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Une ouverture accentuée par la régionalisation mise en œuvre sous le gouvernement militaire

Division régionale de la CORFO et de l’ODEPLAN

Chapitre 5- Une ouverture accentuée par la régionalisation mise en œuvre sous le gouvernement militaire

Si les relations de l’Etat et du secteur privé représentent un enjeu aussi essentiel pour le Norte Grande, c’est sans doute parce que les termes de cet échange sont conflictuels alors que ses acteurs sont totalement interdépendants. L’économie chilienne est entrée dans la modernité industrielle à partir de la mise en exploitation des nitrates dans le nord, les structures de l’Etat ont alors pu se développer sur la rente issue de ces richesses... Et paradoxalement, pour l’Etat chilien, l’acquisition de la souveraineté sur de nouveaux territoires a coïncidé avec la perte de son indépendance financière. On peut sans doute dire que depuis ce moment, il a lutté pour ne pas se trouver cantonné à un rôle régulateur dans les moments de crise, condamné à ne bénéficier que d’une trop faible partie des dividendes de la richesse dans les périodes fastes. L’ouverture néolibérale aurait-elle provoqué l’abandon d’une telle posture ?

On retrouve cette contradiction originelle dans la politique de régionalisation suivie par le gouvernement militaire ; les nouvelles Régions la soulignent même. C’est en ce sens que nous souhaitons ici présenter les nouvelles modalités administratives de l’ouverture, considérant qu’elle formalisent, qu’elles institutionnalisent un état de fait déjà entériné par l’histoire. La Région devait certes constituer un cadre de gestion et de contrôle, mais l’originalité de leur conception repose sur le fait qu’elles aient été pensées dans ce double mouvement d’ouverture et d’insertion dans le “système Monde”, plutôt que dans un mouvement d’intégration territoriale nationale... malgré l’obsession sécuritaire des militaires. L’objectif avoué était de mettre les régions (désormais en contact direct avec l’étranger) en compétition sur les marchés internationaux, chaque entité étant libre d’y monnayer ses « avantages comparatifs ». La réorganisation de la carte administrative territoriale du pays prévue en 1975 faisait donc partie intégrante du « modèle néolibéral » chilien dans la mesure où l’échelon régional autour duquel elle s’articulait devait fournir le moyen d’ouvrir le pays tout entier au nouveau modèle économique.

Comment le Norte Grande, région « conçue » dans l’ouverture libérale du début du siècle, pouvait-il être véritablement affecté par ce nouveau modèle économique ? La présentation des modalités de l’insertion précoce du nord du Chili au système Monde permet de dégager certaines modalités historiques afin de les comparer aux impacts géographiques du néolibéralisme. Pour montrer comment -et combien- le cadre administratif conditionnait l’évolution territoriale contemporaine, nous avons souhaité entrer plus avant dans la description du fonctionnement des Régions. Cela permet notamment de prendre la mesure du pouvoir réel du secteur public dans un contexte législatif profondément remanié par les militaires en fonction des impératifs de l’ouverture économique. L’importance des Régions au sein de l’appareil territorial chilien hérité de la dictature apparaît quand on souligne leur fonctionnalité économique. Echelon intermédiaire entre les décisions centrales et les éventuelles aspirations locales, la Région n’a eu, dans les premiers temps de la réforme, qu’un impact direct limité sur les populations concernées. Elle a cependant constitué une entité de dimensions intéressantes sur le plan des échanges internationaux : pour l’Etat, la déconcentration permettait de réduire le nombre d’interlocuteurs ; pour les firmes multinationales, ces derniers, disposant d’un

pouvoir local suffisant, ouvraient de nouvelles perspectives de négociations. Le rôle des acteurs locaux devait ainsi aller croissant. La Région fut ainsi conçue pour servir à la fois de relais administratif dans le cadre d’une déconcentration des prérogatives de la capitale et de partenaire économique.

Cela revenait-il à réduire les Régions chiliennes à ne constituer qu’un outil efficace dans le cadre d’une déconcentration destinée à favoriser la libre action des capitaux internationaux ? Dès lors, comment mesurer les conséquences d’une telle régionalisation sur l’organisation - ou la désorganisation - du territoire ? La mise en place des Régions chiliennes aurait-elle sonné le glas de toute territorialisation de tout véritable développement régional possible ? Pouvait-on considérer l’espace chilien comme le laboratoire d’un néolibéralisme sauvage réduisant le territoire à sa valeur marchande et condamnant toute cohésion spatiale ?

