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Le développement des études sur l’enseignant dans la TSD est en particulier marqué par les efforts visant à mieux définir le milieu et à mieux distinguer le milieu vu du point de vue de l’élève et le milieu vu du point de vue de l’enseignant. De plus cette structuration du milieu

« s’attache à préciser les connaissances des acteurs impliqués dans la situation, à chaque ni-veau de celle-ci » (Bloch, 1999, p. 142), elle peut donc permettre de structurer cette re-cherche.

6.1 Niveaux d’activité et structuration du milieu

Le milieu est défini par Brousseau (2003) comme « tout ce qui agit sur l'élève ou/et ce sur quoi l'élève agit ». Brousseau propose le schéma suivant :

Figure 7 : Le milieu du professeur (Brousseau, 1986, p. 88)

« L’interaction principale du professeur s’effectue avec un système lui-même composé de l’interaction élève-milieu. Ce schéma correspond au niveau de la situation didactique. Mais il s’agit là d’un milieu pour le professeur […] » (Margolinas, 2002b, p. 144). Brousseau propose alors un modèle d’emboîtement des milieux pour l’analyse de situations effectives.

Dans ces situations, [les situations didactiques réelles], nous pouvons distinguer au moins quatre personnes, quatre sujets distincts auxquels l’élève peut s’identifier et donc cinq milieux avec lesquels il peut interagir selon des modes différents. Ces milieux étant emboîtés, nous les décrirons comme des niveaux du "milieu" de l’élève. » (Brousseau, 1986, p. 40)

On a ainsi un emboîtement de situations dont chacune sert de milieu à la suivante (Brousseau, 2003), une structure d’oignon (voir Figure 8).

Dans la perspective d’une étude plus approfondie de l’activité du professeur dans de telles situations, en vue de « décrire le professeur comme un sujet dont les connaissances lui permettent d'interagir avec un milieu, qui en retour permet de transformer ses connaissances, c'est à dire d'apprendre » (Margolinas, 2002b, p. 143), Margolinas précise les niveaux d’activité du professeur à chaque niveau du milieu :

P+3

Niveau noosphérien ou idéologique

[…] activité du professeur qui réfléchit de façon très générale à l'enseignement, ou bien, toujours en général, à l'enseignement des mathématiques. A ce niveau, l'acti-vité du professeur n'est pas finalisée.

P+2

Niveau de construc-tion ou de concep-tion d’un thème

[…] activité du professeur est de concevoir les grandes lignes de l'enseignement d'un thème. Du point de vue de l'ingénierie didactique, c'est à ce niveau qu'inter-vient de façon caractéristique la recherche d'une situation fondamentale. Si l'on considère l'observation des pratiques ordinaires, on pourrait parler à ce niveau de recherche de problématique.

P+1 Niveau de projet de

leçon […] activité du professeur qui détermine le scénario d'une leçon.

P0 Niveau de la situa-tion didactique

[…] action du professeur en classe. Il s'agit du niveau de base dans lequel les élèves et le professeur interagissent es-qualité ; et c’est pourquoi il reçoit le numéro zéro.

P-1

Niveau

d’observation ou de dévolution

[Niveau] de la dévolution ou de l'observation de l'activité des élèves.

Tableau 4 : Niveaux d’activité du professeur, d’après (Margolinas, 2002b, p. 142)

Elle précise également qu’il ne s’agit pas d’un modèle temporel mais d’un modèle structurel permettant « une multiplicité d'interprétation de l'activité du professeur du point de vue tem-porel » (p. 143). Elle souhaite surtout insister sur le fait que le professeur, dans une position donnée, est toujours en interaction avec le niveau supérieur (et les niveaux supérieurs) et le niveau inférieur (et les niveaux inférieurs).

