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118 La pensée du déclin

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 119-127)

Dans sa Petite histoire de la photographie, Walter Benjamin revient sur les années 1840 qui voient soudainement décroître l’activité du peintre de « portraits en miniature » au proit du procédé photographique, plus eficace en termes de production. Alors que l’on pourrait s’attendre à un éloge économique et artistique de la technique nouvelle, Walter Benjamin envisage l’apparition de la photographie sous l’angle du « déclin » :

C’est pourquoi les questions historiques ou, si l’on veut, philosophiques que suggèrent l’expansion et le déclin de la photographie sont demeurées inaperçues pendant des décennies. [ … ]

On assista à un rapide déclin du goût [ … ] La technique nouvelle pousse la précé-dente à son summum, puisque l’ancienne peinture de portrait, avant son déclin, avait produit une loraison de mezzotinto. [ … ]

Il existait alors entre l’objet et la technique une correspondance aussi aiguë que devait l’être leur opposition dans la période du déclin. [ … ]

C’est lui [ Eugène Atget ] qui, le premier, désinfecte l’atmosphère étouffante qu’avait propagée le portrait conventionnel de l’époque du déclin [ … ] La tentation est grande de repousser cela [ la reproduction pho-tographique d’une œuvre ] comme un déclin du sens artis-tique, une démission de nos contemporains 152.

La récurrence de ce terme dans un petit nombre de pages doit nous interroger. Le terme de « déclin » désigne habituellement un changement d’une direction donnée, comme lorsque l’on parle du déclin d’un corps céleste vers l’horizon. Le déclin a lieu après l’apo-gée (la pleine lune, la lumière zénithale), il marque le seuil de la croissance et du déve-loppement d’un être. Le déclin est le changement de mouvement qui suit l’éclosion d’un être vivant, il en annonce la ruine. Les êtres vivants, précisément en tant qu’ils vivent, sont orientés par et pour la mort. Ils périssent soit d’une mort dite naturelle qui ne serait que la conclusion logique d’un long déclin, soit d’une mort dite accidentelle favorisée par la baisse des fonctions de résistance. Par extension, on peut aussi parler de déclin pour une civilisation ou, comme nous l’apprend Walter Benjamin, pour une période technique (« l’époque du déclin »). Ce qui nous importe dans la Petite histoire de la pho-tographie, c’est que cette technique vieille d’un peu plus d’un siècle à la rédaction de l’article de Benjamin (en 1931) fasse son apparition sous ce mode. Alors que l’on réserve généralement le terme de « déclin » à un certain âge, plutôt éloigné de la naissance, son utilisation pour désigner une invention ne va évidemment pas de soi. Au nom d’une

légi-timation artistique plus ou moins afirmée (à laquelle prend part le pictorialisme), la photographie artistique se construit initialement contre la vision scientiique, medium implacable et anonyme [ Fig. 99 ]. Si l’on suit cette idée, la photographie ne pourrait exister comme art qu’à condition de mimer une esthétique

subjec-152 W. Benjamin, Petite histoire de la photographie [ 1931 ], trad. de l’allemand par A. Gunthert, Études photographiques, no 1, tirage à part, 1996, p. 8, puis p. 18, p. 19, p. 20, p. 21 et p. 26.

Fig. 99

Élément conceptuel 1

tive. La détermination formelle du mouvement pictorialiste qui oriente la nouvelle tech- 119

nique vers d’anciennes formes se fait par « effacement », en superposant les couches de matières. La photographie est recouverte de textures picturales. Déterminés dans les images par la nouvelle technique, les anciens halos photographiques vont dis-paraître avec les progrès techniques des appareils. Plus exactement, ils vont reve-nir chargés du poids historique du tableau. Le maintien économique de l’activité du peintre en miniature se fait par des procédés « fondamentalement antitech-niques 153 » visant à reproduire l’aura des premières photographies [ Fig. 100 ]. Contestant cette prétention à faire art par des procédés hérités de techniques anciennes, Walter Benjamin prend pour exemple une photographie de cimetière de Hill (1845) [ Fig. 101 ]. Dans cette œuvre, le choix de l’emplacement et la dispo-sition des corps sont « déterminés » par la technique et non pas par des modèles culturels :

Jamais ce lieu [ le cimetière ] n’aurait pu produire un tel effet si son choix n’avait reposé sur des déterminations techniques 154 »

Le caractère rudimentaire de l’appareil photographique nécessite une prise de vue en extérieur pour plus de luminosité. La longueur du temps de pose des igurants est rendue possible par la stabilité physique des stèles funéraires. Cette inluence des spéciicités techniques sur le choix d’une scène ne signiie pas que l’appareil photo-graphique produirait un résultat prévisible, qui ne dirait rien de l’auteur, mais que cer-taines orientations techniques seraient plus justes. Ce qui donne de « l’effet » à l’image, c’est cette « correspondance entre l’objet et la technique 155 » qui disparaîtra dans le

« déclin ». La photographie de Hillixe les limites (les déterminations) de sa technique.