5.A- L’insertion précoce au système Monde

L’insertion du Chili dans les circuits marchands mondiaux a tout d’abord été liée aux exportations de blé cultivé dans la vallée centrale. Mais dès le XIXème siècle, elle s’intensifia du fait du rôle croissant joué par les ressources minières : à la fin du siècle dernier, le Chili fournissait 80% de la consommation mondiale de nitrates (dont 90% provenant du Norte Grande). Cet essor commercial précoce permit d’initier un mouvement de capitalisation qui se concentra toutefois dans les maisons commerciales de Valparaiso. Le pays s’insérait très rapidement dans les circuits bancaires internationaux. Le contrecoup de cette adoption immédiate d’un modèle « exportateur primaire » fut violent : malgré son éloignement des grands centres industriels et commerciaux, le Chili fut touché de plein fouet par les soubresauts de l’économie mondiale (l’essor de la production de nitrates se termina avec la première guerre mondiale, et sombra lors de la crise des années 1930).

5.A.a- Le rôle historique de la Grande-Bretagne « C’était l’aurore du salpêtre dans les pampas et la planète et l’engrais vibrait,

elle remplissait le Chili comme un bateau »

P. Neruda, Chant Général, Le fugitif VII, Gallimard 1996 : 359.

) L’insertion dans les circuits capitalistes : les conditions de la dépendance

C’est la Grande-Bretagne qui, permettant le développement économique du Chili par l’augmentation des échanges bilatéraux et l’octroi de nombreux prêts, a assuré l’insertion du pays dans les réseaux marchands internationaux qu’elle dominait. Le Chili atteint rapidement un très haut niveau commercial avec la Grande Bretagne sans avoir, cas exceptionnel, jamais fait partie de son empire colonial. Les échanges entre les deux pays crurent de 475% de 1845 à 1875, alors que le commerce extérieur général progressait de 343% dans la même période. A partir de 1865, la Grande Bretagne représentait plus de la moitié des échanges extérieurs chiliens, et le Chili constituait le deuxième marché latino-américain de l’Angleterre après le Brésil (au 12ème rang des pays en commerce avec la Grande Bretagne, qui étaient presque tous des anciennes colonies). La structure du commerce extérieur entre les deux pays était proche de celle qui liait la Grande Bretagne à son empire : de 1867 à 1871, 43% des importations chiliennes provenaient d’Angleterre (en Inde, ce chiffre grimpait

certes à 69,2%, mais la situation chilienne correspondait aux 34 à 57% observés dans toutes les autres colonies britanniques), alors que 62 % des exportations du Chili étaient destinées à la métropole britannique (50,6% en Inde, et 45 à 50% dans les autres colonies). La Grande-Bretagne consommait alors à la fois le blé chilien et son cuivre (l’apport chilien couvrait 60%, puis à la fin siècle plus de 75% de la consommation industrielle anglaise) (H. Lamicq, 1976 : 25). Le Chili formait alors l’un des sommets d’un commerce triangulaire entre la Grande Bretagne et l’Asie où s’échangeaient blé, métaux, épices et produits manufacturés : les achats de thé par exemple pouvaient être réalisés avec des métaux chiliens.

L’intérêt des Britanniques était tel que leurs interventions dans l’économie chilienne se multiplièrent. Les Anglais investirent massivement dans la construction, au Chili, des premières voies ferrées du continent latino-américain. Cette progression fut soutenue par les multiples prêts que la Grande-Bretagne octroya au Chili. Les premiers furent accordés par les maisons de commerce britanniques de Valparaiso (pour stimuler l’exploitation du nord du pays) à une époque où la contrepartie restait possible : certains Anglais firent appel aux fonds des banques chiliennes de Valparaiso pour se lancer dans l’extraction des nitrates. Le mouvement s’amplifia avec les prêts accordés à l’Etat chilien : « créée par l’emprunt de 1822 [premier prêt d’un million de livres sterling payables en 30 ans], la dette se trouva donc renforcée par la construction des voies ferrées et l’importation de matériel ferroviaire. De 1822 à 1879, le Chili contracta ainsi dix emprunts internationaux, qui furent tous négociés avec les Anglais dans des conditions telles qu’environ 40% de leur montant nominal restait en Grande Bretagne » (ibid. : 29). L’endettement de l’Etat chilien crût alors à vive allure : 2 millions de dollars en 1861, 40 millions de dollars en 1881.

