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Patrimoine naturel ou patrimoines environnementaux ?

Dans le document et patrimoines environnementaux (Page 37-41)

1.2. Géopatrimoine et biopatrimoine, composantes des patrimoines environnementaux

1.2.1. Patrimoine naturel ou patrimoines environnementaux ?

Géopatrimoine et biopatrimoine sont généralement considérés, par convention, comme deux sous-ensembles du « patrimoine naturel », le premier dans sa dimension abiotique ou géologique (sensu lato), le second dans son volet biologique.

Étroitement associé au concept de géodiversité à partir duquel il dérive directement [Sharples, 2002], le géopatrimoine (angl. : geoheritage) désigne l’ensemble des biens à caractère géologique (roches, minéraux, fossiles), géomorphologique (formes de relief), pédologique (sols) et hydrologique (eaux de surface et souterraines) qui sont sujets à des actes de patrimonialisation (reconnaissance collective, protection, labellisation, valorisation) [André et al., 2013 ; Hobléa et al., 2014 ; Bétard et al., 2017a ; figure 1.6]. Il concerne des objets de toutes tailles (de l’infra-microscopique à l’échelle plurikilométrique des grands ensembles paysagers), pourvu qu’un groupe social ou une collectivité les considère comme intrinsèquement ou extrinsèquement importants au point de devoir être conservés et transmis aux générations futures. Le géopatrimoine recouvre tant les objets sortis de leur site et conservés dans les collections muséologiques (géopatrimoine ex situ) que les sites eux-mêmes (géopatrimoine in situ) dès lors qu’ils présentent un intérêt remarquable pour la mémoire de la planète [De Wever et al., 2014] et l'histoire des liens entre l'Homme et la Terre [Desbois et Hobléa, 2013 ; voir encadré 1.2].

Contraction de l’expression « patrimoine biologique » établie sur le modèle de biodiversité, le biopatrimoine (angl. : bioheritage) désigne l’ensemble du patrimoine floristique, faunistique et fongique, auquel on adjoindra aussi une partie du patrimoine pédologique en raison de sa composition partiellement biotique et organique (figure 1.6). Dans son acception la plus large, le biopatrimoine prend en compte la matière vivante – dans ses trois niveaux d’organisation : génétique, spécifique et écosystémique – dont la perte serait ressentie par nos sociétés comme un appauvrissement [Perrein, 1999, 2012]. Sans pour autant céder à une « patrimonomania » qui consisterait à dire que tout taxon ou tout milieu est patrimonial, le biopatrimoine ne saurait se limiter à la seule part « vivante » (littéralement, en vie) de la faune et de la flore observable in natura (biopatrimoine in situ). À l’instar du géopatrimoine, elle nécessite de prendre en compte une réalité muséologique, celle des muséums d’histoire naturelle et des collections naturalisées (biopatrimoine ex situ).

Bien que l’expression « patrimoine naturel », très en vogue dans les années 1980, ait pris naissance par opposition au « patrimoine culturel » dans un cadre très institutionnalisé, les définitions données plus haut du géopatrimoine et du biopatrimoine s’accordent mal avec l’adjectif « naturel », terme ambigu que l’on a coutume d’appliquer à tout ce qu’il n’est pas

37 anthropique. Au contraire, il a été rappelé plus haut (§ 1.1.2.4) qu’il existait une part importante de la géodiversité et de la biodiversité directement imputable à des paramètres d’ordre culturel, tandis que l’idée même de patrimoine implique un processus d’appropriation collective, ou « prise de conscience patrimoniale » [Di Méo, 2008], par un groupe humain. Certes, la notion de « patrimoine naturel » est d’usage courant et pratique : elle est anciennement et profondément inscrite dans le droit français, dès 1967 avec le décret instituant les parcs naturels régionaux, puis en 1976 dans la loi sur la protection de la nature, et plus encore en 2002 avec la loi relative à la démocratie de proximité instituant l’inventaire national du patrimoine naturel (dans ses deux volets, bio- et géopatrimonial : voir Chapitre 2). De façon sans doute plus tenace, elle est gravée dans le droit international depuis 1972, avec la Convention de Paris sur la protection du patrimoine mondial de l’UNESCO, culturel et naturel. Dans la vision qui est la nôtre, la notion de « patrimoine naturel » n’en demeure pas moins impropre et obsolète, justifiant l’usage d’une expression nouvelle, celle des « patrimoines environnementaux ».