Walter Benjamin nous permet donc de penser la différence entre un mode d’apparition

« déterminé » (rendu possible) par l’appareil, et la détermination formelle de l’image ré-sultant d’un « effacement du caractère photographique 156 ». Si la première génération, celle des photographes-artistes, retarde le « déclin du goût », celui-ci surgit de façon ai-guë lorsque, appâtés par le gain, les « commerçants » s’en mêlent. Walter Benjamin fait un rapprochement entre la capitalisation d’une technique et son déclin artistique :

La prétention de la photographie à être un art est contemporaine de son apparition sur le marché en tant que marchandise. Cette problé-matique obéit à une ironie proprement dialectique : le procédé, qui

153 Ibid., p. 8 : « Sans s’en apercevoir, c’est contre ce concept fétichiste et fondamentalement antitechnique que les théoriciens de la photographie se sont battus pendant près de cent ans, naturellement sans le moindre résultat. »

154 Ibid., p. 14.

155 Ibid., p. 19.

156 R. Demuchy : « Peut-être nous accusera-t-on d’effacer ainsi le caractère photographique ? C’est bien notre intention. » Cité dans : G. Marissiaux, La possibilité de l’art, Musée de la Photographie, 1997.

Fig. 100

Fig. 101 walter benjamin, authenticités

120 était par la suite destiné à remettre en question la notion d’œuvre d’art, puisqu’en la reproduisant il en accélérait la transformation en mar-chandise, se déinit d’abord comme technique artistique 157.

L’analyse que donne Walter Benjamin des « cartes de visite photographiques 158 »

[ Fig. 102 ] nous permet de penser que l’économie se nourrit de cet encombrement.

En accélérant la « transformation [ de l’œuvre d’art ] en marchandise », l’inauthen-ticité est source de proit. C’est pourquoi il est tout à fait illusoire de chercher à déduire de succès commerciaux des principes pertinents pour penser l’art ou le design. L’exemple des cartes de visite photographiques nous montre qu’une in-vention peut très bien être viable commercialement sans être pertinente techni-quement. Walter Benjamin qualiie ainsi de « pesant » un art qui fait l’impasse sur ses « considérations techniques » :

Ici se montre dans toute sa pesante balourdise le concept trivial d’art auquel toute considération technique est étrangère et qui sent venir sa in avec l’apparition provocante de la nouvelle technique 159.

En s’affranchissant de la technique, l’artiste perd de vue la spéciicité de son instrument.

Son comportement est guidé par les anciens modèles, la nouveauté de la technique lui est masquée.

Formes de l’invention

Ce rapport à un passé encombrant qui reste à « découvrir » traverse d’une façon com-parable les débuts de l’architecture moderne. Les nouveaux matériaux comme le fer, le verre, ou l’aluminium sont « recouverts » de références historiques. À l’inverse, dans une monographie de 1914, Joseph Lux dit d’Otto Wagner que :

Même s’il ne fut pas l’inventeur de ces matériaux, il leur donna toutefois leur importance actuelle ; il découvrit leur fonctionnalité dans l’architecture 160.

157 W. Benjamin, « Peinture et photographie. Deuxième lettre de Paris, 1936 », trad. de l’allemand par M. B. de Launay, reproduit dans : W. Benjamin, Sur l’art et la photographie, textes présentés par C. Jouanlanne, Paris, Carré, 1997, p. 85.

158 W. Benjamin, op. cit., p. 8 : « Celle-ci ne conquit du terrain qu’avec la carte de visite photographique, dont le premier fabricant, c’est signiicatif, devint millionnaire. » Comme l’indique l’appareil critique de l’édition des Études Photographiques, « il s’agit d’André-Adolphe Disdéri (1819-1889), qui dépose en 1854 le brevet de la carte de visite photographique. »

159 W. Benjamin, Petite histoire de la photographie, op. cit., p. 8.

160 J. Lux, Otto Wagner, Eine Monographie, Münich, Delphin-Verlag, 1914, p. 70 : « Keine Reminiszenz an historische Stile [ … ] Glas, Marmor, Aluminium, Hartgummi [ … ] Lauter neue Worte ! [ … ] Otto Wagner hat sie entdeckt. Wenn er diese Materialien auch nicht erfunden hat, so hat er ihnen doch die aktuelle Bedeutung gegeben ; er hat ihre Nutzanwendung für die Architektur entdeckt. » Traduction de l’auteur.

