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Perspectives symboliques dans l'écriture de l'animal 811

"Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées : l'une vers Dieu, l'autre vers Satan. L'invocation à Dieu, ou spiritualité, est un désir de monter en garde ; celle de Satan, ou animalité, est une joie de descendre. C'est à cette dernière que doivent être rapportées les amours pour les femmes et les conversations intimes avec les animaux, chiens, chats, etc."

Charles Baudelaire

III- 1- Mise en écriture de l'animal

Sans la faculté de la raison, nous ne sommes que des animaux! Les frontières qui séparent l'espèce animale de celle humaine déterminent distinctement l'humanité des humains et la bestialité des bêtes. En outre, ces frontières deviennent aussi des balises qui nécessitent aux humains de s'en arrêter devant, pour s'examiner, se comprendre et s'identifier à travers l'autre, de repérer les différents points de convergences et de divergences dans les rapports d'altérité avec la bête. Un arrêt qui permettrait de découvrir la part d'animalité humaine et le fond dissimulé et désavoué de l'humanité animale. Descartes a parfaitement résumé la nature de cette réalité en affirmant que : "l'animal c'est l'automate, double concevable de l'homme, auquel il ne manque, pour être homme, ni le mouvement, ni les sensations, ni le désir, rien si ce n'est la raison qui est d'essence divine."277

C'est en raison de cette proximité que l'animal s'est imposé symboliquement auprès des humains pour occuper une partie de leur vie quotidienne et envahir une autre partie non négligeable de leur monde imaginaire. L'infiltration de l'animal dans l'espace fictif des hommes s'est largement développée parallèlement au développement de la pensée humaine dans un dynamisme qui se manifeste à travers des conceptions imagées qui se servent de l'animal pour explorer et déceler la nature

277 - BORGEAUD Philippe, "L'animal comme opérateur symbolique", In L'animal, l'homme, le dieu dans

Chapitre III : Perspectives symboliques dans l'écriture de l'animal 811

et la réalité des hommes. Dans ce sens, et à l'instar de beaucoup de disciplines telles que la psychologie ou l'anthropologie qui n'ont pas manqué d'investir dans le domaine de l'étude de l'animal, certainement non pas en lui-même, mais comme un moyen prospecteur du psychisme humain, la littérature n'est, à son tour, décalée de ce rang.

Qu'elle soit écrite ou orale, la littérature s'est imposée, depuis longtemps, par une masse de textes qui exploitaient la richesse symbolique que procurent les bêtes à leurs diversités afin d'édifier une éthique humaine ou rechercher de l'esthétique. Dans ce sens, Deleuze et Guattari soulèvent dans Qu'est-ce que la philosophie? Une thèse qui suppose que tout art trouve ses premières origines dans ce que l'animal lui a procuré comme aspirations278.

Il devient fructueux, voire indispensable que certains auteurs préméditent à la mise en écriture de l'animal pour mieux comprendre l'homme. Ils recourent à la modalité expressive qui vise la symbolique de la bête et tient compte de la mise en valeurs de sa charge symbolique référentielle à la fois au réel des hommes et à leur imaginaire, L'escargot de Rachid Boudjedra, Les bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma, Le mouche de Eduardo Pavlovski ou Le chat d'Yves Navarre279 ainsi que beaucoup d'autres animaux ont peuplé les œuvres littéraires pour les peindre esthétiquement et éthiquement. C'est à travers une création mythique d'une Licorne et d'un Centaure ou même d'une sirène qu'un Homère a fondé des croyances dans l'Iliade et l'Odyssée, c'est encore par des antilopes et des mammifères qu'Ésope et de La Fontaine ont enseigné la morale humaine dans les fables, c'est aussi par les insectes qu'arrivent M. Duras et Christian Oster à dévoiler le secret de la vie et de la

278 - DELEUZE Gilles et GUATTARI Félix, Qu'est-ce que la philosophie ? Ed. Les éditions de Minuit, Paris 2005, p.174.

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Ces animaux apparaissent respectivement dans les œuvres suivantes : L'escargot entêté (Rachid Boudjedra), En attendant le vote des bêtes sauvages (Ahmadou Kourouma), La mort de Marguerite

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mort280 et c'est par la symbolique des oiseaux et des poissons qu'on a saisi comment des fleurs de beauté ont respiré les maux de Baudelaire dans sa poésie.

L'objectif de l'usage de la bête se définit aussi par l'intention d'embellir toute sorte d'images qui peuvent servir à expliquer les rapports liant le monde des hommes à celui des animaux, l’analogie qui ne se limite pas, assurément, dans le besoin mutuel habituel d'un consommateur et d'un consommé, mais elle le dépasse à un miroitement psychique qui collabore, à titre illustratif, à l'explication de certaines causes d'une éventuelle zoophilie, d'explorer les provenances d'une certaine zoophobie ou même d'appréhender les symptômes d'une zoopsie. La variété d'images qu'un auteur espère illustrer via la symbolique des animaux sert à contribuer à la compréhension de la nature humaine profonde à travers les rapports d'altérité qui relient l'homme à ses semblables dans le monde qui l'entoure, des images qui consentent exceptionnellement à explorer la nature de l'identité humaine demeurant proportionnellement énigmatique. En plus à sa vocation rhétorique qu’il octroie au texte littéraire, le symbole bestiaire est envisagé en littérature en tant qu’un procédé qui cherche à relier l'homme à ses premières origines animalières dissimulées dans son inconscient humain, à dévoiler son absurdité, ses convoitises, ses humeurs …etc. :

"Il y a autant de diverses espèces d'hommes qu'il y a de diverses espèce d'animaux, et les hommes sont, à l'égard des autres hommes, ce que les différentes espèces d'animaux sont entre elles et à l'égard les unes des autres. Combien y a-t-il d'hommes qui vivent du sang et de la vie des innocents, les uns comme des tigres, toujours farouches et toujours cruels, d'autres comme des lions, en gardant quelque apparence de générosité, d'autres comme des ours, grossiers et avides,

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DESBLACHE Lucile, Écrire l'animal aujourd'hui, Ed. Presses Universitaires Blaise Pascal, Paris, 2006, p. 10.