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Chapitre 3 : Habiletés Musicales dans le Vieillissement et la MA

1. Perception

1.1. Perception auditivo-musicale

La perception de la musique requiert à la fois des capacités de discrimination acoustique et la connaissance (implicite) des règles de construction de la musique tonale ; les deux sont souvent impliquées dans les mesures effectuées dans les études suivantes, qui ont évalué l’influence de l’âge sur ces composantes.

D’après l’évaluation en ligne de l’amusie (Montreal Battery of Evaluation of Amusia, Peretz, Gosselin, Tillmann, Cuddy, Gagnon et al., 2008), 223 personnes de 14 à 84 ans identifiées comme non amusiques (i.e., sans trouble spécifique de la perception musicale) ont été séparées en deux groupes de plus ou moins de 40 ans. Une analyse des scores basée sur cette distinction a montré que les plus âgés étaient moins bons aux tâches de discrimination mélodique et rythmique. Cependant, ils montraient aussi moins d’expertise musicale en moyenne, ce qui était par ailleurs corrélé aux performances.

Dowling et collaborateurs (Dowling, Bartlett, Halpern, & Andrews, 2008) ont comparé 3 rangs d’âge (18-30 ans, 31-59 ans, et plus de 60 ans) et 3 niveaux d’expertise musicale dans une tâche de détection d’altération dans des mélodies familières et non familières. Les participants entendaient deux mélodies (séparées par un silence de 5 secondes), qui pouvaient être similaires ou contenir une modification de notes (deux notes différaient dans ce cas). La tâche était de juger si les deux mélodies étaient identiques ou différentes. Les performances étaient globalement meilleures pour les mélodies familières, et fortement corrélées au niveau d’expertise. Elles déclinaient légèrement avec l’âge (pour les mélodies familières et non familières). Les auteurs

proposent que ce déficit serait attribuable au déclin lié à l’âge de la mémoire de travail, requise dans cette tâche, plus qu’à une altération de discrimination musicale.

Halpern et collaborateurs (Halpern, Kwak, Bartlett, & Dowling, 1996) confirment la plus grande influence de l’expertise plutôt que de l’âge pour les habiletés de perception musicale. Dans une tâche de représentation de la hiérarchie tonale dans la musique occidentale, menée chez deux groupes de sujets (jeunes : 15 à 22 ans ; âgés : 60 à 80 ans), on retrouve un effet d’expertise sans effet de l’âge. Les connaissances du système tonal semblent maintenues dans le vieillissement, et deviennent même plus élaborées chez les musiciens (les musiciens âgés étaient plus aptes que les musiciens jeunes à utiliser la proximité tonale).

Des déficits liés à l’âge sont apparus cependant dans une tâche de reconnaissance de mélodies transposées (Halpern, Bartlett, & Dowling, 1995). Dans cette étude, on note à nouveau un effet positif de l’expertise musicale, mais qui interagit peu avec l’âge : l’effet de l’âge n’est pas nettement réduit chez les musiciens. Cela peut suggérer que ces déficits reflèteraient d’avantage une altération des processus de traitement généraux (et non spécifique à la musique) ; en particulier, la tâche requiert une forte composante de mémoire de travail, souvent fragilisée dans le vieillissement (voir aussi Halpern & Bartlett, 2002, pour une revue).

Dans la démence, le patron de préservation / altération des aptitudes perceptives pour la musique semble suivre le profil de performance des compétences non musicales. En comparant à des contrôles 3 groupes de patients atteints de MA, démence sémantique et démence fronto- temporale, Johnson et collègues (2011) ont montré que les patients MA présentaient des aptitudes comparables à celles des contrôles pour les tâches de discrimination de notes et de mélodies, et pour la détection de distorsions dans des mélodies familières (alors que les patients avec démence sémantique avaient un score inférieur dans cette dernière tâche). Une étude de cas d’une patiente MA de 84 ans en stade sévère de maladie (MMS : 8/30 ; Cuddy & Duffin, 2005) a confirmé la capacité à discriminer les distorsions dans des mélodies familières. Par contre, dans une étude de groupe menée chez 12 patients (MA modérée à sévère), cette habileté semble variable selon les individus, qu’elle soit testée avec des mélodies familières ou non familières (Vanstone & Cuddy, 2010).

