• Aucun résultat trouvé

indicateurs macro-économiques semblent venir conforter ces choix : l’endettement extérieur est ramené à moins de 50% du PIB à partir de 1992 ; le chômage officiel rapporté à 5% en 1995 ; la part des investissements dans le PIB continue d’augmenter (de 24,9% en moyenne entre 1990 et 1993 à 26,8% en 1994 et celle des exportations fait passer le Chili devant la Corée du Sud - où la part des exportations dans le PIB n’est que de 29%). Mais en 1995, 30% de la population demeurait encore sous le seuil de pauvreté, avec 8% d’indigents... et la part de la richesse nationale détenue par les 40% les plus pauvres continuait de baisser régulièrement : 14,1% en 1990, 13,8% en 1992, 13,1% en 1994 (chiffres de l’INE), tout comme celle du quintile le plus démuni. Au contraire celle des 20% les plus riches du pays ne cessait d’augmenter, passant de 53,7% en 1990, à 55,4% en 1992, et à 56,1% en 1994 (chiffres tirés de B. Mallard 1997 : 36).

Dès lors que la fracture sociale persiste, on peut se demander quel a été l’impact de ce modèle néolibéral sur la géographie du pays, et si les impacts sociaux trouvent leur écho dans l’évolution territoriale. C’est l’hypothèse d’une telle relation qui a constitué le fondement du programme GEONECH.

3.A.c - Les impacts de la dérégulation sur l’espace

) La « dette spatiale »

Dans l’orthodoxie du modèle, le libre jeu du marché doit conduire à une situation de meilleur équilibre inter-régional puisque « l’investissement privé se localise géographiquement, suivant ainsi le critère de meilleure rentabilité » (ODEPLAN, 197351) et que « les projets de meilleure rentabilité se trouvent être

ceux qui se fondent sur l’utilisation des ressources naturelles » (ODEPLAN, 197952). Ces ressources, distribuées dans le pays, vont constituer les avantages comparatifs des différentes parties du Chili.

Le bilan chiffré de l’évolution des régions chiliennes montre que les écarts se sont creusés entre les régions chiliennes désormais départagées entre Régions pauvres (56,2% de pauvres dans la VIIIème Région et 61,3% dans la IXème) et riches (28,8% de

pauvres dans la IIIème, 25,5% dans la Région Métropolitaine). Le rapport entre le taux de pauvreté moyen des trois régions enregistrant le plus grand nombre de pauvres par rapport à celles où il était le plus réduit a cru de 1,5 en 1990, à 1,67 en 1992 et 1,84 en 1994. Le rapport entre le revenu per capita des trois régions les plus riches comparé à celui des plus pauvres dépasse aujourd’hui 4/1, ce qui semble imposer l’expression de « régions gagnantes et régions perdantes » au Chili (G. Benko / A. Lipietz, 1992 ; A. Daher, 1994 et A.-L. Szary, 1996). Et l’on pourrait observer ces mêmes disparités entre communes, ou encore au sein même des villes ...

L’approfondissement des différences en termes d’apport au produit national, de revenu national ou de part des pauvres dans la population des diverses entités territoriales semble comparable à la « fracture sociale » communément constatée au sein de la population après une période d’ouverture économique non régulée par l’État. La notion de « dette spatiale » (Ph. Grenier, 1990) a été construite en miroir,

51 Cité par C. De Mattos/ M. Guerra, 1993 : 3. 52 Cité : Ibid. : 4.

pour essayer de décrire la fragilisation des liens territoriaux dans un pays qui tentait depuis de nombreuses années de les fortifier pour lutter contre le déterminisme de sa forme longiligne.

