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Perturbateurs endocriniens et dioxine-like

2. Apports de molécules biologiquement actives en estuaire de Seine Seine

2.2 Perturbateurs endocriniens et dioxine-like

Il est reconnu que les effluents de STEU urbaines constituent une source de contamination des milieux aquatiques par les composés chimiques de type perturbateur endocrinien (PE). Un des mécanismes initiaux de l'action des perturbateurs endocriniens consiste en leur capacité à se lier à certains récepteurs nucléaires. Ces récepteurs sont des facteurs de transcription qui régulent l’expression de gènes clés impliqués dans les réponses cellulaires aux hormones (Mnif et al., 2006). Une altération de l’activité de ces récepteurs peut donc conduire à un dysfonctionnement cellulaire ou tissulaire susceptible d’affecter des fonctions physiologiques essentielles régulées par le système endocrinien comme le développement ou la reproduction. La présence de deux grandes familles de polluants

toxiques, les perturbateurs endocriniens à activité hormono-mimétique et les composés dioxin-like, a été testée à l’aide de bioessais in vitro.

Les résultats ont mis en évidence des profils d’activités multiples sur les deux sites investigués. L’effluent de STEU est ici clairement identifié comme une source non négligeable et continue de composés hormonaux de type œstrogénique (Figure 53 A) avec des niveaux variant entre 0,9 ± 0,4 ng E2-Eq.L-1. Ces niveaux sont globalement faibles en comparaison des activités retrouvées au niveau de divers effluents de STEU qui sont généralement compris entre 2 et 24 ng E2-Eq.L-1 (Cargouët et al., 2004; Jugan et al., 2009; Bellet et al., 2012; Gardia-Parège, 2015). Les concentrations en œstradiol-équivalents (E2-Eq) mesurées dans l’eau de Seine à Poses (valeur moyenne de 0,3 +/- 0,09 ng E2-Eq.L-1) sont équivalentes ou supérieures à la norme de qualité environnementale préconisée pour l’œstradiol (0,4 ng.L-1) telle que définie dans le cadre de la directive européenne cadre sur l’Eau (Aït-Aïssa et Creusot, 2014). De plus, concernant l’activité œstrogénique in vitro, des valeurs guides au-delà desquelles il existerait un risque pour l’environnement aquatique ont été récemment proposées par différents auteurs. Selon les études, ces valeurs guides varient de 0,3 à 0,5 ng E2-Eq.L-1 (Jarošová et al., 2014; Kunz et al., 2015; Van Der Osst et al., 2017a). Sur la base de ces valeurs, les concentrations en équivalent-biologique retrouvées dans l’eau de Seine à Poses conduiraient à un déclassement ce site du point de vue réglementaire.

La STEU d’Archères (l’amont de Poses, 6,5 millions équivalent-habitants) avait déjà été identifiée comme une source majeure de composés œstrogéniques en Seine (Cargouët et al., 2004; Gaspéri et al., 2010). Cargouët et., al (2004) avaient récolté des eaux de Seine prélevées 1 km en amont et 1 km en aval de la STEU d’Archères. Une augmentation de l’activé œstrogénique d’un facteur 6 (de 0,76 à 4,52 ng E2-Eq.L-1) avait alors été constatée entre l’amont et l’aval de la STEU. Une étude menée en 2002 avait mis en évidence la présence d’œstrogéno-mimétiques dans les eaux de Seine en amont de l’estuaire (Fenet et al., 2003). Les niveaux retrouvés (20-81 % de transactivation induits par les extraits d’eau) n’étaient qu’en faible partie expliqués par les concentrations en alkylphénols retrouvées au niveau de ces sites. La présence d’E2, EE2 et E1 avait également été étudiée au niveau de STEU d’eaux de surface proche de l’agglomération parisienne (Cargouët et al., 2004). Dans cette étude, ces composés expliquaient jusqu’à 50 % de l’activité mesurée dans les effluents mettant ainsi en évidence la présence de composés contributeurs inconnus ou du moins non recherchés (Cargouët et al., 2004).

