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Un patient co-producteur éclairé du DMP

Selon J. Bossi, « jusqu’à présent, le droit d’accès aux données de santé s’exerçait à l’égard des données détenues par les seuls professionnels de santé dans le cadre de l’exercice de leur fonction. Le dossier médical personnel se présente aujourd’hui comme celui du patient, accessible aux seuls professionnels de santé autorisés par le patient à y accéder et à y ins-crire des données »354. Pour modifier, actualiser ou supprimer des données médicales, le

La loi « Kouchner » n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du 351

système de santé complète la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée et accorde une particulière pro-tection aux données médicales.

Décret n° 2017-412 du 27 mars 2017 relatif à l'utilisation du numéro d'inscription au répertoire na

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-tional d'identification des personnes physiques comme identifiant na-tional de santé, JO 29 mars 2017 et art. R. 1111-33 CSP

Délibération n° 2017-014 du 19 janvier 2017 portant avis sur un projet de décret relatif à l'utilisation 353

du numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques comme identi-fiant de santé (demande d'avis n° 16024670)

J. Bossi, Les questions autour du dossier médical personnel, adsp n°58, mars 2007 354

patient se voit reconnaître un droit d’accès direct à ses données personnelles car le secret médical ne lui est pas opposable. Il devient ainsi un gestionnaire de ses secrets médicaux (1). De plus, le législateur a conforté l’existence du droit au masquage des données (2).

1.Le patient gestionnaire de ses secrets médicaux

Pendant la maintenance du DMP, un mécanisme d’alerte est proposé au patient à chaque fois qu’un nouveau document est ajouté. En principe, les établissements de santé prévoient une mise à jour régulière des DMP dès lors que le patient aura donné son consen-tement dématérialisé. Il peut alors rapidement gérer les nouvelles données médicales.

Comme il a été évoqué, le patient peut dresser la liste des professionnels à qui il souhaite interdire l’accès de son DMP. Par ailleurs, il peut être porté atteinte à l’obligation du consentement du patient à l’utilisation du DMP en cas d’urgence, sauf si le patient avait for-mulé préalablement et expressément son refus. Ainsi, en cas d’urgence et d’appel au centre 15, l’accès au DMP est autorisé pour le médecin régulateur, sauf opposition du patient. En-fin, lorsque l’état du patient comporte un « risque immédiat » pour sa santé, un professionnel de santé peut accéder au DMP. Même en dehors d’une situation d’urgence, le DMP permet-trait au médecin en exercice mobile d’avoir directement accès au dossier du patient, de véri-fier les résultats d’une biologie, d’une radiographie et d’avoir les derniers pronostics et diag-nostics. Cependant, l’accès au DMP en exercice mobile devient une nouvelle préoccupation de sécurité et de technique.

Le patient, non seulement accède à ses données médicales, mais peut aussi les rectifier355. Toutefois, le titulaire du DMP ne peut supprimer que les données qu’il a lui-même inscrites. Les données inscrites par les professionnels de santé ne peuvent être effacées que sur de-mande du patient, à la condition qu’il justifie d’un motif légitime.

Le patient a aussi un droit de rectification et de suppression des données médicales le concernant. En effet, il peut modifier de lui-même la partie administrative du dossier mais concernant les données médicales, celles-ci nécessitent une information appropriée du mé-decin qui remplit les obligations législatives de clarté et de loyauté. Ainsi, une telle procédure ne serait envisageable que lors d’un entretien du patient avec son médecin. Les profession-nels de santé auxquels cette demande pourrait être faite devront demeurer vigilants car ils ne doivent pas intervenir dans l’intention de corriger ce qu’un confrère aurait pu ajouter au dossier médical.

