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L’effort d’identifier et prioriser les molécules pertinentes

Chapitre I : Synthèse bibliographique Table des matières

3. Présence, devenir et priorisation des contaminants dans les eaux de surfaces. de surfaces

3.2 L’effort d’identifier et prioriser les molécules pertinentes

Les avancées en chimie analytique ont permis d’augmenter le nombre possible de molécules suivies dans l’environnement. Cependant, d’un point de vue réglementaire, les molécules suivies ne représentent qu’une infime partie de celles qui sont réellement présentes dans l’environnement. Rechercher l’ensemble des molécules présentes dans une matrice dans le cadre de monitoring, est impossible pour des raisons de faisabilité. Dans ce contexte, il apparait primordial de développer des méthodologies afin d’identifier des molécules actives pertinentes et des démarches de priorisation afin d’établir des listes de molécules pertinentes à surveiller.

Dans cette optique, différents exercices de priorisation ont été conduits ces dernières années (Besse et Garric, 2008; Götz et al., 2010; Von der Ohe et al., 2011; Dulio et Andres, 2012; Jean et al., 2012; Kuzmanovi et al., 2014; Di Nica et al., 2015). La méthodologie la plus avancée est surement celle appliquée par le réseau NORMAN (Dulio et Von der Ohe, 2013; Brack et al., 2017). Cette méthode a été appliquée à la priorisation de 500 contaminants organiques au niveau 4 bassins versants Européens (Von der Ohe et al., 2011). Le schéma de priorisation est basé sur des données d’occurrence mesurée (MEC) ou prédite (PEC) et des données de toxicité aigüe et chronique (PNEC) permettant de classer les molécules en 6 catégories, basés sur le niveau des informations disponibles et exploitables. Le descriptif des 6 catégories et des actions à mettre en œuvre est récapitulé Tableau 8. Cette méthode de priorisation permet ainsi de mettre en évidence (1) les molécules qui peuvent au vue des connaissances actuelles être inclus dans des programmes de surveillance réguliers (catégorie 1), les molécules dont le risque environnemental est écarté (catégorie 6) et (3) les composés dont les données d’occurrence et/ou de toxicité sont insuffisantes pour statuer (catégories 2,3,4,5). Le manque de données concernant l’occurrence, la toxicité et le devenir pour un grand nombre de composés (parents + produits de transformation) représente un réel frein à l’exercice de priorisation (Dulio et Slobodnik, 2015).

Tableau 8 : Liste des catégories d’action identifiées sur la base des manques d’information / connaissance et des actions à mettre en œuvre (Dulio et Andres, 2012).

D’autres méthodologies de priorisation ne se basent pas seulement sur des données d’occurrence, mais également sur le potentiel de bioaccumulation des composés (Jean et al., 2012). Une première étape a permis d’évaluer les molécules potentiellement bioaccumulables (données QSAR) parmi une liste initiale de 960 composés pharmaceutiques consommés dans l’hôpital étudié. Une étude au cas par cas sur les 70 molécules sélectionnées a permis d’obtenir des informations complémentaires concernant des données de quantités consommées, des données d’excrétion, des données écotoxicologiques et de biodégradabilité. Parmi les 70 molécules étudiées, 14 ont été sélectionnées comme étant des substances à risque, parmi lesquelles, on retrouve par exemple le tamoxifen (antinéoplasique), l’amitriptyline (antidépresseur) et l’éthynylestradiol (hormone de synthèse) (Jean et al., 2012).

Afin de faire évoluer les listes de molécules à suivre dans les eaux suisses, une étude a adopté une stratégie de priorisation alternative se basant sur leur persistance dans l’eau (Götz et al., 2010). Un premier filtre basé sur les propriétés physico-chimiques a été utilisé afin de se focaliser uniquement sur les molécules majoritairement présentes dans l’eau (phase dissoute). Un deuxième filtre a été appliqué afin de discriminer les molécules rapidement

dégradables, les molécules modérément dégradables et les composés très persistantes. Pour cela, des données expérimentales d’hydrolyse et des données de biodégradabilité issus de modèles in silico (BIOWIN d’EPI suitePM) ont été utilisées. Une dernière étape évalue le type d’apport dans l’environnement des molécules en différenciant les apports continus des apports périodiques. Ainsi 250 molécules de diverses classes chimiques ont été classées en 5 catégories d’exposition prenant en compte le type d’apport et la persistance.

