• Aucun résultat trouvé

Nous avons constaté (voir en particulier 2.2 ou 3.2.2) la difficulté d’évaluer les connaissances mathématiques des enseignants, et plus encore de quantifier leur influence sur les résultats des élèves. Nous avons vu également l’appel venu des Etats-Unis pour déterminer « what knowl-edgeable teachers do in classrooms—or how knowing mathematics affects instruction » (Hill et al., 2005, p. 401). Cette question de l’effet sur l’enseignement, plutôt que sur l’apprentissage, ne peut pas, à notre avis, être complètement traitée par les méthodes quantita-tives principalement utilisées outre-Atlantique. La didactique française des mathématiques propose des approches permettant de traiter cette interrogation de l’effet sur l’enseignement, en particulier grâce à la structuration du milieu, mais aussi grâce au concept de pertinence introduit par Bloch (2009).

7.1 Origines et définition du concept de pertinence chez Bloch

La constatation de la difficulté du passage entre les études universitaires et la pratique de l’enseignement est assez généralement partagée. Bloch (2009) cite en particulier les impor-tantes difficultés rencontrées par les professeurs français ayant réussi leur CAPES69 de ma-thématiques et qui rencontrent d’importantes difficultés dans leurs premières tentatives d’enseignement. Une part importante de ces difficultés est due à « une conception très for-melle des mathématiques, qui leur interdit d'envisager des "mises en scène" du savoir mathé-matique, ainsi que de comprendre les procédures d'élèves rencontrées dans leurs classes » (p.

27). Cette conception formelle, ainsi que le manque de connaissances disponibles70, sont mis en évidence par Pian (1999, p. 12) à propos d’étudiants de CAPES. Dans la même veine, Ro-bert (2001) insiste sur le fait que ces connaissances sont « insuffisantes, trop isolées, manifes-tées en des productions écrites dont, affirment certains, le "sens" est trop souvent absent » (p.

74).

Il s’agit donc, pour la formation de ces jeunes enseignants, de faire évoluer leur épis-témologie personnelle (Bloch, 2009, p. 29). Cette épisépis-témologie se manifeste par le refus de rédiger complètement une solution d’exercices, par la difficulté à prévoir des exercices sur un thème donné et à anticiper des procédures d’élèves, par un manque des tolérance aux formula-tions des élèves vues comme non conformes à l'écriture mathématique correcte (p. 29).

En vue de faire évoluer ce contrat, Bloch propose une mise en œuvre de situations ouvertes en formation. Afin d’observer l’évolution du contrat, elle observe l’évolution de la pertinence mathématique des interventions du professeur.

Une intervention mathématique est pertinente si elle rend compte dans une certaine me-sure de la fonctionnalité de l'objet mathématique visé ; ou, s'agissant d'enseignement, si elle permet au moins de progresser dans l'appréhension de cette fonctionnalité, avec des énoncés de propriétés mathématiques contextualisées ou non, des arguments appropriés sur la validité de procédures ou sur la nature des objets mathématiques. (2009, p. 32)

69 Concours du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré.

70 « Ce niveau se réfère à la possibilité de savoir, d'une part résoudre ce qui est proposé sans indication, en allant rechercher seul dans ses connaissances ce qui peut intervenir, d'autre part de pouvoir construire des contre-exemples, appliquer des méthodes non prévues, changer de point de vue. Ce niveau est lié à une organisation des connaissances, à la possibilité de se servir de situations de référence. L'étudiant est autonome, découvre ou redécouvre seul un savoir nouveau. » (Pian, 1999, p.

10)

7.2 Critères de la pertinence mathématique

Cette pertinence peut être évaluée indirectement par les effets de cette intervention sur les

« actions ou formulations nouvelles des élèves qu'a permis l'intervention » (Bloch, 2009, p.

32). Cependant, il faut signaler que, le plus souvent, l’identification de la pertinence passe par la mise à jour de son manque (Bloch, 2009, p. 32).