Figure 1.6 – Géopatrimoine et biopatrimoine, composantes des patrimoines environnementaux, à l’interface entre nature et culture. Noter que le patrimoine pédologique se rattache autant au géopatrimoine qu’au biopatrimoine, en raison de sa composition mixte (organo-minérale) et de sa position d’interface entre le monde biotique et abiotique.

En effet, l’adjectif « environnemental » nous paraît plus à même de refléter et d’englober ce que recouvrent les notions de géopatrimoine et de biopatrimoine telles qu’elles viennent d’être définies. Pour les géographes, la notion d’environnement se réfère de façon générale aux relations d’interdépendance complexes existant entre nature et société, dans une vision très proche de la notion de « géosystème » définie par Georges Bertrand à la fin des années 1960, selon laquelle il n’existerait plus de milieux « naturels » échappant à une quelconque anthropisation. Parce qu’il intègre des données sociales et des éléments naturels dans un construit « hybride » [Veyret, 2007], l’adjectif « environnemental » devient un parfait intégrateur de la double dimension naturelle et culturelle des biens géo- et bio-patrimoniaux (figure 1.6). Cette dimension hybride prend une résonnance toute particulière quand il s’agit des éléments ex situ du géopatrimoine et du biopatrimoine dont le rattachement au patrimoine naturel ou culturel paraît bien difficile à trancher. Cela vaut également pour les sites anthropiques d’intérêt géologique ou écologique comme les carrières et les mines, qui n’ont plus de « naturel » que la matière primaire qui compose les substrats et les biocénoses ayant recolonisé le site après exploitation, dans un plan de gestion laissant parfois peu de place à la « naturalité » (figure 1.7 ; voir aussi § 1.1.3). Pourtant, de

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tels sites fortement anthropisés sont souvent les fers de lance du géopatrimoine et du biopatrimoine dont l’intérêt peut être de rang national ou international, en plus de la composante patrimoniale purement anthropogène qui, très souvent aussi, en fait des éléments du patrimoine culturel, matériel et immatériel.

En définitive, les patrimoines environnementaux doivent être considérés comme un construit hybride à l’interface entre une connaissance naturaliste ou géoscientifique, une appropriation collective et/ou une décision politique, résultat d’un jeu complexe d’acteurs à différentes échelles.

Parce que l’échelle conditionne le niveau de patrimonialité, les composantes biotiques et abiotiques de la nature peuvent acquérir une dimension patrimoniale dont l’importance varie non seulement en fonction de l’échelon politico-administratif (local, régional, national, international) mais aussi de la perception que peuvent en avoir les habitants ou les visiteurs. Dans ce contexte, la patrimonialité désigne le changement de statut d’un site ou d’un objet « non par injonction de la puissance publique ou de la compétence scientifique, mais par la démarche de ceux qui se le transmettent et le reconnaissent » [Rautenberg, 2003]. La dimension culturelle est donc centrale. La notion d’échelle l’est tout autant, y compris dans sa verticalité temporelle. Celle-ci permet de souligner l’importance des héritages, les uns spécifiquement naturels (par exemple, les héritages géomorphologiques et les paléosols, lesquels renvoient à la notion de ressources non-renouvelables), les autres d’ordre culturel et liés à l’histoire de l’artificialisation de la géosphère et de la biosphère (exploitation des ressources géologiques et biologiques, sélection des espaces et des espèces pour l’agriculture, histoire des techniques et mode de gestion des milieux).

