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Ce patrimoine autour de la cerise est présent au cœur des familles itsasuars qu’elles appartiennent au monde agricole ou non, par le fait même d’habiter dans ce paysage culturel même si l’appropriation est différente et parfois discrète. Théa Manola cite Eric Darel, géographe, écrivait en 1952, dans « L’homme et la Terre » : « Habiter indique des relations […] dans lesquelles la Terre est éprouvée comme base ». La chercheuse explique : « non seulement comme un point d’appui spatial et un support matériel, mais la condition de toute position dans l’existence. L’espace géographique est un espace « substantiel » matériel. C’est un monde qui regroupe les dimensions de la connaissance, celle de l’action et de l’affectivité »92. Elle ajoute : « la spatialité de l’habiter en tant que présence humaine au

monde et à autrui est le paysage »93.

La transmission de ce patrimoine s’élabore selon différents modes suivant les liens de la famille à l’etxe et par la même à la terre, à savoir suivant la place de la famille sur l’arbre généalogique d’exploitants agricoles, suivant si la famille non exploitante est propriétaire ou locataire.

A- Dans les familles productrices de cerises

Chez les producteurs de cerises, la transmission de ce patrimoine se réalise dans la première acception du mot, à savoir d’un ensemble de biens privés appartenant au pater familias, il s’agit de biens ayant une valeur économique, affective. A Itxassou, la production de cerises a été une source importante de revenus surtout pour les petites fermes il y a une cinquantaine d’années, plusieurs Itsasuars nous l’ont évoqué lors des interviews. Nous avons rencontré cinq producteurs de cerises qui ont raconté la transmission de ce patrimoine au sein de leur famille. Quelques moments forts de la transmission ont été évoqué, à savoir : le greffage, la cueillette et la confection de confiture de cerises. M. Xan Estevecorena a

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T.MANOLA, op. cit., p.360.

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46 expliqué avoir appris les techniques de greffage des cerisiers « en regardant »94sa famille. Les témoignages ont été nombreux quant à ce moment-fort de la cueillette : Mme Marie- Françoise Regerat : « Je me souviens que comme tout rassemblement de personnes, c’était assez gai, je ne dirai pas que c’était la fête, quand on était petites, c’était agréable de voir ce mouvement, je ne sais pas comment le traduire, c’était un petit peu une petite fête autour de ce fruit qui ne dure que 15 jours- 3 semaines »95 ; de même, Mme Maryse Cachenaut a expliqué qu’au-delà des membres de la famille habitant l’etxe, d’autres membres venaient, cela soudait la famille, ils ramassaient et repartaient avec leur cueillette… Mme Mirentxu Elissalde a raconté : « c’est un souvenir d’enfance, on a toujours ramassé la cerise ici et le souvenir que j’ai, c’est de la ramasser en famille avec ma mère et mon grand-père »96

Au niveau de la confection de la confiture de cerises, Mme Elissalde a évoqué le souvenir de sa grand-mère, M. Emile Harispourou, quant à lui, a expliqué qu’il faisait la même recette que sa mère. A un moment, les producteurs de l’association Xapata ont voulu faire une recette commune sous un même label, mais chacun a en fait sa recette, transmise au cœur de la famille.

Un autre moment de la transmission de ce patrimoine cerise et confiture est le moment de commensalité du goûter ou du repas où la confiture était souvent dégustée avec du fromage de brebis, ce fromage pouvait être aussi associé à la confiture de d’autres fruits présents sur les terres de l’etxe.

Si ces producteurs nous ont évoqué ces moments de transmission, ils ont aussi parlé des moments de rupture dans cette transmission : pendant 20-30 ans, des années 1960 aux années 1990 environ, les arbres se sont abîmés, n’ont pas été replantés, les techniques de greffage n’ont pas été transmises dans toutes les familles (Mirentxu Elissalde), entre autres. L’association de producteurs Xapata est alors entrée dans un mouvement de patrimonialisation dont nous parlerons bientôt.

B- Chez les familles non productrices de cerises

S’il ne s’agit pas de transmission patrimoniale à caractère économique, il existe une transmission basée sur les liens avec les ancêtres pour les diverses branches d’une famille exploitante agricole ainsi que sur l’alimentation, l’affectif, le vécu intra-familial dans les autres

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Interview de M. Xan Estevecorena par A-L.Briand, 12/03/2013.

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Interview de Mme Marie-Françoise Regerat, op. cit.

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47 familles. Au fur et à mesure de l’éloignement avec la terre et l’etxe, si le patrimoine est toujours présent, il prend d’autres formes que nous pouvons observées par leur projection dans des objets : dans les familles d’agriculteurs, il peut rester quelques paniers, crakoak (crochets dont le manche était le plus souvent en bois de néflier –cf. M. Paul Harispourou97),

traîneaux pour descendre la production de cerises des collines ; tandis que dans d’autres familles plus éloignées, nous retrouvons des objets de décoration ainsi que du linge de maison, avec le motif de cerise. Ce même mouvement se retrouvera au niveau de la provenance des cerises présentes dans la confiture de cerises des producteurs et des cerises venues « d’ailleurs » dans les pots de confiture de d’autres transformateurs… Nous en reparlerons dans la dernière partie de ce mémoire consacrée à la symbolisation- cristallisation de l’autochtonie dans un pot de confiture. Pour autant, le patrimoine autour de la cerise circule au sein de toutes ces familles. Mère et fille ou d’autres membres de la même famille, productrices ou non, sont aussi représentées lors de la Fête de la Cerise et les parents proposent à leurs enfants de devenir, à leur tour, bénévoles, à cette fête.

Exemple de la circulation du patrimoine-cerise entre une mère et sa fille

Nous avons pu étudier la circulation patrimoniale de la cerise entre Marie98 et Colette, une mère et sa fille, le patrimoine-cerise symbolisant l’affection qu’elles se portent. Si la mère créé beaucoup d’objets autour de la cerise, sa fille porte elle aussi intimement ce patrimoine : lors de la communion de sa fille, elle a préparé des petites chaussures aux motifs de cerises qu’elle a garnies de dragées, sa petite chatte a aussi été prénommée « cerise ». Il existe un grand partage entre les deux femmes : la fille envoyant des cartes d’anniversaires avec ce motif, elle ramène à sa mère, de ses lieux de vacances, divers « cadeaux-cerise ».

Quelques photos de ces cadeaux :

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Carte d’anniversaire Boîte à bijoux Assiette décorative

97Entretien avec M. Paul Harispourou, né en 1921, ancien agriculteur et ancien salarié d’une

fromagerie de roquefort, président du comité des fêtes et l’un des fondateurs de la Fête de la Cerise, 27/04/2013.

98 Entretien avec Marie, originaire d’Itxassou, 27/04/2013. 99

48 Véronique Dassié révèle le rôle essentiel des femmes dans la constitution du patrimoine domestique : « elles choisissent, revendiquent et négocient les indices qui peuvent correspondre à l’identité sociale et publique de leurs bénéficiaires. En retour, elles thésaurisent et reçoivent les signes d’affection qui dressent la toile relationnelle s’une sociabilité féminine. Elles sont les gardiennes reconnues de ce trésor ordinaire »100.