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Perspectives et hypothèses : trajectoires des acteurs et carrières à l’Europe, caractéristiques de l’espace parlementaire européen et institutionnalisation des rôles caractéristiques de l’espace parlementaire européen et institutionnalisation des rôles

La « professionnalisation des élus européens » s’entend à travers une triple acceptation que l’on tentera de restituer tout au long de ce travail. Elle désigne tout d’abord l’émergence de l’Europe comme nouvelle « filière d’emploi » pour reprendre les termes de la sociologie interactionniste, une filière pour laquelle un certain nombre d’acteurs sociaux vont être amenés à consacrer une part substancielle de leur temps et de laquelle ils vont tirer l’essentiel de leurs revenus financiers ou même symboliques. Elle désigne ensuite l’apparition d’un nouveau « métier », l’émergence de savoirs et savoir-faire spécialisés, articulés les uns aux autres, même de façon contradictoire et dont les acteurs sont amenés à faire un apprentissage contrôlé. Elle désigne enfin l’émergence d’un groupe spécifique de « professionnels », engagés dans des carrières d’un type particulier, susceptibles de maîtriser les savoirs spécialisés, habilités à en faire usage et collectivement associés à la construction d’un espace partiellement autonome, régulé par la distribution de formes particulières de ressources politiques, elles-mêmes issues de l’exercice de cette activité.

Comme point d’ancrage d’une sociologie des élites politiques et parlementaires européennes, la démarche adoptée ici sous-tend donc plusieurs champs d’investigations

complémentaires. Le premier renvoie aux acteurs eux-mêmes et à l’examen de leurs propriétés sociopolitiques comme préalable à l’analyse de leurs pratiques concrètes : « que » sont ces acteurs et quelles sont les logiques présidant à leur engagement en Europe (A) ? Le second fait appel à la sociologie des rôles comme cadre d’analyse des processus d’institutionnalisation (B). Le troisième s’interroge sur les mécanismes présidant à la construction de groupes particuliers mais aussi aux caractéristiques propres de l’espace institutionnel qu’ils contribuent à structurer, situé à l’intersection du national et de l’européen (C).

A- L’Europe comme espace alternatif de professionnalisation politique

En tant qu’espace relativement fermé de jeux et de pratiques, le champ politique doit s’entendre comme un système de relations, un « champ de forces » structuré par une distribution inégale des différentes espèces de ressources sociales et politiques. Dès lors, le fait de replacer les acteurs politiques dans ce système de relations doit permettre de mieux comprendre la relation qu’ils entretiennent tant à l’égard les uns des autres que des mandats ou institutions politiques dans lesquels ils s’inscrivent à différents moments de leur histoire. Comprendre comment se définit la fonction politique européenne dans les usages que les acteurs en font, c’est donc essayer de comprendre ce qui différencie, au sein même de l’institution, un petit élu local, d’un militant d’extrême gauche ou d’un ancien ministre appelé à reconquérir, dans un court délai, des positions nationales (sauf à considérer que seule la « nature » de la fonction détermine les modalités d’entrée dans les rôles parlementaires et à demeurer de ce fait dans une posture de type objectiviste)113. C’est donc à une reconstitution de l’espace des élus français et de la place du mandat européen dans les trajectoires politiques et sociales que nous amènent les perspectives à l’origine de ce travail. Il s’agit d’évaluer les propriétés qui caractérisent les acteurs et qui permettent de les « classer » les uns par rapport aux autres.

On sait que l’oubli des acteurs est un biais classique de l’étude des institutions, que cet oubli a été particulièrement saillant au niveau européen et qu’il est évident en ce qui concerne le Parlement de l’Union européenne. De fait, malgré quelques indications ici et là, on sait peu