Figure 1.7 – Le Marais de Larchant (Seine-et-Marne), un site du patrimoine « naturel » ou un concentré de patrimoines environnementaux ? Souvent perçus comme des espaces de nature sauvage, parfois à l’origine de représentations négatives (milieux insalubres, hostiles, etc.), les zones humides comme les marais continentaux sont souvent des lieux d’une riche biodiversité (végétale et animale) anciennement exploitée par les populations riveraines, parfois gérée depuis le Moyen-Âge autour des abbayes, comme c’est le cas à Larchant où subsistent encore les ruines de l'église abbatiale Saint-Mathurin : tentatives d’assèchement du marais, aménagement de digues et creusement de canaux adaptés à une alternance élevage/

pisciculture selon le niveau piézométrique de la nappe affleurante, etc. Depuis 2008, le Marais de Larchant est classé Réserve Naturelle Régionale sur 123 ha et bénéficie par ce statut d’un plan de gestion, c’est-à-dire d’un programme d’opérations techniques visant à conserver et gérer les habitats les plus remarquables (notamment les roselières) et à favoriser une mosaïque et une diversité de formations végétales susceptibles d’accueillir une faune riche et variée. © F. Bétard, 7 mars 2014.

39 Encadré 1.2

Déclaration internationale des droits de la mémoire de la Terre

1 - Chaque Homme est reconnu unique, n'est-il pas temps d'affirmer la présence et l'unicité de la Terre ?

2 - La Terre nous porte. Nous sommes liés à la Terre et la Terre est lien entre chacun de nous.

3 - La Terre vieille de quatre milliards et demi d'années est le berceau de la Vie, du renouvellement et des métamorphoses du vivant. Sa longue évolution, sa lente maturation ont façonné l'environnement dans lequel nous vivons.

4 - Notre histoire et l'histoire de la Terre sont intimement liées. Ses origines sont nos origines. Son histoire est notre histoire et son futur sera notre futur.

5 - Le visage de la Terre, sa forme, sont l'environnement de l'Homme. Cet environnement est différent de celui de demain. L'Homme est l'un des moments de la Terre ; il n'est pas finalité, il est passage.

6 - Comme un vieil arbre garde la mémoire de sa croissance et de sa vie dans son tronc, la Terre conserve la mémoire du passé… une mémoire inscrite dans les profondeurs et sur la surface, dans les roches, les fossiles et les paysages, une mémoire qui peut être lue et traduite.

7 - Aujourd'hui les Hommes savent protéger leur mémoire : leur patrimoine culturel. A peine commence-t-on à protéger l'environnement immédiat, notre patrimoine naturel.

Le passé de la Terre n'est pas moins important que le passé de l'Homme. Il est temps que l'Homme apprenne à protéger et, en protégeant, apprenne à connaître le passé de la Terre, cette mémoire d'avant la mémoire de l'Homme qui est un nouveau patrimoine : le patrimoine géologique8.

8 - Le patrimoine géologique est le bien commun de l'Homme et de la Terre. Chaque Homme, chaque gouvernement n'est que le dépositaire de ce patrimoine. Chacun doit comprendre que la moindre déprédation est une mutilation, une destruction, une perte irrémédiable. Tout travail d'aménagement doit tenir compte de la valeur et de la singularité de ce patrimoine.

9 - Les participants du 1er Symposium international sur la protection du patrimoine géologique, composé de plus d'une centaine de spécialistes issus de trente nations différentes, demandent instamment à toutes les autorités nationales et internationales de prendre en considération et de protéger le patrimoine géologique au moyen de toutes les mesures juridiques, financières et organisationnelles.

Fait le 13 juin 1991, à Digne, France.

[Collectif, 1994]

8 Dans ce texte, comme du reste dans les documents officiels traitant du patrimoine géologique en France (par exemple, l’inventaire national du patrimoine géologique, ou INPG, institué par la loi de 2002 relative à la démocratie de proximité), le syntagme est employé peu ou prou comme synonyme de géopatrimoine (terme apparu plus récemment), c’est-à-dire dans son acception la plus large [De Wever et al., 2014], incluant non seulement le patrimoine géologique sensu stricto (roches, minéraux, fossiles) mais aussi les patrimoines géomorphologique (formes du relief), pédologique (sols) et hydrologique (eaux de surface et souterraines).

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