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Les caractéristiques formelles des paradigmes verbaux latins ayant été établies, il convient désormais de décrire plus en détail les valeurs associées à l’actif et au passif en latin. Nous nous appuyons pour cela sur l’étude détaillée de Flobert ( ). La question qui nous intéresse ici particulièrement est celle de la nature morphologique de la passivation en latin. En étudiant les caractéristiques du passif latin, nous nous concentrerons ainsi tout particulièrement sur la question de savoir s’il résulte d’une opération flexionnelle ou dérivationnelle. Nous verrons que quand bien même l’interprétation flexionnelle du passif constitue l’approche la plus commune, l’analyse dérivationnelle semble en fait bien plus appropriée compte tenu des propriétés morphologiques et sémantiques du passif latin.

. Compte tenu du caractère très ponctuel de ce phénomène, le , % de verbes déponents mixtes n’est pas repris en compte dans ce tableau récapitulatif.

D’après Siewierska ( ), une construction peut être classée parmi les constructions passives si elle affiche les cinq propriétés suivantes :

– elle contraste avec une autre construction, dite construction active ;

– le sujet de l’actif correspond à un syntagme oblique optionnel au passif ou n’est pas explicitement exprimé ;

– le sujet du passif, s’il existe, correspond à l’objet direct de l’actif ; – la construction est pragmatiquement contrainte par rapport à l’actif ; – la construction affiche un marquage morphologique particulier sur le verbe.

Elle cite l’exemple . de (Ashton, , p. ) pour le swahili comme exemple prototypique de construction passive. Le sujetHamiside la phrase active ( . -a) correspond à l’oblique facultatifna Hamisidans la phrase ( . -b), tandis que l’objet directchakulade la phrase ( . -a) correspond au sujet dans la phrase . . Morphologiquement, le passif est marqué sur le verbe par la présence de-w-.

. Swahili (Ashton, , p. ) a. Hamisi Hamisi a-li-pik-a - -cuisiner- chakula nourriture

«Hamisi a cuisiné (de) la nourriture.»

b. chakula nourriture ki-li-pik-w-a - -cuisiner- - (na par Hamisi) Hamisi

«La nourriture a été cuisinée (par Hamisi).»

En latin, les formes utilisées sont celles du tableau . ; l’argument syntaxique optionnel dénotant le sujet de la construction active correspondante est, dans les cas où il est présent, marqué par la prépositiona(b) + , voire par le seul ablatif (Flobert, , ).

Notons en particulier que l’existence d’un argument syntaxique optionnel marqué par la préposition a(b) + n’est pas selon Flobert ( , ) une propriété exclusive du passif, certains verbes actifs comme «tomber », «périr »,

«recevoir des coups» et «venir» et certains verbes déponents comme

«mourir», «naître» et «prier» pouvant également apparaître dans

des constructions de ce type. Il n’est pas pertinent de parler de construction passive dans la mesure où la construction aveca(b) + n’alterne pas avec une construction à accusatif (Flobert, , p. ).

. . . Le marquage du s-passif en latin

Pour l’imperfectif, le marquage du passif se fait par le remplacement des désinences m-actives (cf. tableau . ) par des désinences m-passives (cf. tableau . ). On remarque également que les formes perfectives dans le tableau . sont périphrastiques. La valeur de la construction obtenue est alors en général celle de l’expression du s-passif, comme l’illustre par l’exemple . chez (Flobert, , p. ).

. Latin (Flobert, , p. ) a. Mercurius Mercurius- . . Sosiam Sosia- . . caedit frapper- . . . .

«Mercure frappe Sosia.»

b. Sosia

Sosia- . .

caeditur

frapper- . . . .

«Sosia est frappée.»

Cependant, il existe d’autres moyens qui mènent à la construction de formes utilisées dans des constructions s-passives. Flobert ( ) indique en tout quatre moyens permettant d’exprimer le passif. Sur ces quatre, nous n’en retenons cependant que trois, le dernier ne correspondant pas à la définition du passif donnée ci-dessus .

a) Il existe quelques exemples isolés où un changement de voyelle thématique ( / ) ou l’ajout d’un suffixe dérivationnel ( / ) produit la forme passive correspondant à un actif (Flobert, , p. ).

Les exemples donnés par Flobert sont les suivants (actif à gauche, passif à droite) :

