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Chapitre 3 : Habiletés Musicales dans le Vieillissement et la MA

2. Mémoire(s)

2.5. Mémoire procédurale

Plusieurs études menées chez sujets musiciens en stade de MA modéré à sévère mettent en évidence des habiletés préservées pour jouer de leur instrument (Beatty, Salmon, Butters, Heindel, & Granholm, 1988; Beatty, Winn, Adams, Allen, Wilson et al., 1994; Crystal, Grober, & Masur, 1989; Polk & Kertesz, 1993), y compris avec un score de MMS très faible à 5/30 (Fornazzari, Castle, Nadkarni, Ambrose, Miranda et al., 2006, chez une pianiste). Cette production musicale peut être dissociée des capacités de ces patients à identifier ces mêmes morceaux (compositeur, titre ; Beatty et al., 1988; Crystal et al., 1989). De plus, ce maintien de la mémoire procédurale pour la pratique musicale semble indépendant des habiletés praxiques. Dans ces études, certains de ces patients présentent des troubles praxiques de type apraxie d’habillage (Beatty et al., 1994) apraxie idéomotrice (Beatty et al., 1988) : dans ce dernier cas, la patiente est par exemple incapable d’effectuer sur demande des mouvements simples comme dire au revoir de la main.

Deux études ont mis en évidence chez ces patients la possibilité d’apprentissage de nouvelles pièces musicales (Cowles, Beatty, Nixon, Lutz, Paulk et al., 2003; Fornazzari et al., 2006). Par exemple, un violoniste de 80 ans atteint d’une démence modérée (MMS : 14/30) est capable d’apprendre une nouvelle pièce en 3 séances d’entraînement, et peut la rejouer de mémoire après 10 minutes (Cowles et al., 2003). Par contre, la performance n’est pas maintenue après 3 jours, ce qui suggère que l’apprentissage a été trop superficiel pour être maintenu à long terme. D’autres études devraient examiner la rétention de nouvelles pièces apprises lors de séances successives.

Ces observations sont là encore dans la lignée des études menées dans d’autres domaines. Les acquisitions procédurales reposant sur des mécanismes automatiques et moins coûteux en ressources cognitives, elles sont plus robustes lors d’atteintes cérébrales, et la possibilité

d’apprentissage de nouvelles habiletés perceptivo-motrices, comme par exemple la lecture en miroir, a souvent été démontrée (voir Adam, 2006, pour une revue).

3. Résumé et perspectives

L’étude de la littérature concernant la perception musicale (traitement acoustique, mais aussi connaissances implicites du système tonal et reconnaissances des émotions) montre globalement pas ou peu d’effet de l’âge. Les observations sont plus mitigées dans la démence, où les performances varient davantage en fonction des individus et des tâches. Cependant, ces habiletés perceptives semblent relativement préservées comparativement à l’avancée de la démence et au déclin cognitif associé. La perception des émotions musicales semble également relativement bien préservée, y compris dans la démence, avec un biais pour les émotions positives. Notons qu’il est difficile d’avoir des tâches pures (qui ne font pas appel à d’autres fonctions, comme par exemple la mémoire de travail ou la compréhension verbale, rapidement fragilisées avec l’âge et altérées dans la démence). La mesure des performances par observation comportementale représente parfois un moyen efficace pour limiter l’influence des autres fonctions cognitives sur la tâche.

La mémoire musicale fait l’objet d’un débat autour de sa spécificité. Les patients MA présentent parfois une altération ou préservation mnésique spécifique à certains matériels (Baddeley, Della Sala, & Spinnler, 1991; Becker, Lopez, & Wess, 1992). Pourtant, l’ensemble des données empiriques suggèrent que la mémoire musicale suivrait le profil cognitif global, avec le même patron de préservation / altération que pour le domaine non musical, à la fois dans le vieillissement normal (Halpern & Bartlett, 2002, pour revue), et dans la démence (voir Baird & Samson, 2009, pour revue dans la MA). Ainsi, la mémoire à court terme musicale semble fragilisée dans le vieillissement normal et altérée dans la démence, au même titre que la MCT verbale et visuelle. Le même continuum est observé en mémoire à long terme épisodique, de manière cohérente là encore avec les autres domaines. La mémoire procédurale quant à elle semble relativement bien préservée, y compris parfois dans des stades avancés de démence, et malgré des troubles praxiques. De nouvelles acquisitions ont même été mises en évidences chez des musiciens, capables d’apprendre à jouer de nouveaux morceaux. Leur rétention à long terme reste cependant à confirmer. Ces données sont à nouveau cohérentes avec les observations effectuées dans le domaine non musical (visuomoteur par exemple).

