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Pas de réactions négatives et des effets positifs

CHAPITRE 3 : Cadres de la recherche

5) Pas de réactions négatives et des effets positifs

Avant les premiers entretiens avec des femmes de ce foyer d’accueil, nous avions eu une réunion avec l’ensemble des intervenants psychosociaux. Le cadre de la recherche avait été donné et nous n’avions nullement mis sous silence notre préoccupation pour un éventuel effet de réactivation de traumas. De leur expérience respective, sans pouvoir en donner une explication rationnelle, ce danger ne leur semblait pas si préoccupant. Mais cela ne suffisait pas à apaiser entièrement nos craintes. Aussi avions-nous demandé d’observer attentivement les femmes ayant participé aux premiers entretiens. Ceux-ci se sont passés dans une atmosphère de confiance et d’ouverture que nous n’avions osé espérer, tant ces femmes s’étaient ouvertes rapidement à la compréhension des outils et de la méthode. Elles sont entrées dans une narration profonde des évènements marquants de leur vie en révélant autant les sentiments de joies intenses que de douleurs profondes qui formaient la pellicule sur laquelle ces évènements s’étaient imprimés. Durant en moyenne plus d’une heure et demie, la ligne du temps s’est chaque fois remplie au rythme d’une narration ininterrompue. Allant du présent au passé, d’un passé lointain à un passé proche, par allers et retours successifs, les histoires ont

livré la trame de vies tissées, comme nous l’anticipions, de multiples fils de violence, d’abus, de déchirures. Aux mises à mal d’équilibres psychiques et moraux, s’ajoutaient les atteintes physiques faites de violences abjectes. Toutes nous disaient vouloir continuer à se battre pour leurs enfants. Et toutes disaient également vouloir nous aider à progresser dans notre capacité à comprendre. Comprendre pour mieux les aider, elles, mais aussi et surtout leurs enfants, les éducateurs, et tous ceux qui agissent, de près ou de loin, à leur donner un sens à leur vie et aussi, et surtout, plus de chances à leurs enfants.

Au soir des premiers entretiens, nous avons appelé les intervenants psychosociaux du centre d’hébergement pour demander des nouvelles des premières participantes. Ils nous ont dit être effrayés par le comportement de l’une des deux femmes ayant participé aux premiers entretiens de ce jour-là. Elle s’était enfermée dans un mutisme quasi-total et avait repris un comportement alimentaire boulimique et une consommation tabagique effrénée. Mais dès le lendemain matin, au petit-déjeuner, cette même femme s’est ouverte à parler de son passé et à évoquer, avec les intervenantes psychosociales, le bien que cela semblait lui apporter d’avoir ainsi fait le récit de sa vie et de voir tout son cours se dérouler sur cette feuille de papier, sa ligne du temps. Elle avait pleuré et sa nuit avait été un peu agitée, mais elle était contente et désirait à présent nous revoir pour continuer à démêler sa trame. Tout en restant prudent, nous pouvions continuer les démarches de recherche et déployer les outils d’ouverture à la narration.

La mise en perspective des expériences traumatiques par la narration pourrait-elle, à l’aune de ces premières expériences, être considérée comme un support à une reconstruction résiliente ? Alors que les circonstances de vie pouvaient être particulièrement tragiques, les sujets nous racontent les épreuves de leur vie et évoquent souvent des personnes signifiantes rencontrées et avec qui des liens forts et structurants ont été noués. « C’est ainsi que, malgré des épreuves terribles et terrifiantes, il a été soutenu par des personnes bienveillantes qui ont pu avoir un rôle de tuteur de développement […] apparaissant comme des tuteurs de résilience. Rappelons que ces rencontres fondatrices sont des personnes qui vont contribuer à changer la trajectoire de vie, en aidant à se

sortir de situations difficiles, en encourageant l’expression de talents, en révélant des ressources et des compétences » (Anaut, 2016, p. 74). Ces trajectoires de vie, évoquées par Anaut, sont au cœur de la présente recherche. Il nous faudra de nombreuses expériences, l’éclairage nouveau de théories encore inexplorées à ce stade et de nombreux tâtonnements avant que nous découvrions un moyen pour dessiner ces trajectoires.

