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Peintures…) Au PAtriMoine bâti

Dans le document Viollet-le-Duc, enseignant (Page 54-58)

christian sapin, directeur de recherche au CNRS et Carlos Castillo, dessinateur en archéologie à l’école nationale supérieure de Dijon

Parmi les grands changements constamment opérés lors de la restauration de monuments, ce sont souvent les enduits et les badigeons qui disparais-sent, sacrifiés en premier, ou au mieux recouverts. À partir des expériences acquises ces dernières décennies dans l’archéologie des élévations, il est possible de démontrer l’intérêt de relever avec précision ces simples parties de revêtements, de couches picturales ou de badigeons. Leur connaissance peut contribuer à la lecture de l’évolution des structures architecturales comme de la fonction des espaces. Les échelles de relevés manuels et les différentes techniques croisées avec les analyses, en amont des travaux de restaurations, peuvent permettre de saisir l’intérêt de tel ou tel élément sou-vent délaissé ou enlevé car ne présentant pas d’information iconographique.

Comme pour toute structure considérée du point de vue de l’archéologue et de l’historien, l’ensemble des traces subsistantes de l’histoire du monument doit être saisi par la description, la photographie mais également par le relevé manuel qui créé un lien mémoriel fort entre le chercheur-dessinateur et l’objet souvent appelé à disparaître. Cet apport touche à la fois l’histoire des techniques, celle de la construction et en de nombreux cas, comme on le verra, l’histoire de la peinture.

Cet intérêt « archéologique » pour la peau des édifices n’est pas sans lien avec les préoccupations en germes ou les débats exprimés dès les années 1960.

En arrière-plan se devinent les réflexions de Cesare Brandi sur la notion de restauration126. Ce sont aussi les nombreux débats qui ont suivi avec de multiples confrontations, comme à Rome, pour le traitement des enduits extérieurs et leur couleur127. En France, alors que l’on avait déjà débarrassé

126 C. Brandi, Teoria del restauro, Rome, 1963 ; Trad. et rééd. française, Paris, Monum, 2000.

127 P. et L.-P. Mora, P. Philippot, La conservation des peintures murales, Bologne, 1984.

de nombreuses parois de monuments religieux de leurs enduits dans la première moitié du XXe siècle, on verra encore très tard, dans la seconde moitié du même siècle, « la mode » de la pierre apparente s’étendre à l’ha-bitat civil à l’extérieur comme à l’intérieur. Des pans entiers de l’histoire des techniques comme du confort disparaissaient en même temps.

Retourner à la pierre, à la structure c’est sans doute s’approcher du support comme le font sur un autre front les artistes des années 1970 128. Il s’agit peut être également de la même illusion d’un retour aux origines perdues que l’on voit encourager dans le décapage des églises par un clergé post-conci-liaire. Seule, l’image relevant de l’iconographie et du sens pouvait être alors sauvée. C’était dans tous les cas en contradiction avec l’observation que peut faire encore tout archéologue du bâti sur n’importe quelle construction.

L’enduit est presque toujours là comme lien visible et unifiant les structures, comme protection et sauvegarde de celle-ci dans la durée, etc. 129 Sur ces ensembles qui ont traversé des siècles de travaux et de modes de restau-ration, en relever les traces, c’est mieux comprendre la vie du monument dans sa durée 130.

Ainsi, dans toute étude d’archéologie du bâti, nous intégrons au programme de recher-ches, dans la mesure du possible et depuis plusieurs années, l’étude systématique des enduits et du décor peint (les figures join-tes ici en illustration évoquent surtout ces décors, le relevé des enduits monochromes ou des badigeons étant moins suggestifs pour notre propos). Nous avons procédé de cette manière pour l’étude des peintures de la crypte de Saint-Germain d’Auxerre (Yonne, France — fig. 1) qui a été un site majeur pour la mise au point des méthodes de tra-vail et pour les futures recherches dans ce domaine si spécifique131.

128 Cf. Travaux sur le châssis avec Daniel Dezeuze, sur la toile et la palette de Claude Viallat, le pliage de Jean-Pierre Pincemin ou encore le tressage de François Rouan. Cf. C. Sapin, Les rapports fond/surface, réflexions de synthèse, dans Peintures murales médiévales, XIIe-XVIe siècles, regards comparés (dir. D. Russo), Dijon, 2005, p. 25-31.