Tableau n°15 : Répartition internationale de l’investissement dans les nitrates du Norte Grande en 1875

Nationalité des capitaux

Capacité productive annuelle (quintaux)

Prix de vente en soles de 44 peniques

Part dans le prix de vente total (%) Péruviens 9 420 800 10 665 033 53,99 Chiliens 3 943 000 3 554 726 17,99 Anglais 2 200 000 2 825 000 14,3 Allemands 1 285 000 1 508 000 7,63 Italiens 762 000 847 900 4,29 Espagnols 338 000 337 044 1,71 Boliviens 45 000 14 500 0,07 Français 18 000 4 000 0,02 Total 18 011 800 19 756 203 100

d’après Guillermo E. Billinghurst, 1889, Los capitales salitreros, Santiago (cité : ibid., p.42) (chiffres qui surestimeraient les capitaux anglais selon l’auteur qui ne les évalue qu’à 8 % du total)

Toutefois, les capitaux anglais ne s’investirent que progressivement dans la nouvelle source de richesse apparue dans le désert de l’Atacama : l’exploitation des nitrates. Avant la guerre du Pacifique, les gisements mis en valeur se concentraient surtout dans la province péruvienne de Tarapacá qui produisait, en 1878, 6 millions de quintaux espagnols (dans 147 oficinas), alors que dans le département bolivien de Cobija, la production n’était que d’un million de quintaux, et de 500 000 seulement dans les environs de Taltal (ibid. : 37). Les premiers capitaux investis étaient surtout chiliens et péruviens. Les investissements anglais ne commencèrent véritablement qu’à partir de 1870 (par le biais de la Compañía de Salitres de Tarapacá).

) L’attribution des nitrates au Chili

C’est à partir de la guerre du Pacifique (1879-1883/84) que l’influence anglaise va devenir déterminante dans le Norte Grande. On peut même avancer que c’est grâce à la prise de position de cette grande puissance européenne dans ce conflit que ces confins convoités furent attribués au Chili plutôt qu’à ses voisins. Pour certains, cette guerre de conquête prouvait au contraire que l’Etat chilien était encore fort, capable de diriger une action internationale : ne doit-on pas considérer que l’éclat de ces hauts faits de guerre retentit comme le chant du cygne d’un Etat chilien indépendant ?

La cause première de la guerre fut certainement la présence chilienne croissante, en hommes (en 1876, ils étaient 6 048 Chiliens pour 4429 Péruviens à Iquique, la capitale des nitrates d’alors) et en capitaux (voir tableau ci-dessus) dans le désert. Mais la confrontation armée entre les trois pays voisins se produisit surtout à un moment stratégique. Le gouvernement péruvien venait en effet (en 1875) d’exproprier toutes les mines de nitrates situées sur son territoire, contre paiement en bons ou certificats à leurs propriétaires. Nombreux furent alors les Chiliens qui décidèrent d’« évacuer leurs capitaux » pour « les réinvestir plus au sud, hors du territoire péruvien ». Dès les débuts du conflit, la valeur des bons baissa, ce qui incita les propriétaires chiliens ou péruviens à vendre leurs titres à Lima à bas prix à... des spéculateurs anglais. John North racheta par exemple l’Oficina Peruana 22 000 livres au gouvernement péruvien qui l’avait payée 40 000, et Robert Harvey acquit l’Oficina Ramirez pour 5000 livres pour la revendre peu après 50 000 livres à la Liverpool Nitrate Company. L’opération paraît a posteriori d’autant plus remarquable qu’elle fut financée grâce à des crédits octroyés à ces Anglais par des banques chiliennes, et en tout premier lieu par la Banque de Valparaiso ! J. North a ainsi reçu 6 millions de dollars de cette banque et d’autres prêteurs chiliens pour acquérir des gisements et installer le réseau ferré permettant leur exploitation (ibid. : 45).

