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Diversité des patrimoines environnementaux

Dans le document et patrimoines environnementaux (Page 41-46)

1.2. Géopatrimoine et biopatrimoine, composantes des patrimoines environnementaux

1.2.2. Diversité des patrimoines environnementaux

Pluriels par essence car recouvrant des objets variés et des réalités physiques multiformes, les patrimoines environnementaux sont, quelque part, un reflet de la géodiversité et de la biodiversité de la Terre, tels que les perçoivent les sociétés contemporaines à un instant t, dans des territoires et des temporalités bien spécifiques. En effet, la patrimonialité d’un site ou d’un objet, qu’il soit géologique ou biologique, ne peut être comprise que lorsqu’on la replace dans une trajectoire culturelle nécessairement singulière [Portal, 2012], même si elle reste largement influencée en France par la culture occidentale européenne et nord-américaine dans la reconnaissance officielle du patrimoine9 [Morice et al., 2015]. Pourtant, loin de se limiter aux éléments les plus remarquables et sans tomber dans un excès patrimono-maniaque, il existe aussi une part importante de la géodiversité et de la biodiversité dites « ordinaires » pouvant être sujette à des actes de patrimonialisation [Couvet et Vandevelde, 2013 ; Portal, 2013], ne serait-ce que par le sentiment d’appropriation collective d’un groupe social à un espace ou à un lieu précis (par exemple, une butte surbaissée dans un environnement de plaine, ou un îlot forestier dans un paysage agricole d’openfield). La reconnaissance institutionnelle des patrimoines environnementaux relève d’une autre logique et se caractérise par la décision d’institutions (gouvernementales ou non) participant d’un processus sélectif d’un espace ou d’un objet qui s’opère selon deux modes principaux, juridique (protection, législation) ou symbolique (distinction, labellisation). Ces deux logiques, « bottom-up » dans le premier cas et « top-down » dans le second, se combinent et se complètent plus qu’elles ne s’opposent dans le processus de patrimonialisation [Guillaud, 2012].

L’objectif des deux paragraphes qui suivent est de montrer la diversité des patrimoines environnementaux selon un prisme bien défini, celui de la distinction entre patrimoines in situ et ex situ. Ce regard croisé, portant à la fois sur le géopatrimoine et le biopatrimoine, doit permettre de montrer la variété des sites et des objets que peuvent recouvrir les patrimoines environ-nementaux, sans prétendre à une mission d’exhaustivité que le format de l’HDR rend impossible.

1.2.2.1. Patrimoines environnementaux in situ

Les patrimoines environnementaux sont dotés d’une composante sitologique qui, selon l’intérêt patrimonial identifié sur le site (géo- ou biopatrimonial), peut comporter des attributs très différents (figure 1.8), parfois appliqués à un même objet. Ainsi, pour le biologiste ou l’écologue, la notion de biotope, étroitement associée aux biocénoses et aux espèces patrimoniales qu’il supporte, constitue une sorte de référentiel sur lequel asseoir une classification des habitats naturels et semi-naturels (cf. la classification Corine Biotope sur le sol européen) pouvant ensuite déboucher sur des listes patrimoniales d’habitats et d’espèces (cf. les différentes annexes de la Directive « Habitats-Faune-Flore »). Pour le géologue ou le géomorphologue, un équivalent abiotique du mot biotope a été proposé avec la notion de géotope (ou géosite, ces deux termes étant utilisés ici indifféremment pour désigner le géopatrimoine in situ ; [De Wever et al., 2006]).

La gamme de géotopes ou de géosites est éminemment variée, puisqu’elle comprend les sites d’intérêt pétrographique, minéralogique, paléontologique, tectonique, stratigraphique, sédimentologique, géomorphologique, pédologique ou encore hydrogéologique, lesquels intérêts peuvent se combiner sur un même géosite (figure 1.9).

9 Cependant, depuis quelques années ou décennies, au sein des pays émergents et en développement, la reconnaissance institutionnelle et citoyenne des patrimoines environnementaux s’est nettement affirmée, aussi bien sur le plan du biopatrimoine (création d’aires protégées et de réserves biologiques) que dans celui du géopatrimoine, avec la montée en puissance des projets de géoparcs UNESCO souvent portés par les communautés locales (voir, par exemple, Bétard et al., 2017c sur la région du Cariri au Brésil).