) La trilogie légale fondamentale pour comprendre le Norte Grande

Aux impacts territoriaux implicites du modèle néolibéral se sont ajoutées des mesures officielles qui ont eu des conséquences directes sur l’organisation de l’espace. Pour ce qui concerne le Norte Grande, trois lois de dérégulation promulguées par le Général Pinochet, ont eu des répercussions particulièrement brutales. Ce sont le nouveau Statut minier, le Code de l’eau, et la loi indigène. Le Código de la minería de 1983, tout en conservant au sous-sol son caractère de propriété inaliénable de l’Etat, garantit des concessions de très grande durée et très peu imposées, pour faire oublier aux grandes entreprises minières internationales le traumatisme de la nationalisation. Le deuxième volet de ce corpus législatif est constitué par le nouveau Código de Aguas (1981), qui rend la propriété de l’eau distincte de celle de la terre (eaux de surface et souterraines) ; celle-ci devient donc un bien cessible, dont la circulation crée un marché ... Ce qui va avoir une influence très grande dans les espaces désertiques comme ceux du Norte Grande. Enfin, et de façon directement liée au texte précédent, intervient la Loi indigène passée sous le gouvernement militaire : elle supprimait la notion de propriété collective, permettant donc la mise en vente de terres jusque-là gérées par une communauté. Les mêmes effets se sont fait sentir sur la propriété de l’eau. La nouvelle Ley indígena (Loi 19.253, 5 octobre 1993) tentera de rétablir le droit collectif en donnant à la notion de « communauté indigène » une valeur légale : elle accorde une personnalité juridique à une communauté dès lors qu’elle remplit des critères liés à une origine commune (d’un même village ancien, et d’un même tronc familial, et d’une même ethnie) et à la propriété de terres en commun. Une commission pour le développement indigène, la CONADI53, fut créée pour faire respecter leurs droits.

Nous reviendrons plus en détail (chapitres 6 et 7) sur ces lois qui ont eu pour effet de détourner les ressources naturelles, de leurs utilisateurs traditionnels vers des agents économiques cherchant à maximiser le profit territorial. Elles illustrent de façon sectorielle les conséquences géographiques de l’orientation néolibérale généralisée au Chili. Le principal volet de l’action directe des militaires sur le territoire, la réforme administrative mise en place dès 1975, révèle la systématisation de cette approche des rapports de l’économie et de l’espace. Elle consiste en une interprétation autoritaire et libérale à la fois de la réflexion sur l’aménagement du territoire qui était alors en cours au Chili. Pouvant servir de point d’appui à cette double préoccupation, la région a servi de maille fondamentale de ce programme.

53 « Corporación Nacional de Desarrollo Indígeno », corporation nationale de développement

indigène. Ses bureaux principaux sont dans la zone Mapuche, à Temuco, mais sa structure nationale est divisée en deux (Temuco/ Iquique) ; dans le nord, des subdélégations régionales existent aussi à Arica et Antofagasta.

3.B- De la planification du territoire à la « régionalisation » du pays

C’est au cours de la période néolibérale que s’est mis en place le nouveau découpage régional du Chili. Œuvre du gouvernement militaire, il s’appuyait cependant sur la réflexion qui s’était développée à partir des années 1960 sur la nécessité d’aménager le territoire, un constat que l’hypertrophie de Santiago imposait. Cependant, l’apparente contradiction entre un projet décentralisateur et l’autoritarisme du gouvernement qui le mit en place allait donner naissance à un procédé original de gestion du territoire dont l’échelon fondamental devait être la région : nous reprenons pour qualifier cette politique le terme utilisé par les militaires lors de la réforme, celui de « régionalisation ».

3.B.a - Un pays de tradition centralisatrice

« Mais nous, les Chiliens, on passe notre vie à regarder le nombril agricole et administratif du pays » B. Subercaseaux, 1961 : 48.

