• Aucun résultat trouvé

Article 3 : Utiliser la Musique pour Apprendre une Séquence de Gestes dans le

2. La musique est-elle spéciale ?

Une question soulevée par ses observations concerne la spécificité de la musique dans ces associations. Différents arguments avaient été avancés en partie théorique pour proposer que la musique constitue une matériel privilégié pour y associer des paroles à mémoriser. Nous les rediscutons ici aux vues des données obtenues dans nos deux études.

L’évaluation des habiletés musicales chez nos participants a tout d’abord confirmé la bonne préservation de la perception musicale (le traitement acoustique, mais aussi la compréhension implicite du système musical tonal ; chapitre 3), ce qui en fait un matériel accessible à une population âgée, y compris atteinte de démence. Les effets de stimulation (arousal), de contact social, et de modification des constantes neurophysiologiques (chapitre 2) jouant éventuellement sur l’anxiété (apaisement) ou l’apathie (stimulation) n’ont pas été directement testés. Nous pouvons cependant noter que la plupart des participants appréciaient les exercices proposés, et qu’après les 12 premières séances (phase d’apprentissage initial pour mémoire verbale et gestuelle), une seule participante MA sur 8 n’a pas souhaité renouveler sa participation pour la seconde partie de l’étude (phase de réapprentissages pour mémoire verbale, impliquant 10 séances supplémentaires). Aussi, le pourcentage d’attrition fut quasi nul (un seul participant n’a pas suivi les deux dernières séances de réapprentissage pour cause de déménagement).

L’effet de l’entraînement musical sur la plasticité cérébrale (chapitre 2) n’a pas non plus été mesuré. Il serait intéressant pour les futures recherches d’explorer les différences d’activation neuronale pour l’apprentissage de paroles récitées versus chantées, ces dernières impliquant probablement un réseau plus large. Dans le cadre d’une étude d’intervention, il serait également pertinent de tester si ce réseau s’étend au fil de pratiques visant à développer l’association mnémotechnique entre une information à mémoriser et une musique associée. Bien que notre étude ne constitue pas une étude d’intervention en tant que telle, les mesures neuropsychologiques effectuées en pré-test et post-test montrent une amélioration de la mémoire verbale (rappel immédiat principalement) pour les deux groupes de participants. L’absence de groupe contrôle non stimulé (ou stimulé autrement) ne permet pas de tirer de solides conclusions de ce résultat – il est tout de même intéressant de noter que les autres mesures effectuées (MMSE, mémoire à court terme et mémoire de travail, attention) n’ont pas progressé en post-

test, ce qui suggère un effet particulier sur la mémoire verbale. Une étude contrôlée devra confirmer cette hypothèse.

Un argument important pour penser que la musique serait un bon support de mémoire verbale et motrice repose sur la possibilité d’y ajuster des paroles ou des gestes de manière étroite, ainsi qu’écologique (chapitres 4). Une observation intéressante issue de l’étude d’apprentissage de paroles est que la musique semble attirer l’attention sur les caractéristiques de surface des chansons. L’effet d’augmentation de la taille des chunks (McElhinney & Annett, 1996), suggérant un meilleur découpage en unités pertinentes, n’a pas été reproduit. Par contre, l’analyse des erreurs produites indiquent qu’une priorité pour les paroles chantées est donnée à la sonorité de l’extrait plus qu’à son contenu sémantique. Ce résultat peut sembler paradoxal aux vues des études qui montrent que des informations verbales sont mieux mémorisées lorsqu’on a effectué un traitement sémantique plutôt que structurel (par exemple, dire si le mot appartient à une catégorie sémantique donnée plutôt que dire s’il est écrit en majuscules ou minuscules, Craik & Tulving, 1975). En effet, le sens d’un mot semble plus crucial que sa structure ; on peut comprendre facilement que l’aspect sémantique soit plus pertinent à extraire. Cependant, lorsque l’information à mémoriser est musicale, comme pour une chanson, le sens exact des paroles est souvent relégué à un plan secondaire, et la sonorité de l’extrait prime (alternances de patrons rythmiques, contours et intervalles mélodiques). Ainsi, on peut penser que l’attention portée à l’aspect sémantique ou structurel des informations à mémoriser aura une influence différente dépendamment de la nature du stimulus. D’autres études pourront tester cette hypothèse en faisant varier le traitement sémantique et acoustique lors de l’encodage de paroles parlées et chantées, ou de poèmes, qui constituerait un niveau intermédiaire intéressant, ou encore dans une langue étrangère.

