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Comme nous l’avons exposé en introduction, l’étude de chacun de ces phénomènes, tempérament, capacités cognitives et stress, représente un champ d’étude très riche. Notre démarche a donc été de cibler un modèle de tempérament chez le cheval, puis de cibler les facteurs qui nous ont semblés être les plus pertinents parmi tous ceux intervenant dans les liens entre stress et performances cognitives et que nous avons détaillés au cours de l’introduction générale. Il s’agit des facteurs liés au stress, tels que l’intensité et la source de stress, et aux tâches cognitives, tel que le type d’apprentissage utilisé et de performance mesurée. L’ensemble de ces facteurs est présenté dans le tableau 3 et nous y reviendrons par la suite.

L’un des premiers prérequis pour pouvoir évaluer l’effet du tempérament était de mener nos études sur une population relativement homogène en termes de caractéristiques biologiques et expérientielles et élevée dans des conditions contrôlées. Nous nous sommes donc concentrés sur une population de chevaux exclusivement adultes, femelles, de race poney Welsh et élevée dans les mêmes conditions depuis leur naissance. Ces chevaux sont nés et proviennent

80 tous de l’unité expérimentale de l’INRA de Nouzilly (UEPAO), où les expériences ont également été menées. Il s’agit donc de chevaux « expérimentaux » qui ne sont pas utilisés pour la pratique de l’équitation et dont l’historique peut être retracé depuis la naissance. Nous nous sommes focalisés sur des chevaux adultes car les travaux de Lansade (2005) ont montré que le tempérament ne serait stable et mesurable de façon fiable qu’à partir de 8 mois chez cette espèce. Nous avons conduit nos études sur des femelles de race Welsh afin de nous affranchir d’un potentiel biais lié au sexe ou à la race (ex. effet sexe chez le rongeur : Dalla et Shors 2009; Shors 2004; effet race chez le cheval : Hausberger et al. 2004; Wolff et Hausberger 1996). En effet, il semblerait que les relations entre tempérament et performances cognitives pourraient différer entre mâles et femelles dans certains cas. Notamment, il a été montré que les relations entre trait d’exploration et performance lors de tâches requérant un haut degré de flexibilité sont inversées en fonction du sexe, les individus les plus rapides à explorer un nouvel environnement étant les plus performants chez les mâles, mais les moins performants chez les femelles (mésange à tête noire, Titulaer et al. 2012). En menant nos études sur une population mixte sans faire de distinction mâle / femelle, nous aurions donc pris le risque de masquer certaines relations entre tempérament et performances d’apprentissage. Comme nous le verrons en discussion, le choix de ne cibler qu’un seul type de population de chevaux représente également une des limites de ce travail.

Concernant la manière d’évaluer le tempérament, nous avons choisi de nous baser sur le modèle de tempérament à cinq dimensions développé par Lansade et ses collaborateurs (2008; 2008a, b; 2008c) que nous avons décrit et dont nous avons présenté les avantages précédemment. Ce modèle a été choisi car il s’agit de l’un des modèles les plus exhaustifs chez le cheval parmi ceux mesurables à partir de tests standardisés, et non à partir de questionnaires. La question de la recherche de nouvelles dimensions de tempérament à ajouter à ce modèle s’est posée, mais nous avons finalement décidé de rester focalisés sur les cinq dimensions déjà mises en évidence par ce modèle car la recherche de nouvelles dimensions de tempérament et la caractérisation de tests les mesurant aurait nécessité un gros travail expérimental qui ne nous aurait sans doute pas laissé assez de temps pour explorer également les performances cognitives et l’effet du stress.

81 Concernant les performances cognitives, nous avons choisi de nous concentrer sur l’acquisition, et le rappel à long-terme d’apprentissages instrumentaux, ainsi que sur l’extinction et la mémoire de travail (voir tableau 2). L’apprentissage instrumental a été choisi car il est moins étudié que d’autres formes d’apprentissage classiquement observées dans la littérature « stress-cognition » (conditionnements Pavlovien et apprentissages spatiaux) alors qu’il présente un fort intérêt appliqué. En effet, les espèces domestiques y sont très souvent confrontées dans la pratique, notamment dans le cadre de l’éducation et du dressage. Des perspectives appliquées pourront donc découler de ce travail de thèse.

Différentes tâches instrumentales ont été utilisées au fil de nos études. Chacune d’entre elles a été mise au point et choisie en fonction de la question posée dans l’étude, par exemple par rapport à la possibilité de réaliser la tâche à partir de renforcements positifs ou négatifs. Les justifications de ces choix seront présentées dans la partie « méthodes » de chacun des chapitres. Nous nous sommes également intéressés aux performances d’extinction dans le cadre de ces tâches instrumentales car l’extinction permet d’évaluer un aspect de la flexibilité cognitive des individus. Enfin, nous avons également étudié les performances de mémoire de travail car il s’agit d’un type de mémoire qui est largement sollicité et nécessaire à l’acquisition de nombreux apprentissages, notamment instrumentaux.

