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En droit suisse, la jouissance des droits civils appartient à tout être humain ainsi qu’aux entités auxquelles le législateur a reconnu la personnalité juridique, appelées personnes morales (art. 11 CC)8. La personnalité juridique confère la qualité de sujet de droit9, soit l’aptitude à acquérir des droits et des obligations10. Ainsi, la société qui possède la personnalité juridique possède une existence indépendante, tant à l’égard de ses associés que des tiers11.

1. Les sociétés de personnes

Bien que le législateur ait renoncé à décider si la société en nom collectif possède la personnalité juridique12, cette dernière n’est pas une personne morale13. Si elle ne peut se prévaloir de la personnalité juridique entière, elle possède toutefois la

« quasi-personnalité morale »14. D’aucuns la qualifient ainsi de « société hybride »15.

6 Message 2000, p. 4014.

7 Arrêt du Tribunal administratif fédéral B-6755/2013 du 11 août 2014, consid. 5.3 ; CHAUDET/CHERPILLOD/LANDROVE, N 1384.

8 CR CC I-MANAÏ, CC 11 N 3.

9 CR CC I-XOUDIS, Intro CC 52-59 N 2.

10 RUEDIN,N691.

11 Idem,N737.

12 Message 1928, p. 238.

13 ATF 116 II 651, JdT 1991 I 381 (rés.), consid. 2 ; BSK CO II-BAUDENBACHER, CO 552 N 2 ; CHAUDET/CHERPILLOD/LANDROVE, N 152 ; CR CO II-VULLIÉTY,CO552N3.

14 ATF 97 V 60, consid. 1a.

En effet, le droit suisse reconnaît à la société en nom collectif certains attributs de la personnalité juridique, tels que la possibilité de s’engager, d’agir ou d’être actionnée en justice (art. 562 CO), ainsi que de répondre du dommage causé par les actes illicites d’un associé dans la gestion sociale16. Relevons en outre qu’un associé peut cautionner les dettes de la société en nom collectif (art. 568 al. 3 in fine CO), ce qui serait impossible dans le cas d’une entreprise individuelle, par exemple 17 . Finalement, il est loisible à une société en nom collectif de défendre son honneur18, ce qui constituerait a priori, selon VULLIÉTY, un attribut de la personnalité juridique19. Elle peut également bénéficier, à certaines conditions, de l’assistance judiciaire20. Une partie de la doctrine semble voir dans la soumission de la société en nom collectif à la procédure de faillite (art. 39 al. 1 ch. 6 LP) un aspect de la personnalité juridique21. A tort selon nous, car le chef de l’entreprise individuelle, qui ne possède aucunement la personnalité morale, y est également soumis22. Le critère pour être soumis à la procédure de faillite étant l’inscription au Registre du commerce, il semble des plus discutables de l’ériger en aspect de la personnalité juridique.

Néanmoins, certaines particularités dénient à la société en nom collectif la qualification de personne morale. Ainsi, elle ne possède pas d’actifs sociaux, puisque les biens qui forment sa fortune sont la propriété commune des associés23 (art. 544 al. 1 CO par renvoi de l’art. 557 al. 2 CO). Par ailleurs, les associés supportent, subsidiairement et solidairement, une responsabilité personnelle pour tous les engagements de la société24 (art. 568 CO). En outre, même lorsqu’une action a été effectuée au nom de la société en nom collectif, les associés sont liés par les décisions rendues et pourront se voir opposer, par exemple, l’effet d’autorité de la chose jugée25.

Pour RECORDON,la situation actuelle, et en particulier cette ambiguïté que présente la société en nom collectif quant à sa personnalité morale, n’est pas satisfaisante.

L’auteur se positionne donc en faveur de l’octroi de la personnalité juridique entière à la société en nom collectif. Il relève que la personnalité morale serait compatible avec les règles légales gouvernant cette société26.

A noter qu’à l’instar de la société en nom collectif, la société en commandite n’a pas la personnalité juridique entière mais en possède certains aspects27, ce qui lui vaut également d’être qualifiée de société à « quasi-personnalité juridique »2829.

29 D’autres entités bénéficient de certains attributs de la personnalité juridique : la masse en faillite et la propriété par étage, par exemple. Pour plus de détails voir : GILLIÉRON, N 1584 et WEBER, p. 58.

2. Les sociétés de capitaux

La société anonyme acquiert la personnalité juridique par son inscription au Registre du commerce (art. 643 al. 1 CO). Dans le contexte d’une transformation, c’est l’inscription de la transformation au Registre du commerce (art. 67 LFus) qui octroiera à l’ancienne société de personnes la personnalité juridique30, ce que confirme l’art. 52 al. 1 CC.