a) Evolution de la méthodologie

Nous avons continué à rencontrer des femmes hébergée au Goéland pour affiner la méthode et aussi, il faut le dire, apprendre à gérer ces situations émotionnellement difficiles. Une formation de deux années à la pratique thérapeutique en Thérapies Brèves Orientées Solution (Institut Narration) nous a particulièrement aidé à recevoir ces témoignages et à gérer notre positionnement personnel dans le maintien voulu d’une ouverture émotionnelle. Nous avons, dès le début, pris le parti d’une certaine proximité émotionnelle mesurée pour éviter, tant que possible, toute interprétation de froideur ou d’indifférence. Dans les moments particulièrement éprouvants sur ce plan, nous ne dissimulons pas notre propre ressenti et laissons transparaître, a minima possible, notre sensibilité émotionnelle à l’expression du narrateur. La cohérence intersubjective que nous recherchons dans la relation ne semble pas souffrir de ces quelques échanges qui ont vu couler une larme ou exprimer, par le silence, une gorge trop nouée que pour poursuivre une phrase. Tant que faire se peut, nous gardons une posture compatissante et bienveillante avec la distanciation la plus minime possible pour rester à la fois distant et proche. Cette distance et cette proximité sont difficiles à cerner et surtout à décrire. Nous pensons néanmoins qu’il est important de rapporter ce point ici car cette posture n’est probablement pas étrangère à un accès si souvent ouvert à une forme d’intersubjectivité suffisamment profonde que pour aider à amorcer les souvenirs et construire un récit qui fasse sens. Nous semblons offrir, par notre personne et notre posture, une base de sécurité suppléante et provisoire à partir de laquelle peuvent se dévoiler les attachements de l’enfance et les influences dans les relations actuelles (Delage, 2005, p. 407).

Cinq femmes seront ainsi entendues et quatre d’entre elles désireront continuer à tisser leur récit lors d’un second entretien. Nous apprendrons à mieux utiliser les outils et aussi à développer notre posture dans une ouverture plus grande que celle qui cadrait la démarche scientifique première axée sur la seule exploration des trajectoires de vie, question à la base de la présente recherche. Car nous avions compris l’apport émancipateur possible de la méthode. Dans le cours de ces entretiens, nous viendra l’idée du flashback d’inclusion active que nous développerons plus loin. Nous comprendrons que l’utilisation du récit n’est pas qu’une méthodologie scientifique pour se servir et servir la science. C’est aussi, et peut-être avant tout, un magnifique outil de développement de ressources personnelles qui ont parfois, et même souvent, été oubliées, déniées ou enfouies par ces personne fracassées.

6) Amarrage et ses jeunes

Nous voilà enfin auprès des populations que nous voulions aborder : des jeunes. Les outils sont prêts et les précautions que nous avions jugées bonnes de prendre ont été prises.

Il nous fallait à présent formaliser les outils pour s’assurer que nous mettions toutes les précautions méthodologiques en place pour qu’aucun aspect épistémologique ne puisse mettre trop à mal la démarche.

3.3 Cahier des charges des outils

Le cahier des charges comporte trois dimensions : temporelle, spatiale et de mouvements. Le positionnement concret de ces dimensions de la vie du jeune, sur le papier et dans la structuration du récit, ne pouvait être contraint à aucune forme d’objectivation formelle. La réalité qu’il nous décrira au travers de sa narration est sa réalité. Nulle contrainte spatiale institutionnelle (l’école, la famille ou autre, culturelle ou relationnelle), aucune borne temporelle calendaire figée (date ou année scolaire fixée scrupuleusement) ne seront exigées, ou même présentées, pour laisser totalement libre cours à l’élaboration flexible du récit, de son récit. Les mouvements, représentant les dynamiques transitionnelles dans la construction du sens (réflexions au présent et liens entre les deux premières dimensions), pourront se faire par

l’appropriation par le narrateur de l’ensemble des mentions inscrites sur les documents. Pour ce faire, il n’y aura que ses mots à lui qui y seront couchés. Si nécessaire, un minimum de notices autres seront apposées mais alors mises entre parenthèses.

Le premier objectif de ce cahier de charge est d’établir les bases de ce que sera, ou devrait idéalement être, le mode relationnel entre le chercheur et les individus issus des populations cibles. Ce point comporte deux sous-questions : Le respect de la personne et le respect d’un cadre épistémologique.