41 Figure 1.8 – Patrimoines environnementaux in situ et ex situ : quelques exemples significatifs.

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La dichotomie biotope/géotope, qui consiste à diviser l’espace (ou le site) en opposant des attributs différents parfois à un même objet, n’est finalement qu’une division artificielle, le biotope de l’écologue pouvant être le géotope du géomorphologue. Ainsi les parois rocheuses, qu’elles soient naturelles (falaises, abrupts à corniches) ou artificielles (fronts de taille de carrière), sont-elles considérées tantôt comme un habitat d’intérêt communautaire (« pentes rocheuses siliceuses ou calcaires avec végétation chasmophytique »), tantôt comme un géotope d’intérêt scientifique et pédagogique grâce à la section du sol et du sous-sol qu’elles offrent aux yeux du géologue ou du pédologue (déformations tectoniques, discordance stratigraphique, contenu paléontologique, niveaux de paléosols, etc.). Une telle imbrication du biotope et du géotope sur un même espace justifie la mise en place de mesures conservatoires in situ autour d’une gestion intégrée du géopatrimoine et du biopatrimoine [Bétard et al., 2016b ; voir Chapitre 4].

Au sein de la gamme variée des géosites, les sites d’intérêt géomorphologique, ou géomorphosites, occupent une place particulière qui tient surtout à trois attributs sitologiques [Reynard et al., 2009 ; Giusti, 2013] : (1) leur dimension esthétique, liée au caractère

« monumental » de nombreuses formes de relief et à l’aspect paysager sous-tendu par la géomorphologie ; (2) leur fonctionnement dynamique, avec des formes « vives » façonnées par les processus actuels de l’érosion et des formes « héritées » sculptées sous des climats passés ; (3) leurs propriétés scalaires, avec des formes observables à toutes les échelles (des microformes aux mégaformes), toujours en systèmes emboîtés et, le plus souvent, fonctionnellement articulés [Giusti et Calvet, 2010]. La combinaison de ces trois attributs fait que les géomorphosites sont parmi ceux qui se prêtent le mieux à des démarches de valorisation culturelle et géotouristique (voir Chapitre 6). Ceci ne les empêche pas de partager certains attributs avec d’autres types de géosites, telle la dimension esthétique de certains sites d’intérêt pétrographique ou minéralogique, ou encore la dimension dynamique qu’ils partagent avec des sites géologiques où s’observent des manifestations de la géodynamique interne (tectonique active, volcanisme actif). Comme tous les sites et objets qui font le géopatrimoine in situ, les géomorphosites doivent d’abord être définis pour leur valeur scientifique [Grangirard, 1997], à laquelle il est possible d’adjoindre un lot de valeurs dites « additionnelles » [Panizza, 2001 ; Reynard et al., 2007, 2016 ; voir Chapitre 3]. Parmi celles-ci, on retrouve la valeur esthétique qui caractérise de nombreux géomorphosites panoramiques, la valeur culturelle liée aux représentations et aux perceptions qu’ont les sociétés des paysages géomorphologiques, ainsi que la valeur écologique qui renvoie aux liens existant avec le biopatrimoine in situ.

Sur ce dernier point, la valeur écologique d’un géotope ou d’un géosite, qui n’est autre que le biotope de l’écologue, devrait systématiquement renvoyer à une évaluation biopatrimoniale du site en question, qui va au-delà de la simple prise en compte des zonages d’inventaire et de protection existants. Parce que l’échelle conditionne aussi la patrimonialité biologique [Perrein, 1999], certains taxons perçus comme « banals » pour les uns, peuvent acquérir une forte valeur patrimoniale pour les autres, selon la biogéographie de l’espèce (régressive ou transgressive, en limite d’aire) et l’échelon politico-administratif considéré. Ainsi, le Grand Capricorne du Chêne (Cerambyx cerdo L., 1758) est un coléoptère protégé en France, qui figure également sur la liste des espèces d’intérêt communautaire (taxon inscrit aux annexes II et IV de la directive « Habitats ») en raison de sa rareté en Europe du Nord, alors que l’espèce est très répandue dans toute la moitié sud de la France. Une même espèce biologique peut donc revêtir une valeur patrimoniale très différente, selon son degré de rareté et le niveau de menace qui pèse sur elle à une échelle locale, régionale, nationale ou internationale. D’autres espèces floristiques ou faunistiques, parce qu’elles sont endémiques et/ou en danger critique d’extinction sur des territoires menacés, méritent certainement le statut de biopatrimoine in situ (figure 1.8) car la responsabilité des sociétés et des États-hôtes devient forte pour assurer leur conservation à long terme.

43 Figure 1.9 – Le Parc National de la Forêt Pétrifiée de Jaramillo (Province de Santa Cruz, Argentine), un territoire d’exception protégeant une grande variété de patrimoines environnementaux in situ. D’une superficie de 612 km², l’aire protégée abrite en premier lieu un site paléontologique de classe mondiale (gisement fossile d’arbres silificiés appartenant à la famille des Araucariaceae, en voie d’exhumation d’un épais dépôt d’ignimbrites d’âge jurassique ; cf. premier plan). À l’intérêt paléontologique s’ajoute un indéniable intérêt géomorphologique, dans un paysage de « badlands » inscrit en contrebas d’une mesa basaltique et localement dominé par d’imposants necks volcaniques (Cerro Madre, à l’arrière-plan). Initialement créé pour protéger un géopatrimoine in situ exceptionnel, le Parc National permet aussi la conservation d’une portion de la steppe semi-aride patagonienne qui concentre ici un riche biopatrimoine in situ, tant pour sa flore spécialisée que pour sa faune emblématique de mammifères sauvages (guanaco, puma, tatou nain, renard gris, etc.). © F. Bétard, 8 mars 2011.