Par le moyen d’une étude de cas, Bloch établit des critères permettant de déterminer plus directement la pertinence mathématique des interventions du professeur. Ces trois cri-tères, peu nombreux afin de rendre possible leur indentification en classe, sont valables pour les mises en œuvre de situations complexes comportant une dimension adidactique (C1 à C3) et pour les séances ordinaires (C1 et C2) :

- C1 est la capacité à interagir avec les élèves sur des éléments mathématiques de la si-tuation et à encourager l'activité des élèves par des interventions et des retours sur leur production mathématique ;

- C2 est la tolérance aux formulations provisoires et approximatives, aux expressions dans l'action, et la capacité à reconnaître les idées mathématiques qui sont incluses dans des ostensifs non canoniques ;

- C3 est l'aptitude à conduire la situation à son terme avec une phase de débat et valida-tion ; ceci inclut la capacité à sélecvalida-tionner des formulavalida-tions et à en laisser d'autres de cô-té, et à gérer la chronologie du débat sans le tuer par l'énoncé immédiat des meilleures productions ou du savoir visé. (Bloch, 2009, p. 33)

Ces critères de pertinence peuvent être rapprochés d’autres modélisations permettant de lier les connaissances de l’enseignant au déroulement effectif des leçons, par exemple la descrip-tion en terme de résonnance des intervendescrip-tions d’élèves sur le projet du professeur (Comiti et al., 1995, pp. 103-104).

7.3 Adaptation des critères de pertinence

Les critères développés par Bloch (2009) et plus généralement son analyse (1997) ont été dé-veloppés pour de jeunes enseignants du secondaire, sortant d’une formation de mathématiques et pour la modélisation de situation adidactique. Il est donc nécessaire d’examiner s’ils sont adéquats pour l’enseignement primaire et pour un enseignement ordinaire –souvent ostensif–

et, le cas échéant, envisager leur adaptation.

7.3.1 Primaire

En ce qui concerne les connaissances mathématiques des enseignants, Bloch (1997, pp. 16-17) estime que le problème se pose à peu près dans les mêmes termes au primaire qu’au se-condaire en ce qui concerne le contrôle de l’activité mathématique des élèves, malgré l’absence de formation mathématique universitaire des professeurs. Perrin-Glorian, de son côté, considère que la question du savoir mathématique du professeur est encore plus cruciale au primaire pour trois raisons :

• les savoirs sont naturalisés et automatisés

• les mathématiques sont souvent moins visibles car imbriquées dans des contextes concrets

• les enseignants ont une formation initiale très diverse en mathématiques (Perrin-Glorian, 2008, p. 24).

Ces trois caractéristiques ne sont pas en contraction avec les définitions de Bloch. La défini-tion de la pertinence et les critères ne comportant effectivement pas d’éléments particuliers à l’enseignement secondaire, une adaptation ne semble pas nécessaire.

7.3.2 Ostension

L’utilisation de connaissances mathématiques par l’enseignant, ainsi que les possibilité d’apprentissage pour lui, apparaissent essentiellement lors des phases adidactiques, et plus particulièrement lors du

[…] débat sur les critères de validité. En effet c'est lors de cette phase que les connais-sances et savoirs mathématiques sont discutés publiquement dans la classe, et qu'ils ont la possibilité d'être éprouvés, confrontés au milieu mis en place par le professeur et ré-gulé par ses soins. Or les élèves doivent disposer de temps, et d'un milieu résistant, pour éprouver les critères; il en résulte que :

— soit le milieu prévu est suffisant, ce qui signifie que le professeur a mis en place, d'emblée, un milieu complexe, suffisamment riche pour être éprouvé et résister aux tests sur les critères de validité; il s'agit donc d'un professeur qui dispose des connaissances nécessaires sur la situation (bien que l'on puisse considérer que ces connaissances vont s'actualiser dans le jeu de cette situation);

— soit il s'avère insuffisant, et le professeur devra réagir en adaptant et en complexifiant le milieu, auquel cas cette adaptation lui apportera des connaissances sur la situation.

