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La peur de la contamination comme source de rejet de l’autre

3. Dégoût intégral et relations intergroupes

3.3. La peur de la contamination comme source de rejet de l’autre

Pourquoi certains groupes sont-ils davantage associés au dégoût et par conséquent déshumanisés et rejetés ? Selon Cottrell et Neuberg (2005), sentir nos valeurs morales ou notre santé menacées donnerait lieu au dégoût. Taylor (2007) a analysé plusieurs textes à « forts préjugés », prônant l’intolérance, la haine raciale ou encore la violence à l’égard de certains groupes (ex. « Mein Kampf »). Les résultats ont mis en évidence que pour décrire les groupes cibles, les auteurs de ces textes utilisent un langage émotionnel riche en termes liés au dégoût (comparativement à d’autres émotions) ainsi qu’un nombre important de métaphores renvoyant à la contamination et à la maladie. Tout se passe comme si ces groupes étaient assimilés à des infections contre lesquelles il faut se protéger. Cette assimilation à la maladie est susceptible d’avoir un impact sur nos attitudes et nos comportements à l’égard de ces groupes.

Un courant de recherche important s’est développé autour de la perception de la maladie et ses conséquences en termes de comportements. Ressentir de l’aversion et éviter (ou tenter d’éviter) la potentielle source de contamination serait adaptatif et présent aussi bien chez les animaux que chez les êtres humains (Schaller & Duncan, 2007 ; Schaller & Park, 2011). Cette réponse « immuno-comportementale » se manifesterait sur la base de signes corporels (ex. un abcès sur un visage) indiquant la présence éventuelle d’agents pathogènes. Ces indices induiraient alors une réponse émotionnelle de dégoût (Curtis et al., 2004 ; Oaten et al., 2009 ; Schaller & Neuberg, 2008) et activeraient les cognitions associées aux évaluations de possibles sources contagieuses. Par exemple, les lépreux évoqueraient universellement par leur apparence de l’aversion, ce qui conduirait les individus à éviter tout contact. Or, nous savons que ces indices n’indiquent pas toujours la présence réelle d’agents pathogènes (ex. tâches sur la peau ou des marques d’anciennes brûlures), et à l’inverse les agents pathogènes ne « marquent » pas nécessairement. Le danger de ce système de défense est donc de rejeter à outrance des individus possiblement perçus comme sources de contamination (voir par exemple Ryan et al., 2012). Par exemple, des études ont montré que des étrangers de cultures différentes ayant une toute autre conception de l’hygiène peuvent être perçus comme menaçants pour notre santé (Faulkner, Schaller, Park, & Duncan 2004). De même, des individus « hors normes », atteints de handicaps physiques ou souffrants d’obésité par exemple, peuvent être perçus comme vecteurs de maladies, et ceci d’autant plus si l’on se sent particulièrement vulnérable aux infections. Ce système comportemental de protection de l’individu, basé sur la menace perçue de contamination, expliquerait la réponse émotionnelle de

dégoût associé au groupe et pourrait pousser à la stigmatisation, à l’expression de préjugés, à l’ethnocentrisme et à la xénophobie (Duncan & Schaller, 2009 ; Faulkner et al. 2004 ; Kurzban & Leary, 2001 ; Park, Faulkner, & Schaller, 2003 ; Park, Schaller, & Crandall, 2007; Phelan, Link, & Dovidio 2008). Une recherche de Park et collègues (2007) illustre particulièrement ce phénomène. En effet, leur étude révèle que ce mécanisme d’évitement de la transmission d’agents pathogènes conduirait, chez les individus chroniquement préoccupés par le risque de contagion, à adopter une attitude plus négative face aux personnes obèses. De plus, l’obésité serait implicitement associée à la maladie, notamment lorsque la menace de transmission d’agents pathogènes est saillante. De manière plus générale, ce sentiment de vulnérabilité face à la maladie pourrait conduire les individus à présenter davantage d’attitudes ethnocentriques (Navarette & Fessler, 2006).