1.2.2.2. Patrimoines environnementaux ex situ

Les patrimoines environnementaux ex situ regroupent l’ensemble des collections privées et publiques (musées et muséums d’histoire naturelle), les archives et les publications, les représentations picturales, les cartes, carnets de terrain et autres documents manuscrits, i.e. autant d’objets qui participent hors les sites d’un intérêt patrimonial dans le domaine des sciences de la Terre et du vivant. Parmi ces objets très variés, les collections muséologiques constituent aujourd’hui encore une part importante des patrimoines environnementaux ex situ (figure 1.8).

Elles concernent tantôt les collections minéralogiques et paléontologiques (géopatrimoine ex situ), tantôt les collections botaniques et zoologiques (biopatrimoine ex situ). Elles peuvent être exposées au grand public dans les musées et muséums (collections publiques : figure 1.10) ou stockées dans les réserves (collections scientifiques). Elles présentent souvent une grande importance patrimoniale car elles servent autant à l’histoire des sciences qu’à la science elle-même, par exemple dans les progrès de la recherche en systématique phylogénétique à partir des faunes et flores modernes ou de leurs « ancêtres » fossiles. L’origine de ces collections est parfois très ancienne, bien antérieure à la création des muséums d’histoire naturelle en Europe10, puisqu’une partie d’entre elles est directement issue des « cabinets de curiosités », très en vogue à

10 Le Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) de Paris, inauguré le 10 juin 1793, est l’un des plus anciens au monde, avec le Natural History Museum de Londres qui ouvrit ses portes en 1881.

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la Renaissance. Jusqu’au XIXe siècle, en effet, les cabinets de curiosité étaient des lieux d’entrepôt et d’exposition d’objets collectionnés où se côtoyaient artificialia (antiquités, œuvres d’art) et naturalia (herbiers, animaux naturalisés, minéraux, fossiles). À Paris, le « Cabinet du Roi », qui fut sous l’intendance de Buffon de 1739 à 1788, était destiné à accueillir les cadeaux faits au Roi de France, ainsi que les objets de récoltes des voyageurs-naturalistes au retour de leurs expéditions lointaines [Langebeek, 2011]. La part naturalia de ces collections anciennes se retrouve aujourd’hui dans les collections géo- et biopatrimoniales du Muséum national d'histoire naturelle de Paris, qui s’est substitué au Cabinet du Roi sur le site du Jardin des Plantes. De façon générale, les cabinets de curiosités vont progressivement disparaître durant le XIXe siècle, remplacés par des institutions officielles (muséums) et des collections privées.

Les documents manuscrits d’intérêt géo- et biopatrimonial sont potentiellement très nombreux et de natures variées, et peuvent avoir une origine plus ancienne que les objets

« naturels » conservés dans les collections muséologiques. Bénéficiant de l’invention et du développement de l’imprimerie, les premiers ouvrages d’entomologie, par exemple, paraissent en Europe dès la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle [Perrein, 2012 ; figure 1.8], contribuant ainsi, avec les cabinets de curiosité, à l’essor précoce de cette discipline naturaliste.

Plus rares et sans doute plus précieux sont les carnets de terrain des botanistes, zoologistes, géologues ou géomorphologues (figure 1.8) dont la valeur historique permet aujourd’hui de nourrir les réflexions épistémologiques [Giusti, 2012 ; Hallair, 2013].

Enfin, parmi les objets ex situ pouvant acquérir une valeur bio- ou géopatrimoniale, figurent en bonne place les représentations picturales (dessins, peintures, lithographies, gravures ; figure 1.11). Les plus anciennes représentations picturales sur la nature datent de la préhistoire (arts rupestre et pariétal), offrant parfois un témoignage exceptionnel sur les environnements passés dans la période la plus récente de l’histoire de la Terre (Quaternaire). Dans l’histoire artistique, le XIXe siècle livre sans doute le plus grand nombre d’œuvres d’art pouvant s’intégrer dans la CALMELET (1814- date inc.), Vallée des cascades de Cernay après la coupe de 1857, 1857. Crayon et aquarelle sur papier calque, 31,7cm x 48,5 cm. © Musée du domaine départemental de Sceaux.

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1.2.3. Dimensions sociales et techniques des patrimoines environnementaux : la

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