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L'une des principales questions que nous nous posons à la n de ces travaux concerne la possibilité de stimuler le cerveau de patients adolescents. L'adolescence est une période de transition, source d'instabilité, entre en- fance et âge adulte. Dans un rapport de 2002, une expertise collective de l'IN- SERM révèle qu'en France comme dans le monde, environ 12 % des enfants et adolescents seraient touchés par au moins un trouble mental (principalement troubles de l'humeur ; INSERM (2002)).

Un groupe d'experts, toujours pour l'Inserm, note en 2014 que l'initia- tion à la consommation de substances psychoactives (licites ou non) se fait principalement à l'adolescence (en France en 2011, 91 % des jeunes déclarent avoir consommé de l'alcool, 68 % du tabac, et 42 % du cannabis avant la n de leur adolescence. Seuls 6.6 % n'auraient jamais consommé une de ces trois drogues ;INSERM(2014)). Or d'une part, si répétée, l'expérimentation de drogues est susceptible d'entraîner la dépendance ; et d'autre part, d'im- portantes modications neurobiologiques ont lieu durant l'adolescence, avec une réorganisation fonctionnelle et anatomique de diverses aires cérébrales

12.4. PERSPECTIVE : STIMULER À L'ADOLESCENCE 179 (Spear, 2000).

Le cortex préfrontal, cible privilégiée pour l'étude des eets de la tDCS sur diérents troubles neurologiques ou psychiatriques, fait partie des zones cérébrales subissant un profond remodelage lors de l'adolescence, avec notam- ment la maturation des fonctions cognitives (Spear, 2000). C'est pourquoi l'adolescence constitue une période critique durant laquelle une altération du développement (notamment du cortex préfrontal) peut entraîner ou accé- lérer le développement de troubles psychiatriques tels que la schizophrénie, les troubles de l'humeur, ou encore l'addiction (Giedd et al., 2008).

Parmi les diérents neurotransmetteurs impliqués dans la maturation du cortex préfrontal, le circuit GABAergique a été la cible de plusieurs études du fait de son rôle dans l'inhibition et la synchronisation des populations neu- ronales (Caballero et al., 2014b). Les interneurones GABAergiques peuvent être distingués en trois principales populations en fonction de la protéine liant le calcium qu'ils expriment : la parvalbumine (PV), la calrétinine (CR), ou la calbindine (CB). L'expression de ces protéines change lors de la ma- turation du système nerveux ; l'altération de ce processus résulterait en une désinhibition du cortex préfrontal qui pourrait être responsable de certaines pathologies psychiatriques apparaissant lors de l'adolescence, telles que la schizophrénie ou l'addiction (Caballero et al., 2014a; Cass et al., 2013).

À partir de ces données, nous pouvons nous demander quel eet aurait la stimulation transcrânienne sur la maturation du système nerveux pendant l'adolescence. Un traitement par tDCS des adolescents sourant de certaines pathologies (telles que des troubles de l'humeur ou du comportement alimen- taire) est intéressant puisque a priori sans eet secondaire. En eet,Moliadze et al.(2015) ont montré que la stimulation (10 minutes, 1 mA) du cortex mo- teur d'adolescents (sujets sains âgés de 11 à 16 ans) était bien tolérée, sans eet secondaire reporté ou mesuré par électro-encéphalographie (tels que des marqueurs d'activité épileptiformes après stimulation, par exemple). Cette bonne tolérance avait aussi été démontrée dans une population de patients atteints de schizophrénie infantile (âgés de 10 à 17 ans), qui avaient reçu 10 sessions de tDCS bilatérale (anodique ou cathodique) sur le CPFDL (20 mi- nutes par session, 2 mA ;Mattai et al. (2011)).

Cependant, les études sur les enfants et les adolescents restent rares (Muszkat et al., 2016) et l'absence d'eets secondaires sur le long terme est à vérier (les études précédemment citées ne mesurant ces eets que dans les heures suivants la tDCS). Notamment, il apparaît raisonnable de se de- mander si la stimulation cérébrale risque d'avoir un impact négatif sur la maturation du système nerveux des adolescents. Ou encore, si chez des su-

jets adolescents dont la maturation du cortex préfrontal est eectivement altérée (par une pathologie), ce type de stimulation permettrait de rétablir un développement neuronal normal...

An de répondre à ces questions, il serait intéressant dans un premier temps de stimuler le cortex frontal d'animaux adolescents sains, et de contrô- ler la trajectoire développementale des diérentes sous-populations d'inter- neurones GABAergiques an de vérier l'impact de la tDCS sur la maturation du système nerveux.

En collaboration avec l'équipe du Pr. Tseng de la Chicago Medical School, nous avons réalisé une étude pilote sur 14 souris (7 Sham et 7 tDCS) stimu- lées à l'âge de 35 à 39 jours (adolescence) et sacriées à 48 jours (jeunes adultes ; Tirelli et al. (2003)). Nous avons étudié par immunouorescence l'expression de la parvalbumine dans le cortex préfrontal. Les interneurones GABAergiques exprimant la parvalbumine sont moins nombreux chez les jeunes rongeurs qu'à l'âge adulte ; dans les conditions normales leur expres- sion augmente au cours de l'adolescence.

Dans cette étude pilote, nous avons observé qu'un traitement chronique par tDCS pendant l'adolescence (20 minutes à 0.2 mA, 2 fois par jour pen- dant 5 jours consécutifs) diminuerait l'expression de la parvalbumine dans une zone restreinte du cortex préfrontal (région limbique du cortex autour du niveau Bregma +1.54) des souris jeunes adultes. L'expression de la PV dans les régions voisines (régions limbiques de la zone Bregma +1.94 et régions cingulaires/motrices plus postérieures (Bregma +1.10 et après)) ne semble en revanche pas aectée. Cependant cette étude pilote ne donne d'indica- tions qu'à un âge précis, et n'indique pas si la modication ou l'absence de modication de l'expression de la PV est temporaire ou durable.

Aussi, avant de pouvoir conclure quant aux implications fonctionnelles de ces premiers résultats, il sera nécessaire d'étudier la trajectoire dévelop- pementale des diérents types d'interneurones à diérents âges après tDCS.