• Aucun résultat trouvé

La fonction des protéines est pratiquement toujours portée par leur forme. C’est en effet la configuration des atomes dans l’espace qui autorise les interactions spécifiques de la protéine avec son substrat ou ses partenaires. Les cavités, c’est-à-dire les concavités situées à l’intérieur ou à la surface des protéines, sont de fait particulièrement importantes pour leur fonctions. En effet, leur forme concave permet à la protéine de réaliser beaucoup d’interactions en même temps, ce qui augmente l’énergie d’interaction entre la protéine et son substrat (voir section 2.1.1).

2.5.1 Intérêt de l’analyse des cavités

Les cavités ont de multiples fonctions au sein des protéines. Tout d’abord, les cavités et autres défauts d’empilement ont un rôle ambigu dans la stabilité de la protéine. Ces vides dans la structure permettent ainsi un équilibre entre stabilité thermodynamique et flexibilité[113].

Les cavités ont souvent un rôle central dans la fonction des protéines. Les sites actifs des enzymes en sont l’exemple évident : siège de la fonction, les cavités enzymatiques ont une forme particulière permettant de fixer spécifiquement leur substrat. A ce titre, les cavités des sites enzymatiques sont régulièrement étudiées en parallèle de leur structure. Le lien entre les cavités et la fonction d’une protéine peut également apparaître de façon plus subtile et moins spécifique. La myoglobine contient ainsi des cavités dans lesquelles de petits ligands (typiquement le dioxygène O2, mais également les monoxydes de carbone (CO) et d’azote (NO)) peuvent se déplacer[114, 115, 116]. Ces cavités servent aussi de voie de passage vers l’extérieur de la protéine pour ces petites molécules[117, 118, 119, 120, 121, 122], ce qui influe sur leurs constantes cinétiques d’association. Les cavités occupent également une place centrale dans la fonction des protéines de la famille des cytochromes p450 : le site actif, situé en plein milieu de la protéine, n’est atteignable qu’en passant par une multitude de réseau de cavités servant simultanément de voie d’accès et de crible[123, 124, 125].

Enfin, la détection des cavités est une étape centrale dans un grand nombre de logiciels d’ar-rimage moléculaire et de criblage virtuel. En effet, la complémentarité de forme entre un li-gand et la cavité du site d’intérêt est un facteur clé de la fonction de score utilisée dans ces logiciels[53, 126, 127].

2.5.2 Détection des cavités

Il est important de noter qu’il n’existe pas de définition univoque des cavités au sein des protéines. Dans ce manuscrit, je désignerai comme cavité un volume de l’espace défini par un algorithme de détection qui sera spécifié pour chaque application. Ces algorithmes sont conçus pour identifier des creux relativement concaves à l’intérieur ou à la surface de la protéine, pouvant être vides ou remplis d’eau. Chaque cavité est entourée d’atomes de la protéine qui définissent une poche. Cette définition des cavités a le mérite de désigner la plupart des sites d’interaction protéine-ligand.

La surface délimitant le volume d’une cavité peut elle aussi être décrite de plusieurs façons. Dans leur article séminal sur la surface moléculaire[128], Lee et Richards décrivent à la fois la surface de van der Waals d’une molécule (l’union des surfaces de van der Waals de tous ses atomes) et la surface accessible au solvant (SAS). Le volume accessible au solvant consiste schématiquement à placer une molécule de solvant (généralement l’eau, modélisable par une sphère de rayon 1,4 Å) à tous les endroits possibles de l’espace où cette molécule ne chevauche aucun atome de la protéine (figure I.13.a, étapes 1 et 2). Connolly a beaucoup développé les méthodes de calcul et de représentation de la surface accessible au solvant[129, 130]. La SAS, utilisé dans l’ensemble des chapitres de ce manuscrit, est sans doute la définition la plus utilisée dans le calcul des cavités et la plus simple d’implémentation. Les diagrammes de Voronoi et de Laguerre peuvent également être utilisés pour décrire la surface moléculaire, en décrivant les plans séparant de façon équidistante les atomes et le solvant[131].