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C’est d’autant plus important qu’il s’agit ici d’une institution plutôt « jeune » et aux contours encore mal définis. Comme le rappelle Jacques Lagroye à propos de la région, « le risque est grand, on le sait, de postuler que les agents engagés dans le jeu institutionnel partagent des valeurs et des normes communes, qu’ils souscrivent à des croyances identiques concernant la nature et l’importance de ce jeu, et la validité de ses enjeux ». LAGROYE Jacques, « préface », in NAY Olivier, La région, une institution. La représentation, le

de choses précises sur les députés eux-mêmes : leurs histoires politiques et personnelles, leurs origines professionnelles et sociales, leurs niveaux d’étude, leurs représentations des jeux européens et parlementaires ou les croyances qui les caractérisent. Certes, les quelques études de langue anglaise déjà citées (et centrées sur les problématiques liées à la représentativité des élus européens) permettent d’avoir des éléments indicatifs de leurs propriétés sociales (sexe, âge, profession) ou de leurs propriétés politiques (mandats antérieurs, cumuls des mandats…), mais ces données sont difficilement mobilisables dans le cadre d’une enquête rigoureuse. Outre qu’elles restent partielles, elles se fondent en général sur des considérations méthodologiques peu précises. Cette lacune de la recherche est particulièrement flagrante dans le cas français. Il semble bien, en ce sens, que les études européennes aient largement pâti du déclin des études sociographiques dans la science politique française114. Passablement anciennes115, les recherches francophones n’ont pas véritablement trouvé de prolongements au niveau des institutions européennes. Ce n’est que très récemment que ces problématiques rencontrent une attention plus grande dans les études portant sur les fonctionnaires116 ou les parlementaires, notamment européens117.

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SAWICKI Frédéric, « Classer les hommes politiques. Les usages des indicateurs de position sociale pour la compréhension de la professionnalisation politique », in OFFERLE Michel (dir.), La profession politique…, op. cit. pp. 135-170. Signalons cependant l’ouvrage, en anglais, de Henrich Best et Maurizio Cotta auquel des chercheurs français ont contribué. BEST Heinrich, COTTA Maurizio (eds.), Parliamentary Representatives in

Europe 1848-2000. Legislative Recruitment and Careers in Eleven European Countries, Oxford, Oxford

University Press, nouvelle édition, 2004. Sur le cas français au sein du même ouvrage: BEST Heinrich, GAXIE Daniel, « Detours to Modernity : Long-Term Trends of Parliamentary Recruitment in Republican France 1848-1999 », pp. 88-137.

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Par exemple, DOGAN Mattéi, « Les filières de la carrière politique en France », Revue française de

sociologie, VIII, 1967, pp. 468-492 ; GAXIE Daniel, « Les logiques du recrutement politique », Revue française de science politique, vol. 30, n°1, 1980, pp. 5-45 ; COLLOVALD Annie, « La république du militant.

Recrutement et filière de la carrière politique des députés », in BIRNBAUM Pierre (dir.), Les élites socialistes

au pouvoir 1981-1985, Presses universitaires de France, 1985, pp. 11-52. L’ouvrage récent d’Olivier Costa et

Eric Kerrouche consacré aux députés français vient de ce point réactiver une problématique délaissée, COSTA Olivier, KERROUCHE Eric, Qui sont les députés français ?, Paris, Presses de Sciences-Po, 2007.

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Voir en ce sens, les recherches en cours au sein du Groupe de sociologie politique européenne de l’Institut d’études politiques de Strasbourg et en particulier les travaux déjà cités de Didier Georgakakis et Marine De Lassalle.

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En anglais, citons par exemple les travaux et communications de EDINGER Micheal, KESZEGH Béla, « MEPs in the new access countries », communication at ECPR General Conference, panel « The Emergence of a European ‘Eurocracy’ : Members of the European Parliament and Senior Officials in European Institutions », Corvinus University of Budapest, Hunagary, 8-10 septembre 2005 ; DEPAUW Sam, FIERS Stefaan, VAN HECKE Steven, « Patterns of Careers among Members of the European Parliament », communication at ECPR General Conference, op. cit. Parmi les travaux français, on peut se référer à MARREL Guillaume, PAYRE Renaud, « Des carrières au Parlement… », op. cit. Eric Kerrouche et Olivier Costa animent par ailleurs un vaste projet de recherche, toujours en cours, visant à approfondir la connaissance des parlementaires, européens et nationaux et comprenant la constitution de sociographies. KERROUCHE Eric, « L’analyse du recrutement et du rôle des parlementaires à travers le concept d’éligibilité », communication au VIIIème congrès de l’AFSP, atelier « Parlements et parlementaires », 13 septembre 2005 ; KERROUCHE Eric, « L’évolution des rôles parlementaires, éléments d’approches comparées », in COSTA Olivier, KERROUCHE Eric, MAGNETTE Paul (dir.), Vers un renouveau du parlementarisme en Europe…, op. cit. De même, on peut citer les recherches et