La mémoire sémantique musicale (musiques que l’on connaît) pour les connaissances anciennement acquises semble relativement bien préservée dans le vieillissement. Il est cependant peu aisé de la comparer à d’autres domaines, car il est particulièrement difficile de contrôler le nombre d’expositions à ces différents stimuli au cours de la vie. Dans la MA, les performances semblent variables selon la tâche utilisée (et selon les individus). D’une manière générale, le sentiment de familiarité pour un extrait connu est préservé, mais les connaissances qui y sont associées (titre, auteur, etc.) sont altérées. Ces données sont cohérentes avec les évaluations de la mémoire sémantique dans le domaine non musical chez ces populations.

Les liens entre la mémoire sémantique musicale et la mémoire autobiographique restent à préciser, dans le vieillissement comme dans la démence. Il semble aujourd’hui que l’évocation de souvenirs autobiographiques à l’écoute de mélodies familières se fasse à un niveau plutôt général que spécifique, et dépende davantage d’un effet d’éveil ou de régulation d’anxiété que d’un lien associatif entre un morceau musical et un événement de vie.

Les capacités de formation de nouvelles connaissances musicales (non procédurales) semblent suivre un continuum jeune / âgés / patients lorsque l’apprentissage est effectué sur un mode explicite (bien que certaines études montrent des performances équivalentes aux jeunes pour les âgés sains). Ces habiletés apparaissent comme préservées lorsque l’apprentissage emprunte des voies de mémorisation plus implicites, dans le vieillissement d’une part, et possiblement dans la MA d’autre part. La meilleure préservation pour les apprentissages implicites chez des personnes présentant une altération de la mémoire déclarative (explicite) a souvent été mis en évidence pour du matériel non musical. Cependant, en comparant la mémoire implicite – après expositions multiples – pour du nouveau matériel verbal versus musical, une étude a montré que le sentiment de familiarité apparaît plus rapidement pour des stimuli musicaux que verbaux et est mieux maintenu dans le temps, même après plusieurs mois, chez des patients MA au stade modéré à sévère (Samson et al., 2009). Ainsi, si la mémoire musicale peut montrer une meilleure robustesse que la mémoire pour d’autres types de matériel, cela pourrait résider dans la formation d’un sentiment de familiarité en mémoire sémantique. Les prochaines études devront confirmer ces observations et expliquer comment les représentations mnésiques peuvent être formées plus efficacement pour du matériel musical. La composante émotionnelle jouerait peut-être un rôle important dans ce mécanisme.

Pour résumer, la mémoire musicale semble reposer sur les mécanismes mnésiques généraux, et est donc différemment altérée selon les formes de mémoire et le profil de dégradation cognitive. Cela explique qu’elle soit différemment atteinte selon les formes de démence (Omar et al., 2010). Cependant, le matériel musical se distingue possiblement des autres types de stimuli en ce qui concerne la formation des nouvelles connaissances, non pas parce que la musique serait traitée par un système de mémoire spécifique, mais parce que ses caractéristiques (notamment émotionnelles) résonneraient adéquatement avec les mécanismes de formation d’un sentiment de familiarité. Cette caractéristique peut conférer à la musique un rôle important dans un apprentissage associatif, où elle servirait de support à l’acquisition d’autres informations. L’utilisation de la musique comme moyen mnémotechnique est abordée dans le chapitre suivant à travers une revue de littérature dans les populations jeune, âgée et atteinte de démence.

Chapitre 4 : La Musique comme Support de