• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 : Relations entre tempérament et performances cognitives en cas

D. Perspectives et implications pratiques

1. La peur est-t-elle reliée à une forme de rigidité cognitive ?

Lorsque nous avons mené nos tests d’extinction dans le cadre de notre 1ère

étude (article 1), nous avons observé que la résistance à l’extinction était corrélée positivement à la dimension de peur dans la tâche du reculer. En plus, nous avons observé que pour l’ensemble des variables de peur, tous les indices de corrélation rs (> 0,1) suggéraient systématiquement une relation positive entre la résistance à l’extinction et la dimension de peur, aussi bien dans le cadre de la tâche du reculer que de l’évitement actif. Ces données nous ont poussé à explorer davantage ces relations qui laissent penser que l’influence de la peur chez le cheval serait spécifique au phénomène d’extinction, indépendamment de la tâche instrumentale considérée, contrairement à l’acquisition. Lors d’une autre étude que nous avons menée récemment, une relation positive entre peur et résistance à l’extinction a également été observée dans le cadre de l’apprentissage où l’animal doit toucher un cône pointé du doigt par un expérimentateur

197 pour obtenir de l’aliment (même procédure que dans l’article 3), aussi bien en l’absence de stress extrinsèque qu’en conditions stressantes (l’état de stress était induit pendant l’acquisition en testant l’individu dans un box qu’il avait précédemment associé à des épisodes de stress (Fortin et al. en préparation).

Comme nous l’avons évoqué à plusieurs reprises au fil de ce manuscrit, la résistance à l’extinction peut être considérée comme une forme de déficit de flexibilité cognitive chez les individus peureux, qui s’expliquerait par leur sensibilité au stress (Holmes et Wellman 2009; Jiao et al. 2011; Servatius et al. 2008). Dans une certaine mesure, la résistance à l’extinction pourrait même traduire l’expression préférentielle de stratégies d’habitude plutôt que de stratégies dirigées vers un but chez les chevaux peureux (Schwabe et Wolf 2011b). Nos résultats suggèrent donc que certains profils de tempéraments chez le cheval pourraient être reliés à des profils cognitifs particuliers caractérisés par une forme de rigidité.

La rigidité cognitive pourrait également être reliée aux comportements de stéréotypies. En effet, chez diverses espèces captives et domestiques, les animaux manifestant des stéréotypies présenteraient une plus grande résistance à l’extinction que des animaux témoins (campagnol des bois : Garner et Mason 2002; perroquet : Garner et al. 2003; ours : Vickery et Mason 2005; cheval : Hemmings et al. 2007; voir aussi synthèse de Mason et al. 2007). En particulier, Hemmings et ses collaborateurs (2007) ont montré que les chevaux présentant une stéréotypie orale (stéréotypie caractérisée par une dysfonction du ganglion basal) sont plus résistants lors d’un test d’extinction que des chevaux témoins. De plus, Parker et ses collaborateurs (2008) ont montré que ce type de chevaux présentent également des difficultés à former des relations de type réponse instrumentale - conséquence dans le cadre d’apprentissages instrumentaux, ce qui pourrait ici encore indiquer une tendance à développer des stratégies d’habitude plutôt que dirigées vers un but. Cela montre que la résistance d’extinction observée par Hemmings et ses collaborateurs (2007) pourrait être liée à une prédominance de stratégies de type automatique chez les chevaux présentant cette stéréotypie. Enfin, Nagy et ses collaborateurs ont montré que des chevaux présentant ce type de stéréotypie orale auraient un tempérament de type réactif par rapport aux chevaux témoins. L’ensemble de ces résultats va donc dans le sens de nos résultats qui suggèrent que certains tempéraments pourraient être reliés à une résistance à l’extinction qui traduirait la

198 prédominance de stratégies d’habitude dans le cadre d’apprentissages instrumentaux et qui pourrait également être reliée à l’expression de comportements anormaux délétères pour le bien-être de l’animal.

