des races d’hôtes dans la nature font bien la distinction entre leurs partenaires sexuelles respectives.

Les races phéromonales pourraient constituer la première étape d’un processus d’isolement reproducteur qui, associé à des divergences écologiques, conduirait à l’apparition de nouvelles espèces (Drès et Mallet, 2002). Les races d’hôtes sont d’ailleurs reconnues par ces auteurs comme des sortes d’espèces, dont les individus échangent environ un migrant par génération, ce qui suffit à les considérer comme interfécondes et non comme des taxons totalement différenciés. Il est essentiel de connaître ce genre de phénomène dans le cadre du développement d’une lutte éthologique efficace, qui ne peut se mettre en place que si l’on connaît le lieu de rencontre des partenaires sexuels. La pose de pièges phéromonaux ou la mise en place de méthodes de lutte par la confusion sexuelle doivent tenir compte du lieu où se trouveront les insectes pendant la période de reproduction. Il faut donc absolument connaître les plantes-hôtes et leur action sur l’organisation des populations.

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