L’étude du dégoût en tant qu’émotion intergroupe contribue à revoir les conceptions classiques du préjugé, des attitudes et des comportements intergroupes. Aussi, arriver à une meilleure compréhension des liens qu’entretient la répugnance avec la perception stéréotypée et avec la déshumanisation des groupes évoquant cette émotion semble essentiel afin de lutter contre cet « instinct » de rejet dont ils peuvent être victimes.

R

ESUME

C

HAPITRE

2–D

EGOUT ET

P

ERCEPTION SOCIALE

Une littérature importante s’est développée autour de la manière dont les émotions colorent et favorisent l’utilisation des stéréotypes dans les jugements. Cependant, l’essentiel des travaux a porté sur l’influence de la valence émotionnelle, plus que sur l’impact d’émotions spécifiques. Dans ce travail, nous nous intéressons à une émotion particulière, le dégoût. Une seule recherche a montré que le dégoût conduit à un traitement superficiel des informations sociales et donc à formuler un jugement stéréotypé (Tiedens & Linton, 2001). Néanmoins, cette recherche ne prend en compte que l’émotion incidente pour expliquer cet impact. Or, une compatibilité entre l’émotion induite de façon incidente (i.e. sans lien avec la cible du jugement) et l’émotion intégrale (i.e. provenant de la cible du jugement ; Bodenhausen, 1993 ; Wilder & Simon, 1996) renforcerait la perception négative d’autrui (Dasgupta et al., 2009), et pourrait alors amener les individus à une plus grande utilisation des stéréotypes dans leur jugement. D’autre part, ces « cibles » peuvent évoquer épisodiquement (ex. par leur comportement) ou chroniquement (ex. par leur appartenance groupale) ces émotions intégrales. La question de l’impact de la compatibilité entre ces deux types d’émotions intégrales, chroniques et épisodiques, sur la perception stéréotypée peut alors également se poser.

Par ailleurs, le dégoût intergroupe serait étroitement lié au phénomène de déshumanisation. Les groupes associés à cette émotion sont davantage perçus comme des objets que comme des êtres humains. Nous étudierons alors dans quelle mesure les émotions intégrales épisodiques peuvent contrecarrer ou, au contraire, renforcer cet effet.

Enfin, le dégoût est au centre de notre vie morale. Un dégoût moral serait distinct d’un dégoût physique. Or, aucune recherche sur les processus de jugements ne prend en compte cette distinction. C’est pourquoi, nous nous intéresserons à l’impact différentiel de ces deux types de dégoût.

Chapitre 3

Les caractéristiques du dégoût physique et moral

« Notre unique spécificité individuelle réside en ceci, dis-moi ce qui te dégoûte et je te dirai qui tu es. » Amélie Nothomb

Dans ce chapitre, une première étude centrée sur le concept de dégoût est présentée. Selon la littérature, il existe deux grands types de dégoût, le dégoût physique et le dégoût moral. Le dégoût physique, centré sur les caractéristiques physiques d’objets ou de personnes et leur potentiel de contamination, a pour fonction de protéger l’homme de ce qui est nocif pour sa santé, tandis que dégoût moral évoqué par toute violation de normes sociales et morales, a pour fonction d’éloigner les individus de personnes se comportant de façon peu convenable dans le but de maintenir un certain ordre social. Cependant, à ce jour, aucune recherche n’a identifié la nature des inducteurs ni les contextes d’émergence du dégoût physique et moral sur la base de récits d’expériences vécues. Le but de cette recherche est d’analyser le concept de dégoût en faisant émerger de récits d’expériences émotionnelles de dégoût physique et moral leurs caractéristiques (i.e. nature des inducteurs, émotions associées, personnes impliquées, etc.). A cette fin, nous combinerons deux méthodes d’analyse complémentaires : une analyse de contenu thématique et une analyse lexicale informatisée à l’aide du logiciel ALCESTE.