• Aucun résultat trouvé

Dans un premier temps, les individus potentiellement reproducteurs doivent avoir une aire de répartition commune lorsque toutes les conditions pour la reproduction sont réunies. Les partenaires sexuels doivent être en condition de sympatrie aussi bien dans l’espace que dans le temps. Dans les études de phylogéographie, deux populations sympatriques sont présentes dans la même aire géographique. En écologie comportementale, la notion de sympatrie est plus affinée et plus poussée, puisque les individus potentiellement interféconds doivent se trouver au même endroit, mais aussi au même moment pendant la reproduction : ils doivent avoir la même période de reproduction.

La notion de temps est très importante et permet d’éviter la formation d’un hybride entre deux espèces qui vivent au même endroit. Chaque espèce de Lépidoptères a une période de reproduction précise au niveau saisonnier. L’échelle temporelle peut être encore plus ajustée au point de jouer un rôle à l’intérieur même d’une journée. Certains Lépidoptères voient leur période de reproduction restreinte à certaines heures : quelques heures de la scotophase par exemple.

Chez les Lépidoptères, la période de reproduction est définie par la période pendant laquelle les femelles émettent la phéromone sexuelle, qui va agir sur le comportement des mâles. On dit que la femelle est en période d’appel. Pendant cette période, la femelle fait sortir la glande à phéromone située à l’extrémité de l’abdomen en étirant son abdomen et, chez certaines espèces, on observe une extension des ailes dans un plan horizontal ou au-dessus de l’axe du corps. Certaines espèces vibrent des ailes pour aider à la diffusion de la phéromone. Ce comportement d’appel chez les femelles de Lépidoptères varie peu d’une espèce à l’autre. Pendant cette période, les mâles, qui patrouillent souvent dans les zones de reproduction, ont un comportement dit de recherche, caractérisé par un vol anémotaxique, c'est-à-dire contre le vent, en larges zigzags afin de pouvoir croiser un flux de phéromone dans l’air qui les entoure (Ono, 1985 ; Sower et Daterman, 1985).

SMRS

La période de reproduction au niveau du nycthémère est la même chez les mâles et chez les femelles. En dehors de ce moment bien défini et propre à chaque espèce, les individus mâles ne peuvent pas répondre à l’émission de phéromone femelle par un comportement d’approche (Shorey et Gaston, 1965). Les femelles ne produisent pas de phéromone sexuelle en dehors de la période d’appel (Witzgall et Frérot, 1989).

Même si la séparation temporelle entre les différentes espèces est potentiellement importante, les études sont peu abondantes sur ce sujet (Shorey et al., 1968). Pourtant, la fenêtre d’appel des femelles d’une espèce peut se déplacer et dépend de nombreux aspects biotiques et abiotiques. L’initiation de ce comportement peut être un facteur essentiel dans la reconnaissance des partenaires sexuels et donc dans l’isolement reproducteur d’espèces géographiquement sympatriques. L’appel des femelles varie en fonction de l’espèce, mais est aussi contrôlé par des facteurs à la fois abiotiques : température, photopériode et luminosité, et biotiques : âge, nutrition, femelle vierge ou fécondée (Cardé et al., 1974 ; Baker et Cardé, 1979). La réponse des mâles varie aussi selon ces facteurs (Linn et al., 1988)

Schaefer et al. (1999) ont étudié le cas de Lymantria fumida Butler (Lepidoptera : Lymantriidae) qui vit, dans certaines parties du Japon, en sympatrie spatiale avec une autre espèce du même genre : Lymantria monacha Linné. Les captures des mâles dans des pièges phéromonaux ont montré que les périodes de reproduction de ces deux espèces étaient différentes. Les mâles de L. fumida et L. monacha sont capturés respectivement de 21h00 à minuit et de 2h00 à 4h00. Il n’y a pas d’attraction croisée possible entre ces deux espèces et cela suffit à empêcher la rencontre de partenaires sexuels autres que congénères et donc au maintien de la cohésion des deux espèces.