En plus de l’étude des phénomènes d’extinction, deux autres études que nous avons menées nous suggèrent que des liens entre peur et flexibilité cognitive pourraient exister chez le cheval. Tout d’abord, lors d’une étude que nous avons menée en parallèle de ma thèse, nous avons testé l’influence de l’enrichissement du milieu de vie sur le bien-être, le tempérament et les performances d’apprentissage lors d’une tâche instrumentale à niveau de difficulté croissante chez de jeunes chevaux (voir annexe p. 227, résumé du symposium d’Ethologie Vétérinaire 2011). Cette tâche d’apprentissage consistait d’abord en un apprentissage instrumental classique, puis en une tâche de « Go / no Go », et enfin en une tâche de réversion. La tâche du « Go / no Go » consistait pour l’animal à discriminer deux stimuli, l’un indiquant qu’il devait toucher un objet avec son nez pour obtenir de la nourriture, et l’autre qui n’était suivi d’aucune récompense et pour lequel l’animal devait éteindre sa réponse. La tâche de réversion consistait à inverser les rôles des deux stimuli utilisés dans la tâche précédente. Tout comme une procédure d’extinction classique, les deux tâches décrites requiert un certain niveau de flexibilité cognitive. Les résultats obtenus ont montré que les chevaux élevés en milieu enrichi présentaient à la fois un tempérament moins peureux et plus proches de l’Homme et de meilleures performances lors des deux tâches les plus complexes (« Go / no Go » et réversion) que les chevaux vivant dans des conditions standards. Bien qu’aucun lien corrélationnel ne puisse être directement établi du fait des faibles effectifs, ces résultats montrent que les individus élevés en conditions standard sont à la fois les plus peureux et présentent un déficit de flexibilité cognitive, ce qui va également dans le sens des résultats obtenus lors des tests d’extinction (relation positive entre peur et résistance à l’extinction). Enfin, une dernière étude menée dans le laboratoire, parallèlement à cette thèse, a eu pour objectif de caractériser le phénomène de PIT (Transfert Pavlovien  Instrumental) chez le cheval. Le PIT se réfère à la capacité d’un animal à utiliser des indices Pavloviens qui prédisent l’arrivée d’une récompense dans le cadre d’une tâche instrumentale (Balleine et Dickinson 1998). Les résultats ont montré que les individus les plus peureux étaient les plus sensibles à la facilitation de la performance induite par le PIT. Ici encore, ces résultats

199 pourraient s’expliquer par une propension de ces individus peureux à former des stratégies d’habitude plutôt que dirigées vers un but.

Afin de continuer à explorer les relations entre dimension de peur et déficit de flexibilité cognitive en perspective de ce travail de thèse, nous souhaitons tout d’abord déterminer si la peur peut effectivement être reliée à l’utilisation préférentielle de stratégies d’habitude. Expérimentalement, il est possible de déterminer la prédominance de l’une des deux stratégies instrumentale en soumettant les sujets à des tests où l’on modifie les conséquences de la réponse instrumentale. On distingue deux grands types de tests pour révéler ces deux stratégies: 1) la dévaluation de la récompense et 2) la dégradation de la contingence (Balleine et Dickinson 1998; Corbit et Balleine 2003; Coutureau et Killcross 2003; Yin et al. 2005). Le premier type de test (dévaluation de la récompense) consiste à amoindrir ou rendre nulle la valeur motivationnelle du renforcement (Adams et Dickinson 1981; Balleine et al. 2003; Schwabe et Wolf 2010b). Cela peut être obtenu en augmentant préalablement le niveau de satiété de l’individu envers le renforcement alimentaire utilisé lors du conditionnement (satiété sensorielle spécifique), ou en associant la récompense à un malaise (aversion gustative). Les individus ayant développé des stratégies d’habitude devraient être insensibles à cette perte de valeur du renforcement et devraient donc persévérer davantage dans les réponses des individus qui ont développé des stratégies dirigées vers un but et pour qui l’action instrumentale est associée à sa conséquence. Nous avons décidé de ne pas développer ce type de test chez le cheval, à la fois pour des raisons éthiques que pratiques. En effet, le cheval, en conditions naturelles, est un herbivore qui mange de petites quantités de nourriture tout au long de la journée (16 à 18h / jour de pâturage Waring 2003). Un état de satiété est donc difficile à obtenir chez cette espèce et des procédures visant à proposer de la nourriture riche à volonté ou à rendre l’animal malade par pharmacologie seraient même dangereuses pour la santé des animaux. Une étude préliminaire a donc été menée afin de développer un test de dégradation de la contingence. Ce test consiste à ce que la conséquence (= renforcement) ne soit plus associée à la réponse instrumentale de manière systématique (Yin et al. 2005). En d’autres termes, la probabilité d’obtenir une récompense suite à une réponse sera équivalente à la probabilité d’en obtenir en l’absence de réponse. Les individus ayant développé des stratégies d’habitude devraient être insensibles à ce changement et continueront donc davantage à produire une réponse instrumentale en cas de dégradation de la contingence que les individus ayant développé des stratégies dirigées vers un but.