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2.4 Travail terminologique dans l’espace arabophone

2.4.1 Particularités et problèmes de la terminologie technique en ASM

Les terminologies scientifiques et techniques en arabe sont toutes tributaires, d’une façon ou d’une autre, des terminologies établies en anglais ou en français, qui constituent les terminologies de référence. Ce cas n’a rien d’exceptionnel concernant bien d’autres langues, avec ceci que les terminologies sources ne sont pas forcément l’anglais ou le français, comme c’est le cas pour l’arabe.

Ce constat est particulièrement vrai pour les domaines techniques8, tels que l’informatique, qui est, d’ailleurs, un domaine par excellence où règne l’anglais. La terminologie en ASM des domaines techniques dépend largement de la traduction des termes

anglais de ces domaines. Dans les dictionnaires, on peut constater que la nomenclature est toujours bilingue ou trilingue, avec l’anglais comme langue source. Cette situation de la terminologie technique en ASM n’est pas exemplaire. La terminologie doit faire face à de nombreux problèmes, surtout lorsque le terminologue ou le traducteur souhaitent traduire des textes techniques ou concevoir des glossaires pour des termes. Dans ce qui suit, nous attardons sur certains problèmes.

8 Nous sommes en désaccord par rapport à certains domaines, comme la médecine, les mathématiques et la

Khuwaileh (2010) fait remarquer que parmi les problèmes de la terminologie des domaines techniques (dans son cas, l’informatique) en ASM, se trouve celui de l’usage exclusif de l’anglais par les grandes entreprises, surtout lorsqu’il s’agit de la diffusion de la technologie. Bien que ces entreprises, comme Oracle et Google, aient des branches dans certains pays arabophones comme les Émirats Arabes Unis, la diffusion ne se fait qu’en anglais. Même si cette situation se révèle exacte, d’après nos observations, la globalisation a rendu un grand service à l’ASM9. De nos jours, la tendance est de diffuser dans le plus grand nombre de langues possible. Dans presque tous les sites Internet destinés au grand public, nous trouvons l’ASM comme option.

Le deuxième problème évoqué par l’auteur est un problème lié à la langue même. Il constate que (ibid. : 17) :

Renner (1998) in his article Beyond Borders argues that Arabic is not coping with new linguistic developments necessary for processing computer advancement and creating electronic computer repertoire of technical and semi-technical vocabulary. It follows from these circumstances that Arabic has become imbalanced when it comes to technical texts rendered from modern languages like English into Arabic. Consequently, rendering technical texts from English into Arabic will become extremely difficult because doing so requires not only cultural similarities between the source language and the target language, but also the two languages must be equally served in terms of technical vocabulary and structures.

Ce constat est appuyé par d’autres chercheurs (Darwish 1988 et Hamzé 2005). Par exemple, Darwish (1988 : 43-44) fait observer qu’après la période coloniale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les élites de ces deux régions étaient formées principalement en Angleterre et en France. Par conséquent, les spécialistes et les experts communiquaient en français ou en anglais. De plus, ils avaient même tendance à voir le monde scientifique selon une perspective occidentale. Cela étant dit, la langue arabe n’a pas repris son rôle comme langue de sciences et de technologies, comme c’était le cas avant l’empire ottoman. Cette situation a eu un impact sur le statut de la langue dans les pays arabophones qui sont devenus des pays importateurs de terminologie.

9 Puisque la variante utilisée dans ces sites est l’ASM, nous évitons d’employer le terme générique « arabe » pour

Dans son analyse de la traduction des affixes et des formants gréco-latins, Hamzé (2005 : 49-50) constate que le transfert de la terminologie de l’anglais et du français vers la langue arabe se fait souvent à une vitesse élevée et d’une façon désuète10. De plus, malgré le

fait que des listes d’équivalents sont proposées pour faciliter la traduction de ces affixes, certains chercheurs suggèrent que le transfert se fasse de façon systématique. Par contre, l’auteur souligne le fait que la situation dans les autres langues n’est pas idéale. Il trouve que la création terminologique en français, par exemple, n’est pas systématique. Il donne l’exemple des termes ophtamologue et ophtamologiste, neurologue et neurologiste et

radiologue et radiologiste. Pour cette raison, il conclut que :

However, on no account are these true difficulties and problems to mask the reality and to let us believe that vocabulary of exporting languages is a model to follow, not without the same defects. It is just simply that exporting languages’ difficulties are double. These difficulties are related to the formation of vocabulary, even scientific vocabulary, as well as to issues of synonymy, polysemy and homonymy.