Fig. 102

Élément conceptuel 1

Chez Otto Wagner, l’introduction de formes géométriques non iguratives, l’alternance 121

de pleins et de vides et la verticalité particulière induite par le resserrement des piliers marquent un éloignement avec les canons formels de l’époque. Un bâtiment comme la Landërbank (1884) [ Fig. 103 ] s’affranchit des réminiscences stylistiques de la Renaissance (monumentalité, modèle du Palazzo, etc.) En se « débarrassant des ultimes traces de l’imitation 161 », même dans le cas de la restauration d’un bâtiment, l’artiste s’oppose à l’ingénieur (le « non-artiste »), qui « n’invente pas les formes artistiques en déterminant 162 les caractères esthétiques de ce genre de construction 163 ». Les formes ne sont pas issues de courants esthétiques identi-iés historiquement, mais sont pensées dans une logique de construction et de structuration de l’espace. Le Bauhaus est aussi le lieu d’une rélexion sur les po-tentialités des matériaux et des nouvelles techniques de construction [ Fig. 105 ]. Josef Albers peut ainsi dire qu’une forme inventive découle d’un « apprentissage actif », qui s’oppose aux limitations de la tradition :

La mise en œuvre du matériau est conditionnée dans la technique par

une longue tradition. C’est pourquoi la formation technique consiste générale-ment en une transmission et une acceptation, de méthodes achevées de travail.

Une telle formation ne libère pas la créativité, elle empêche l’invention 164.

Josef Albers pense le rapport à la création comme ce qui s’oppose à la tradition. Cette idée peut s’apparenter au discours de László Moholy-Nagy sur les « méthode[s] artisanale[s]

de fabrications [ … ] souvent copié[e]s par les designers industriels, sans aucune raison valable 165 ». La nouveauté apparaît dans son époque sous une forme traditionnelle qui est forcément « inauthentique », puisque l’authenticité de la technique nouvelle n’a pas encore été actualisée. Josef Albers sépare la formation de l’apprentissage. Ce qu’il nomme formation a à voir avec la « transmission et [l’]acceptation, de méthodes ache-vées de travail. » : l’acceptation d’un état achevé de façons de faire. L’aspect rassurant

161 O. Wagner, « Art et Artisanat » [ 1900 ], dans : Architecture moderne et autres écrits, trad. de l’italien par S. Pizzuti, Wavre, Mardaga, 1995, p. 111 : « Ce que personne n’aurait cru possible il y a encore deux ans, ou plutôt un an, est devenu réalité. On s’est débarrassé des ultimes traces de la production d’imitation, et les œuvres d’art sont devenues ce qu’elles furent à chaque époque ; des créations nouvelles, conçues par de vrais artistes. On a été réceptif à la sensibilité moderne et, tel un miroir limpide, l’art commence à révéler enin notre véritable image. »

162 Nous soulignons.

163 O. Wagner, « Les qualités de l’architecte » [ 1912 ], ibid., p. 105 : « Nous autres architectes-artistes sommes les derniers à vouloir enlever quoi que ce soit à l’ingénieur ou diminuer sa valeur, mais depuis que le monde est monde et tant qu’il existera, seul l’architecte-artiste a pu et pourra construire comme n’a jamais pu le faire ni ne pourra jamais le faire le non-artiste, c’est-à-dire l’ingénieur. »

164 J. Albers, « Apprentissage actif de la forme » [ 1928 ], Culture Technique, no 5, 1981, p. 162.

165 L. Moholy-Nagy, « Nouvelle méthode d’approche – Le design pour la vie » [ 1947 ], trad. de l’anglais par J. Kempf et G. Dallez, dans : Peinture Photographie Film et autres écrits sur la photographie [ 1993 ], Paris, Folio, 2007, p. 283-284 : « Beaucoup d’objets anciens sont l’expression directe de leur méthode artisanale de fabrication. Ils sont souvent copiés par les designers industriels, sans aucune raison valable. Il est vrai que plus un artisanat est ancien, plus la forme qu’il produit est dificile à modiier. »

Fig. 103

Fig. 105 walter benjamin, authenticités

122 de la « mise en forme » d’idées adaptées à des méthodes dont on n’a rien décidé est en vérité nuisible. Il est anticréatif de ne pas questionner les modèles et normes précédant la

« mise en œuvre » d’un programme puisque ces dernières « conditionnent » directement la technique. Dès lors, penser la réussite d’un projet de design par sa conformité à des

« normes techniques » est une contradiction dans les termes : une telle façon de faire du design est inactive, ce n’est pas une « activité 166 ». Il y a lieu de comprendre qu’il existe des cours qui s’opposent à toute invention :

Sont « nuisibles » les « cours d’initiation au travail » conçus sous la forme de tableaux imprimés qui accompagnent un assorti-ment de pièces normalisées, numérotées, brevetées, dont on peut recevoir par la poste sa ration pour une année 167.