La définition de la surface moléculaire est une première étape pour décrire les cavités et permet de déterminer les cavités non reliées au solvant. Il est toutefois nécessaire de définir un nouveau critère permettant de séparer les cavités à la surface de la protéine du reste du solvant (le bulk). Une méthode régulièrement utilisée lorsque l’on considère la surface accessible au solvant consiste à supprimer les positions de ce dernier qui sont également accessibles à une sphère de taille bien supérieure à celle du solvant (de 3 à 10 Å de rayon en général, figure I.13.a, étape 2 et 3). Les α-shapes[132, 133, 134, 135, 136], dérivés de la tesselation de Voronoi, sont définies comme le sous-ensemble des arêtes de la triangulation de Delaunay contenues dans le volume (de van der Waals) de la protéine. Cette définition permet de discriminer précisément les cavités des "dépressions" de la surface de la protéine, grâce à une analyse du "flux" des tétraèdres obtus vers les tétraèdres aigus définis par ces arêtes de Delaunay.

D’autres filtres peuvent également être utilisés afin de réduire le nombre des cavités détectées et favoriser les cavités intéressantes pour la fonction. Le filtre le plus utilisé discrimine les cavités selon leur volume, mais il existe aussi des filtres sur leur concavité, la régularité de leur surface, la composition en acide aminés de la poche...

2.5.3 Implémentations et logiciels de détection des cavités

Il existe de nombreux logiciels de détection des cavités, chacun ayant leur propre implémen-tation et variation des principes explorés dans la section précédente. Pérot et al.[137] ont

re-sonde interne sonde externe sonde placement centre point couvert par la sonde sonde placement centre point couvert par la sonde 1 2 3 atome surface accessible au solvant 1 2 3

a.

b.

volume accessible au solvant volume externe

FigureI.13 – Le volume accessible au solvant, principe et implémentation sur une grille. a. Définition du volume accessible au solvant et des cavités associées. 1. Le volume accessible au solvant est défini par l’ensemble des positions accessibles à une petite sphère (sonde interne, disques bleus) ne recouvrant pas les atomes (disques verts). 2. Ce volume définit tout l’espace (en bleu), on utilise donc une deuxième sphère de plus grande taille (sonde externe, disque rose) pour exclure le solvant "externe" (bulk). 3. Les cavités sont définies par le volume accessible au solvant auquel on soustrait le volume externe (zone uniquement bleue). b. Implémentation des cavités type Lee et Richards par discrétisation de l’espace à l’aide d’une grille. 1. Placement des sondes internes sur les points de grille tels qu’aucun recouvrement avec les atomes n’est possible. Les points de grille pouvant acceuillir le centre de la sonde sont indiqués en bleu. 2. Placement des sondes externes, les points recouverts par les sondes externes (en rouge et rose foncé) sont supprimés. 3. Développement des centres des sondes internes sélectionnés (points recouverts en cyan). Les cavités sont définies par l’ensemble des points recouverts par les sondes internes (points bleus et cyans) dont les centres n’ont pas été supprimés par la sonde externe.

censé une grande partie de ces logiciels. La plupart des logiciels de détection des cavités ap-pliquent des filtres pour ne garder que celles ayant le plus de chance de fixer une molécule d’intérêt pour la conception de médicament. Certains logiciels utilisent des principes différents de l’analyse géométrique de la surface de la protéine, comme les données issues de la géno-miques (conservation des résidus[138, 139]) ou énergétiques (potentiels[140, 141, 142], sondes physicochimiques[143, 144]). D’autres se spécialisent pour réaliser des tâches spécifiques, comme

la détection de tunnels[145, 146, 147].

Parmis les logiciels généralistes utilisant des méthodes purement géométriques, on retrouve les cavités définies à l’aide de la tesselation de Voronoi ou des alpha-shapes : APROPOS[148], CAST[135] et CASTp[149], les algoritmes dévoloppés au sein du groupe de Deok-Soo Kim[150], fpocket[151] et ses dérivés, SplitPocket[152, 153].

