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8- Investigations titrologiques

L’itinéraire maritime

II- 8- Investigations titrologiques

En dépit de la divergence que représentent les différents genres littéraires, le titre demeure leur point de convergence. Chaque production littéraire dispose d’un titre qui la distingue, la définit et la répertorie en reflétant sa spécificité et son originalité. De ce fait, l’étude titrologique d’une œuvre contribue éminemment à sa compréhension, cette étude qui relève des procédés linguistiques et sémantiques et même séductrices et commerciaux, du fait que le titre noue implicitement ou explicitement une certaine analogie avec le texte et le lecteur :

« L'opinion du technicien, au seuil de l'âge industriel de la production romanesque, sera mon point de départ : frapper l'attention, donner une idée du contenu, stimuler la curiosité, ajouter un effet esthétique pour parfaire la séduction d'un titre... »216

216 - DUCHET Claude, La Fille abandonnée et La Bête humaine, éléments de titrologie romanesque. In

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Le titre représente, d’une part, une similitude et une identité pour le texte dans lesquelles se résument le sens et la signification, d’autre part, il reflète le degré des compétences langagières et littéraires qui se reflètent dans l’aptitude de l’auteur de sélectionner un vocabulaire explicateur à son œuvre et séducteur pour ses lecteurs.

L’œuvre littéraire est un discours social, elle est dotée d'un titre confectionné de termes sémantiquement chargés et commercialement considérés. Dans son rapport avec le texte qu’il anticipe, le titre est médiateur de plusieurs interprétations de genres énigmatiques que le littéraire préserve aux milieux socioculturel, politique et même idéologique et religieux. G. Genette affirme dans son Palimpseste, La littérature au deuxième degré qu’un titre d'une œuvre, de même qu’il a une place manifeste dans le péritexte, représente aussi une partie fondamentale de l'unité paratextuelle, il est vu, à la fois, comme une introduction et une récapitulation de l’œuvre : « Il y a donc dans le titre une part, très variable bien sûr, d'allusion transtextuelle, qui est une ébauche de « contrat » générique. »217, le titre tient lieu d'intermédiaire entre l'œuvre et le lecteur et devient un élément d’entrée dans le texte, comme il est représentatif d'un message plus ou moins initial et récapitulatif du contenue de l’œuvre que l'œil du lecteur croise préalablement à la lecture du texte. Un titre doit posséder plusieurs particularités qui combinent le littéraire et le commercial, il est :

«…un message codé en situation de marché : il résulte de la rencontre d’un énoncé romanesque et d’un énoncé publicitaire ; en lui se croisent nécessairement littérarité et socialité : il parle de l’œuvre en termes de discours social mais le discours social en terme de roman.»218

217 - GENETTE Gérard, Palimpsestes, La Littérature au second degré, Ed. Seuil, Paris, 1982, p. 54.

218

HOEK Léo H, "La marque du titre : dispositifs sémiotiques d’une pratique textuelle" In Goldstein Jean-Paul, Entrées en littérature, Ed. Hachette, Paris, 1990, p. 68.

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La titrologie est la nouvelle discipline qui s’occupe particulièrement de l’étude du titre des œuvres littéraires. Un titre d’une œuvre a, en premier lieu, une fonction référentielle parce que son rôle fondamental est de procurer des indications proportionnelles à l’histoire du roman et son contexte socio-historique. En second lieu, il est défini par une fonction seconde appelée conative, par laquelle il séduit et implique le public lecteur, et en dernier lieu, une fonction esthétique dite aussi poétique qui vise à éveiller et stimuler toute forme de curiosité. Christiane Chaulet Achour défend l’importance de cet aspect et perçoit que : «Le rôle du titre d’une œuvre littéraire ne peut se limiter aux qualités demandées à une publicité car il est « amorce et partie d’un objet esthétique ». Ainsi, il est une équation équilibrée entre les lois du marché et le vouloir dire de l’écrivain»219

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De ce fait, il serait préférable, avant toute épreuve analytique ou critique d’une œuvre littéraire, de mettre l'accent sur son titre. S’engager dans un travail de traité titrologique permet de dégager les codes composites possibles qui peuvent inscrire l’œuvre dans la socialité et dans la littérarité. C’est à la lumière de ces indices qu’on essayera de commenter les différents titres de l’œuvre de Malika Mokeddem.

