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CHAPITRE 4: DEMARCHE ET METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

1. Positionnement épistémologique et choix méthodologique

1.2 Perspective interprétativiste

Le chercheur est amené à se poser trois questions pour déterminer la démarche à suivre : 1. quelle est la nature de la connaissance produite ? Objective ? interprétation de la

réalité par le chercheur ou construction de la réalité ?

2. comment la connaissance scientifique est-elle engendrée ? par un processus d’explication ? de compréhension ou de construction ?

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181 La réponse à ces questions s’inspire des trois grands paradigmes épistémologiques usuellement identifiés : paradigme positiviste, paradigme interprétativiste et le paradigme constructiviste. Le tableau suivant (Girod-Séville, M., & Perret, V., 200 3), résume les différentes interrogations épistémologiques.

Les paradigmes Les questions épistémologiques

Positivisme Interprétativisme Constructivisme

Quel est le statut de la

connaissance Hypothèse réaliste Il existe une essence propre à

l’objet de

connaissance

Hypothèse relativiste

L’essence de l’objet ne peut être atteinte (constructivisme modéré ou interprétativisme) ou n’existe pas (constructivisme radical)

La nature de la

« réalité » Indépendance du sujet et de l’objet Hypothèse

déterministe Le monde est fait de nécessité

Dépendance du sujet et de l’objet Hypothèse intentionnaliste Le monde est fait de possibilité

Comment la connaissance est-elle engendrée ? Le chemin de la connaissance scientifique La découverte Recherche formulée en termes de « pour quelles causes... » Statut privilégié de l’explication L’interprétation Recherche formulée en termes de « pour quelles motivations des acteurs... » Statut privilégié de la compréhension La construction Recherche formulée en termes de « pour quelles finalités... » Statut privilégié de la construction

Quelle est la valeur de la connaissance ?

Les critères de validité

Vérifiabilité Confirmabilité Réfutabilité Idiographie Empathie (révélatrice de l’expérience vécue par les acteurs)

Adéquation Enseignabilité

Tableau 5 : Positions épistémologiques des paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste (Girod-Séville M., & Perret V., 2003, p 15)

Les principaux courants épistémologiques se distinguent par la conception de la réalité qui les sous-tend, la relation entre le chercheur et l’objet de recherche et enfin les critères de la

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182 validité et de la légitimité de la connaissance. En effet, contrairement au paradigme positiviste qui revendique un positionnement réaliste, l’interprétativiste se base plutôt sur un positionnement relativiste dont il partage certains de ces hypothèses avec le constructivisme. Selon ces deux derniers paradigmes, il n’existe pas une seule réalité qu’il serait possible d’appréhender, même de manière imparfaite, mais des réalités multiples, qui sont le produit de constructions mentales individuelles ou collectives et qui sont susceptibles d’évoluer au cours du temps (Guba et Lincoln, 1994)59.

Notre choix s’est porté sur une démarche méthodologique permettant un aller-retour entre la littérature et le terrain, ainsi que le recours à une triangulation des méthodes et des données sollicitées. Notre recherche s’inscrit donc dans le paradigme interprétativiste, notre étude est menée à travers une première enquête par questionnaire, suivi par une deuxième enquête réalisée par le biais d’entretiens (guide d’entretiens). En effet l’objet la recherche, les intérêts du chercheur et le type des données dont il à besoin détermine le choix du positionnement épistémologique. Mbengue et Vendangeon (1999) illustrent le choix du positionnement épistémologique à partir de quatre axes :

1. le statut accordé aux données ; 2. le mode de collecte des données ;

3. la relation entre la théorie et les observations empiriques ; 4. les critères de scientificité de la recherche.

a. La nature de la connaissance produite

S’interroger sur la nature de la connaissance produite nous renvoie à la nature de la réalité étudiée. Dans les deux paradigmes interprétativiste et constructiviste, le statut de la réalité est plutôt précaire. « La réalité reste inconnaissable dans son essence puisque l’on n’a pas la possibilité de l’atteindre directement. Existe-t-elle tout de même ?...les constructivistes modérés et les interprétativiste laissent cette question en suspens. Ils ne rejettent ni acceptent l’hypothèse d’une réalité en soi. Ce qui importe pour eux c’est que de toute façon, cette réalité ne sera jamais indépendante de l’esprit, de la conscience de celui qui l’observe ou l’expérimente. En conséquence pour les constructivistes et les interprétativiste, la « réalité » (l’objet) est dépendante de l’observateur (le sujet). Elle est appréhendée par l’action du sujet

59 Cité par, Royer I., Zarlowski PH., le design de la recherche, in Thiétart, « méthodes de recherche en management », Dunod 2007 p. 145,

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183 qui l’expérimente » (Séville M., Perret V., 2007, p.19). On parle donc d’hypothèse relativiste, contrairement aux positivistes qui développent une hypothèse réaliste.