129 Cf. Enduits et Mortiers, archéologie médiévale et moderne, (dir. C. Sapin), Ed. CNRS, 1991.

130 Cf. Colloque de Toul : Peintures murales, quel avenir pour la conservation et la recherche, Actes du colloque de Toul, 3-5 octobre 2002, (Dir. Ilona Hans-Collas), éd. du Cherche Lune, Vendôme, 2007 et C. Sapin, « D’une surface à l’autre, archéologie des revêtements », Actes du colloque de Saint-Romain-en-Gal, « archéologie du bâti », 9-10 novembre 2001, à paraître. Voir travaux de H.-P. Authenrieth, J. Pursche ou G. Binding, dans Historische Architekturoberflächen, colloque de l’Icomos, Munich, 20-22 novembre 2002, Arbeishefte des Bayerischen Landesamtes für Denkmalflege, Bd. 117, Munich, 2003.

131 Cf. C. Sapin (dir.), Peindre à Auxerre au Moyen Âge, IXe-XIVe siècles, 10 ans de recherches à l’abbaye Saint-Germain et à la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre, Paris CTHS, 1999.

Depuis, les travaux de ce type se sont étendus à d’autres édifices religieux, plus modestes comme l’église de Branches (Yonne — fig. 2) qui possède plusieurs badigeons et décors superposés ou à des monuments importants pour l’histoire de l’art comme Tavant (Indre-et-Loire) ou Saint-Savin (Vienne

— fig. 4, 5 et 6) (cf. Infra).

Les Méthodes

La méthode de travail pour l’étude des peintures consiste à analyser la stratigraphie des différentes couches picturales de la paroi grâce à un balayage visuel à la loupe et de repérer ainsi les différentes zones sensibles qui peuvent nous livrer des informations impor-tantes pour mieux codifier et relever. Un cahier de bord semblable à celui du cahier de fouilles est utile pour noter toutes les informa-tions recueillies sur chaque scène et suivre pas à pas l’évolution de la recherche. Le but du relevé est de nous aider, grâce à l’apport de la démarche archéologique, à lire ce qui n’est pas immédiatement perceptible et à mettre en relation les phases picturales avec les différentes phases constructives du bâtiment.

L’utilisation d’un film transparent plaqué contre la paroi nous permet de noter toutes les traces picturales à l’échelle 1, utiles pour la meilleure compréhension des décors. Il s’agit là d’un relevé intégral de toutes les traces picturales, « tous niveaux de décor confondus ». Des codes graphiques spécifiques sont utilisés pour désigner, sur la minute, chaque niveau de décor, et à l’intérieur de ceux-ci, chaque couleur, l’altitude NGF et la position de la peinture par rapport au carroyage du site. Enfin, les répertorier couleur par couleur à l’aide d’un nuancier qui nous permet dans un deuxième temps de restituer les couleurs manuellement ou informatiquement.

Après de nombreuses années d’expérience, nous avons pu constater sur les multiples sites étudiés que tous les outils de travail utilisés, tant manuels qu’informatiques, pour les relevés des peintures mura-les ainsi que pour le bâti, sont indispensabmura-les pour la recherche et la compréhension optimale d’un site. L’approche du relevé et l’ana-lyse des différentes strates composant la peinture nous permettent de mieux déceler les informations clés d’un décor ou d’un ensemble pictural. Relever une peinture ne se résume pas à copier un motif, un décor, une image sur un support amovible transparent, mais sert avant tout à recueillir un maximum d’informations scientifi-ques. En particulier, il contribue à identifier les techniques utilisées par les peintres ou ateliers de l’époque (style et matériaux utilisés en fonction des périodes), les types d’enduits, retrouver les des-sins préparatoires, les tracés au cordeau, différencier la nature du pigment utilisé, discerner les différentes couches de badigeons, les repentirs, comparer et identifier les phases de construction du bâti en vue de sa datation.

Fig. 4 Peinture murale :

« Isaac bénissant Jacob », Abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe,

© C. Castillo

Fig. 2 Relevé partiel du mur nord, église Saint Martin de Branches, Yonne, © Cem/C. Castillo.

