INTRODUCTION
Nos trois terrains ont été choisis pour leur diversité, que l’enquête illustre abondamment.135 Diversité des formes de précarité (1), des modalités selon lesquelles elles mettent en question le syndicalisme (2), ainsi que des formes de résistance, de mobilisation collective et d’initiatives syndicales sur les enjeux associés aux précarités professionnelles (3).
C’est en parcourant ces trois registres que l’on organise la réflexion comparative qui suit, en relevant pour chacun les spécificités et des éléments communs [ Tableau 11]
Une question paraît alors privilégiée pour rendre intelligible les liens entre, d’une part, les formes de la précarité, et, d’autre part, les difficultés et les éventuels renouvellements de l’action collective et syndicale : quels sont, dans chaque cas, les modèles de stabilisation professionnelle qui demeurent offerts, imaginairement et réellement aux salariés précaires,et quelle place laissent-ils ou ouvrent-ils à l’action collective et syndicale ? Quant à la distance éventuelle – sociale, générationnelle, de sexe -, entre les profils sociaux des précaires et ceux des syndicalistes, dans quelle mesure participe-t-elle des difficultés d’identification des premiers aux visions du monde du travail et de sa sécurisation portée par les seconds ?
1- FORMES DE PRECARITE
Si l’on reprend les trois acceptions de la notion de précarité distinguées par P. Cingolani – l’emploi et/ou le travail précaire, les salariés précaires, la précarité comme manifestation spécifique de la pauvreté 136– notre recherche, sans ignorer les deux dernières, a privilégié la première. On peut désigner comme précarité professionnelle cette première acception, sachant que nous l’étendons volontiers à la précarité des relations professionnelles. Nous avons approché cette précarité professionnelle à partir d’une grande entreprise (La Poste) et de deux secteurs d’activité économique (pétrochimie, restauration rapide); donc d’abord à partir du lieu de travail et du lien salarial. Sur ce seul plan, la moisson est très riche, qui met en exergue la multiplicité des processus de déstabilisation, de fragmentation, de fragilisation de l’emploi et du travail.
Mais pousser un tant soit peu cet examen, c’est prendre en compte les deux autres acceptions de la notion de précarité. Celle des travailleurs précaires, de leur profil social et des expériences subjectives de la précarité associées, car il n’est pas de processus de segmentation et de hiérarchisation de la main-d’œuvre qui ne s’alimente - et ne nourrisse - des modes de domination sociale, relevant de rapports sociaux débordant la sphère de l’exploitation économique. Et celle de la condition sociale associée à la vulnérabilité économique. Il est probable que la diffusion importante de la notion de précarité dans la société française ces dernières années – de même que la notion voisine en ce sens, d’« insécurité sociale »- soit liée au sentiment général d’appauvrissement et de fragilité économique au sein du salariat, ce dont témoignent clairement des propos recueillis auprès de certains syndicalistes et certains salariés. Mais ces deux autres acceptions de la notion de précarité n’ont pas pu être explorées de manière systématique sur les trois terrains de l’enquête.
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Même si, faut-il le rappeler, nous n’y avons pas rencontré les formes les plus radicales de précarisation professionnelle et sociale (travail clandestin, insertion durable dans la pauvreté assistée, privation de logement associée à la pauvreté laborieuse…)
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Tableau 11 LA POSTE SOUS-TRAITANCE PETROCHIMIQUE RESTAURATION RAPIDE Précarité de l'emploi 1- CDD
2- Autres : CDI tps part. intérim, sous-traitance
1- Fragilité des sous-traitants 2- Emplois précaires chez les entreprises sous-traitantes
1- Instabilité main d'œuvre 2- Temps partiel
Précarité du travail
Polyvalence associée à formation insuffisante Ex : facteurs "rouleurs
Externalisation du "sale boulot" dont : enjeu santé au travail
Fragiles et précaires. Collectifs de travail Nomadisme géographique
Intensité du travail Horaires de travail flexibles et fragmentés
Précarité des relations professionnelles
"Abus" dans l'usage CDD "un CDD ne fait pas grève" Mais forte synd. chez salariés stables
Généralisée, sauf chez quelques entreprises sous-traitantes de 1er rang
Généralisée sauf implantation Syndicale ponctuelle
Profil social de la main-d'œuvre
précaire
CDD : jeunes, mixité proches des postiers stables
Ouvrier, masculin
Qualifié (dont "mercenaires") Et non qualifié
Jeunes, mixité
Etudiants : origine populaire, souvent immigrés. Très instables Autres salariés moins instables Avenir professionnel
pensable pour les salariés
Emploi stable à La Poste pour une partie importante
"Tenir" pour les
"mercenaires", stabilité de l'emploi et territoriale pour les autres
Quitter le restaurant et le secteur (majorité)
Promotion hiérarchique (minorité)
Mobilisations de précaires Non Non Oui
Stratégie collective de sécurisation profession.
Respect code du travail Limiter l’emploi précaire Transformation CDD et CDI à tps part. en CDI tps complet
Respect code du travail
Homogénéisation conditions HSCT Limiter l’emploi précaire
Reprise acquis en cas licenciement
Respect du code du travail Reconnaissance de l'ancienneté Obstacles spécifiques à l'action syndicale Télescopage syndicalisme fonctionnaire/salariat privé Division intra-salariale, organiques/sous-traitants Répression Instabilité, rapport instr. au travail (étudiants) dispersion, soumission Répression. Turnover syndical
Défis posés
Organiser les précaires Contenir la flexibilité interne Crise du syndicalisme peser sur avenir de La Poste
Organiser les entreprises ST Sortir de l'entreprise, du site et de la branche :
Reconstruire entité pertinente Articuler aide individuelle et mobilisation collective crise du syndicalisme peser/avenir branche, firmes
Organiser les salariés Sortir de l'entreprise alliance clients/autres forces Articuler aide individuelle et mobilisation collective. crise du syndicalisme