Enfin, les logiciels basés sur une définition proche de la surface accessible au solvant sont les plus nombreux, et présentent une grande variété d’implémentation. Sphgen (utilitaire de dé-téction de cavité de DOCK[52, 53]), SURFNET[154] et PASS[155] remplissent l’espace avec des sphères. POCKET[156], LigSite[157] et ses dérivés scannent l’espace autour d’un point en sui-vant des directions définies par un cube autour de ce point. Enfin, TravelDepth[158], LSMS[159] PocketPicker[160], PocketDepth[161], VICE[162] et gHECOM[163], ainsi que mkgrid, un logiciel développé au laboratoire, implémentent le principe de la surface accessible au solvant en discréti-sant l’espace à l’aide d’une grille régulière. En général, les étapes de la détection suivent le schéma indiqué dans la figure I.13.b. mkgrid ajoute une option supplémentaire, permettant d’avoir deux rayons de sondes externes différentes : la sphère de plus petit rayon est utilisée pour placer les centres des sondes externes (points rouges), tandis que la plus grosse sphère est utilisée pour sup-primer les points délimitant le volume accessible au solvant. De ce fait, la sonde externe pénètre légèrement à l’intérieur de la protéine, ce qui permet de filtrer un grand nombre de cavités peu intéressantes situées à la surface de la protéine.

2.5.4 L’analyse dynamique des cavités

La dynamique du site de liaison peut avoir une grande importance dans l’association entre une protéine et son ligand (voir section 2.1.1). Les cavités étant le lieu privilégié des interactions protéine-ligand, il semble naturel d’en analyser la dynamique afin d’en tirer des connaissances sur la fonction, ou pour pouvoir améliorer l’étape de criblage virtuel d’un projet de conception de médicament. Pourtant, le lien entre fonction et cavités n’est généralement étudié que dans un cadre statique[164, 165, 166]. Une exception notable provient des globines : la diffusion des ligands au sein de leurs réseaux de cavités est une composante importante de leur fonction, qui a été large-ment étudiée[118, 119, 121, 122]. L’analyse quantitative de l’évolution de la géométrie des cavités reste toutefois assez peu étudiée, et le plus souvent uniquement à l’aide de descripteurs simpli-fiés (surface, volume ou position du centre géométrique)[166]. Les logiciels dédiées à la détection et l’analyse des cavités sur de multiples conformations n’ont d’ailleurs commencé à être déve-loppés que récemment : Krone et al.[167], MDpocket[168] (basé sur fpocket), PPIAnalyzer[169], Provar[170], TRAPP[171] ou KVFinder[172]. Ces développements récents font de l’étude dyna-mique des cavités un domaine en pleine expansion. A noter toutefois qu’à ma connaissance, il n’existe aucun exemple utilisant précisément la dynamique de la géométrie des cavités pour amé-liorer la pertinence des étapes de criblage virtuel.

3 Détermination d’inhibiteurs du virus de la

dengue : exemple et genèse de l’utilisation de

la dynamique des cavités pour la conception

de médicament

Ce projet de détermination d’inhibiteurs du virus de la dengue a été lancé avant mon arrivée au laboratoire par Arnaud Blondel courant 2009. Ronan Rocle, à l’époque doctorant au sein du laboratoire, a réalisé la plupart des analyses décrites dans cette section. Au cours de ce projet, il aura utilisé un grand nombre d’analyses préfigurant des méthodes développées au cours de ma thèse. Ce projet est donc à la fois un exemple de projet de conception de médicament réalisé au sein du laboratoire, mais également le point de départ du développement de ces méthodes. J’ai été associé à ce projet après le départ de R. Rocle, mais je n’ai pas pu apporter de contribution technique, le projet étant resté longtemps bloqué au stade des tests biologiques.

3.1 Pathologie, mode d’action du virus et stratégie d’inhibition