Comme l’indique avec ironie cette citation, le centralisme ne fait guère de doute au Chili, dénoncé parfois, mais difficile à remettre en cause, au point que l’on a pu dire qu’il fonctionnait en « cercle vicieux » (J. Abalos, 1994). Le centralisme chilien s’inscrit dans un contexte qui touche tout le continent latino-américain, ainsi que l’a montré C. Véliz (1984). Dès l’indépendance du Chili, un régime présidentiel autoritaire se met en place, initié par Diego Portales, auteur de la première Constitution du pays (1833), qui a constitué une des sources principales de la Constitution de Pinochet, en 1980. C’est lui qui a établi les règles de fonctionnement du premier découpage administratif du pays, en provinces et communes, mettant à la tête des provinces des Intendants dont il a fait les « agents naturels et immédiats »54 du Président (l’élection des maires n’a été mise en place qu’avec la Constitution de 1925, et avec certaines restrictions). On explique souvent cette centralisation politique par des facteurs aggravants, propres à la difficulté d’administrer un pays longiligne à la « folle géographie » (B. Subercaseaux, 1941). Plutôt que d’insister sur cette explication déterministe, il faut sans doute mettre cette tendance sur le compte de la situation de guerre qui a perduré tout au long du XIXème siècle, aussi bien dans des conflits frontaliers avec les pays voisins qu’à l’intérieur (le gouvernement indépendant hérite de la résistance de l’Araucanie qu’il ne parviendra à « pacifier » qu’au milieu du siècle).

Cette orientation n’a pas été remise en cause par les gouvernements libéraux qui ont suivi. Dans une vision égalitaire du développement du pays, ils ont en effet posé les bases de la construction d’un Chili moderne homogène (par une éducation unifiée notamment) d’Arica à Punta Arenas, réduisant les ferments de possibles sentiments régionalistes dans l’ensemble du pays, et contribuant ainsi au renforcement du centralisme.

Le découpage administratif tel qu’il fut inscrit dans les deux premières constitutions de l’État chilien (1833 et 1925) a peu subi de modifications

54 La Constitution prévoyait la création d’assemblées provinciales, mais la Loi organique

ultérieures55. Il est très centralisé, et les assouplissements prévus par la Constitution de 1925 (article 107) afin de déconcentrer peu à peu certaines fonctions et attributions du gouvernement central vers les provinces et municipalités n’ont pas été mis en œuvre.

Cette concentration des pouvoirs, des hommes et des activités a entraîné l’hyper croissance de Santiago et de ses environs par rapport au reste du pays (tableau n°3). De la prise de conscience de ce phénomène et des dysfonctionnements qui en découlent est née une réflexion autour de la planification du territoire. La traduction politique de ce courant de pensée a été portée par des événements qui avaient force de nécessité : des catastrophes naturelles et des problèmes géopolitiques dans les zones frontalières.

Tableau n° 3 : Croissance de la population de Santiago

Nb habitants Population de Santiago Population du Chili % Santiago / pays

1900 300 000 habitants 2 900 000 habitants 10,3 1930 600 000 habitants 4 700 000 habitants 12,8 1950 + de 1 000 000 habitants 5 900 000 habitants 17,9 1970 2 700 000 habitants 8 900 000 habitants 30,3 1990 4 300 000 habitants 14 000 000 habitants 30,7 Source : INE Ainsi, c’est le tremblement de terre de Chillán qui fut le déclencheur du processus de création de la CORFO en 1939, un des plus puissants outils de développement créé au Chili. De la même façon, les tremblements de terre et raz-de- marée de 1960 provoquèrent la création de Comités Provinciaux de Développement (Comités Provinciales de Desarrollo composés de l’Intendant, de fonctionnaires publics et de membres du secteur privé). C’était s’acheminer lentement vers une politique d’aménagement du territoire qui, avant d’être formalisée à l’échelle nationale, le fut dans les zones extrêmes par le biais d’organismes fédérateurs comme la Junta de Adelanto à Arica et la Corporación de Magallanes à Punta Arenas.