Fig. 3 Vue partielle de la crypte de Tavant (Indre-et-Loire), pendant l’étude archéographique, relevés des scènes, © C. Castillo.

trAvAiL interdisciPLinAire

D’une manière générale, sur chaque site étudié, les apports documentai-res permettent de donner une vision globale de la mise en place de ses peintures, son programme iconographique et sa chronologie. Le relevé dit

« archéographique » permet de mieux comprendre la construction ou l’éla-boration picturale, leurs techniques et leurs évolutions, décor par décor. La démarche du relevé dit « archéographique » diffère de l’esquisse du res-taurateur dont le travail est destiné à établir un état de lieux des peintures au niveau de leur conservation, d’identifier les zones sensibles afin de les consolider et les restaurer.

Une collaboration pluridisciplinaire coordonée par l’archéologue, réunissant historiens d’art, dessinateurs, archéologues et spécialistes des laboratoires scientifiques est indispensable à une compréhension optimale des peintu-res. Toute restauration qui se respecte se fait après l’étude archéologique et archéographique d’un site afin de conserver les traces primitives, témoins de chaque décor à étudier, stratigraphie, couleurs d’origine, badigeons.

L’intervention des restaurateurs a lieu dans certains cas à la demande de l’archéologue et consiste, dans un premier temps, à dégager puis à conso-lider les zones d’étude archéologique en vue d’une étude approfondie par relevé archéographique, ce qui permettra de définir les zones prioritaires à restaurer, ouvrant le second champ d’action de restauration et conservation du décor à proprement parler.

À Saint Germain d’Auxerre où le dégagement des décors existait depuis longtemps, la réalisation minutieuse de relevés de la crypte a rendu possi-ble l’identification de plusieurs niveaux de décors mais aussi de les séparer par calques successifs afin de rendre lisible la lecture des scènes. Nous avons pu confirmer nos hypothèses sur l’identité de telle ou telle couleur, en nous appuyant sur les résultats d’analyses du laboratoire de recherches de micro-spectrométrie réalisés par Claude Coupry et le laboratoire de spec-trométrie Raman CNRS de Thiais. Cette étude nous a permis de certifier les différentes strates et la composition des peintures, résultats qui cor-roboraient nos observations stratigraphiques sur le terrain, à travers les différents niveaux de décor.

L’analyse chimique ou l’inspection au microscope électronique ne permet-tent pas de dater une couleur, mais d’identifier ses multiples strates et leur composition matérielle. Il incombe ensuite à l’archéologue d’exploiter ces résultats afin de chercher des analogies avec les couches semblables des parois étudiées du même site et de la même période. Des échantillons de pigments et/ou de couches picturales des scènes étudiées peuvent être ana-lysés au microscope à balayage électronique et permettre de déterminer la

nature chimique des composants, les constituants des couches et d’établir avec plus de certitude la superposition des différents décors peints comme l’identification des badigeons, couleurs, etc.

trAnsMettre un Acquis

La technique de mise au net, qu’elle soit manuelle ou informatique (vecto-rielle), consiste à reporter sur une série de calques toutes les informations recueillies directement sur la paroi, phase par phase, de créer des restitutions virtuelles de chaque scène ou niveau de décor étudié. Des images par simu-lation informatique apportent également des compléments d’informations, comme l’identification des zones de repentirs, souvent invisibles à l’œil nu.

La mise au net peut se faire de plusieurs manières :

Soit on utilise le film minute à l’échelle 1, qui va nous permettre de

des-•

siner au trait tous les décors confondus ; il s’agit là d’une mise au net de l’état archéologique de la peinture.

Soit on dessine décor par décor ; il s’agit là d’un niveau de lecture

analyti-•

que. Ces deux premières méthodes manuelles nous obligent à passer par les différents états de réduction, ce qui nous aide à voir la peinture dans sa globalité et nous permet de reconstituer ainsi la forme initiale des zones disparues et de dessiner les couleurs repérés sur chaque décor.

Ou alors, on scanne le film et on le dessine informatiquement en forme

vectorielle ; dans ce cas, l’échelle graphique sera adaptée à la taille de sortie du document et les restitutions pourront se faire par calques superposés.

Nous avons utilisé ces méthodes de recherche dans des nombreux chantiers en Bourgogne, dans l’Yonne comme à Saint Germain d’Auxerre, au château de Maulnes, à l’église Saint Martin de Branches, à l’ancienne église Saint Pierre à Saint-Père ou en Saône-et-Loire, à Saint Philibert de Tournus. Ces méthodes de relevés ont été également mises au service d’autres groupes de recherche comme à Saint-Claude (Jura), à l’église Saint-Nicolas de Tavant (Indre-et-Loire) et à l’abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne) pour le CESCM de Poitiers132.

