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La dengue est une maladie virale tropicale touchant entre 50 et 100 millions de personnes dans le monde[173]. Elle est transmise par la piqure des moustiques tigres (genre Aedes). La plupart du temps, l’infection par le virus de la dengue entraîne des symptômes type "état gripal" : forte fièvre, fatigue, céphalées, douleurs musculaires et articulaires. Une autre forme, plus rare et plus grave, existe : la dengue sévère, ou dengue hémorragique. Cette forme est caractérisée par une fièvre hémorragique, avec vomissements et douleurs abdominales. Elle touche environ 500 000 personnes par an, dont 2,5% des cas sont mortels. De façon inquiétante, le réchauffement climatique augmente les zones de viabilité du moustique vecteur de la dengue, ce qui expose environ 40 à 60% de la population mondiale au virus (figure I.14). On dénote par exemple un premier cas autochtone en France métropolitaine en 2010. La dengue est donc un problème de santé mondial au coût humain et économique[174, 175] important.

Le virus de la dengue (DENV ) existe sous la forme de 4 sérotypes différents (dénotés DEN-1 à DEN-4), de séquences très similaires. Malgré la similarité entre les quatre sérotypes, une première infection par un sérotype ne garantit qu’une imunité temporaire aux autres sérotypes. Plus grave encore, cela augmente à plus long terme les chances de développer une forme hémorragique lors d’une seconde infection par un autre sérotype[176]. Cette particularité crée une difficulté majeure pour le développement d’un vaccin contre la dengue, car un vaccin candidat doit protéger des quatre sérotypes simultanément. A ce jour, il n’existe pas encore de vaccin ni d’antiviral sur le marché, les soins consistant à traiter les symptômes de la maladie, et la prévention à contrôler la

FigureI.14 – Zones touchées par l’épidémie de dengueen 2013 (source : OMS[173]).

population de moustiques. Toutefois, un candidat vaccin est actuellement développé par Sanofi-Pasteur et vient de passer la phase III des essais cliniques[177], avec une efficacité globale estimée à 60,8%, et des efficacités par sérotypes allant entre 42,3% et 77,7%.

3.1.2 Mécanisme d’infection et stratégie d’inhibition

Le virus de la dengue est un virus enveloppé à ARN positif, du genre Flavivirus. L’ARN du virus code pour 10 protéines : 3 protéines structurales C (capside), prM/M (membrane) et E (enveloppe), et 7 protéines non structurales (NS1, NS2A, NS2B, NS3, NS4A, NS4B et NS5). Le virus pénètre dans la circulation sanguine lorsque le moustique pique l’hôte. La protéine E, qui recouvre la totalité de l’enveloppe du virus, interagit avec des protéines présentes à la surface des cellules hôtes[178, 179, 180], déclenchant l’endocytose du virus. La diminution du pH dans l’endosome déclenche ensuite un changement de conformation de la protéine E, qui passe d’une forme dimérique "plate"[181] à une forme trimérique en forme de pic, qui vient se ficher dans la membrane cellulaire et la tirer vers la membrane virale, ce qui déclenche la fusion de ces dernières (cf. figure I.15). La protéine E est composée de 3 domaines : le domaine II (représenté en jaune) constitue la "pointe" de la protéine, au bout de laquelle se situe une zone hydrophobe permettant l’ancrage à la membrane dévoilée lors de l’acidification (le peptide de fusion[182, 183]). Le domaine III (bleu) est la partie venant se coller au domaine II lors du changement de conformation, afin de rapprocher les membranes virales et cellulaires. Enfin, le domaine I (rouge) est le domaine central reliant les domaines II et III.

La fusion des membranes permet l’entrée de la capside, et donc du matériel génétique du virus, dans le cytoplasme de la cellule hôte. L’ARN viral est alors traduit en une unique polyprotéine par le ribosome de la cellule hôte, et clivée à l’aide d’une protéase virale pour former l’ensemble des composants du virus. Ces protéines sont ensuite translocalisées vers le réticulum endoplasmique rugueux, où ils sont assemblés pour former les virions. A la sortie du virion par exocytose, le précurseur prM est clivé pour former la protéine M, ce qui induit un changement structural[185]. Le virion est alors arrivé à maturité et peut donc infecter de nouvelles cellules.

FigureI.15 – Mécanisme de fusion des membranes virales et cellulaires, déclenché par un changement de conformation de la protéine E (représentée en bleu, rouge et jaune ici). a. Forme dimérique préfusion. c. Forme trimérique préfusion. f. Forme trimérique postfusion. Repris de Modis 2004[184].

bloquer l’infection par le virus. L’objectif est ici de cibler la protéine E au moment du passage de sa forme dimérique "préfusion" à sa forme trimérique "postfusion", lors du changement de pH dans l’endocyte. Ce choix se justifie par l’existence des structures préfusion[181] et postfusion[184] (voire figure I.16 pour le détail des structures), ce qui permet de modéliser le mécanisme permettant de passer de l’une à l’autre.

FigureI.16 – Structures de l’enveloppe du virus et de la protéine E. a.Densité électronique du virus mature à 28°C, forme préfusion. b. Modèle de l’agencement des protéines d’envelope. L’unité asymétrique est composée de 3 monomères de couleur rouge, bleu et vert, agencés en un icosaèdre de 90 dimères. c. et d. Structures du dimère (forme préfusion, c.) et du trimère (forme postfusion, d.) de la protéine E. Domaine I en rouge, domaine II en jaune, domaine III en bleu. En haut : surface du dimère/trimère complet ; la surface d’un des monomère est transparente pour révéler les structures secondaires sous-jacentes. En bas : conformation du monomère au sein du dimère/trimère.

3.1.3 Particularités de la cible

La particularité principale de la protéine E en tant que cible pour un projet de conception de médicament est son absence de site actif : ce n’est pas une enzyme. En effet, la fonction de la protéine E est activée par un simple changement de pH et transmise par un changement de conformation. Il est donc nécessaire de trouver un site "allostérique", pour lequel la liaison d’une petite molécule devrait permettre de bloquer le mouvement de la forme préfusion à la forme postfusion.

3.2 Chemin de transition de la forme préfusion à la forme