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2. PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE

2.3. Pertinence sociale et scientifique

Le projet de recherche répond à un besoin social de plus en plus urgent, soit celui de développer une stratégie d’adaptation aux changements climatiques à l’échelle d’une région possédant un certain cadre de gouvernance administrative, telle une MRC (Létourneau, 2017 et Scanu et Cloutier, 2015). Bien que plusieurs études portant sur la gouvernance de l’adaptation aux changements climatiques soient recensées dans la littérature, aucun projet n’a permis d’étudier la gouvernance de l’adaptation à l’échelle d’une MRC (Létourneau et Thomas, 2017), ni de détailler la façon dont se construit cette gouvernance

dans le cadre d’une démarche multipartite. Il existe en effet une lacune en matière d’études sur la coordination des parties prenantes (Komppula, 2016).

Tel que présenté par Huitema et al. (2016), l’adaptation aux changements climatiques requiert un ajustement des pratiques, la mise en œuvre de différentes actions et une coordination des acteurs visés par ces initiatives. Bien qu’une bonne partie des mesures d’adaptation doivent être déployées à l’échelle locale, la coordination entre les intervenants est essentielle; la mise en place d’une stratégie d’adaptation nécessite par conséquent un cadre de gouvernance qui guide les interrelations entre les acteurs. Au cours de ce projet, la gouvernance sera abordée au sens souple, plastique et dynamique, dans sa fonction mobilisatrice. Ainsi conceptualisée, la gouvernance permettrait d’envisager un modèle décentralisé d’exercice du pouvoir en société, laissant place à la participation d’une panoplie d’acteurs et d’organisations, sans système de contrôle formel pour dicter leurs interrelations (Chhotray, Vasuhda et Stoker, Gerry, 2009). Huitema et al. (2016) approchent la gouvernance sous le même angle, ajoutant qu’en laissant place aux apprentissages (cognitif, normatif et relationnel) et à l’innovation (nouvelles idées, diffusion et amélioration), on permet de construire une gouvernance adaptée au contexte et d’ainsi favoriser l’atteinte des objectifs de la démarche, soit une réelle mobilisation des parties prenantes. Dans la littérature, le concept de « leadership systémique » est aussi utilisé; il décrit une approche de gouvernance qui nécessite la participation des membres de la communauté, travaillant ensemble et s’influençant mutuellement pour « le bien commun » (Komppula, 2016).

De façon plus spécifique, la gouvernance du climat implique une pluralité d’intervenants (Scanu et Cloutier, 2015). Huitema et al. (2016) observent que l’adaptation est généralement perçue comme quelque chose qui doit être mis en place à l’échelle locale ou régionale. En utilisant des modélisations à plus petite échelle et en étudiant les impacts locaux, on favorise une appropriation accrue des enjeux par les acteurs locaux et régionaux, qui sont ainsi mieux outillés pour développer une stratégie d’adaptation réaliste et réalisable. De plus, l’apport des intervenants locaux à la recherche est essentiel; en effet, les besoins et perceptions des communautés locales, sans oublier leurs savoirs et leurs savoir-faire, peuvent être escamotés si les chercheurs ne sont pas à l’écoute des intervenants et de leurs connaissances (Sheil et al., 2004; Ouranos, 2015). Dans le cadre de ce projet, on vise donc la mise en place d’une gouvernance de type bottom up, avec une prise en charge des parties prenantes et de leur implication directe dans la construction d’une stratégie d’adaptation. Cette approche s’oppose à celle proposée par Shaw et al. (2009), qui consiste à faire préparer, par des scientifiques, des scénarios et recommandations adressées

peut également appeler « du haut vers le bas », est largement répandue en matière d’adaptation aux changements climatiques (Scanu et Cloutier, 2015). L’approche bottom up est liée à une gouvernance décentralisée, souple et dynamique, comme présentée par Létourneau (2009); la décision ne se produit pas en un seul lieu et en un seul centre, mais en plusieurs lieux et centres, et ceux-ci ont tous leur importance. Mais attention, le fait que l'expérience personnelle ou les connaissances vernaculaires soient prises en compte ne signifie pas que le résultat de leur participation soit intégralement repris dans le plan d’adaptation. On mise alors sur une complémentarité entre les différentes formes de connaissances, ce qui s’avère bénéfique pour le processus, au lieu de se concentrer sur une seule forme (Létourneau, 2017b). Ainsi, l’approche épistémologique de ce projet de maîtrise vise une co-construction des savoirs regroupant les parties prenantes locales, la construction d’une gouvernance multiniveau et la mobilisation des acteurs autour d’une démarche commune et concertée.

Le sujet d’étude s’inscrit dans une nécessaire approche interdisciplinaire de la recherche sur les changements climatiques. On souhaite favoriser un dialogue et une complémentarité entre les deux principaux champs disciplinaires, soit la science du climat et la gouvernance de l’adaptation. Ces deux champs généraux incluent des catégories comme l’aménagement du territoire, la gestion de risques, la communication, la sociologie des organisations, les sciences politiques et l’urbanisme, entre autres. Les partenaires et parties prenantes multidisciplinaires sollicités au cours de la démarche apporteront au projet, chacun à leur façon, différents aspects et connaissances.