On parle ainsi de « formation professionnelle », expression qui désigne peut-être mieux ce qui relève ici de l’acceptation de réalités non pensées : l’adéquation d’un besoin à une in. Mais n’est-ce pas le propre de l’école, au sens fort, que de produire des situations professionnelles nouvelles, qui ne sont précisément pas celles de l’époque ? Le travail scolaire se doit d’errer, de questionner, de rater. Les « méthodes », si elles ne sont pas accompagnées du développement d’un sens critique, « empêchent l’invention » de se découvrir. L’injonction à former des êtres immédiatement adaptables ne vise t-elle pas au fond à nier la possibilité d’un avenir fondamentalement inconnu, au proit d’un devenir prévisible dans tous ses aspects ? Distiller un savoir en petites doses va à l’encontre d’un apprentissage libre, mobile, basé sur le jeu, le bricolage et la découverte :

L’invention constructive et l’attention nécessaire à la découverte s’épanouissent – tout au moins chez le débutant – au moyen du bri-colage, du jeu et de l’essai avec des matériaux sans utilité immé-diate, sans contrainte, sans inluence, donc sans préjugé 168.

Cette conception de la « découverte » comme ce qui s’oppose aux traditions d’une pro-fession peut être rapprochée de ce que dit Walter Benjamin de la capitalisation de la technique photographique. Les « cartes de visites photographiques » systématisent une application commercialisable au détriment d’une vision libre de la technique, compris comme ce qui n’a pas de forme a priori. Comme l’indique Josef Albers, il n’est pas possible de « préjuger » d’un matériau sans avoir fait l’expérience d’un

« apprentissage actif de la forme » [ Fig. 106 ]. Cette découverte d’une technique captive (et non pas active) est rendue possible lorsque sont manifestées les

dé-166 Nous pouvons à nouveau rapprocher ce vocabulaire de ce que Moholy-Nagy nomme « design pour la vie » pour penser un design « vif ».

167 J. Albers, « Apprentissage actif de la forme », op. cit., p. 165.

168 Ibid., p. 162.

Fig. 106

Élément conceptuel 1

terminations techniques d’un appareil. L’artiste approche l’authenticité d’une technique 123

lorsqu’il lève le maquillage (« démaquiller la vérité 169 »).

Si dans un texte que n’ignorait pas Walter Benjamin, Baudelaire fait l’éloge du maquil-lage 170, c’est en tant qu’il permet à la femme « d’emprunter à tous les arts les moyens de s’élever au-dessus de la nature pour mieux subjuguer les cœurs et frapper les esprits. » Avec le maquillage, ce qu’approche Baudelaire, c’est une conception de l’art comme

« surpassement de la nature » :

La peinture du visage ne doit pas être employées dans le but vulgaire, ina-vouable, d’imiter la belle nature, et de rivaliser avec la jeunesse. [ … ] Le ma-quillage n’a pas à se cacher, à éviter de se laisser deviner ; il peut, au contraire, s’étaler, sinon avec affectation, au moins avec une espèce de candeur 171.

La candeur (du latin candor, blancheur ou clarté) indique un sens moral : « pureté d’une langue » (Rabelais), « sincérité de l’âme » (Du Bellay) ou encore « probité » (Ovide)172. Baudelaire fait l’éloge d’un type de maquillage, qui serait de l’ordre de l’afirmation d’un art anti-naturel, afirmé en tant que tel. À l’inverse, il dénonce un autre type de maquil-lage qui serait du côté de la dissimulation et de l’imitation. Le maquilmaquil-lage que combat Baudelaire est donc du même ordre que celui que dénonce Walter Benjamin, il a à voir avec le mensonge. Le maquillage dont il est fait l’éloge doit apparaître franchement et sincèrement. La « ruse et l’artiice » ne sont pas masqués mais « connus de tous ». Dans le « déclin » de la photographie pensé par Walter Benjamin, le maquillage encombre l’image en voulant simuler la peinture par les « artiices de la retouche 173 ». L’invention de formes artistiques non déterminées historiquement devrait donc se faire, si l’on suit Walter Benjamin, en tenant compte des « déterminations techniques » d’un appareil. Il faut qu’un artiste dé-couvre l’appareil de son passé sclérosant.