Enfin, chez un patient musicologue et musicien de 67 ans en stade léger de MA (MMS : 24/30), les capacités étaient préservées dans les sous-tests de la MBEA (Peretz, Champod, & Hyde, 2003) d’échelle, contour et rythme, mais on observait un déficit pour la discrimination d’intervalles, ainsi qu’un déficit léger dans la discrimination de timbres instrumentaux (Omar, Hailstone, Warren, Crutch, & Warren, 2010).

En résumé, la perception musicale semble préservée dans le vieillissement, et relativement préservée dans la démence, où elle semble plus fragile selon les individus et le type de tâche. Notons que ces déficits peuvent parfois refléter un trouble plus général de traitement ou de mémoire de travail, souvent impliqués dans les tâches proposées.

1.2. Perception des émotions musicales

Une composante importante dans la cognition musicale est la perception des émotions. Peu d’études l’ont testé dans le vieillissement. Dans l’étude de Lima et Castro (2011), 114 adultes de 17 à 84 ans devaient effectuer des jugements d’émotions sur des extraits musicaux évoquant la joie, la tristesse, la tranquillité et la peur. Les performances étaient, là encore, corrélées à l’expertise musicale. Mais, alors que le jugement des émotions positives reste stable avec l’âge, il semble que la reconnaissance soit légèrement altérée pour les émotions négatives (tristesse et

peur). Ce résultat est en accord avec les données de la littérature sur matériel non musical (comme les visages), montrant une meilleure reconnaissance des émotions positives (« biais de positivité »), et un déficit pour la peur ou la tristesse (Ruffman, Henry, Livingstone, & Phillips, 2008, pour revue).

Dans le vieillissement pathologique, alors que la reconnaissance des émotions musicales semble altérée dans la démence sémantique (de manière cohérente avec les difficultés observées chez ces patients dans le domaine non musical), les performances des participants atteints de MA semblent quant à elles globalement équivalentes à celle des personnes âgées saines (Omar et al., 2010). Drapeau et collègues (Drapeau, Gosselin, Gagnon, Peretz, & Lorrain, 2009) ont comparé la reconnaissance d’émotions véhiculées dans des visages, par la voix (variations de prosodie), ou dans des extraits musicaux, chez 7 participants atteints d’un stade léger de MA (MMS moyen : 23.3/30) et 16 contrôles appariés. Seule la performance effectuée sur les visages était altérée chez les patients comparativement aux contrôles (en particulier pour les émotions négatives). La reconnaissance de tristesse et joie était également préservée dans un groupe de 12 participants en stade léger de MA (MMS moyen 23.1/30), les patients se montrant capables d’utiliser les indices de mode et de tempo pour effectuer ce jugement (Gagnon, Peretz, & Fülöp, 2009). Les mêmes résultats sont observés chez des patients MA en stade modéré à sévère de démence (MMS entre 7 et 15 ; Samson, Dellacherie, & Platel, 2009). De manière plus anecdotique, l’étude montre aussi que les extraits joyeux sont accompagnés de comportements plus réactifs (chantonner, taper des mains ou du pied en rythme). Enfin, Norberg et collaborateurs (Norberg et al., 2003) ont montré que 2 patients sur 3 en stade avancé de démence réagissaient davantage (mouvements de la tête et du visage, pulsation cardiaque et vitesse de respiration) à des stimulations musicales plutôt que tactiles et visuelles. Ce résultat n’est pas directement interprétable en termes de reconnaissance d’émotion, mais suggère que la musique continue à véhiculer un message significatif – plus que d’autres types de stimuli – chez des personnes avec qui la communication semblait perdue.

En résumé, la reconnaissance des émotions musicales semble préservée dans le vieillissement et la démence, avec une tendance (non spécifique au matériel musical) à mieux identifier les émotions positives que négatives.