En outre, le DMP n’a pas vocation à être un registre exhaustif de tous les documents médicaux. Ainsi, par mesure d’efficacité, le DMP devrait permettre au professionnel de connaître d’une manière synthétique le vécu médical du patient dès la page d’accueil. En effet, s’il était un rappel exhaustif de l’histoire médicale du patient, le DMP deviendrait un frein dans le déroulement de la consultation médicale et le détournerait de son objectif initial : la facilitation de la relation de soin. Dans la poursuite de cet objectif, le CNOM préco-nise de faciliter la publication des données par le biais d’un clic ou de deux afin de matériali-ser le consentement du patient, de la même façon qu’en droit de la consommation en ligne356, couplée à une signature électronique. En effet, cet artifice pseudo-juridique permet -trait de sécuriser l’actualisation du dossier médical tout en renforçant la valeur du consente-ment.

Art. R. 1111-37 CSP 355

v. infra 356

De plus, les documents étant à la fois destinés aux patients et aux professionnels de santé, ces derniers devront être précautionneux quant au vocabulaire utilisé. Ils devront vulgariser l’information en des termes clairs et compréhensibles pour les patients alors qu’ils ne sont pas toujours les récepteurs directs de ces informations. Les patients réclament une normali-sation du langage médical car cette sémantique est un pré-requis fondamental à la pérenni-sation du DMP. Cependant, la prudence serait de rigueur car la modification d’un tel langage ne peut être que très progressive et longue au risque de créer des incompréhensions entre les professionnels.

Le patient est impliqué dans son parcours de soins et dans la gestion de ses données médicales. La dématérialisation permettra aussi au patient de voyager plus aisément avec la garantie de pouvoir accéder directement à ses données personnelles. Cette vision serait celle d’un dossier médical universel, dont la réalisation est utopique. Cependant, elle pourrait poindre dans le cadre de l’Union Européenne. Le DMP est donc un outil précieux, en deve-nir. Par ailleurs, si le patient gère ses données de santé, le DMP se présente aussi comme un vecteur d’éducation thérapeutique du patient. En effet, un patient informé devrait pouvoir se prendre en charge plus librement. Cependant, quel crédit un professionnel de santé pour-ra-t-il accorder aux informations contenues sur le DMP sachant que les patients peuvent en avoir occultées plusieurs ? Quelle sera la valeur des décisions médicales prises sur un dos-sier médical incomplet voire trompeur, volontairement ou involontairement ?

Cette problématique se posera d’autant plus qu’un droit à la rectification et au mas-quage est reconnu au patient lors de la tenue de son dossier médical personnalisé.

2.Un droit au masquage relativisé

Afin de permettre une meilleure coordination des soins et du parcours médical, le pa-tient doit pouvoir consentir à ce que le personnel puisse avoir accès à son dossier même s’il n’en a pas été l’auteur. Il peut, à l’inverse, refuser de consentir au libre accès de ses informa-tions. Il lui sera alors possible de masquer certaines informainforma-tions. Autrement dit, il peut rendre certaines informations inaccessibles, comme il le pouvait déjà dans l’ancienne version du DMP. Mais, et c’est là une nouveauté, cette possibilité ne s’applique pas au médecin trai-tant. Le nouvel article L. 1111-16 du CSP précise en effet que, par dérogation aux disposi-tions précédentes, le médecin traitant dispose d’un droit d’accès à l’ensemble des informa-tions contenues dans le DMP, sous réserve de l’accord du patient. Ce droit d’accès illimité peut être étendu par le patient à d’autres professionnels de son choix.

Le patient détient un droit de masquage sur ses données personnelles, quelle que soit leur valeur médicale. Le masquage implique que le patient refuse de consentir à ce que certains professionnels de santé aient accès à ses données personnelles. Il peut encore consister en une volonté pour le patient de protéger ses données en faveur d’un intérêt légitime et s’appa-rente au droit d’opposition tel qu'il est reconnu par l’article 38 de la loi informatique et liberté. Cette disposition confirme le droit du patient au respect de sa vie privée aux termes de l’arti-cle L. 1110-4 du Code de santé publique. Le patient pourra continuer à y avoir accès mais elles resteront consultables par leur auteur et le médecin traitant. De plus, la date à laquelle le patient a décidé de masquer les documents sera conservée informatiquement afin de gar-der une preuve qui pourra être utilisée en cas d’engagement de la responsabilité d’un pro-fessionnel voire du patient lui-même. En effet, constituer un dossier médical non exhaustif est un risque que le patient a choisi de prendre, d’une manière libre et éclairée. Ce risque consiste à mettre sa vie en danger en privant les professionnels de santé d’un accès aux données rendues invisibles qui pourraient être nécessaires à l’établissement du bon diag-nostic.

