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Le Passif Détrimental

CHAPITRE I Passif détrimental revisité –du point de vu de l’énonciateur

2. Classification des passifs en japonais dans des études antécédentes

2.4. Classification du point de vue syntaxique

2.4.2. Le Passif Détrimental

Les linguistes comme Mikami (1972), Teramura (1982), Oshima (2006) entre autres remarquent que si la construction du passif direct est une opération syntaxique et sémantique qui, de même qu'en français, implique que le verbe est transitif, il n'en va pas toujours de même en japonais. En japonais, en effet, le morphème (r)are peut également être associé à un verbe intransitif, comme le montre l'exemple (8), identique à (1) ci-dessus.

(8) Jan wa ichi jikan okure+ta node, minna ni = Jean TH. une heure être en retard+passé car tout le monde par (1) ‘Comme Jean avait une heure de retard,

sakini ik+ARE+ta. avant aller+pass.+passé tout le monde était déjà parti’.

Litt. : Comme Jean être en retard d'une heure, par tout le monde avoir été allé avant

On peut observer que dans cet énoncé, le verbe passif, ik+ARE+ta, fait partie d'une proposition principale dans laquelle aucun argument ne porte pas la marque ga du sujet. Par

9 Nous ne traitons pas encore deux marqueurs du sujet wa et ga. Nous somme consciente que certains problèmes

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ailleurs, ce qui est interprété comme sujet sémantique est affecté de la marque ni caractéristique de l'Agent et du Datif. Enfin, comme le verbe est intransitif, il n’existe pas de construction active correspondante où le sujet serait un objet marqué par o, comme c'est le cas pour le passif direct. On aurait donc affaire à une proposition sans sujet.

Par ailleurs la première proposition est une subordonnée qui exprime sémantiquement la cause : son sujet, Jan wa n'est pas non plus marqué par ga, mais par la particule du thème

wa : il pourrait être traduit par en ce qui concerne Jean. La deuxième proposition, bien que

comprise comme la conséquence, voit son sujet marqué par ni, marque de l'Agent.

Ceci implique que pour ce type d'énoncés, la relation de cause à effet qui unit les deux propositions et la relation Agent-Patient ne se situent pas au niveau de la seule proposition contenant le verbe passif. En effet, dans ce cas, la prédication exprime que le procès, dénoté dans la principale et initié par ‘tout le monde’ (marqué par ni), se fait au détriment du sujet de la subordonnée cause. Dans l'exemple (8) ci-dessus l'argument marqué par wa est alors nécessairement interprété à la fois comme Patient (en ce sens d'une part qu'il n'est pas Agent et d'autre part qu'il subit les conséquences du procès), et comme détrimentaire du procès. On constate alors que l’interprétation est nécessairement événementielle, celle de propriété serait impossible.

En effet, dans l'énoncé suivant (9), contenant un passif simple et événementiel, deux phrases sont nécessaires pour exprimer la cause et l'effet :

(9) Kodomo wa ryôshin ni oite ik+ARE+ta. enfant TH. parents par laisser+sus. aller+pass.+passé ‘les enfants/l'enfant abandonné(s) par leurs/ses parents’. Sono kodomo no jinsei wa taihen da. ce(s) enfant(s) de vie TH. dur(e) être ‘La vie de ces enfants/cet enfant est dure’.

Le sens détrimentaire vient alors de la signification socio-culturellement reconnue comme négative : ‘les bons parents n'abandonnent pas leurs enfants’.

Pour exprimer cette signification dans un énoncé générique, le japonais contracte en quelque sorte les deux phrases précédentes, avec un ordre des mots spécifique, cf. (10).

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(10) [Ryôshin ni oite ik+ARE+ta kodomo] no jinsei wa parents par laisser+sus. aller+pass.+passé enfant de vie TH. ‘La vie des enfants abandonnés par leurs parents est dure’.

taihen da. dur être

Litt. : La vie des enfants laissés être allés par les parents, est dure.

L'énoncé cause comprenant le passif est contenu dans une proposition qui modifie le patient kodomo ‘enfant’. On peut ainsi comprendre que l'énoncé (11) ci-dessous dénote un événement spécifique, tandis que (12) est générique. En (12) l'événement est non actuel, hypothétique dans le sens qu'on pose l'éventualité de cette circonstance10.

(11) Sensei wa ichi jikan okureta node, professeur TH. une heure être en retard+passé parce que

‘Comme le professeur est arrivé en retard, minna ni sakini ik+ARE+ta. tout le monde par avant aller+pass.+passé tout le monde était déjà parti’.

Litt. : Le professeur, il est allé par tout le monde car il a été en retard. (12) Ichi jikan okureru sensei wa minna ni

une heure être en retard+prés. professeur TH. tout le monde par ‘Quand/si un professeur a une heure de retard,

sakini ik+ARE+ru. avant aller+pass.+prés.

tout le monde part (avant qu'il n’arrive)’.

Le fait que le morphème verbal (r)are, posé comme marquant le passif, soit associé à un verbe ou à une construction syntaxiquement intransitive, justifierait l'absence d'un complément marqué par o, cas de l'objet. Or, en japonais, la présence d'un argument ainsi marqué n'est pas incompatible avec les deux marques du passif : (r)are sur le verbe et ni pour l'Agent du procès. L'exemple (13), qui contient un complément marqué par o, est un énoncé bien formé.

10 La différence entre (11) et (12) n’est pas seulement les temps verbaux, passé ta et présent ru. Ce qui distingue

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(13) Ken ga Marî ni Pôru o nagur+ARE+ta. Ken P.S. Marie par Paul P.O. battre+pass.+passé. ‘Paul a été frappé par Marie, et cela affecte négativement Ken’.

Dans cet exemple, Marie est l'agent du procès ‘battre’, Paul en est le Patient. Quant à

Ken, bien qu'il porte la marque du nominatif ga, il ne fait pas directement partie de

l'événement dénoté par le verbe. En effet, il n’est pas affecté physiquement comme l'est Paul, il n'est pas modifié au sens où on l'entend lorsqu'on parle de Patient. Néanmoins l'énoncé dit, indirectement mais explicitement, que Ken subit psychologiquement une atteinte négative. On appelle cette construction « passif indirect ». Mikami (1972) remarque alors que le sens négatif du passif indirect est un sens dérivé de la relation modale interénonciative11 :

l'événement décrit met en relation à la fois un agent – il s’agit de Marie dans (13), et un détrimentaire, une tierce personne qui n'intervient pas dans le procès mais que celui-ci affecte.

De leur côté Kuno (1983), (1986) et Kudora (1985) signalent les problèmes soulevés lorsque le sens négatif est dénoté lexicalement par le sémantisme du verbe. Nous reviendrons sur ce point au § 4, lorsque nous traiterons du passif en corrélation avec les unités lexicales.

Mais un autre problème est soulevé, car certains énoncés syntaxiquement composés de trois arguments sont ambigus. Ils peuvent être interprétés soit comme passif indirect, soit comme passif possessif. À leur propos, Suzuki (1972), Hayashi ((1983), (1984)), Oshima (2006) remarquent que la notion de « détriment » est liée à la relation de possession. C'est ce que nous allons voir au § 2.4.3. en unifiant les critères proposés par Oshima (2006).