L’exemple d’Auxerre reste indiscutablement l’axe majeur des méthodes d’in-vestigation pour de futurs chantiers de recherche grâce à la multiplicité de cas et aux superpositions de décors.

132 Parallèlement à l’étude archéologique d’un site, ces méthodes de travail sont enseignées chaque année aux étudiants de différentes universités de France, de niveau licence, master I et II et doctorat au centre d’études médiévales d’Auxerre.

reLever/interPréter

L’idée de relever des peintures en perdition n’est pas nouvelle.

Elle est à la base du musée des Monuments français. On peut voir dès 1916 par exemple le travail de Chauvet sur le décor de l’ancienne église de Saint-André-des-Eaux en Bretagne133. Mais ces interventions ont toujours été limitées et on peut voir ici et là dans les édifices monu-mentaux comme dans l’habitat civil médiéval, qui commence à être mieux connu, des décors toujours menacés de disparition sans parler des enduits et badigeons rempla-cés sans égards ni documentation.

On pourrait penser que la photogra-phie suffise à se substituer à cette évasion rapide des épidermes et des simples décors (bandes colorées, frises, fausses coupe de pierre, etc.), mais c’est ne pas tenir compte des rapports chronologiques et stratigraphiques qu’entretiennent ces couches picturales avec le bâti et c’est se risquer à interpréter ultérieurement, avec sources d’erreur, les traces disparues.

On peut s’en convaincre avec les photographies illisibles des décors qui

133 Sur les relevés et aquarelles de cette période : De la Fresque à l’Aquarelle, Relevés d’artistes sur la peinture murale romane, catalogue d’exposition, Paris, 1994 ; Le dévoilement de la couleur, relevés et copies de peintures murales du Moyen Âge et de la Renaissance, Catalogue d’exposition, Paris, 2004. Sur Saint-André-des-Eaux un travail plus archéologique est en cours, par Matthias Dupuis avec le service régional d’archéologie de Bretagne.

subsistaient encore sur les murs gouttereaux de l’ancienne église de Saint-Père près de Vézelay (Yonne). Le relevé qui a pu être fait des restes peints dans le chœur de cet édifice, inscrit à l’Inventaire, sera sans doute pour les générations futures une meilleure garantie pour leur interprétation dans le monument. En outre, leur simple connaissance du point de vue technique et iconographique, pour ce qu’il reste de drapés et d’une tête, atteste d’une restauration de cette église romane au XIIIe siècle que n’appuient pas les seuls vestiges restés debouts. Relever et interpréter traversent les discipli-nes de l’archéologie et de l’histoire de l’art. Il ne s’agit pas de les opposer mais bien d’en saisir la complémentarité. L’exemple du relevé du décor du cul-de-four de l’absidiole de la crypte de Saint-Germain d’Auxerre démon-tre un tel apport. Là où l’œil de l’historien et du photographe avait vu une

« Adoration des mages » à partir des quelques traces lisibles, le relevé a per-mis de fixer le thème réel, « la Bénédiction de saint Laurent et saint Vincent », thème plus en accord avec le lieu134.

Cette nouvelle interprétation, à par-tir de l’observation du dessinateur archéologue, dans ce cas comme dans d’autres, n’est pas sans consé-quence sur l’ensemble de l’espace, sur les choix iconographiques, sur la partition des lieux où tout n’est pas enduit et peint au même moment dans le même but. Le relevé dans ce cas resitue le programme dans une période stratigraphique et donne un sens à l’espace.

concLusion

À un moment où le virtuel tend à l’emporter dans notre démarche quo-tidienne sur le réel, et alors que « le patrimoine numérique abandonné à lui-même, ne fut ce que cinq ou dix ans, risque d’être définitivement perdu » 135, il nous faut plus que jamais réfléchir sur le sens des témoi-gnages que nous retrouvons et que nous voulons transmettre aux générations futures.

134 Cf. F. Heber-Suffrin, « Iconographie et programme », dans Peindre à Auxerre, op. cit. p. 115-120.

135 F. Laloë, « Attention, l’humanité perd la mémoire », Le Monde, 27-28 janvier 2008.

Fig. 7 Relevé du mur sud de

diALoGuer Avec Le MonuMent : reLevé MAnueL et recherche sur LA Porte orientALe

Ayyoubide de LA citAdeLLe

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