L’ensemble de ces procédures traduit le fait que le patient n’a pas envie de se « révéler en totalité » parce qu’il préfère attendre avant de dévoiler ces informations, ou bien parce que le professionnel de santé n’a pas acquis sa confiance.

Le masquage peut être solitaire, c’est-à-dire en dehors de tout entretien médical. Ain-si, afin de vérifier l’expression libre et éclairée du consentement, celui-ci devra le confirmer à deux reprises après différentes alertes automatiques concernant les risques du masquage. Le professionnel peut aussi ajouter, automatiquement ou manuellement, au DMP du patient les résultats des derniers analyses ou examens en particulier lorsqu’il s’agit d’une informa-tion sensible. Certaines d’entre elles peuvent être provisoirement masquées au patient, dans l’attente d’une consultation d’annonce qui doit être effectuée dans les deux semaines. Faute de consultation dans le mois suivant, l’information devient automatiquement accessible. En effet, alors que le patient peut consulter à tout moment son DMP et les données qu'il contient, le professionnel de santé peut rendre invisible au patient une donnée dans l’attente d’une consultation. Pendant ce délai, les données pourront malgré tout être consultables par l’équipe de soins. Cette possibilité est en accord avec le principe législatif relatif au caractère adapté de l’information. En outre, à quoi bon permettre au patient d’accéder directement à une information « brute », sensible ? Cette disposition témoigne du fait qu’il reste nécessaire d’apporter au patient une explication ou des conseils.

Mais par ailleurs, alors que le patient a consenti à la création du DMP pour répondre à ses exigences de transparence thérapeutique, les professionnels de santé se voient reconnaître la prérogative de divulguer, en temps utile, des informations au patient.

Cependant, à cause de la traçabilité des informations et des accès, les professionnels de santé peuvent avoir connaissance du masquage des informations médicales par le patient. Ces derniers seront donc nécessairement plus déterminés à essayer de faire lever cette dis-simulation afin d’adapter leur thérapeutique aux données médicales du patient. Or, les pa-tients peuvent recourir « au masquage du masquage ». Cette procédure permet de rendre effective la protection du secret.

De plus, une disposition expresse exclut la responsabilité du professionnel de santé en cas de litige portant sur l’ignorance d’une information qui lui était masquée dans le DMP et dont il ne pouvait avoir connaissance par ailleurs.

Les risques contentieux liés au masquage ne sont pas négligeables, notamment si la déci-sion de masquer n’a pas été éclairée. Ceci pourrait être un nouveau fondement d’une erreur médicale pour défaut d’information. La jurisprudence devra alors s’interroger pour savoir sur qui repose la responsabilité : celle du médecin pour défaut d’information du risque du mas-quage, ou sur le patient qui aura décidé de masquer ? La jurisprudence actuelle, favorable aux patients, pourrait se transposer dans ce contentieux particulier à moins que les juges n’opèrent un revirement de jurisprudence car l’enjeu même du DMP est de responsabiliser les patients.