/ «reposer», / «renforcer», / «dé-

. Flobert ( ) indique notamment que le moyen le plus simple d’obtenir une forme passive (c’est- à-dire une forme acceptable dans une construction passive) revient à une conversion directe de l’actif en le passif. Flobert donne aux verbes permettant une telle conversion le nom de verbes ambivalents ou équivoques : « Enfin le passif le plus économique consiste à conserver le verbe actif en substituant un sujet d’une autre catégorie

ou en modifiant la construction. » (Flobert, , p. ). Des exemples de ces verbes donnés par l’auteur sont : « tenir éloigné », « tordre, faire connaître », « tourner », « disperser ». L’auteur précise que ce procédé devient notamment très productif à la basse époque. Par rapport à la définition ci-dessus, ces exemples sont néanmoins problématiques en ce qu’ils ne satisfont pas le critère du marquage morphologique obligatoire. De surcroît, Flobert donne également quelques exemples pour le français qu’on ne classerait pas spontanément comme des cas de constructions passives mais plutôt comme

des instances de constructions neutres, cf. les verbes , , , (Flobert, ,

-

-mus -am -āmus

-s -tis -ās -ātis

-t -nt -at -ant

-bam -bāmus -rem -rēmus

-bās -bātis -rēs -rētis

-bat -bant -ret -rent

-bo -bimus -bis -bitis -bit -bunt

-i -imus -erim -erimus

-istī -istis -eris -eritis

-it -ērunt (-ēre) -erit -ērint -eram -erāmus -issem -issēmus -erās -erātis -issēs -issētis -erat -erant -isset -issent -erō -erimus -eris -eritis -erit -erint -te -to -tōte -to -tōte -re -isse -ūrus/-ūra/-ūrum esse -ns, -ntis -ūrus/-ūra/-ūrum -ndī/-ō/-um -um/-ū

-

-or -mur -ar -āmur

-ris (-re) -minī -āris (-āre) -āminī

-tur -ntur -ātur -antur

-bar -bamur -rer -rēmur

-bāris (-bāre) -bāminī -rēris (-rēre) -rēminī

-bātur -bantur -rētur -rentur

-bor -bimur

-beris (-bere) -biminī -bitur -buntur

-us sum -ī sumus -us sim -ī sīmus -us es -ī estis -us sīs -ī sītis -us est -ī sunt -us sit -ī sint -us eram -ī erāmus -us essem -ī essēmus -us erās -ī erātis -us essēs -ī essētis -us erat -ī erant -us esset -ī essent -us erō -ī erimus

-us eris -ī eritis -us erit -ī erint

-re -minī -tor -tor -ntor -(r)ī -us/-a/-um esse -us/-a/-um -ndus/-nda/-ndum

ployer», / «peser» .

Par ailleurs, le changement de voyelle thématique induit également un changement de classe flexionnelle, de sorte que nous pouvons observer pour ces verbes que le pas- sif peut s’accompagner d’un changement de classe flexionnelle. Il s’agit donc d’une forme de passivation qui se traduit par un changement des propriétés flexionnelles d’un lexème. Or, formellement, un tel changement n’est généralement pas conçu comme étant du ressort de la flexion mais plutôt de la dérivation. Cet argument est plus fort encore pour les verbes formant explicitement leur passif avec le suffixe dé- rivationnel-esc.

b) Le réfléchi peut servir à former le s-passif.

Exemples : ( ) «être conservé» de «préserver» .

c) Il existe également des cas que l’on pourrait qualifier de passivation supplétive. Ces exemples entrent dans la définition de Siewierska ( ) uniquement si l’on admet la supplétion comme marquage morphologique du passif. Exemples :

/ «frapper», / «créer», / «détruire»

(Flobert, , p. - ).

Le problème de cette troisième stratégie réside en le fait qu’il s’agit par ailleurs pour ces verbes d’entrées lexicales distinctes, les verbes servant de passif supplétif ayant eux- mêmes leur propre paradigme et un sens différent. Gaffiot & Flobert ( ) citent ainsi deux entrées séparées pour , l’une étant le passif de , l’autre une entrée à part, en outre avec un passif archaïque (fitur, fiebantur, …). Ainsi, ces verbes utilisés pour les constructions passives s’apparentent plus à une stratégie de réparation pour combler les trous apparaissant dans les paradigmes défectifs de verbes comme ,

et .

Par un renversement de point de vue, ces verbes sont par ailleurs également parfois

. Toutefois, les données de Gaffiot & Flobert ( ) (confirmées également par Prior & Wohlberg ( ) pour les verbes répertoriés par ce dernier) montrent que ces formations du passif sont en général en concurrence directe avec une formation morphologique standard du passif par l’emploi des désinences passives. En revanche, le verbe correspondant au passif dans les couples de verbes ci-dessus ne comporte généralement pas de formes m-passives. Parmi les verbes cités ci-dessus ceux qui possèdent des formes

m-passives selon Gaffiot & Flobert ( ) sont les suivants : / : / , /– ;

/ : / , /– ; / : / , /

(défectif au parfait) ; / : / , /–.

. Flobert ( ) donne également l’exemple inverse du m-passif servant à exprimer une valeur réfléchie : « se rendre » de « abandonner ».