Dans la même veine, Saraireh (2001) retrace la source de l’incohérence de la terminologie technique en ASM. D’abord, l’auteur propose trois classes pour les termes issus de la traduction anglais-arabe. La première classe comprend les termes de la langue source (LS) qui ont des équivalents dans la langue cible (LC). La deuxième classe comprend des termes de la LS qui ont des équivalents partiels dans la LC. Finalement, la troisième classe comprend des termes de la LS qui n’ont pas d’équivalents dans la LC. Le problème peut être retracé dans la troisième classe. Dans cette classe le traducteur se réfère à plusieurs techniques afin d’établir la relation entre le concept et le signifiant. Par conséquent, le problème qui revient est celui de la standardisation dans la création de nouveaux termes dans le domaine technique. L’auteur (ibid. : 10) constate que trois facteurs posent problème :

First, the lagging behind of Arabic institutions in Arabicizing the ever-incoming terms, and, if dealt with, the poor circulation of the Arabic equivalents in proper time and ways (such as textbooks for students at different levels). Second, the lack of coordination among Arabic Language Academies in their efforts in dealing with foreign terminology […]. Third, the wide gap between language planners and language users.

Le troisième facteur est celui que nous considérons être le plus problématique. Dans les dictionnaires techniques, les termes sont standardisés, sauf qu’en pratique l’utilisateur (traducteur, terminologue, rédacteur professionnel, etc.) opte pour les termes qu’il estime être les plus faciles à utiliser. Par exemple, considérons le verbe vab~ata (ﺖﺒﺜﯾ) (installer). Dans le Dictionary of Information Technology Terms, issu de la Syrian Computer Society (2000), ce terme est présenté comme yursy (ﻲﺳﺮﯾ) (installer ou littéralement monter). D’après une recherche que nous avons effecutée à l’aide du moteur de recherche Google (et d’après les données de notre corpus, voir section 5.2.4.9 et 5.2.4.10), ce terme n’est pas en usage. Les seuls verbes que nous avons trouvés qui désignent ce processus en informatique sont vab~ata (ﺖﺒﺛ) (installer) et naS~aba (ﺐﺼﻧ) (installer).

C’est pour cette raison que nous jugeons très important que le terminographe tienne compte de l’usage des termes. De plus, il importe lors de la création terminologique de prendre en considération les trois besoins de tout travail terminologique, à savoir la description, la transmission et la normalisation (Rey 1992 : 55). Nous sommes conscient du fait que la langue de spécialité est « plus qu’un registre (soutenu, courant ou familier) » (Kocourek 1991 : 40-41) et c’est un « système libre de ressources sur tous les plans de la langue qui possède plusieurs registres et plus que des caractéristiques lexicales ». À ce titre, nous soulignons l’importance du corpus dans tout travail terminologique et terminographique. Le corpus permet de mieux voir et comprendre l’usage et la circulation des termes dans une communauté linguistique donnée.

Malgré les problèmes discutés dans cette section, la situation actuelle de la langue arabe sur la scène terminologique a nettement progressé (même si elle est encore loin d’être idéale). Comme nous le verrons dans plusieurs sections de notre thèse, les ressources dédiées à l’ASM de spécialité sont de plus en plus nombreuses et les projets portant sur la langue arabe se multiplient. L’objectif commun est d’harmoniser et de systématiser la langue, y compris le transfert de la technologie. Certes, la standardisation et les difficultés de transfert sont toujours problématiques, même avec la production textuelle croissante en langue arabe sur la Toile.