Il s’agit donc de s’interroger, avec précision, sur la place du mandat européen dans les trajectoires politiques, sur l’articulation du mandat européen avec les mandats nationaux ou locaux et sur l’évolution des différentes filières d’accès au Parlement. A quels types de trajectoires politiques renvoie l’entrée au Parlement européen ? Peut-on parler du mandat européen comme d’un mandat de « fin de carrière », d’un mandat correspondant à une entrée dans la carrière politique ? Les modalités et les moments de l’accès au Parlement européen évoluent-ils dans le temps ? Dans ce cadre, il s’agit cependant moins de savoir « qui sont »118 les députés que de comprendre comment les propriétés sociales ou politiques influent sur les pratiques politiques qu’ils adoptent dans un contexte donné119. Il s’agit bien d’étudier les modalités selon lesquelles divers types de ressources sociales sont reconverties par les acteurs dans la formation des ressources spécifiques aux espaces en cours d’institutionnalisation120.

C’est cet examen qui nous conduit à la première hypothèse de ce travail : le Parlement européen s’impose progressivement comme un espace pertinent d’investissement politique pour des acteurs issus de trajectoires diversifiées mais qui trouvent là l’opportunité d’une professionnalisation politique improbable dans un cadre local ou national plus classique. L’Europe s’impose comme une nouvelle « filière d’emploi ». Dans ce cadre cependant, la présence à l’Europe renvoie moins à un choix délibéré qu’à une logique de trajectoire faisant du Parlement un espace (inattendu) d’acquisition de nouvelles ressources politiques et professionnelles. Ce sont les transformations progressives du recrutement à l’Europe qui contribuent à faire de l’Europe un espace de professionnalisation politique alternatif à l’occupation de positions nationales ou exécutives locales. Nous verrons alors comment, dans un contexte de large ouverture des possibles politiques, lui-même lié aux évolutions institutionnelles des années 1990, ces transformations favorisent l’adoption de postures et de modes d’investissement plus directement entrepreunariaux, dispositions qui modifient, en elles-mêmes, les usages que les acteurs sont amenés à faire du mandat et de l’institution : de

« secondaire », le mandat européen s’impose progressivement comme un mandat

travaux consacrés aux auxiliaires politiques, tels que ceux de Sébastien Michon sur les assistants parlementaires européens. MICHON Sébastien, « Les assistants parlementaires au Parlement européen. Sociologie d’un groupe d’auxiliaires politiques », in COURTY Guillaume (dir.), Le travail de collaboration avec les élus, Paris, Michel Houdiard Éditeur, 2005, pp. 118-135.

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Ce à quoi les études déjà citées se limitent souvent, dans une optique générale d’appréhension de la représentativité sociale du personnel politique.

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MATHIOT Pierre, SAWICKI Frédéric, « Les membres des cabinets ministériels socialistes en France (1981-1993). Recrutement et reconversion », Revue Française de science politique, vol. 49., n°1 et 2, 1999, pp. 3-29 et 231-264.

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BOURDIEU Pierre, CHRISTIN Rosine, « La construction du marché. Le champ administratif et la production de la politique du logement », Actes de la recherche en sciences sociales, 1990, n°81/82, pp. 65-85.

« primaire ». C’est dans ce contexte que vont progressivement se dessiner des « carrières à l’Europe », entendues au double sens de « filières d’emploi » et de « trajectoires socio-professionnelles ».

B- Pratiques d’assemblée, rôles professionnels et métier politique

En prolongement logique d’une étude de la morphologie et de la trajectoire des acteurs, le second champ d’investigation reste celui des usages du mandat et des pratiques d’assemblée. Cette démarche nous ramène à la seconde hypoyhèse de ce travail, celle de l’émergence d’un nouveau « métier » politique, de nouveaux savoirs spécialisés articulés les uns aux autres. En soi, une problématique centrée sur la différenciation des espaces européens et l’institutionnalisation de nouveaux métiers renvoie donc très directement à la façon dont des rôles institutionnels (et professionnels) sont construits et saisis au quotidien par les acteurs. Ce sont ces rôles, en effet, qui définissent des figures institutionnelles et donnent aux institutions (comme aux professions) leurs propriétés concrètes (ce qui fait qu’un député est ce qu’il est, qu’il adopte un comportement conforme aux définitions instituées du poste qu’il occupe et qu’il entretient avec ses pairs une communauté d’intérêts, de croyances, de pratiques et de ressources, c’est-à-dire de moyens d’action sur le monde) 121. Assimilables aux manières d’être et de faire qui ont court (qui sont légitimes) à un moment donné dans un

