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Perception et relations avec les associations anciennes

Chapitre 4 Portrait factuel de la vie associative russophone

4.8 Réseau intégré ou segmenté?

4.8.1 Perception et relations avec les associations anciennes

Précisons, encore une fois, que les communautés russophones présentes à Montréal avant le début des années 1990 sont d’origine ukrainienne, juive, arménienne et de façon plus restreinte, russe. Une grande partie de nos informateurs perçoivent des différences entre leur propre vague d’immigration et les plus anciennes. Ces dissemblances nuisent bien souvent au rapprochement entre les générations.

4.8.1.1 Conceptions divergentes du pays natal et différences culturelles

La perception de certains informateurs s’appuie sur l’expérience vécue lors de la fréquentation d’une communauté formée d’immigrants anciens ou des générations nées sur

place. L’un de nos répondants, au moment de son arrivée, essaie de prendre part aux activités de la communauté ukrainienne. Néanmoins, il constate que ces immigrants, issus de vagues anciennes, ne proviennent pas de la même région que lui et ont une conception de leur pays, d’après lui, dépassée: « Ce sont des gens qui sont partis après la guerre, pas tous, mais la majorité. […] J’ai bien discuté avec eux. Je leur ai demandé s’ils étaient retournés en Ukraine depuis. Non. Je leur ai dit que j’avais quitté l’Ukraine il y a de ça six mois. Ils ne savent pas ce qui se passe là-bas. Ils se tiennent entre eux ici. […] Je ne suis pas retourné les voir » (Andreï, TF).

Un autre informateur a constaté à peu près la même chose lors de sa propre visite dans la communauté ukrainienne. Il ajoute ne pas se reconnaître dans les générations nées au Canada : « Les premières vagues d’immigrants ont connu une Ukraine complètement différente de celle d’aujourd’hui. Les deuxième, troisième ou même quatrième générations nées au Canada sont des Canadiens. Ils se disent Ukrainiens même s’ils n’ont jamais vu l’Ukraine. Alors, je préfère échanger avec un Canadien, qu’avec un Canadien qui se veut Ukrainien » (Sémion, TF).

Elena constate que les relations avec les anciennes générations sont faibles et superficielles. Cela s’explique par une différence culturelle non négligeable. La récente génération a vécu sous le régime soviétique tandis que l’ancienne l’a fuit. D’après elle, la distance entre les générations est entretenue par les deux camps : « Les vieux immigrants évitent la nouvelle immigration, parce qu’ils ont quitté leur pays pour fuir les problèmes, la révolution, le régime soviétique. Ils cherchent à conserver leur culture. Quand nous nous rencontrons, nous pouvons parler, échanger, mais les contacts ne vont pas en profondeur » (Elena, TF).

4.8.1.2 Passer au-delà des différences

Malgré ces disparités, Elena pense qu’il faut développer des relations durables entre ces différents vagues en misant sur les similitudes : « Cette différence ne devrait pas nous séparer. Au contraire, on a en commun la langue et la culture russes » (TF).

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Vladimir souhaite également voir naître une plus grande solidarité chez les Russophones. Impuissant, il remarque plutôt un manque collectif d’empathie. Cette indifférence nuit au fondement de liens entre les différents immigrants russophones:

Les Russes ne forment pas un tout, contrairement aux Grecs, aux Italiens, aux Chinois. Quand un Russe commence à mieux se débrouiller ici, à parler français, il ne cherche pas à connaître le dernier arrivant. Il existe une psychologie propre à un peuple. Alors, on peut dire que c’est correct, mais ce n’est pas normal. Il devrait exister une solidarité chez les Russes, une volonté d’être ensemble. Pour eux, c’est difficile de faire ça… C’est la vie! (TF)

Sergueï aussi reconnaît les différences entre les générations, mais croit qu’il est possible de collaborer sur des projets précis :

Ceux qui sont là depuis longtemps, ils sont déjà des Canadiens, ils ne comprennent pas ceux qui viennent d’arriver. […] Quand c’est autour d’un projet qu’on fait rencontrer les immigrants des différentes générations, à ce moment là, chacun peut apporter quelque chose. C’est là qu’un échange peut se faire. Si on les assoit autour d’une table, il n’y aura pas de dialogue, parce que chacun a ses idées, son opinion. Chacun va raconter sa façon de voir les choses. (TF)

Il en va de même dans la communauté ukrainienne. Comme nous l’avons vu auparavant, l’association ukrainienne faisant partie de notre échantillon a été créée, entre autres, afin d’établir un pont entre les nouveaux arrivants et les anciens. Il est donc sous-entendu que les relations entre ces différentes vagues ne se créent pas de manière spontanée. Les relations doivent donc se fonder sur des objectifs communs, comme le mentionne Pavel : « De façon générale, les relations sont normales. Parfois, il y a des malentendus liés aux différences culturelles et à des approches différentes. Mais nous avons la même Église, la même langue et le même pays. Nous sommes tous liés à l’Ukraine. Nous avons donc le même but : aider nos compatriotes. Nous essayons d’aider à reconstruire notre pays, alors nous avons le même but » (TF).

Par ailleurs, l’informatrice de l’association russo-juive nous dit que chaque vague d’immigration juive établit sa propre communauté. Les immigrants récents interagissent plus facilement avec leurs compatriotes russophones de la troisième vague, qu’avec ceux de vagues plus anciennes. En effet, ils partagent un bagage culturel similaire avec ceux installés depuis la fin des années 1970. Du côté associatif, cet organisme entretient de bons

liens avec les synagogues, JIAS et d’autres organismes communautaires juifs. On peut donc parler de réseau associatif intégré dans la communauté juive.

En ce qui concerne les Arméniens, d’après notre informateur, les relations, entre les Arméniens d’Arménie arrivés au Canada avant l’indépendance de leur pays et ceux qui le firent par la suite, sont bonnes. Pour Aram, ces deux groupes n’en forme qu’un : « Nous sommes les mêmes gens. Nous sommes comme une grande famille. Les temps changent, les vies changent, mais le caractère ne change pas. Même si je vis au Canada durant 100 ans, ce n’est pas grave, nous avons le même caractère » (TF).

Par contre, l’écart se fait plus sentir entre groupes culturels arméniens qu’entre générations. Notre informateur justifie le besoin de créer une association d’Arméniens d’Arménie puisqu’à l’inverse d’une majorité arménienne, née dans un pays arabophone, eux parlent le russe comme seconde langue. Cependant, ces différences sont loin d’établir des frontières. Le réseau associatif arménien est intégré, une nouvelle association peut compter sur l’aide et la collaboration des plus anciens organismes.

Une autre informatrice nous assure que certaines vieilles associations russes, dont une religieuse, laissent place aux nouveaux arrivants et que les relations entre générations sont harmonieuses. Mais ce n’est pas le cas dans chaque ancienne institution. Sa propre association collabore avec une plus ancienne. Encore là, le réseau entre les vagues d’immigration russe est fragmenté. Certaines associations entretiennent des relations, d’autres collaborent de façon temporaire sur un projet commun. Par ailleurs, peu d’associations russes fondées par les générations précédentes existent, si ce ne sont les Églises, divisées sur le plan idéologique, et quelques autres associations.

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