Grâce à l'observation de l'activité des élèves (Niveau -1), le professeur peut prendre des décisions en classe (Niveau 0) qu'il n'avaient pas anticipé, mais aussi transformer sa sé-quence (Niveau +1) voire sa conception du thème mathématiques (Niveau +2) et même une de ses idées sur l'enseignement en général (Niveau +3). (Margolinas, 2002b, p. 143) Pour tenir compte de cette complexité, elle élargit et modifie le modèle initial dans la perspec-tive d’une étude plus approfondie de l’activité du professeur, les rôles de l’enseignant et de l’élève deviennent ainsi symétriques. Margolinas (1995, 2002b) présente ainsi le modèle sous la forme d’un tableau qui, s’il fait moins apparaître l’emboîtement, permet de hiérarchiser les situations et de mettre en évidence les symétries.

M+3 : M-Construction P+3 : P-Noosphérien S+3 : Situation noosphérienne Tableau 5 : Structuration du milieu (Margolinas, 2002b, p. 145)

Les situations ne sont pas réduites au temps de la leçon en classe, même si certaines phases d’une situation didactique sont partiellement caractérisées par des situations de niveaux diffé-rents. Elles ne sont pas non plus temporellement successives (Margolinas, 1995, p. 96) et chaque niveau peut être considéré dans le présent de l’action, mais aussi dans le passé ou le futur. Par exemple, durant le travail en classe, le professeur peut travailler au niveau +1 en projetant une future leçon ou en se souvenant de son travail passé de préparation. De la même manière, il est en tension entre son ambition, qu’elle concerne la leçon (niveau +1), le thème

(niveau +2) ou plus généralement l’enseignement (niveau +3) et ce qu’il pense que les élèves pourront répondre (niveau 0) ou la façon dont il souhaite les observer (niveau -1) (Margolinas, 2004, p. 75).

6.2 Analyse ascendante et analyse descendante

Cette présentation permet de déterminer les situations Si soit par une analyse ascendante, du point de vue de l’élève, de S-3 à S0, soit par une analyse descendante, de S3 à S0, du point de vue du professeur. En effet, suivant l’idée de Perrin-Glorian, on peut

[...] considérer qu'à chaque instant l'enseignant interagit avec deux milieux: d'une part le milieu constitué par l'élève agissant sur son propre milieu contenant lui-même tous les niveaux de rang inférieur [...] d'autre part en se plaçant à un niveau donné, l'enseignant interagit aussi avec les milieux de niveaux surdidactiques, emboîtés dans l'autre sens.

(1999, p. 305)

La situation S0 a alors un statut particulier car le milieu M0 est déterminé à la fois par les ni-veaux de rang inférieur et par les milieux surdidactiques. Dans son cours de la 11ème école d’été de didactique, Margolinas (2002b, pp. 145-148)64 obtient ainsi quatre nouvelles compo-santes du milieu de la situation S0. Pour cette détermination, la double référence, à la repré-sentation en tableau ci-dessus et à la reprérepré-sentation en oignon nous semble nécessaire. Rappe-lons que le milieu Mi est constitué du triple (Mi-1 ; Ei-1 ; Si-1) du niveau inférieur. Ce qui donne pour les milieux voisins de M0 :

Figure 8 : Emboîtement des milieux -1 à +1

Cette détermination nous permettra d’analyser le rôle joué par les connaissances mathéma-tiques dans certaines situations de classe que nous avons observées.

En position 0, le maître et l’élève sont en interaction avec le milieu M0. Pour l’élève, il est milieu d’apprentissage. Pour le professeur, il s’agit d’un milieu d’observation M0 = (M-1 ; E-1 ; S-1).

64 Un CD-ROM accompagne ces actes et les schémas d’emboîtement de la structuration du milieu y sont plus détaillés que dans la version papier de l’article.

Figure 9 : Situation didactique S0, détermination par l’analyse ascendante, d’après Margolinas65 (2002b, p. 146)

Mais le maître et l’élève sont aussi en interaction avec leur position de niveau supérieur. Pour l’élève, il s’agit de E-Réflexif et pour le maître de P-projeteur. Ce qui donne respectivement un composant réflexif et un composant projecteur à cette partie supérieure du milieu M0.

Figure 10 : Situation didactique S0, détermination par l’analyse descendante, d’après Margolinas66 (2002b, p. 147)

65 Nous avons choisi de replacer les sommets du triangle dans la même position que le schéma de Brousseau en Figure 7 et avons précisé le sens des flèches entre E0 et le milieu d’apprentissage.