espace institutionnel donné122, ces rôles sont moins des donnés juridiques (découlant

directement des lois, traités ou constitutions) que des construits sociaux, le résultat institué des pratiques adoptées par les acteurs dans un état antérieur du jeu, elles-mêmes fonction des contraintes juridiques existantes, des ressources dont ils disposent, des positions qu’ils occupent par ailleurs, des luttes qui les caractérisent et des contextes dans lesquels ils sont placés, c’est-à-dire des structures de contraintes et d’opportunités qui se présentent à eux.

Plusieurs points doivent néanmoins être précisés, en rapport avec notre objet. Premièrement, les rôles s’imposent aux nouveaux venus. Ceux-là, en effet, sont toujours contraints (à moins d’être exclus du jeu ou de la répartition des trophées auquel le jeu donne accès) de se soumettre à la définition du poste qu’ils occupent et aux représentations

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Voir le numéro spécial de Politix consacré à l’institutionnalisation des rôles, vol. 10, n°38, 1997, notamment « On ne subit pas son rôle. Entretien avec Jacques Lagroye », pp. 7-15 et NAY Olivier, « L’institutionnalisation de la région comme apprentissage des rôles. Le cas des conseillers régionaux », pp. 18-46.

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Les rôles se présentent comme des « manières d’agir et des façons de faire qui sont dominantes dans l’espace institutionnel et qui apparaissent pour cette raison comme les plus appropriées et les plus pertinentes », NAY Olivier, « L’institutionnalisation de la région… », op. cit., p. 42.

dominantes des (bonnes) manières de le tenir au moment où ils y accèdent. Par l’apprentissage qu’ils supposent, les rôles contraignent aussi bien les pratiques que les représentations de ceux qui doivent, à un moment donné, les endosser123. L’attention aux modalités d’entrée dans l’institution doit dans ce cadre s’avérer particulièrement utile à la compréhension des logiques d’institutionnalisation. Comment les nouveaux élus apprennent-ils à se repérer dans une institution toujours décrite et présentée comme extraordinairement

complexe ? Comment s’adaptent-ils aux particularités du jeu politique européen (la

multiplicité des appartenances nationales, le caractère très spécifique des procédures législatives, la fluidité des majorités, le caractère consensuel de la délibération, etc.) ? Comment gèrent-ils des prescriptions de rôles éventuellement contradictoires avec leurs propres représentations du rôle d’un élu ou avec celles défendues par leur parti ? Bien entendu, les modalités d’appropriation de ces rôles institutionnels demeurent différenciées selon les élus. Même dans une institution totale, les individus conservent une marge de jeu et d’autonomie, ne sont jamais totalement contraints par leur rôle124. Les rôles institutionnels sont donc constamment soumis aux ajustements réalisés par ceux qui les habitent concrètement (notamment lors de conjonctures qui accélèrent la fragilisation des définitions antérieures)125.

Porter attention aux multiples résistances des acteurs et aux « rappels à l’ordre » qu’ils provoquent est alors d’un grand intérêt. Le relatif éclatement de la représentation française au cours des années 1990 permet d’élargir l’analyse en déplaçant l’attention sur l’arrivée au Parlement de nouveaux élus et partis politiques. Ainsi, comme nous aurons l’occasion d’y

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Ces processus d’apprentissage sont d’autant plus aisés que les acteurs possèdent les différentes ressources sur lesquelles ces rôles sont fondés. La capacité à les endosser est ainsi inégale et socialement distribuée. Au début du siècle, les difficultés rencontrées par les élus socialistes et ouvriers lorsqu’ils accèdent à des postes électifs illustrent bien de ces processus. Alors qu’ils ne possèdent pas les ressources et propriétés sociales adéquat, ces derniers sont pourtant contraints d’endosser les rôles associés à la fonction de maire mis en forme par les anciens détenteurs du poste eux-mêmes issus de la bourgeoisie. Ce n’est que progressivement et très difficilement qu’ils parviennent à réorienter les définitions de la fonction de façon à les ajuster à leurs propres ressources et perspectives politiques. OFFERLE Michel, « Illégitimité et légitimation du personnel ouvrier avant 1914 »,

Annales. Economies. Sociétés. Civilisations, vol. 4, 1984, pp. 681-713 ; LEFEVRE Remi, « Le conseil des

buveurs de bière de Roubaix… », op. cit.