Après la guerre et la victoire chilienne, en 1881, quand le gouvernement chilien tenta de clarifier la situation et de déterminer quels étaient désormais les propriétaires des possessions minières, il respecta les derniers titres de propriété figurant sur les bons, sans satisfaire les revendications de leurs anciens propriétaires. De ce fait, les capitaux anglais qui représentaient 14% de l’industrie des nitrates avant la guerre, s’élevaient à plus du tiers en 1882... La participation péruvienne était réduite à néant et celle des Chiliens chutait de 72 à 36% (ibid. : 46). Ainsi en 1890, la

plupart des oficinas importantes appartenaient aux Anglais, surtout dans la province de Tarapacá (40 oficinas représentaient 55% de l’investissement britannique direct au Chili). A la fin des années 1880, l’exploitation des nitrates était si florissante que les bénéfices exportés représentaient plus du double de ceux qui restaient au Chili. dont pourtant les caisses n’avaient jamais été aussi remplies. Malgré ces gains pendant les années d’apogée du cycle des nitrates, les prélèvements des entreprises étrangères ont toujours condamné le Chili à une balance des comptes déficitaire alors que sa balance commerciale restait bénéficiaire.

Venant s’ajouter à cette prise de position dans les champs de nitrates du nord, les avoirs britanniques avaient cru au rythme des intérêts de la dette du Chili : ils représentaient, en 1880, 8 millions de livres (dont 6 millions prêtés à l’Etat chilien et 2 millions d’investissement direct), 26 millions de livres en 1889 et 64 millions en 1913. Cependant, du fait de l’importante spéculation sur ces capitaux, investis pour la plupart à la bourse de Londres, seule une faible partie d’entre eux restait réellement au Chili. A ces capitaux, il fallait aussi ajouter une part toujours croissante de la Grande Bretagne dans le commerce international chilien (60% en 1895) (ibid. : 48).

Le déploiement multisectoriel des intérêts anglais qui s’ensuivit marqua la dépendance croissante du Chili, et tout particulièrement du Norte minier qui fonctionnait totalement comme une enclave. A cette époque, les communications entre le Norte Grande et le reste du monde aussi bien qu’avec Santiago se faisaient par voie maritime, car ni route ni chemin de fer ne traversaient encore le désert (Iquique fut reliée à Santiago par le rail en 1913) : les ports du Norte Grande étaient alors en contact plus soutenu avec celui de Londres que celui de Valparaiso (ce derniers ne constituait souvent qu’une escale sur la route vers l’Europe). Dans l’enclave, presque toutes les infrastructures étaient régies par le monopole du magnat J. North, propriétaire de nombreux gisements, et qui avait créé en 1882 la Compañía de los Ferrocariles Salitreros, nom chilien de la Nitrate Railways Company (constituée à Londres) afin de relier les champs d’exploitation aux ports d’Iquique et de Pisagua. Il disposait d’un monopole de vingt ans qui fut peu troublé par les prétentions de la compagnie rivale, anglaise elle aussi... et même confirmé par l’attribution qui lui fut faite de la concession pour la construction et l’exploitation d’une voie de chemin de fer devant relier le littoral à la Bolivie. Autour d’Antofagasta, les voies étaient donc aux mains de compagnies associées ou filiales de la Nitrate Railways Company ; voies privées, elles n’avaient pas d’utilité directe pour l’économie « nationale ». Des Britanniques possédaient aussi la Compañía de Agua (Tarapaca Water Works) qui assurait la distribution d’eau dans toute la province de Tarapacá. Les intérêts britanniques s’étendirent bien au-delà du Norte Grande, par des prises de contrôle au niveau national dans le secteur des banques et des assurances, des premiers réseaux de communication téléphonique...

Une dizaine d’années après la fin de la guerre du Pacifique, cette intervention des capitaux étrangers commença à être ressentie de plus en plus pesante, et suscita un sursaut nationaliste dont le président Balmaceda, élu en 1886, prit la tête. Il connaissait bien le nord du pays, pour avoir été ministre des Affaires étrangères pendant la guerre, et mesurait l’apport réel de l’exploitation des nitrates. Il avait engagé pendant son quinquennat de grands travaux d’infrastructure (chemins de fer, ponts, écoles...) et souhaitait les financer en tirant mieux parti de la richesse du Norte

Grande. C’était tenter de se confronter au monopole de la Nitrate Railways Company... Sa politique économique était profondément liée à sa vision nationaliste du développement, que tous étaient loin de partager. Si le conflit qui l’opposa au parlement déboucha sur la guerre civile en 1891, ce fut certes en raison de son autoritarisme, mais surtout de la liaison des intérêts de certains secteurs de la bourgeoisie (représentés au Congrès) à ceux des Anglais. Les magnats des nitrates participèrent d’ailleurs directement au financement de la rébellion du Congrès contre le Président (P. Vayssière, 1980 : 206), qui fut contraint au suicide.