Ainsi, diverses approches sont actuellement disponibles afin de sélectionner des molécules pertinentes à suivre dans les eaux de surface. Cependant, le manque d’information concernant l’occurrence, la toxicité et la persistance des contaminants reste encore un frein à une évaluation du risque fiable. Par ailleurs, l’évaluation de la persistance des contaminants dans l’environnement représente un point clé pour une représentation plus réaliste des molécules pertinentes à suivre (Amiard et Amiard-triquet, 2015).

3.3 Devenir des contaminants d’intérêt émergent dans les milieux aquatiques

Les concentrations des contaminants dans l’eau sont gouvernées par des processus physiques comme la dilution et la diffusion, la sportion mais également par des processus chimiques (abiotiques) et biochimiques (biotiques) (Figure 17). Alors que les processus physiques semblent être relativement communs à l’ensemble des contaminants, les phénomènes biotiques et abiotiques peuvent être très différents en fonction du composé considéré.

Figure 17 : Devenir des contaminants dans les écosystèmes aquatiques (BioA : bioaccumulation, BioM : biomagnification).

Ainsi, le devenir d’une molécule dans l’environnement va dépendre de trois grands facteurs : (1) ses propriétés intrinsèques, (2) des facteurs environnementaux et (3) des facteurs anthropiques, principalement reflets des apports (périodiques ou continus). Premièrement, le devenir d’une molécule est gouverné par ses propriétés chimiques et

physiques comme les constantes de partition, sa solubilité, sa constante de dissociation ionique (pKa). L’ensemble de ces propriétés vont conditionner sa réactivité dans les compartiments abiotiques (adsorption, hydrolyse, volatilisation, photodégradation) mais également les compartiments biotiques (bioaccumulation, métabolisation). Deuxièmement, les paramètres environnementaux (matière organique, ensoleillement, pH, présence de microorganismes) jouent un rôle central dans le devenir des molécules organiques. Outre les phénomènes de dilution, d’adsorption et d’hydrolyse, deux processus jouent un rôle central dans l’atténuation naturelle des contaminants organiques : La photodégradation et la biodégradation.

La photodégradation causée par l’irradiation solaire est considérée comme une voie majeure de l’élimination des composés dans l’environnement et en particulier pour les composés pharmaceutiques qui ont été conçus pour être résistants à l’hydrolyse (Belgiorno et Rizzo, 2012). Deux types de processus photochimiques peuvent être distingués : (1) des réactions de phototransformation directes qui dépendent de paramètres intrinsèques à la molécule comme le coefficient d’absorption molaire ou le rendement quantique ; (2) des réactions de phototransformations indirectes qui dépendent de l’action intermédiaire d’espèces chimiques oxydantes qui sont générées par les rayonnements solaires. Ainsi, la génération d’espèces réactives est le résultat de la réactivité de certains éléments constitutifs de l’eau comme les nitrates ou les acides humiques. Les réactions de photodégradation sont généralement complexes et impliquent de multiples réactions qui peuvent être en compétition. La biodégradation joue également un rôle majeur sur le devenir des contaminants dans les eaux de surface. Ce phénomène est fortement dépendant des conditions environnementales telles que la température, le potentiel redox, la présence et le type de communautés microbiennes (Mandaric et al., 2015).