On peut réunir ces deux schémas dans un développement de la structure d’oignon :

Figure 11 : Les milieux de la situation didactique S0

La fonction du professeur est ici à la fois de conclure (ce qui provient de l’analyse ascen-dante) et d’institutionnaliser (ce qui provient de l’analyse descenascen-dante). La dimension chro-nogénétique de la situation apparaît dans les interactions entre P0 et le milieu de projet, ainsi que dans celle de E0 avec le milieu de réflexion. La dimension topogénétique intervient elle dans la distinction des différentes composantes du milieu (Margolinas, 2002b, p. 147). Plus simplement, on peut résumer tout ceci dans un tableau :

S0 Situation didactique E0

M-réflexion M-projet

P0

S0 Situation didactique M-apprentissage M-observation

Tableau 6 : Situation didactique S0, détermination par l’analyse descendante (Margolinas, 2002b, p. 147)

Margolinas (2002a) donne de la même manière la détermination des situations S+1 ; S+2 ; S+3 et S-1 que nous résumons ici sous la seule forme tableau :

66 Nous avons choisi de replacer les sommets du triangle dans la même position que le schéma de Brousseau en Figure 7 et avons précisé le sens des flèches entre P0 et le milieu de projet.

P+3 Tableau 7 : Composantes des milieux d’après (Margolinas, 2002a). Les milieux surlignés correspondent à la

version « simple » de la structuration présentée dans le Tableau 4

Des analyses descendantes et ascendantes ont été réalisée dans plusieurs articles, par exemple (Comiti, Grenier & Margolinas, 1995), (Margolinas, 1995), (Margolinas, 1998), (Perrin-Glorian, 1998), (Bloch, 1999), (Margolinas, 1999), (Coulange, 2001), (Perrin-Glorian &

Hersant, 2003), (Margolinas et al., 2005).

6.2.1 Analyse descendante

L’analyse descendante est centrée sur l’activité du professeur. Elle permet d’appréhender la façon dont l’enseignant perçoit la situation d’enseignement et ses intentions didactiques. Elle présente un caractère a priori relativement aux faits observés (Coulange, 2001, p. 320). Les niveaux +3 à +1 sont réalisés, les niveaux inférieurs sont projetés (Perrin-Glorian, 1998, p.

28). Cette analyse constitue le point de vue du professeur. Ce point de vue est construit avant la réalisation en classe et sert de filtre au travers duquel le professeur est susceptible de pren-dre des décisions et d’interpréter les actions des élèves (Margolinas, 2004, p. 78). Du point de vue de la méthode, on s’appuie le plus souvent sur le protocole de l’entretien avec les ensei-gnants. Ce « choix de méthode ne donne qu’un accès partiel au projet préalable de l’enseignant » (Coulange, 2001, p. 320).

6.2.2 Analyse ascendante

L’analyse ascendante présente « la caractéristique évidente d’une analyse a priori, dans le sens qu’elle ne dépend pas des faits d’expérience ou d’observation » (Margolinas, 1994, p.

30). Les connaissances des élèves sont moins complexes que celles de l’enseignant, toutefois elles ne sont pas de nature uniquement mathématique, mais aussi de l’ordre des « règles pé-rennes du contrat didactique » (Coulange, 2000, p. 246). Cette analyse est effectuée du point de vue de l’élève générique. Au sens strict, ce point de vue correspond à la constitution de la position E0. Selon l’hypothèse faite par Margolinas, « on peut considérer une temporalité

di-dactique dans laquelle les positions En-1 sont passées et les positions En+1 sont à venir » (1998), et donc partir de la position E-3 pour déterminer E0.

Lorsque l’activité ne met en jeu que des savoirs très anciennement institués, le ni-veau -3 n’implique que des connaissances naturalisées, le nini-veau -2 ne fait appel qu’à des connaissances stables, réactualisées par la situation, le niveau -1 est absent. De telles situa-tions sont appelées nildidactiques (Margolinas, 2004, p. 65).