Il en va de même pour la société en commandite par actions, les règles de la société anonyme étant applicables par le biais de l’art. 764 al. 2 CO, ainsi que de la société à responsabilité limitée, au sens de l’art. 779 al. 1 CO.

La personnalité juridique octroie aux sociétés de capitaux la jouissance (art. 53 CC) ainsi que l’exercice des droits civils (art. 54 CC). Contrairement aux sociétés de personnes, les sociétés de capitaux possèdent donc une personnalité juridique pleine et entière, qui diffère toutefois de la personnalité des personnes physiques31. Si certains droits et obligations sont expressément niés aux personnes morales (par exemple la possibilité de fonder une société en nom collectif au sens de l’art. 552 al.

1 CO), d’autres découlent du critère de l’art. 53 CC, soit l’inséparabilité des conditions naturelles de l’homme (par exemple le mariage)32. La jurisprudence connaît donc une pléthore de cas d’application33.

La personnalité juridique n’est toutefois pas absolue. La personnalité distincte de la société de capitaux pourrait inciter celui qui la domine à l’utiliser de manière abusive.

Pour éviter une telle situation, il pourra se voir imputer les actes de cette dernière, selon le principe de la transparence. Il sera alors fait abstraction de la personnalité juridique de la société pour tenir compte de la réalité économique (« Levée du voile corporatif »). Ce principe découle de l’interdiction d’abus de droit (art. 2 al. 2 CC)34. 3. Contenu de la modification

En se transformant en société de capitaux, la société de personnes acquiert la personnalité juridique. Cela signifie qu’elle obtient la jouissance et l’exercice des droits civils35, soit respectivement, l’aptitude à être sujet de droit et d’obligations (art.

11 al. 2 CC) et la capacité d’acquérir des droits et des obligations36.

Toutefois, la transformation d’une société de personnes en société de capitaux et l’acquisition de la personnalité juridique qui en découle n’entraînera pas de conséquences importantes pour les tiers. En effet, comme on a pu le voir, la société en nom collectif et la société en commandite sont presque traitées, sur le plan

30 Comm LFus-PETER,art. 67 N 3.

31 WEBER, p.118.

32 CR CC I-XOUDIS, CC 53 N 3-5.

33 Pour une énumération par thèmes : CR CC I-XOUDIS, CC 53 N 9-16 ; WEBER, p.125.

34 Arrêt du Tribunal fédéral 4A.384/2008 du 19 décembre 2008, SJ 2009 I 424, consid. 4.1 ; CR CC I-XOUDIS, intro art. 52-59 N 12.

35 RUEDIN,N699.

36 Idem,N700,708.

externe, comme des personnes morales. Selon certains auteurs, la capacité juridique de la société en nom collectif tendrait même à se renforcer dans un avenir proche37. Sous l’angle externe, la transformation ne provoque pas de changement radical : les sociétés de personnes peuvent déjà acquérir des droits, s’engager et ester en justice (art. 562 et 602 CC) ; elles répondent également des actes illicites commis par les associés dans l’exercice de leur fonction (art. 567 al. 3 et 603 CC). Pour les tiers qui traitent avec la société, ce changement sera donc sans grande importance : la société, sous la forme juridique d’une société de personnes, pouvait déjà être partie à des actes juridiques, en particulier des contrats, ou demander réparation du dommage que lui cause l’acte illicite d’autrui38.

C’est sous l’angle interne que l’acquisition de la personnalité juridique aura les plus grandes conséquences, notamment s’agissant de la propriété des actifs, puisque désormais, c’est la société qui sera propriétaire des biens qui la composent, et non plus les associés. Par ailleurs, la personnalité juridique provoque l’assujettissement à l’impôt sur le bénéfice et sur le capital (art. 49 al. 1 let. a et art. 54 al. 1 LIFD39)40. La personne morale peut librement choisir son siège, ce qui n’est pas le cas de la société de personnes41.

En outre, le rapport entre la société et son actif social est différent dans la société de capitaux : la société étant propriétaire de tous les biens qui composent son actif social42, cela signifie, par exemple, que l’actionnaire unique qui détruit par le feu un bien appartenant à la société de capitaux est punissable pour incendie intentionnel43. En effet, le droit pénal juge la question de la propriété du point de vue juridique, et non économique44. Par analogie, l’associé/actionnaire d’une société de capitaux peut commettre une appropriation illégitime ou un vol à l’encontre de la société.

En bref, la transformation de la société de personnes en société de capitaux provoque l’acquisition de la personnalité juridique. Cet attribut ne provoquera pas de changement capital sous l’angle externe, mais aura des conséquences significatives d’un point de vue interne.

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