Plusieurs caractéristiques des facteurs de stress sont à prendre en considération lorsqu’on s’intéresse à l’influence du stress sur les performances cognitives : son intensité, sa durée et fréquence d’exposition (aigue ou chronique), sa source (extrinsèque ou intrinsèque par rapport à la tâche) et son moment d’exposition par rapport à la tâche cognitive. Nous avons choisi de faire varier la source du stress, en nous intéressant à la fois à des stress extrinsèques et intrinsèques, et son moment d’exposition (avant ou après l’acquisition, afin de cibler les processus d’acquisition ou de consolidation, voir tableau 3). Nous avons choisi de maintenir constants l’intensité et le caractère aigu ou chronique de l’exposition au stress en nous focalisant exclusivement sur des stress aigus d’intensité a priori modérée, notamment afin de mimer au mieux ce qui est observé sur le terrain. Pour cela, nous nous sommes inspirés de facteurs de stress auxquels les chevaux domestiques sont souvent confrontés dans la pratique. Les facteurs de stress extrinsèques consistaient donc à soumettre les animaux à des événements et stimuli nouveaux, soudains et combinés à des isolement sociaux de courte durée, qui sont des types de stress « modéré » classiques (Sandi et Pinelo-Nava 2007). Nous nous sommes concentrés sur des expositions ponctuelles et brèves (quelques minutes

82 maximum). Notre objectif était de cibler l’influence de l’état de stress sur les performances des animaux tout en évitant que la présence de facteurs de stress extrinsèques eux-mêmes vienne perturber l’animal pendant qu’il était soumis à une tâche cognitive. Ainsi, l’exposition à des facteurs de stress extrinsèques a toujours eu lieu dans des endroits et à des moments différents de ceux où la tâche cognitive se déroulait. Lorsque nous souhaitions induire un état de stress pendant une session de test, l’exposition aux facteurs de stress extrinsèques avait lieu une fois avant la session ou de manière répétée entre les essais au cours de la session. Cette variation est due à un ajustement auquel nous avons procédé au cours de la thèse (voir discussion du chapitre 2). Lorsque nous souhaitions induire un état de stress juste après une session d’acquisition, l’exposition aux facteurs de stress extrinsèques a eu lieu une fois après la session. Les facteurs de stress intrinsèques consistaient en l’utilisation de renforcements négatifs également inspirés de la pratique. Il s’agissait de stimulations essentiellement tactiles dirigées vers les flancs (ex. jet d’air envoyé vers le ventre), modélisant ainsi l’action des jambes du cavalier.

L’évaluation des relations entre tempérament et performances cognitives a été appréhendée par le biais de tests de corrélations entre les variables. L’intérêt de cette approche est qu’elle prend en compte la notion de continuum des variables de tempérament, contrairement aux approches bimodales. Comme nous l’avons vu précédemment, il faut garder à l’esprit que le tempérament n’est pas le seul facteur explicatif des performances d’apprentissage et de mémoire d’un individu. Par conséquent, nous nous attendons à observer des liens assez ténus entre les variables de tempérament et les variables cognitives. Dans cette optique, nous nous sommes également intéressés aux tendances statistiques qui, même si elles ne nous permettent pas de statuer sur la présence ou non de relations, permettent de donner des indications quant à la cohérence des corrélations observées pour une même dimension de tempérament.

83 Tableau 3. Principaux facteurs intervenant dans la relation entre stress et performance d’apprentissage et de mémoire sur lesquels le travail de thèse s’est focalisé. Les facteurs surlignés en vert et écrit en gras correspondent à ceux que nous n’avons pas fait varier. Ainsi nous nous sommes concentrés sur l’étude d’un seul type d’apprentissage (instrumental) et de stress aigus d’intensité a priori modérée. Les facteurs surlignés en jaune correspondent aux facteurs que nous avons fait varier : la source de stress (intrinsèque vs. extrinsèque), la phase de mémoire ciblée par l’état de stress (pendant ou après acquisition, pour les apprentissages, ou pendant les sessions de tests, pour la mémoire de travail), et le type de performance d’apprentissage et de mémoire évaluée (mémoire de travail, acquisition / réacquisition, rappel à long-terme / très long terme et extinction). Les facteurs surlignés en gris correspondent aux facteurs que nous avons écartés. Les indices (1, 2, 3) correspondent aux numéros des chapitres dans lesquels chaque combinaison de facteurs a été étudiée.

Sortie cognitive

Stress

Absence de stress

source intensité durée / fréquence

extrinsèque

intrinsèque

Gradient allant de faible à très élevée aigu chronique état de stress pendant acquisition état de stress après acquisition

Faible Modérée Elevée Très

élevée Type d'apprentissage instrumental X 1, 2, 3 X 2, 3 X 2 X 3 X 2, 3 X 2, 3 spatial classique Type de performance mnésique mesurée Mémoire de travail X 2 X 2 X 2 X 2 Acquisition / réacquisition X 2, 3 X 2, 3 X 2 X 3 X 2, 3 X 2, 3 Rappel à long terme X 2 X 2 X 2 X 2 X 2 à très long terme X 1 Extinction X 1 X 1 X 1 X 1

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