A l’issue de la guerre du Pacifique, la victoire représenta pour le Chili un apport d’une grande valeur : un gain territorial de 180 000 km² certes désertiques, mais au sous-sol prometteur, où vivaient déjà 80 à 100 000 personnes dont 40 % de travailleurs, et dotés d’infrastructures relativement développées (voies ferrées et ports florissants). Mais paradoxalement, la propriété de la richesse minière lui échappait du même coup : cette guerre marqua le basculement du Chili sous la dépendance étrangère, à la fois sur les plans financiers et géopolitiques. La puissance tutélaire allait changer au début du siècle, mais pas les modalités de la domination.

5.A.b- Le relais des capitaux nord-américains

Les Etats-Unis ont commencé à s’intéresser au Chili dès la fin du XIXème siècle d’un point de vue géopolitique, intervenant en tant que médiateurs dans le conflit du Pacifique115, et dans la poursuite de leurs intérêts économiques par le biais de leurs investissements dans le secteur minier et surtout dans l’exploitation du cuivre. Celle-ci se réalisa dans un contexte d’accroissement généralisé de la puissance des Etats-Unis dans le monde (de 1897 à 1914, le montant de leurs investissements en Amérique Latine fut multiplié par cinq, passant de 308 à 1 649 millions de dollars, alors que la part relative de ce continent restait stable : 46-47% ; H. Lamicq, 1976 : 79). L’impact direct sur le Chili, et sur le Norte Grande en particulier, du transfert d’hégémonie à l’échelle mondiale de la Grande-Bretagne aux Etats-Unis allait confirmer un fonctionnement en enclave très marqué.

) L’élan cuprifère

L’intervention économique des Américains coïncida avec le début du cycle d’expansion du cuivre, lié au développement des activités électriques dans le monde. L’extraction du métal rouge n’était pas un phénomène nouveau au Chili, où avait été mis en place au début du XIXème siècle un procédé permettant le traitement de métaux sulfureux de faible teneur : avec une production pourtant modeste (15 000 tonnes), le pays occupait ainsi le rang de premier producteur mondial en 1860. Si en 1913, 80% des mines de cuivre en exploitation étaient encore sous contrôle chilien, en 1963, les Américains avaient acquis la propriété de 90% du secteur... Le transfert des capitaux a commencé très tôt, avant même la première Guerre Mondiale : les investissements des Etats-Unis au Chili s’élevaient à 1 million de dollars en 1897, 31 millions en

115 Les USA sont intervenus comme médiateur auprès des représentants boliviens,

péruviens et chiliens dès 1879 en les invitant à négocier à bord du bateau de guerre américain le Lackawana, sans succès. A l’issue du conflit, la Bolivie et le Pérou les sollicitèrent pour tenter de parvenir à des traités de paix convenable. Voir chapitre 3.C.b « L’arrimage au territoire national d’espaces gagnés par les armes ».

1908 et grimpèrent à 200 millions en 1914 ; la même année, les intérêts britanniques au Chili représentaient toujours 313 millions de dollars (H.Lamicq, 1976 : 82). La prédominance des Etats-Unis se confirma avec la guerre, dont la fin marqua au Chili le début de la crise de l’exploitation des nitrates, principal pôle d’investissement britannique. Le passage d’une puissance tutélaire à l’autre accompagna un changement de cycle minier, le cuivre étant amené à prendre la place des nitrates dans l’économie chilienne.

Après la première Guerre Mondiale, l’influence allemande disparut, et les Américains rachetèrent de nombreuses entreprises britanniques, si bien qu’en 1929, les investissements directs provenant des Etats-Unis représentaient 423 millions de dollars répartis de la façon suivante : secteur minier : 78,5%, services d’utilité publique et transports : 16%, industrie manufacturière : 1,6%, commerce : 3%, divers : 1% (ibid. : p.84). Les intérêts américains au Chili sont ensuite allés sans cesse croissant car une partie des profits étaient réinvestis sur place. Malgré la suprématie du secteur minier, il se diversifièrent ( notamment vers des activités financières) et , furent relayés par l’octroi de prêts au Chili de plus en plus nombreux : en 1929, la National City Bank of New-York fut désignée banquier officiel de l’Etat chilien, alors que la dette du Chili envers les USA s’élevait à 300 millions de dollars. Dans le Norte