L’effluent de STEU est également identifié comme une un vecteur important de composés de type glucocorticoïde avec des activités pouvant aller jusqu’à 1,5 µg DEX-Eq.L-1 (Figure 53 B). Toutefois, aucune activité (anti)androgénique significative n’est observée dans notre étude,

bien que les effluents de STEU urbaines soient parfois décrits comme une source en composés androgéniques, en particulier en stéroïdes androgènes d’origine humaine (Bellet et al., 2012). Cependant, ce résultat est à mettre en regard de la présence de fortes activités de type glucocorticoïde dans l’effluent. L’activité androgénique a été détectée à partir de la lignée MDA-kb2 qui co-détecte les androgènes et les glucocorticoïdes. En ce sens, la présence de trace de ligands androgéniques, potentiellement masquée par la présence de glucocorticoïdes, ne peut être écartée. L’utilisation d’un bioessai in vitro spécifique du récepteur des androgènes (AR) permettrait de conclure de manière plus définitive sur la présence/absence de ligands androgéniques dans ces échantillons.

En parallèle des activités œstrogéniques et androgéniques/glucocorticoïdes, la présence de ligands aux récepteurs AhR a également été recherchées au niveau des deux sites. Des activités ont été observées après 4 h d’exposition au niveau des deux sites et à tous les temps d’échantillonnage (Figure 53 C). L’absence d’activité mesurée après 24h d’exposition suggère la présence de composés actifs qui sont rapidement métabolisés tels que les hydrocarbures aromatiques polycycliques ou certains composés pharmaceutiques comme l’ibuprofène et le naproxène (Louiz et al., 2008; Thibaut et Porte, 2008; Kinani et al., 2010). Des activités de type HAP-like (Figure 53C) sont systématiquement détectées dans l’effluent de STEU et/ou dans l’eau de Seine, à des niveaux assez similaires ce qui suggère des origines multiples pour ces composés (à la fois eaux usées et pollutions plus diffuses). En général, les concentrations en BaP-Eq reportées ici sont en accord avec celles obtenues au cours d’études antérieure sur ce même site (Budzinski et al., 2012).

Figure 53 : Evolution des activités in vitro de type (A) œstrogénique (ER), (B) glucocorticoïde (GR) et (C) HAP-like (AhR) dans l’eau de Seine à Poses et l’effluent de STEU à Rouen au cours des 6 campagnes de mai 2014 à mars 2015. STEU de Rouen = prélèvement moyenné 24 h ; eau de

Seine à Poses = prélèvement ponctuel. n.d. activité non détectée ; n.m. non mesurée (pas de donnée).

Ces campagnes ont révélé des profils d’activités montrant la présence, dans l’effluent de STEU et dans l’eau de Seine, d’activités de type œstrogénique, glucocorticoïde et HAP-like. Une première étude avait été réalisée en 2011 afin d’évaluer la présence de perturbateurs endocriniens au niveau du barrage de Poses. Aucune activité de type œstrogénique,

androgénique ou glucocorticoïde n’avait pu être mis en évidence sur les campagnes réalisées à cette époque. Les extraits organiques avaient été préparés suivant un protocole identique et testés sur les mêmes lignées cellulaires (MELN et Mda-Kb2). Cependant, le volume extrait était seulement de 250 mL (facteur de concentration : 500) contre 10 L (facteur de concentration : 4000) dans cette étude. Comme cela a déjà été rapporté (Aït-Aïssa et Creusot, 2014; Brack et al., 2016), cette approche souligne l’importance de travailler avec des échantillons de large volume afin de baisser les limites de détection des bioessais.