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GOFFMAN Erving, Asiles. Etude sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Minuit, 1974 (première édition originale, 1961)

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La stabilité des institutions et des rôles institués dépendant, dans une large mesure, de la stabilité des configurations internes et externe à l’espace considéré. Cf. DOBRY Michel, Sociologie des crises, op. cit. Pour des études de cas, on peut se référer à l’ouvrage de Jacques Lagroye et Bernard Lacroix sur le Président de la République, déjà cité, ainsi qu’aux travaux de Brigitte Gaïti sur la naissance de la cinquième république ou de Louis Briquet sur les transformations du champ politique italien dans les années 1990. BRIQUET Jean-Louis, « L’impératif du changement. Critique de la classe politique italienne et renouvellement des parlementaires dans la crise italienne (1992-1994) », in OFFERLE Michel (dir.), La profession politique…, op. cit., pp. 225-277 ; GAITI Brigitte, « Syndicat des anciens » contre « forces vives » de la Nation, le renouvellement politique de 1958 », Ibid, pp. 279-306.

revenir, l’élection d’élus verts, d’élus dits « d’extrême gauche » ou d’élus dits « souverainistes » a donné lieu à des tensions dont la gestion, par les élus en question et le reste de l’assemblée, n’a rien d’évident. Du fait de profils plus hétérodoxes et plus fortement fondés sur des parcours militants, ces élus tendent à contester les définitions du poste qui s’imposent à eux. Alors que la fonction s’est en partie définie, au cours des années 1990, à travers la figure de « l’expert », ils tendent au contraire, et par exemple, à en promouvoir une conception plus directement politique. Ce faisant, ils se trouvent rapidement confrontés à des exigences définies antérieurement à leur arrivée dans l’institution qui, pour eux, pèsent d’autant plus fortement qu’ils n’ont pas forcément intérêt à négliger les ressources que peuvent leur procurer une insertion harmonieuse dans les jeux institutionnels. Parce qu’ils ont intérêt à se faire une place dans un jeu défini en dehors d’eux et à éviter leur complète marginalisation au sein de l’assemblée, tout les pousse donc, dans le même temps, à jouer les jeux de l’expertise ou du compromis qu’ils n’avaient pourtant de cesse de dénoncer à leur entrée dans l’espace. L’attention aux « prises de rôle » permet en ce sens à la fois d’objectiver les rôles par l’observation de leur apprentissage mais aussi de mettre en évidence les ajustements constants auxquels les nouveaux venus soumettent les pratiques légitimes au sein de l’espace institutionnel. L’étude des rôles constitue ainsi l’un des angles de l’analyse des processus d’institutionnalisation, c’est-à-dire de construction et d’intériorisation des ordres institutionnels et professionnels.

Deuxièmement, dans un espace européen et parlementaire longtemps exclusivement appréhendé à partir d’un point de vue juridique, il s’agit de s’interroger moins sur le droit lui-même, que sur les usages du droit. Une institution et les rôles qu’elle désigne (ce qu’est ou ce que doit être un eurodéputé) n’est pas tant ce que le droit en dit, que ce que les acteurs en font. Tout indique que les transformations institutionnelles qui débutent à la fin des années 1980 ont constitué des moments propices à une redéfinition (ou plus exactement à une spécialisation) des rôles institutionnels, des manières d’être et de faire légitimes au sein de l’espace en question. Ces transformations ont imposé de nouvelles contraintes aux détenteurs du mandat, ont offert de nouvelles marges d’actions et élargi le champ des possibles. Elles ont constitué un ensemble d’opportunités susceptibles d’être saisies par des acteurs intéressés à une redéfinition des ressources et postures légitimes au sein du Parlement lui-même. Tout indique par exemple que l’exigence de majorités importantes requise par la procédure de codécision a ouvert une fenêtre d’opportunité à ceux qui étaient en mesure (c’est-à-dire en