Toute recherche interdisciplinaire vise à contribuer à la compréhension des phénomènes étudiés, ainsi qu’à faire progresser méthodologiquement le chercheur puisant dans différents champs disciplinaires. Ainsi, on suppose que le chercheur ira au-delà de la simple juxtaposition des disciplines (pluridisciplinarité), et utilisera des éléments complémentaires de chaque discipline afin de faire progresser la recherche (Jollivet et Legay, 2005). L’interdisciplinarité peut également supposer un rapport à l’action comme source de connaissances; comme le sujet de recherche répond à un besoin réel et actuel, il sera traité en vue d’agir (Jollivet et Legay, 2005). La recherche interdisciplinaire, et plus particulièrement celle impliquant des disciplines liées aux sciences sociales et aux sciences de la nature, est un facteur clé pour l’étude de problématiques environnementales (Petts, Owens et Bulkeley, 2008). Pour aborder l’interdisciplinarité, nous avons choisi d’utiliser une approche de type recherche-action participative. En effet, pour que les résultats d’une recherche soient utilisables dans l’action, les données de base et leur analyse doivent correspondre aux réalités et contraintes auxquelles sont confrontés les acteurs au cœur de la démarche d’adaptation aux changements climatiques (Jollivet et Legay, 2005). Cette approche exige que le chercheur

s’intègre dans le milieu de recherche et que les objectifs de la démarche soient choisis conjointement avec les parties prenantes. On perd alors une certaine apparence d’objectivité, mais cette dernière est compensée par une compréhension fine des situations et du contexte dans lequel se situe le sujet d’étude. À travers le monde, le rôle joué par les administrations urbaines dans l’adaptation aux changements climatiques est largement reconnu; plusieurs villes réalisent la contribution potentielle qu’elles peuvent fournir en la matière et s’engagent à appliquer concrètement des mesures d’adaptation (Scanu et Cloutier, 2015). Les raisons pour lesquelles les villes s’engagent volontairement dans une telle démarche et les facteurs favorisant (ou non) cette mission sont multiples : conséquences majeures sur l’environnement bâti et la communauté lors d’inondation touchant des quartiers entiers, problèmes de santé communautaire lorsque des personnes vulnérables habitent des îlots de chaleur, préoccupations citoyennes de plus en plus pressantes, etc. Toutefois, si certaines conditions favorisant l’engagement des villes sont prédominantes et communes, le contexte particulier peut toutefois entraîner des différences substantielles (Scanu et Cloutier, 2015). Comme une MRC regroupe plusieurs municipalités d’un territoire d’appartenance pour former une entité administrative reconnue au sens de la Loi sur l’organisation territoriale municipale, la multiplicité des contextes municipaux, mais aussi économiques, sociaux et environnementaux, devient un enjeu en termes de planification de l’adaptation aux changements climatiques(MAMOT, 2018). Bien que certains concepts présentés dans la littérature s’avèrent utiles, le projet jette une nouvelle lumière sur les plans d’adaptation réalisés au Québec par le passé, puisqu’il s’intéresse à l’échelle de la MRC plutôt qu’à l’échelle municipale (Bunzli, 2018). Ainsi, comme la MRC se situe à mi-chemin entre les instances municipales locales et les intervenants régionaux, le projet permettra d’étudier la gouvernance multiniveau au sein d’une région circonscrite administrativement, qui fait notamment l’objet d’une vision stratégique d’aménagement du territoire et de développement économique (Loi sur les compétences municipales, section IV et Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, article 2.2).

L’approche utilisée dans le cadre du projet global coordonné par la MRC de Memphrémagog et l’équipe universitaire dépasse largement le sujet de la présente recherche; en effet, une équipe multidisciplinaire travaille sur plusieurs aspects de la démarche, à la manière de morceaux de casse-tête qui s’emboîtent. La façon dont se construit la gouvernance entre les acteurs de la MRC de Memphrémagog est ainsi teintée, par exemple, de la façon dont un membre donné de l’équipe de recherche préparera et présentera les différentes cartes de vulnérabilités sociales et territoriales aux acteurs du milieu. Cette recherche n’évolue

multidimensionnelle. À ce titre, ce projet contribue à répondre de façon transversale à différentes problématiques liées à l’adaptation aux changements climatiques, et dont le cadre administratif ne se restreint pas au territoire circonscrit de la MRC. Par exemple, les changements climatiques ont des impacts concrets sur les activités hivernales, en particulier sur le ski alpin et le ski de fond (Rutty et Scott, 2016). La viabilité économique de ces activités est compromise par la variabilité interannuelle de la couverture neigeuse (Gilaberte-Búrdalo, Lopez-Martin, Pino-Otin et Lopez-Moreno, 2014). Dans cette perspective, les acteurs locaux ont avantage à miser sur une diversification des activités afin d’assurer le développement durable de ce secteur d’activité particulier (Rodrigues, 2018). Le présent projet de recherche, en documentant la construction de la gouvernance entre ces acteurs, favorise l’émergence de liens d’affaires et le développement durable d’activités complémentaires et économiquement viables; la dynamique collective est nécessaire pour créer une vision et un plan d’adaptation collaboratif dans le processus de création et de prise de conscience des communautés locales (Freeman et Thomlinson, 2014).

La question de l’innovation de l’approche doit aussi être abordée; un tel type d’effort de cocréation et de coopération a pour but de mobiliser et d’accompagner les différents acteurs du développement de la région. Cette approche collaborative se veut innovante, appelant à une reconceptualisation du rôle assumé par les parties prenantes au sein même du processus (McPhee, Guimont et Lapointe, 2016).