Le prélèvement ponctuel présente néanmoins plusieurs limites : d’une part du point de vue de la représentativité de l’échantillon dans le temps puisqu’il reflète l’état de contamination à un moment fixe donné et ne prend pas en compte les variations dans le temps ; d’autre part du point de vue logistique, puisqu’il a nécessité le prélèvement et le transport au laboratoire de volumes relativement conséquents d’eau. L’utilisation d’échantillonneurs passifs semble être une alternative intéressante pour surveiller les activités in vitro dans l’eau grâce à leur pouvoir accumulateur (Tapie et al 2011, Creusot et al 2014). Ainsi, les mêmes bioessais in vitro ont été appliqués aux extraits POCIS qui avaient été déployés sur les sites de Poses et Rouen (janvier et février 2015).

Les résultats présentés Tableau 26 confirment les profils observés dans les échantillons d’eaux ponctuels. L’effluent de STEU est clairement source de composés à activité ER et AR/GR. Les niveaux d’équivalent œstrogène retrouvé au niveau du site de Poses sont relativement faibles en comparaison à ceux recensés dans l’étude menée par Creusot et al., (2013b) au niveau la rivière Réveillon (10 – 30 ng E2-Eq/ g de phase HLB). Ces activités sont également retrouvées sur le site de Poses, avec toutefois des activités AR/GR très faibles (détectées mais non quantifiés).

Tableau 26 : Suivi des activités ER, GR/AR et AhR dans les extraits de POCIS déployés sur les sites de Poses et de Rouen. n.d. non détecté.

Concernant les activités HAP-like, les témoins d’extraction « laboratoire » et « terrain » se sont avérés positifs, possiblement à cause d’une contamination via l’air ambiant. L’échantillon de STEU reste cependant significativement plus contaminé. Enfin, nous avons

étendu le diagnostic à l’évaluation de l’activité dioxin-like. Ce bioessai consiste à exposer les cellules pendant 24 h afin de minimiser la contribution des HAP qui sont rapidement métabolisés par les cellules (quelques heures). Ce test a simplement permis de montrer la présence dans les échantillons de Poses et de Rouen de ligands du récepteur AhR à des niveaux supérieurs à ceux présents dans les blancs. Les niveaux mesurés en composés activateurs d’AhR restent cependant très faibles et sont majoritairement associés à des composés de type HAP. Les niveaux retrouvés en sortie de STEU sont cohérents avec ceux recensés en sortie de traitement secondaire. En effet, des niveaux de 5,8 ng-E2-Eq /g de phase, 1,3 µg-DHT-Eq /g de phase et 4 µg-B(a)P-Eq /g ont été rapportés sur des extraits POCIS préalablement installés en sortie d’un traitement secondaire dans une STEU française (Gardia-Parège, 2015).

 Parmi les 200 contaminants organiques polaires recherchés au niveau de deux points d’entrée (Poses et sortie de la STEU de Rouen), 104 et 123 ont été détectés au moins une fois respectivement à Poses et en sortie de STEU. Le bassin versant amont par l’intermédiaire de Poses est responsable de la majorité des apports. Le niveau de concentration observée dans cet hydrosystème résulte de l’importance des effluents urbains provenant de bassin versant, des usages spécifiques résultant par exemple de l’agriculture mais également du débit fluvial qui dilue la contamination. Une analyse du risque a été réalisée sur 48 molécules retrouvées au niveau du site de Poses : 10 molécules sont retrouvées à des niveaux préoccupants. Parmi les molécules recherchées, le métazachlore, la DEA, la terbutryne, diclofénac, le triclosan, le fipronil, gemfibrozil, l’ibuprofène, l’imidaclopride et la terbutryne font parti des molécules les plus préoccupantes.

En parallèle, l’application d’une batterie de bioessais in vitro a permis de mettre en évidence la présence de composés génotoxiques, hormono-mimétiques et HAP-like, à des niveaux parfois préoccupants. En perspective, la recherche ciblée de composés connus pour agir sur ces récepteurs (œstrogènes, glucocorticoïdes, HAP) serait nécessaire afin d’évaluer leur contribution dans les activités retrouvées en Seine. De manière plus approfondies, des approches de type EDA (Effect-Directed Analysis) sur les échantillonneurs passifs pourraient permettre de caractériser les composés responsables des activités observées.

3. Publications