Un humble tour d’horizon autour du corpus, peut concevoir une classification suivant une certaine analogie des titres qu’a choisis l’auteure. Le rapprochement thématique distingué à travers les textes romanesques de l’auteure220 révèle en parallèle un rapprochement titrologique, notamment sur les plans spatio-temporels

219 - CHAULET ACHOUR Christiane et BEKKAT Amina, Clefs pour les lectures des récits,

Convergences et Divergences Critiques II, Ed. Tell, Alger, 2002, p. 71. 220

Le rapprochement thématique dont on parle ici est limité dans les romans « Le siècle des sauterelles,

Les hommes qui marchent, La nuit de la lézarde et N’Zid », il peut s’étendre vers d’autres romans hors le

corpus d’étude. Ce rapprochement thématique se manifeste dans les idées constantes qui se croisent dans les différents textes Mokeddemiens, nous citons à titre illustratif : l’errance, la marche, l’exil, la féminité, l’oralité, le désert, l’identité, l’exode, la révolte…etc.

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et socioculturels. En s’interrogeant sur les quatre titres des romans « Le siècle des sauterelles, Les hommes qui marchent, La nuit de la lézarde » et « N’Zid», il est de la particularité qu’une évocation imagée soit apportée à la paire (animal / temps) par la reprise de la même image dans les trois premiers titres. L’idée de l’évocation de l’animal, référent d’un lieu précis coexiste et attachée à la notion du temps dans chacun des trois titres.

Si les titres sont rangés par paire afin de concevoir une stratégie analytique, la paire des titres (Le siècle des sauterelles et La nuit de la lézarde) est porteuse de valeurs symbolique et culturelle à travers une distribution explicite entre une mesure temporelle et une représentation animalière qui fortement attachée au vaste espace du désert. Gravés sur les pierres dans les grottes du désert, dans les manuscrits, sur le bois et sous la mer, l’Histoire affirme que l’animal est le compagnon des hommes dans les villes et dans les villages depuis les époques reculées, l’un dépendait de l’autre dans les différents modes de la vie et à travers tous les temps. C’est cette image socio-historique et culturelle que reflètent les deux titres dans leurs sens dénotatif nuancé221.

Quoiqu’une autre distribution implicite véhiculant la même idée peut être dégagée depuis la paire composée des deux titres (Les hommes qui marchent et N’Zid). Dans le premier titre, les hommes ne sont que des « animaux » pourvus de cette faculté de penser! Ils le sont quand, en l’absence de la conscience dite humaine, ils deviennent la source de tous les maux, toutes les guerres, les méfaits et les souffrances dans leur monde : « Ce qui élève l'homme par rapport à l'animal, c'est la

221

Il est à signaler que même si le mot Lézarde a un sens précis dans le roman ( Fente, crevasse dans un ouvrage de maçonnerie.), il serait aussi légitime, vu la polysémie du mot, que le lecteur lui conçoive un autre sens différent, celui d’un animal d'un genre féminin (lézarde féminin de lézard), au moins lors du premier croisement avec le titre « La Nuit de la lézarde ».

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conscience qu'il a d'être un animal. Du fait qu'il sait qu'il est un animal, il cesse de l'être.»222. Le nom « Les hommes » dont le texte évoque, se résume, dans son rapport avec le roman, en une seule personne principale appelée Bouhaloufa porteur d’un nom d’un animal «le cochon», tandis que la valeur du verbe « marchent » exprime une vivacité et un mouvement que son début et sa fin sont dissimulés. La force du verbe est présente, « marcher » est un mouvement sans fin qui prolonge dans un temps aussi indéterminé, encore vers un lieu indéfini.

Dans le second roman « N’Zid », la notion du temps est observable surtout pour un lecteur natif, car « N’Zid » n’est qu’une simple formule polysémique du dialecte algérien qui signifie «je continue, j’ajoute» ou aussi «je nais», et dans les deux sens, il est constatable qu’il y a une continuité et un prolongement de cette continuité qui ne peut être effectué que sur un axe du temps.

D’une manière à la fois récapitulative et comparative, l’interprétation des différents titres des romans peuvent être résumée dans le tableau suivant :

222 - MEDIA-DICO, 38 Dictionnaires et recueils de correspondance, CD-ROM. Ed.2006, Citations,

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Les hommes qui marchent Le siècle des sauterelles La nuit de la lézarde N’Zid Temps (1) Marchent (Verbe = action) Le siècle La nuit Zid (Verbe "zid" = action) Animaux (2) Les hommes (l'homme est un animal) Sauterelles La lézarde Prenons, au début, que Lézarde est féminin de lézard N’ ("N'" dans le dialecte algérien est équivalent à "je") Lecture du ‘’Temps’’

Rares sont les romans qui utilisent des titres de formes verbales. Le verbe est une action qui dure dans le temps.

Le siècle et la nuit : deux mesures différentes du temps

N’Zid : dialecte algérien qui veut dire «j’ajoute, je contenue = je nais», une continuité dans le temps Lecture de ‘’L’animal’’

L’homme n’est que cet animal pourvu de conscience.

Les « sauterelles » comme « La lézarde » sont des animaux référents à un lieu désertique.

(Loin du texte, la lézarde est, pour une première lecture, ce reptile de sexe féminin)

L’homme n’est que cet animal pourvu de conscience.

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