. « recevoir des coups » et « disparaître, périr » sont également des verbes indépendants intransitifs. En revanche, ils ne possèdent à ce titre pas de formes m-passives. « arriver, devenir » possède guère qu’un m-passif archaïque défectif.

qualifiés d’activa tantum (Kiparsky, ), dénotant par là leur qualité de verbes transitifs défectifs auxquels il manque les formes passives attendues. Si l’on adopte ce point de vue, le passif en latin ne relève (au mieux) pas de la flexion canonique au sens de Corbett ( a). Selon Corbett, la flexion ne comporte canoniquement pas de trous arbitraires dans le paradigme ; en d’autres termes, toute forme qui devrait appartenir au paradigme d’un lexème est canoniquement produite. Les cas où il y a des formes manquantes sont des cas de défectivité qui s’éloignent du canon attendu pour la flexion. En revanche, pour Corbett, ces mêmes trous arbitraires constituent bien une propriété canonique de la dérivation : pour un procédé dérivationnel donné s’appliquant à une classe de lexèmes donnée, il est canonique qu’il y ait dans cette classe des exceptions lexicales arbitraires pour lesquelles le procédé dérivationnel ne s’applique pas. En ce sens, le comportement des verbes ditsactiva tantums’apparente bien plus à un comportement canoniquement dérivationnel que flexionnel.

. . . La valeur du passif morphologique (m-passi )

En ce qui concerne la valeur associée au m-passif, le cas habituel est de considérer que le m-passif sert à marquer le s-passif. Toutefois, Flobert ( ) cite cinq valeurs concurrentes à l’expression du s-passif qui chacune concerne un nombre significatif de lexèmes .

a) Il existe une valeur médio-passive des m-passifs qui permet d’indiquer la dimension volontaire associée à une action :

a se moveri(de soi mouvoir. - . ) «se mouvoir de son propre fait»

tundis palmis, plangi alis( - . ) «se frapper de ses mains (ailes)»

b) Les verbes , indiquent également un changement de place (mouvement) ou de situation (transformation) au m-passif :

Mouvement : «évacuer», «déplacer», «s’agiter»,

«se déplacer à/en X», «rouler».

Transformation : «s’allonger», «(se) cicatriser»,

«transmettre», «apparaître», «souffrir», «se

réjouir», «se nourrir (de)», «agir en ami», «se baigner».

Flobert indique avoir compté plus de verbes pouvant avoir cette valeur.

c) Un autre exemple, lexicalement contraint, concerne les verbes de mouvement à dimension volitive.

. Les exemples de verbes sont ceux de Flobert ( ) ; les traductions sont celles indiquées pour les verbes concernés par Gaffiot & Flobert ( ) et Lewis & Short ( ).

se (ipsum) movere(soi (soi-même) mouvoir. - . ) «se mettre en mouvement

volontairement»

(mouvoir. - . ) «être en mouvement, se mouvoir»

Exceptionnellement seulement : ( ) (mouvoir. - . (par) qqn) «être mis en mouvement par quelqu’un» (s-passif)

Autres exemples : «se mettre en mouvement, s’agiter», «s’émouvoir,

se mettre en mouvement», «mettre en mouvement».

Cette classe de verbes comporte au moins lexèmes selon Flobert.

d) Les passifs impersonnels (au moins lexèmes selon les comptes de Flobert ( )) :

agitur«ça va»

fertur«on rapporte (que)»

itur«on va»

vivitur«on vit»

Au cours de l’évolution de la langue, ce phénomène s’est ensuite étendu à d’autres unités comme clamatur, concurritur,pugnatur, et de même au perfectif correspon-

dantclamatum est, ….

Flobert ( ) indique enfin que le passif n’est pas une propriété exclusive des verbes transitifs en latin. En effet, avec le développement du passif impersonnel, les formes de passifs intransitifs se sont font de plus en plus nombreuses. Ce développement semble néanmoins se restreindre à des verbes employés dans la langue administrative, religieuse ou dans des expressions de «prudence paysanne» (Flobert, , p. ), ou de l’annalistique. La capacité à produire un passif impersonnel apparait donc moins comme une propriété liée à la transitivité du verbe en question que comme une propriété lexicale de «verbes

susceptibles d’exprimer un procès anonyme ou collectif » (Flobert, , p. ).

. . . Conclusion sur la valeur du passif en latin

Les exemples exposés dans les sections . . . à . . . montrent que le m-passif latin n’est pas nécessairement le marquage du passif tel que défini plus haut. En particulier, il n’exprime pas un alignement unique entre rôles thématiques et structure argumentale. D’autres valeurs, telles le réfléchi, la volition ou l’impersonnel peuvent être exprimées par le m-passif latin. Nous récapitulons le panorama présenté par Flobert dans le tableau . indiquant en colonne le type de construction et en ligne le marquage morphologique associé.

- -

- standard verbes déponents

- +se standard

oui

cstr. neutre

oui oui

oui oui

T . : Constructions valentielles disponibles avec un marquage m-actif/m-passif selon Flobert ( )

D’après les données (notamment diachroniques) relevées par Flobert ( ), nous observons également que de façon de plus en plus manifeste à travers le temps le m-passif semble évoluer en un marquage lexicalement déterminé mais décorrélé de la voix en tant que telle. En d’autres termes, le m-passif acquiert les propriétés attendues d’une classe flexionnelle indépendante.