Mais dans les deux cas, le milieu comporte bien des critères de validité, et un débat pos-sible sur l'efficacité de ces critères. Nous soutenons que là peut être l'origine de l'appren-tissage du professeur. (Bloch, 1999, p. 169)

En revanche, dans un enseignement magistral ou dans un enseignement par ostension,

le professeur n'utilise pas, à supposer qu'il les possède, ses connaissances sur ces no-tions : il n'a pas à le faire, car rien dans la situation, ni le milieu, ni les élèves [...] ne le sollicite. Il ne les construit bien évidemment pas non plus, si c'était nécessaire.

Le professeur dans ce cas, en fin d'apprentissage, vise exactement l'utilisation, par les élèves et par lui-même, des mêmes connaissances. (p. 172)

Afin de discuter cette affirmation, il semble nécessaire de rappeler quelques définitions du procédé d’ostension et de distinguer les types d’ostension.

L’enseignement par ostension part de l’idée que pour enseigner, il suffit de montrer ce qu’il faut faire. Plus précisément Ratsimba-Rajohn (1977) définit la présentation ostensive comme la donnée par l’enseignant de « tous les éléments et relations constitutifs de la notion visée ». Les particularités d’un contrat d’ostension ont été décrites par Brousseau :

Le professeur "montre" un objet, ou une propriété, l'élève accepte de le "voir" comme le représentant d'une classe dont il devra reconnaître les éléments dans d'autres circons-tances. La communication de connaissance, ou plutôt de reconnaissance, ne passe pas par son explicitation sous forme d'un savoir. (Brousseau, 1997, p. 50)

Berthelot et Salin (par exemple (Berthelot & Salin, 1993-1994)) ont bien montré la prégnance de ce type de pratique dans l’enseignement de la géométrie à l’école primaire et au collège et Salin (1999) a décrit des pratiques d’ « ostension assumée » et d’ « ostension déguisée ». La plupart des auteurs ont également démontré le peu d’efficacité de ce type d’enseignement en mathématiques, mais il faut bien reconnaître avec Brousseau que, « bien que fondé sur une épistémologie "fausse", [le contrat d'ostension] est pourtant très utilisé par les enseignants car

il fonctionne très bien dans de nombreux cas où une définition mathématique serait trop lourde ou inutile » (1997, p. 51).

L’importance de l’ostension dans l’enseignement ordinaire oblige donc le chercheur souhaitant effectuer une recherche naturaliste à articuler son cadre théorique et cette pratique.

Du point de vue des savoirs et des connaissances, Bloch (1999, pp. 173-174) considère qu’ostension et connaissances de l’enseignant sont liés différemment selon les types d’ostension. Lors d’une ostension de savoir, le professeur ne peut sortir de sa position sur les savoirs et les connaissances ne peuvent survenir. Lors d’une ostension de connaissances ma-thématiques, le professeur montre le savoir (par exemple la formule) et explique comment s’en servir sur des exemples bien choisis. Il peut également parfois y avoir ostension de naissances mathématiques non pertinentes par rapport au savoir ou encore ostension de con-naissances non mathématiques, culturelles par exemple.

Ainsi donc, l’étude de l’utilisation que fait l’enseignant de ses connaissances mathé-matiques n’est pas mise de côté par Bloch dans son article de 1999. Cette étude n’est peut-être pas aussi fondamentale que celle de la situation adidactique, elle n’en est pas pour autant inu-tile. D’ailleurs les deux premiers critères de pertinence mathématique de l’enseignant se réfère explicitement aux situations ordinaires (voir 7.2). Nous verrons en (14.1.6.2) quelle adapta-tion pourra être faite du troisième critère.

On retrouve d’ailleurs ici le point de vue de Margolinas (2002b, p. 144) qui condère que le professeur est dans une situation non didactique (personne n’a construit cette si-tuation pour qu’il apprenne), mais qu’il peut transformer ses connaissances dans l’interaction avec son milieu, comme dans toute situation non didactique. Cependant il s’agit pour lui gé-néralement d’une situation d’action et rarement d’une situation de formulation, de validation ou d’institutionnalisation et il ne dépasse que rarement la dialectique de l’action.