Les différences de période d’appel peuvent aussi se rencontrer au sein de la même espèce. Ce phénomène a été montré par Pashley et al. (1992) chez Spodoptera frugiperda J-E Smith (Lepidoptera : Noctuidae). La population associée au maïs se reproduit exclusivement pendant les deux premier tiers de la nuit, alors que la population associée au riz se reproduit pendant le dernier tiers.

SMRS

Un autre exemple intéressant a été décrit par Lalanne-Cassou et al. en 1999 chez plusieurs espèces du genre Spodoptera (Lepidoptera : Noctuidae). Même s’il existe un léger chevauchement, la période d’appel des femelles de Spodoptera descoinsi Lalanne-Cassou et Silvain est significativement plus précoce dans la nuit que celle de Spodoptera latifascia Walker et de Spodoptera cosmoides Walker. S. descoinsi et S. cosmoides vivant au même endroit, le décalage dans la période d’appel est essentiel pour le maintien de la spécificité de la reconnaissance des partenaires sexuels.

S. latifascia et S. cosmoides ont une période d’appel commune, mais elles sont allopatriques et

ne peuvent donc pas se rencontrer pendant leur période de reproduction. Cependant, en cas de changement d’aire géographique, même s’il est peu probable, la rencontre sera alors possible. Ceci nous amène au deuxième cas de sympatrie : la sympatrie géographique et le lieu de reproduction des individus.

Le lieu de reproduction est très important puisqu’il permet la rencontre des partenaires sexuels au moment de la reproduction. Chez les Lépidoptères phytophages, la plante peut jouer un rôle prépondérant, en particulier pour les espèces dont les partenaires sexuels se retrouvent et se reproduisent à proximité de leur plante-hôte. Peu de données bibliographiques montrent une action de la plante-hôte sur le comportement d’attraction des mâles ou sur le comportement d’appel des femelles. Cependant, si la biosynthèse de la phéromone émise par la femelle n’est pas liée à la chimie de la plante-hôte, cette dernière peut directement influer sur la production et la libération de la phéromone sexuelle. Un composé volatile libéré par les feuilles de maïs augmente la production de phéromone par les femelles de 20 à 30 fois et augmente le nombre de femelles en appel (Raina et al., 1992).

Au travers d’un travail sur des races d’hôtes de Z. diniana (Lepidoptera : Tortricidae), Emelianov et al. (2001 et 2003) décrivent que l’augmentation du comportement d’appel des femelles est en relation avec la plante-hôte. L’attraction des mâles est accentuée si la femelle appelle sur sa propre plante-hôte. Les mâles ont tendance à trouver plus facilement leurs congénères femelles si elles appellent sur leur plante-hôte et il existerait une synergie entre la phéromone des femelles et les composés volatiles de plante, ce qui a été démontré au niveau des récepteurs olfactifs par Ochieng et al. (2002).

SMRS

Chez Earias vittella Fabricius (Lepidoptera : Noctuidae), le début d’appel est avancé et le nombre de femelles en appel augmente en présence de la plante-hôte (Tamhankar, 1994). Ce phénomène permet d’ajuster la période de reproduction et la rencontre des partenaires sexuels avec la présence d’une ressource alimentaire essentielle pour la future larve. Chez la teigne du poireau, Acrolepiopsis assectella Zeller (Lepidoptera : Acrolepiidae), la production de phéromone par la femelle et la réceptivité du mâle à cet phéromone sont directement stimulés par la présence de la plante-hôte, le poireau (Thibout, 1978).

Certaines espèces de ravageurs pourraient ne pas s’accoupler sur leur plante-hôte. Pour de nombreuses espèces dont les espèces du genre Busseola étudiées dans ce manuscrit, nous ne connaissons ni le lieu de rencontre des partenaires sexuels, ni les biotopes dans lesquels ils se reproduisent. Nous pouvons nous demander si les ravageurs, qui sont passés d’une plante sauvage à une plante cultivée, ne continuent pas à se reproduire sur leur plante-hôte d’origine. Pour B. fusca, la plante-hôte d’origine est hypothétiquement le sorgho et nous procéderons à des expérimentations en tunnel de vol pour observer l’effet de la présence d’une plante sur le comportement reproducteur.

SMRS