Cette législation de développement régional conçue au coup par coup fut qualifiée de « régionalisme implicite » (W. Stöhr, 1976). Elle était sous-tendue par le progrès d’une réflexion commune des géographes et des économistes que la publication par la CORFO, à partir de 1950, d’une Géographie économique du Chili en plusieurs volumes illustre. Il s’agissait de mieux évaluer les ressources naturelles et humaines du pays pour pouvoir en organiser la meilleure exploitation possible. Pour ce faire, les géographes auteurs de ce travail (P. Cunill, S. Sepúlveda et d’autres) passèrent outre le découpage administratif du pays pour proposer une division régionale selon une conjonction de facteurs économiques et physiques. Les noms choisis reprenaient les appellations traditionnelles comme par exemple le Norte Grande, couvrant les provinces de Tarapacá et d’Antofagasta (de la frontière avec le

55 Des lois viendront le préciser : en 1929 fixation des limites du découpage provincial, et en

Pérou au 26ème degré de latitude sud, cette zone se caractérise par le désert et l’économie minière). Toutefois les limites administratives n’étaient pas remises en cause, car immédiatement au sud, le Norte Chico rassemblait les provinces Atacama et de Coquimbo, s’étendant ainsi de 26 à 32 degrés de latitude sud alors que la limite climatique du désert passe par le 30ème degré. C’étaient donc les critères économiques

qui primaient pour départager Grand et Petit Nord (le Norte Chico se caractérisant pas la présence d’un secteur agricole significatif en plus de l’activité minière) ainsi que l’ordonnancement des éléments du relief (les grandes vallées transversales qui entaillent les cordillères et dépressions aux latitudes du Norte Chico jouent le même rôle d’élément structurant du paysage que l’organisation méridienne dans le Norte Grande). Vers Santiago, la partition du pays selon la CORFO se prolongeait par un noyau central, et par la division en trois du sud du pays (Région de Concepción et de La Frontière ; Région des Lacs ; Région des Canaux depuis Chiloé vers la Terre de Feu).

3.B.b- Vers l’explicitation de politiques régionales : 1964-1973

Pour la première fois au Chili, pendant la campagne présidentielle pour les élections de 1964 ont eu lieu des échanges d’idées sur le développement régional et la décentralisation. L’élection du candidat de la Démocratie Chrétienne, Eduardo Frei56

va conduire à la mise en œuvre d’un programme réformiste57 qui s’est traduit dans le

domaine de l’aménagement du territoire, par la création dès 1964 d’un « Bureau national de planification », l’ODEPLAN (Oficina de Planificación Nacional) placé sous la responsabilité directe du Président de la République. Il s’organisait selon une Sous-Direction régionale dont la vocation est d’affronter le problème du développement sous son angle territorial, et des bureaux techniques régionaux, les ORPLAN. Conçu pour répondre à une tâche ambitieuse, l’ODEPLAN a vu ses fonctions réduites d’emblée par le Sénat qui, lors de la ratification définitive du texte en 1967, y a ajouté un paragraphe précisant qu’en aucun cas ce bureau de planification ne peut intervenir pour modifier la hiérarchie administrative (C. Thayer E., 1984).

Une politique régionale fut portée sur les fonds baptismaux, mais il ne s’agissait pas encore de décentralisation à proprement parler, ainsi que le montre le document de référence de l’époque : la Politique de Développement National. Directives Nationales et Régionales58. Parmi les trois types de politiques régionales

distingués par S. Boisier (1996a), l’aménagement du territoire, la décentralisation, et la stimulation de la production et du développement, seul ce troisième aspect était abordé. Même s’il n’a abouti « qu’à » une bonne tentative de « régionalisation du développement sectoriel » (S. Boisier, 1996b : 8), un outil de qualité a été créé, dont le ministère de Planification actuel, le MIDEPLAN, est l’héritier direct.

56 Père de l’actuel président chilien.

57 La « révolution en liberté », plus connue sous ses aspects plus directement perceptibles par

le citoyen : réforme agraire par exemple, ou le rachat de 51% du capital des grandes mines de cuivre aux grandes compagnies nord-américaines (voir plus loin, chapitre 4).

58 Política de Desarrollo Nacional. Directivas Nacionales y Regionales : document cité par

Carte n° 3 :