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Chapitre 3 : Causes idéologiques du faible taux de natalité

3.1. Le partage des tâches domestiques

Quand on parle d’inégalité dans la sphère privée, on se réfère bien souvent au partage des tâches entre les hommes et les femmes. Au Japon, ce partage a toujours été particulièrement inégal puisque l’entière responsabilité des tâches domestiques et de l’éducation revient, de par

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l’idéologie traditionnelle et le marché du travail, aux femmes qui sont, pour être considérées comme des bonnes épouses et mères, censées rester chez elles pendant que leur mari travaille.

Dépendamment de la période et de la situation économique, cette idéologie pose plus ou moins de problèmes pour ce qui est de la natalité. Par exemple, dans les années 1970, le Japon, en plein essor économique, connut un regain de traditionalisme où il était question du rôle de la femme au foyer. Cela ne posait aucunement problème puisque, dans la majorité des cas, le revenu des femmes n’était pas nécessaire à la survie du foyer. Il n’y a que dans les classes de revenus les plus faibles que le salaire de la femme était nécessaire : de là les presque 30% des femmes mariées qui travaillaient (Gao, 2001).

Ainsi, à ce moment-là, environ 80% des hommes et des femmes étaient tout à fait d’accord avec cette distribution sexuée des tâches (Coulmas, 2007). Dans les années 1980, plus de femmes mariées ont continué de travailler, mais c’est dans les années 1990, lors de l’éclatement de la bulle spéculative, que la situation a radicalement changée et de plus en plus de foyers ont eu besoin d’avoir une seconde source de revenus ou, parfois, d’une source de remplacement le temps que l’homme se trouve un nouvel emploi. C’est à ce moment-là que le problème de l’égalité des sexes a pris réellement de son ampleur. En effet, dans le cas où les femmes aussi doivent participer à l’apport économique du foyer, le partage des tâches domestiques demande nécessairement à être plus égalitaire, d’autant plus que ce partage, tel qu’il est pratiqué encore aujourd’hui, empêche les femmes d’accéder à un travail régulier ce qui, comme nous l’avons vu plus haut, les confine à des emplois très mal rémunérés et offrant peu de garanties (Coulmas, 2007).

Compte tenu de cette situation et, il faut l’admettre, à l’évolution des mentalités, en 2003, ce sont 48% des femmes et 43% des hommes qui se disent être pour un partage plus égalitaire des tâches domestiques contre 22% et 21% en 1973 (Coulmas, 2007). Toutefois, comme nous l’avons vu, les compagnies, de par leurs exigences, empêchent les hommes de participer à ces tâches, et ce même si, malgré sa position conservatrice, le gouvernement a tenté de mettre en place des lois favorisant la participation des pères. Notons que la position du gouvernement était aussi liée à des motifs plus traditionnels : en effet, avec des meurtres spectaculaires commis par des adolescents à la fin des années 1990 et au début des années 2000, adolescents venant de

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familles avec des pères absents, le gouvernement a voulu que les pères prennent une place plus importante dans l’éducation des enfants. Notons que la faute a néanmoins été attribuée aux mères, jugées surprotectrice.

Un autre élément qui rend problématique et injustifié ce partage des tâches inégalitaire est sans doute l’évolution des technologies. En effet, en 2000, les Japonaises n’avaient besoin que de 29 heures par semaine (3 heures pour les hommes) pour effectuer les tâches domestiques alors que ces dernières nécessitaient 52 heures de travail par semaine en 1959 (Desaint, 2007) (Rindfuss, Minja, Bumpass, & Tsuya, 2004). Si cela est positif, il aurait pourtant fallu que les entreprises et le gouvernement changent leur vision des choses et s’adaptent à cette nouvelle réalité. En effet, puisque le temps nécessaire à ces tâches domestiques est diminué, il n’est plus pertinent d’affirmer qu’il serait mieux que les femmes soient à plein temps chez elles. Il vaudrait mieux qu’un partage des tâches domestiques plus égalitaire soit favorisé par les entreprises, notamment en permettant aux hommes de travailler moins d’heures, dégageant ainsi les femmes d’une partie de leurs tâches leur permettant ainsi d’obtenir un emploi à temps plein.

Et c’est justement là que le conflit existe. En effet, les femmes ont d’un côté beaucoup plus de temps pour travailler comparé à ce qu’elles avaient dans les années 1950 (23 heures de plus), mais d’un autre côté, elles ont toujours de la difficulté à concilier vie professionnelle et vie de famille. Ainsi, si une femme travaille, elle n’aura pas le temps non seulement de travailler les mêmes heures que les hommes, mais en outre, ces derniers ne pourront plus, de même, respecter ces horaires puisqu’ils devront automatiquement participer aux tâches ménagères. C’est finalement ce que dit Gaborit (2007) quand elle affirme que le problème n’est pas tant que les femmes ne peuvent pas se déplacer vers la sphère publique, mais plutôt que les hommes ne s’ajustent pas en remplissant le vide laissé par les femmes dans la sphère privée (Gaborit, 2007).

Évidemment, cette situation est particulièrement problématique pour les mères de famille monoparentale qui se retrouvent dans une situation où elles n’ont pas le choix de cumuler de longues heures de travail dans un emploi précaire mal rémunéré et de remplir leurs tâches ménagères sans avoir l’aide d’un conjoint. Le taux de divorce augmentant rapidement au Japon, et l’obligation pour les maris de payer une pension alimentaire était peu renforcée, il est clair que cette sorte de discrimination devient réellement problématique, d’autant plus que les

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Japonaises, en cas de divorce, ont tendance à ne pas se remarier et donc à ne plus avoir d’enfants puisque très peu de femmes divorcées se remarient par la suite (MacKellar, Ermolieva, Horlacher, & Mayhew, 2004).