Selon Mbengue et Vandangeon (1999) l’objectivité de la réalité renvoie à un déterminisme sous-jacent, elle est connaissable par des lois immuables qui régissent son comportement, alors qu’une réalité construite n’existe que par les interventions et les actions des individus.

Figure 35 : La nature de la réalité

Source : (Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999, positions épistémologiques et outils de recherche en management stratégique, AIMS)

Les données sont des mesures de la réalité qui est considérée comme objective

Les données sont des interprétations de la réalité qui peut être considérée objective

Les données sont des interprétations de la réalité qui est considérée

subjective

Les données sont les

résultats d’une

construction par

interaction entre le chercheur et l’objet étudié

La réalité est unique La réalité est multiple

Principe de l’individualisme méthodologique selon lequel : « on ne peut considérer comme adéquates les explications des phénomènes sociaux, politiques et économiques, que si elles sont formulées en terme de croyances, d’attitudes et de décisions individuelle ». (Blaug, 1982, 44 Principe du holisme méthodologique selon

lequel : « les ensembles sociaux sont censés avoir des finalités ou des fonctions qui ne peuvent être réduites aux croyances, attitudes et actions des individus qui les composent » (Blaug, 1982, 44)

Les données existent en tant que telle et précèdent l’intervention du chercheur C’est au chercheur, à travers les représentations des acteurs, de trouver l’unicité de la réalité Le chercheur, par son interprétation des données, se fait une représentation la plus proche possible de la façon dont les acteurs perçoivent eux mêle la réalité

Ce n’est que par son

expérience du monde que le chercheur accède au monde Objective Interprétée Construite

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184 Figure 36 : La nature de la réalité (suite)

Source : (Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999, positions épistémologiques et outils de recherche en management stratégique, AIMS)

Dans notre recherche la réalité est appréhendée de façon subjective. La connaissance est une représentation de la réalité et son appréhension permet la construction de la connaissance. St-Cyr Tribble & Saintong (1999, p 118) considèrent que « dans le processus de recherche, la subjectivité ne peut être écartée. Elle est présente alors même que nous tentons de cerner la problématique de recherche ».

b. La relation sujet/objet

Dans notre recherche, nous écartons aussi bien l’approche positiviste que l’approche constructiviste. Nous supposons que la réalité ne peut être ni exclusivement objective, ni exclusivement subjective. Toute « réalité est le fruit d’un regard posé et d’une interprétation

La réalité est déterminée par des lois naturelles, des mécanismes immuables, dans le temps et dans l’espace (Hannan et Freeman, 1977). Le passé permet d’expliquer le présent qui lui même permet de prédire l’avenir, « dans les mêmes conditions les mêmes causes entraineront systématiquement les mêmes effets »’avenir, 1989, 203).

La réalité n’est qu’une construction sociale et n’existe qu’à travers l’expérience et les actions humaines (Le Moigne, 1990b).

« Le sujet ne connait les objets qu’a travers ses propres activités, mais il n’apprend à se connaitre lui-même qu’en agissant sur les objets » (Piaget, 1970, 105).

« L’être humain – et l’être humain seulement - est responsable de sa pensée, de sa connaissance et donc de ce qu’il fait » (Von Glasersfeld, 1988, 20).

La science organise le monde en s’organisant elle même (Le Moigne, 1990b).

L’objet de la recherche est alors d’étudier les opérations au moyen desquelles nous constituons notre expérience du monde (Von Glasersfeld, 1988, 20).

L’objet de la science est alors de découvrir ces lois (Koenig, 1993)

Il existe des relations de causes à effets qui permettent de décomposer La réalité en un ensemble de propositions reliées entre elles par des liens logiques : principe de la logique formelle (A. Comte, cité par Le Moigne, 1990b).