6.2.3 Bifurcations didactiques

Cette analyse ascendante du point de vue de l’élève conduit parfois à déterminer une ou plu-sieurs situations S0 qui ne correspondent pas à la situation S0 déterminée par analyse descen-dante du point de vue du professeur. Margolinas (2004) parle alors de bifurcations didac-tiques et considère les situation S-3, S-2, S-1 déterminées successivement et aboutissant à la situation S0 du professeur comme une branche principale et les éventuelles autres branches comme des branches marginales. Ces branches peuvent être adidactiques ou nildidactiques et conduire au niveau +1 à des tensions entre P+1 et E+1, tensions considérées du point de vue du professeur comme des malentendus, et du point de vue de l’élève comme une rupture du con-trat didactique, puisque le professeur n’a pas fourni le bon problème pour l’apprentissage du savoir visé (pp. 85-87).

6.3 Structuration du milieu et étude cognitive

Nous nous intéressons au professeur et à ses connaissances mathématiques. Nous considére-rons donc essentiellement les milieux du professeur. La situation du professeur n’a pas été conçue pour que ce dernier apprenne. Elle est donc non didactique (Margolinas, 2002b, p.

154). Toutefois l’enseignant peut « se mettre en situation réflexive sur son action et apprendre de la situation d'enseignement » (Perrin-Glorian, 1999, p. 305). Margolinas propose ainsi de reprendre, pour le professeur, l’idée de deux natures possibles du milieu introduite par Frego-na (1994) : antagoniste et allié67. Elle en donne les définitions suivantes :

On dira qu'un milieu est de nature antagoniste s'il est susceptible de produire des ré-troactions sur les connaissances du sujet. On dira qu'un milieu est de nature alliée s'il ne permet que l'action du sujet, mais n'est pas susceptible de produire des rétroactions.

(Margolinas, 2002b, p. 148)

Margolinas (2002b, p. 149) pose alors l’hypothèse que, dans les situation S0, S+1 et S+2, les milieux inférieurs sont des milieux antagonistes pour le professeur, alors que les milieux su-périeurs sont le plus souvent des milieux alliés.

Le cadre de Margolinas (2002b) est alors en place pour étudier les connaissances du professeur en situation :

Quand nous parlons de professeur ou d'élève, c'est en fait des connaissances de ces su-jets que nous parlons. Ce sont les connaissances du sujet qui lui permettent d'agir sur un milieu, la rétroaction du milieu pouvant conduire à une modification de ces connais-sances (l'apprentissage). Comme tout sujet, dans l'interaction avec un milieu, le profes-seur utilise et produit des connaissances. Ce sont ces connaissances qui vont nous inté-resser ici. (p. 149)

67 Bloch propose plutôt le terme amorphe car « n'ayant pas de connaissance cristallisée à l'intérieur de lui, si bien qu'il ne renverra rien sur une connaissance spécifique, puisqu'il n'est pas structuré en fonction de cette connaissance » (2005, p. 57).

Ces interactions ont été schématisées par Coulange (Figure 12).

Figure 12 : Modèle de la situation du professeur (Coulange, 2000, p. 6)

Nous analyserons donc les épisodes de nos observations en déterminant à quel niveau d’activité du professeur l’enseignant se situe, avec quel milieu il est en interaction et quelles sont les connaissances mathématiques qu’il utilise, voire produit. Ce type d’analyse a été ef-fectué par exemple par Comiti, Grenier et Margolinas (1995), Margolinas (2002b, pp. 150-153); Coulange (2001) ou Margolinas, Coulange et Bessot (2005). Selon Robert (2008b, p.

20), « ce type d'investigation assez globale ne [prend pas] en compte la chronologie des séances ni surtout leur déroulement précis ». Nous ne partageons pas ce point de vue68 et ten-terons de l’infirmer en intégrant la chronologie des séances dans notre analyse. Notre particu-larité sera de plus de nous focaliser sur les connaissances mathématiques pour l’enseignement (voir 3.2), et de les interroger à la lumière du concept de pertinence qui sera développé dans le prochain paragraphe.

68 Voir par exemple (Coulange, 2000, chapitre C3)