Il en est ainsi du photographe Eugène Atget, qui vide les rues de Paris de tout habitant, authentiiant la dificulté de ixer des corps en raison de la longueur du temps de pose :

169 W. Benjamin, Petite histoire de la photographie, op. cit., p. 19-20 : « Atget était un comédien qui, dégoûté par son métier, renonça aux fards du théâtre pour démaquiller la vérité. »

170 C. Baudelaire, Le peintre de la vie moderne. Éloge de Constantin Guys [ 1863 ] : « [Le maquillage] créé une unité abstraite dans le grain et la couleur de la peau [et] rapproche immédiatement l’être humain de la statue, c’est-à-dire d’un être divin et supérieur. »

171 Ibid.

172 Dictionnaire TLFi�CNRS, [ En ligne ], http://atilf.atilf.fr [ Consulté le 13/07/2012 ].

173 W. Benjamin, Petite histoire de la photographie, op. cit., p. 19 : « [ … ] les progrès de l’optique devaient fournir des instruments qui allaient chasser complètement l’obscurité et fournir un relet idèle des phénomènes.

Mais, à partir des années 1880, cette aura – que le refoulement de l’obscurité par des objectifs plus lumineux avait refoulée de l’image tout comme la croissante dégénérescence de l’impérialisme bourgeois l’avait refoulée de la réalité – les photographes voyaient comme leur tâche de la simuler par tous les artiices de la retouche, en particulier l’usage de la gomme bichromatée. »

walter benjamin, authenticités

124 C’est pourquoi certains peuvent penser avoir découvert le pôle qu’Atget avait atteint avant eux. [ … ] C’est lui qui, le premier, désinfecte l’atmosphère étouf-fante qu’avait propagée le portrait conventionnel de l’époque du déclin. Il lave, il assainit cette atmosphère : il entame la libération des objets de leur aura 174.

Atget fait paraître des rues où toute présence humaine a disparu, espaces vidés d’« intimité », « laissant le champ libre au regard 175 » [ Fig. 110 ]. En refusant d’ad-mettre dans l’image des éléments relevant d’époques techniques antérieures (comme les faux halos lumineux), Atget opère la mise à nu d’un appareil. C’est paradoxalement par le retrait des corps que se donne à voir la spéciicité d’un ap-pareil. La libération de la technique passe par le vide, par une absence qui n’est pas de l’ordre de la narration ou du rapport au souvenir.

Inauthenticités de l’innovation

Le constat décisif que formule Walter Benjamin à propos de L’œuvre d’art indique dès son titre 176 que les « époques » sont affaire de techniques. Ce type de temporalité n’est ni linéaire ni irréversible. Au fond, suivant en cela la lecture singulière qu’en donne Pierre-Damien Huyghe 177, Walter Benjamin nous permet de penser l’existence d’un décalage entre une invention et sa découverte. Tout le problème est qu’il n’est pas nécessaire de découvrir pour inventer. Une invention peut rester captive de nombreuses années, voire même n’être jamais découverte. La pertinence de ces analyses peut être discutée dans le cadre des technologies dites nouvelles. Si ce qui fait époque est ce qui refuse le caractère

« antitechnique » d’un art, que dire des rapports entre innovation, nouveauté, et inven-tion ?

L’invention désigne la création par un ou plusieurs individus d’une technique ou d’un procédé technique qui n’existait pas auparavant ; ainsi de la photographie ou d’Internet.

L’invention est rarement inancée par du capital (de l’argent investi) car elle est le fait d’un petit nombre de personnes qui ne savent pas ce qu’il y a à faire avec. Son carac-tère inattendu s’oppose à l’investissement. L’invention, en tant qu’idée singulière, n’est pas pensée dans le cadre d’un marché économique ou d’un progrès. Comme l’indique Walter Benjamin dans ses Thèses sur le concept d’histoire, le progrès est une « tempête »

L’invention est rarement inancée par du capital (de l’argent investi) car elle est le fait d’un petit nombre de personnes qui ne savent pas ce qu’il y a à faire avec. Son carac-tère inattendu s’oppose à l’investissement. L’invention, en tant qu’idée singulière, n’est pas pensée dans le cadre d’un marché économique ou d’un progrès. Comme l’indique Walter Benjamin dans ses Thèses sur le concept d’histoire, le progrès est une « tempête »

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