Bien que les phénomènes organisationnels soient déterminés par des lois de cause à effet, ils prennent forme dans un monde de confusion rendant imprévisibles les résultats des actions engagées : conséquences non anticipées des actions ordinaires (March, 1981).

L’objet de la science est de découvrir et de comprendre les mécanismes par lesquels l’action « organisée » agit sur les phénomènes (Crozier et Friedberg, 1977) Il existe des phénomènes quasinaturels qui sont à l’intersection entre l’intentionnalité et les lois naturelles (McKelvey, 1977) « Des acteurs a part entière qui, à l’intérieure des contraintes souvent très lourdes que leur impose « le système », disposent d’une marge de liberté qu’ils utilisent d’une façon stratégique dans leurs interactions avec les autres » (Crozier et Friedberg, 1977, 29-30

L’interaction entre les éléments composant le système donne lieu à des relations circulaires qui traduisent l’impossibilité de déterminer si une action est la cause ou l’effet d’une autre action (Watzlawick, Weakland et Fisch, 1975).

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185 manifestée à partir de représentations personnelles et collectives d’un phénomène » (St-Cyr, Tribble & Saintonge, 1999, p 114). En effet, en travaillant sur le rôle des managers dans la formation de leurs collaborateurs, l’objectivité totale parait une situation difficile à atteindre puisque le chercheur est amené à faire une représentation la plus proche possible de la façon dont les acteurs perçoivent eux même cette réalité tout en restant en interaction avec l’objet de recherche. C’est donc d’une logique interprétativiste dont il s’agit dans cette recherche. Et comme le souligne Séville M., & Perret V., (2007, p 19), chercher à connaitre objectivement la réalité est une utopie, on se contentera donc de représenter cette réalité voire la construire. David (2001) souligne qu’il découle du positionnement interprétativiste que des sciences de gestion se définissent par leurs projets et non par leurs objets.

La séparation entre le sujet et l’objet revient à dénier le fait « d’être dans le monde » (Heidegger, 1962), le chercheur et les acteurs ne peuvent être dissociés de l’objet de la recherche. Le chercheur collecte les données et les analyse. Il ne peut pas être neutre dans ses explications et sa présentation des faits dans un contexte spécifique. Le contexte est défini

selon Miles et Huberman (2003) comme « l’ensemble d’aspects de la situation directement

significatifs et l’ensemble des aspects significatifs du système sociale dans lequel fonctionne le programme ». Il détermine la façon dont nous interprétons les événements et le sens existe toujours dans un contexte qui intègre le sens. La recherche sur le transfert des compétences et la formation peut être considérée interprétativiste puisque la réalité tourne autour des constructions sociales. Dans ce types de recherche on ne permet pas de définir des variables dépendantes et des variables indépendantes mais on se concentre plutôt sur la complexité du sense-making humain et cherche à comprendre les phénomènes à travers le sens qui leurs sont donnés par les acteurs (Klein et Meyers 1999).

c. Les critères de validité de la connaissance

La validité de la connaissance n’est pas traitée de la même manière dans chacune des épistémologies. Selon la perspective interprétativiste, les critères de validité sont le caractère idiographique des recherches et les capacités d’empathie que développe le chercheur.

Les recherches sont de nature idiographiques « si les phénomènes étudiés sont étudiés en situation. La compréhension d’un phénomène est alors dérivée d’un contexte. » (Séville M., Perret V., 2007). Les recherches interprétatives essayent de comprendre les phénomènes à travers les sens qui leurs sont donnés par les personnes.

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186 Notre recherche possède un caractère idiographique puisque la méthodologie adoptée permet de comprendre l’acteur et ses comportements en situation tout en tenant compte du contexte dans lequel il évolue.

Le deuxième critère de validité est l’empathie, « la faculté de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent » (Séville M., Perret V., 2007, p 9). La valeur de la recherche va être mesurée au regard de la capacité du chercheur à mettre à jour à la fois les faits et leurs interprétations par les acteurs. Orlikowski & Baroudi (1991) considèrent que dans la recherche interprétativiste, les individus créent et associent leurs propres perceptions subjectives dans leurs interactions avec le monde qui les entoure.

Ainsi, l’apport d’un chercheur en management ne se limite pas à sa contribution à la littérature, mais peut porter sur l’articulation entre donnée, approches et finalités afin de permettre une généralisation de résultats.