L’impact du refus et de la modulation du consentement sur la relation de soin serait direct sur la qualité des soins et sur la sécurité juridique des professionnels de santé. Concernant un refus du patient sur l’utilisation des TIC, la question s’était posée de savoir si le professionnel de santé pouvait envisager d’invoquer la clause de conscience357. Celle-ci peut être mise en œuvre de manière discrétionnaire. Cependant, invoquée sur un tel

Art. L. 1110-3 al. 7 et R. 4127-47 al. 3 CSP 357

ment, elle serait invalidée358. Mais concernant le consentement médical, dans le cadre d’une relation médicale traditionnelle, lorsque le patient garde le silence sur ses antécédents médi-caux, le médecin peut refuser de le prendre en charge359. Or, avec la médecine 2.0, le mé -decin ne sera pas en mesure de faire jouer cette clause de conscience à cause du mas-quage. Ainsi, le médecin ne saura pas qu’il devra rechercher des éléments qui lui ont été dissimulés. La jurisprudence devra alors se positionner sur l’engagement de responsabilité. Les juges devront choisir entre la protection complète du patient, même contre lui-même, et l’engagement de responsabilité, audacieux, des professionnels de santé tenus dans l’ignora-nce360.

Pour conclure, le choix du contenu du dossier pourra incomber dans une large me-sure au malade, incluant un droit éclairé à l’oubli. Le DMP vise à responsabiliser le patient qui devient l’arbitre de ses données de santé en les divulguant dans l’intérêt de ses soins, ou en les taisant afin de protéger sa vie privée. Ainsi, le médecin ou l’établissement de santé sont des dépositaires et des co-gestionnaires du dossier médical du patient. Le dossier mé-dical en format papier doit aussi pouvoir faire l’objet d’une communication car il est un élé-ment central dans l’engageélé-ment des responsabilités médicales.

2.Le dossier médical : un outil de communication et de responsabilité médicale Quand il est question d’accès au dossier médical, il s’agit plus d’un accès à l’information qu’aux documents eux-mêmes. Les dossiers médicaux dits « papiers » sont nombreux. Prin-cipalement, le patient demande à consulter son dossier médical ainsi que le dossier infirmier mais l’information peut aussi être écrite sur un carnet de santé. Or, le dossier médical est souvent un outil permettant de constituer une preuve écrite de la délivrance exhaustive de l’information, du recueil du consentement libre et éclairé ainsi que du suivi du patient. En ef-fet, « l’information, particulièrement centrale en matière médicale, est conçue comme le préalable au consentement, tandis que le libre choix, la participation et l’accès au dossier sont envisagés comme des prolongements du consentement en amont et en aval de la déci-sion »361.

Ainsi le dossier médical est un instrument de traçabilité de l’information. Y sont contenus les moyens de la délivrance de l’information ainsi que les indications de dates et des difficultés particulières que l’équipe de soins a pu rencontrer. Suivant la qualité de la te-nue du dossier médical, l’ensemble de ces données pourra suffire à retenir la qualification de

Question n°95400 de M. Dominique Dord, JOAN 24 mai 2011, p. 5578 ; Résolution de l’assemblée 358

parlementaire du Conseil de l’Europe du 7 oct. 2010 [http://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Docu-ments/AdoptedText/ta10/FRES1763.htm]

L’article R 4127-47 alinéa 2 du Code la santé publique affirme ainsi que « hors le cas d'urgence et

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celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles ». Le fait pour le patient, de cacher des informations médi-cales peut nuire à la relation thérapeutique et pourrait constituer une raison légitime pour le médecin de refuser de prendre en charge son patient.

On pourrait légitimement penser que les juridictions feront porter le risque sur le patient. En outre, 360

en matière notariale, la Cour de cassation ne retient pas la faute du notaire lorsque le client ne l’a pas avisé de l’objectif du montage juridique. Civ. 1re, 4 mai 2012, n°11-14.617

L. Cluzel-Métayer, « Le droit au consentement dans les lois des 2 janvier et 4 mars 2002 », RDSS 361

la valeur probante du document. Ainsi, ceci éviterait aux professionnels de recourir d’une manière trop récurrente à l’écrit représentant la défiance du profane envers le professionnel et réciproquement.

L’aspect organisationnel du dossier médical, non informatisé, nécessite de s’intére-sser aux titulaires de l’accès à ce dossier (A). Cependant, le statut juridique du dossier médi-cal fait toujours l’objet d’incertitudes (B).