Enfin, de manière plus directement reliée aux processus mnésiques en tant que tel, nous proposons que la musique puisse avoir un effet spécifique sur la mémoire de deux manières possibles : en facilitant le processus de récupération et/ou celui de consolidation en mémoire à long terme. Le processus de récupération en mémoire est très fortement relié au fonctionnement exécutif : se remémorer un souvenir n’implique pas seulement de l’avoir bien stocké en mémoire, mais aussi d’être capable de mettre en œuvre les stratégies efficaces qui permettent de le retrouver de manière volontaire. Or, les fonctions exécutives sont fragilisées dans le vieillissement (voir Bherer et al., 2004, pour une revue dans le vieillissement normal et la MA), et certains auteurs ont proposé que les déficits de mémoire liés à l’âge pouvaient être dus à ce dysfonctionnement exécutif (par exemple, Bugaiska et al., 2007). En effet, lorsque des indices sont présentés lors de la récupération d’informations apprises – indices qui soutiennent ce processus de recherche en mémoire – la différence des performances de mémoire entre les personnes jeunes et âgées est considérablement réduite (Angel, Isingrini, Bouazzaoui, Taconnat, Allan et al., 2010). De plus, il semblerait que les personnes âgées utilisent moins de stratégies de mémorisation internes (et davantage externes : agenda ou carnet de notes, par exemple) comparativement aux jeunes ; et l’utilisation de stratégies internes semble corrélée au bon fonctionnement exécutif (Bouazzaoui, M., Fay, Angel, Vanneste et al., 2010). Il serait donc intéressant de mesurer plus précisément à quel point une mélodie améliorerait le rappel lorsqu’elle est fournie comme indice (externe) et présentée lors de la récupération d’informations verbales. Aussi, on peut penser qu’une mélodie familière pourrait représenter un indice interne – qui peut donc être utilisé spontanément par le sujet pour retrouver l’information qui y avait été associée. Enfin, une observation intéressante issue de notre étude sur l’apprentissage de paroles est que les participants MA qui bénéficient le plus de la condition chantée (comparativement à

parlée) sont ceux qui ont les plus faibles scores aux deux tests de fluence (phonologique et sémantique). La musique pourrait donc aussi soutenir le processus de récupération en facilitant l’évocation verbale.

L’idée que les informations apprises en musique sont mieux consolidées (chapitre 4) est soutenue par notre étude d’apprentissage de paroles, en particulier pour les participants MA. Cela peut être dû au fait que la composante musicale en tant que telle serait mieux mémorisée chez les participants MA que d’autres types de matériel, tel que proposé dans le chapitre 3. Cette hypothèse est basée sur le fait que les patients MA semblent montrer une supériorité dans la formation de nouvelles connaissances musicales – au moins, un sentiment de familiarité – plutôt que linguistiques (Samson et al., 2009). Ce sentiment de familiarité préservé pour l’acquisition de nouvelles informations musicales est d’ailleurs retrouvé dans notre étude dans la tâche d’apprentissage de mélodies non familières : après 3 expositions aux mélodies, le score des participants MA ne diffère pas de celui des contrôles dans la tâche de reconnaissance. Samson et collaborateurs (2009) proposent que les émotions musicales – dont la perception est par ailleurs souvent préservée dans la MA (chapitre 3) – constituent un élément clé pour l’émergence de cette familiarité pour de nouveaux extraits musicaux. Cette hypothèse est cohérente avec l’idée que l’influence des émotions sur la mémoire (chapitre 3) peut parfois être différente en fonction du délai de rétention testé (voir Schulkind et al., 1999, qui abordent cette notion dans le domaine de la mémoire musicale au cours de la vie, ou Christianson, 1992, pour une revue de littérature discutant les effets des émotions en fonction des délais de rétention dans le domaine non musical).

Une nuance à cette hypothèse de meilleure consolidation pour le matériel musical est apportée par les scores obtenus par les participants MA lors des séances de réapprentissage. Si les paroles chantées étaient mieux consolidées, on devrait observer une progression plus importante des rappels immédiats et différés pour cette condition comparativement à la condition parlée. Or, l’avantage de la condition chantée n’apparaît à nouveau qu’après le délai de 4 semaines, mais n’est pas visible d’une semaine à l’autre. Ceci peut être expliqué d’une part par l’hétérogénéité des courbes d’apprentissage chez ces 6 patients MA. Il se peut également que cet effet soit trop fragile pour être mis en évidence chez des participants avec troubles mnésiques. Il serait intéressant de tester à nouveau ce protocole de réapprentissages successifs avec des personnes âgées Contrôles afin de contrôler cet éventuel effet d’interaction avec les troubles cognitifs. Il serait également pertinent de quantifier la mémoire pour les mélodies (indépendamment des paroles qui sont rappelées) dans les cas où les participants chantent spontanément lors des rappels. Rappelons qu’il a été observé que le pourcentage de mots chantés diminuait moins du rappel immédiat au rappel différé que le pourcentage de mots rappelés. Si la mélodie chantée par les participants est fidèle à celle de l’extrait appris, on pourra alors en conclure qu’ils ont mieux consolidé la composante musicale que linguistique.

3. Musique, action et mémoire

La production synchronisée du matériel verbal et gestuel pendant l’encodage a mené à des résultats différents dans les deux groupes de participants. Alors que les participants âgés sains semblent généralement en tirer profit, les résultats sont plus mitigés pour les participants MA, qui montrent plutôt un effet délétère de la synchronisation sur leurs performances.

L’effet facilitateur retrouvé chez les Contrôles peut être expliqué par le double codage auditivo-verbal pour les paroles, et le triple codage auditivo-visuo-moteur pour les gestes. La