Une attention particulière doit être portée aux zones estuariennes qui sont des zones de transitions relativement complexes à étudier et à fort enjeu écologique. Effectivement, outre les phénomènes de saisonnalité, les zones estuariennes sont caractérisées par de fortes variations de certains paramètres environnementaux tels que la salinité, les matières en suspension (Figure 18). Ce dynamisme s’opère à différentes échelles spatiales et temporelles. Par exemple, le comportement des médicaments est ainsi fortement influencé par les cycles tidaux. L’impact de la marée sur les concentrations en pharmaceutiques a déjà été observé dans l’estuaire de Seine (Togola, 2006), dans l’estuaire Yangtze (Yang et al., 2011; Zhao et al., 2015). Des tendances saisonnières ont également déjà été mises en évidence au niveau de l’estuaire de Yangtze et de la rivière Pearl (Yang et al., 2011; Liang et al., 2013). Par ailleurs, une étude a également mis en évidence une atténuation estivale plus marquée des

concentrations en pharmaceutiques au niveau de l’estuaire de la Gironde ; ce phénomène a été imputé notamment aux changements des temps de résidence, de température, et des concentrations en matières en suspension qui influent sur la stabilité des molécules (Togola, 2006; Benotti et Brownawell, 2009; Aminot et al., 2016).

Figure 18 : Principaux paramètres influençant le devenir des contaminants en zone estuarienne. Face à cette complexité, l’évaluation de la persistance des contaminants dans les zones estuariennes reste encore un véritable défi. Un des moyens les plus utilisés pour étudier leur persistance est de réaliser des expériences en laboratoire. Différents phénomènes peuvent ainsi étudiés dans des conditions contrôlées : dégradation par irradiation solaire grâce à des lampe à Xénon (Challis et al., 2014), expérience en « batch » pour mimer des phénomènes de biodégradation (Benotti et Brownawell, 2009) ayant lieu dans l’environnement. La complexité des matrices utilisées détermine la représentativité de l’expérimentation. En effet, à l’heure actuelle un grand nombre des études menées se réalise sur des matrices simples (eau ultrapure ou eaux minérales) qui sont artificiellement enrichies à de très fortes concentrations avec les composés d’intérêts. Ces matrices enrichies sont alors soumises à des irradiations solaires, ou à certaines souches bactériennes ou encore à certains traitements utilisés en STEU (chlore, UV). Seulement quelques études ont été menées avec des matrices environnementales. Par exemple, les expériences d’incubation réalisées par Benotti et Brownawell (2009) ont montré une différence de cinétique de biodégradation entre les molécules d’intérêt : le temps de demi-vie du paracétamol est inférieur à 1 jour contre plus de 100 jours pour la carbamazépine, la biodégradabilité étant corrélée à leur dégradabilité en STEU. Par ailleurs, des cinétiques plus rapides ont été observées dans les eaux les plus côtières, également les plus eutrophisées. Récemment, une étude a été réalisée en laboratoire afin d’évaluer la dégradation (photodégradation et biodégradation) de 33 composés

pharmaceutiques dans des eaux de rivières et marines. Des différences de comportement ont été mises en évidence entre les deux matrices. Alors que le pH des eaux joue un rôle central dans la photodégradation des composés ciblés, la salinité et l’origine de l’échantillon affecte la biodégradation (Baena-nogueras et al., 2017).

La variation de la persistance des molécules en fonction du milieu considéré représente un réel challenge. En effet, déterminer les variations de persistance (temporelles et spatiales) des contaminants au sein d’une rivière ou d’un estuaire pourrait apporter à terme de nouveaux éléments quant à la priorisation des molécules pertinentes à suivre dans l’environnement.

La présence d’une grande diversité de contaminants émergents a été mise en évidence ces dernières années. Les composés pharmaceutiques et les pesticides font partie des molécules les plus représentées.

Dans un contexte de suivi régulier, la recherche de l’ensemble des molécules connues et identifiées est impossible. En ce sens, diverses méthodes de priorisation ont été mises en place afin de sélectionner des molécules dites pertinentes à suivre dans l’environnement. Ces démarches se basent généralement sur des données d’occurrence, de toxicité, de bioamplification et de persistance. Le manque de données sur la présence et le devenir des contaminants émergents représente un réel frein à la démarche de priorisation.

De plus, le devenir d’une molécule dans les écosystèmes aquatiques est complexe. En effet, il dépend de paramètres intrinsèques à chaque composé mais également de paramètres biotiques, abiotiques et environnementaux. Cette complexité est accentuée dans les zones de transition comme les estuaires.